Dimanche. Cette routine était bien la seule chose immuable qu’elle appliquait inlassablement à la même heure et de la même façon.
Un bouquet frais.
Un taxi.
Marcher jusqu’à la tombe.
S’agenouiller.
Embrasser ses doigts et les poser sur la pierre fraîche tout en tenant son pendentif.
Son deuil était fait, mais le manque restait présent, et le resterait à jamais. Un détail l’intrigua cependant, alors qu’elle se redressait sous le soleil qui se reflétait dans ses cheveux.

Un prêtre venait d’effectuer un salut militaire. Hein ? Elle cligna des yeux, le contemplant bêtement. Les prêtres faisaient aussi le service militaire ? En même temps, vu sa carrure il avait presque l’air à l’étroit dans son costume, ou uniforme, peu importe le nom que leur donnait le clergé.
Elle n’était pas vraiment croyante, mais depuis que les morts lui parlaient, des interrogations prenaient part dans son esprit. Il était justement la personne la mieux placée pour en discuter, comme elle n’allait pas à l’Eglise.

Mais comment l’aborder dans pareil endroit ? Ce n’était pas comme Russel qui cherchait une rose. Aujourd’hui il n’y avait pas de rose.
Et le visage de cet homme était moins engageant que celui du détective. De toute façon à force de le dévisager ainsi, elle allait forcément finir par attirer son attention.
Elle tira sur ses manches, pour dissimuler les marques qui s’y trouvaient, au cas où.

Dimanche, jour libre, je venais à peine de commencer mon job que je pouvais déjà me reposer, mais bon, je vais pas me plaindre, ça me permet de me rendre ici. Dire qu'il n'y a pas si longtemps je plaignais les gens qui venaient au cimetière, ayant perdu un proche, ils se sentaient obligés de venir leur "rendre visite"... Et finalement je me retrouve à faire la même chose.

  J'arrive enfin dans l'allée de la tombe de Dwayne, quelques pas et la voila... Dire que je peux pas m’empêcher de venir ici tous les dimanches. Je me mes donc en tailleur et commence cette discussion qui n'aura pas de réponse.

  Je lui racontes donc ce qu'il s'est passé dans la semaine. Mon emménagement, j'avais croisé une voisine, Lenna Halo, a qui j'avais remonté ses courses. Le soir j'avais rencontré Anna Miller, une jeune femme assez spéciale, avec qui j'ai sympathisé devant les étoiles que j'étais venu voir comme il m'avait appris. Et finalement... Mes premières journées de taf, le programme pour mon travail de prof n'avait pas changé d'un poil par rapport à quand j'y étais. En revanche les labo de recherche étaient assez impressionnant, rien à voir avec les labo qu'on utilise pour les travaux pratiques pendant la scolarité.

  Finalement, je me rend compte que la pierre tombale est bien entretenue, c'est logique puisque mes parents en prennent soin, mais elle donnait l'impression d'avoir été nettoyée aujourd'hui même, or mes parents viennent le lundi... Étrange. J'imagine que les prêtre prennent soin eux-même des tombes par moment.

  En sortant de ma réflexion plutôt inutile, j’entends des mouvements derrière moi. Surement d'autres personnes venues se recueillir. Je me retourne donc en me relevant et aperçois la fameuse Lenna Halo, la femme dont je venais de parler à mon frère. Quelque tombe plus loin un prêtre debout devant une tombe, avec une carrure... impressionnante pour bha... un prêtre. J'imagine que je pourrais lui demander qui a pris soin de la tombe de Dwayne, je vois pas ce qu'il pourrait y avoir de bizarre mais sait-on jamais.

  Je me retourne donc et me dirige tranquillement vers lui, en faisant le tour de l'allée, passer au milieu des tombes juste devant un prêtre, ce serait peut-être exagéré.

Un sourire. Le costume et le sourire atténua les traits durs de l’homme, et permit à Lenna de se sentir un peu rassurée. Elle cultivait en ce moment un réflexe de défense contre les hommes qui constituaient à s’en éloigner de façon systématique, afin qu’aucun d’eux ne lui attire de problèmes. Le sourire la fit rester.

Bonjour. J'espère ne pas vous déranger pendant que vous vous recueillez.

Elle secoua la tête pour lui répondre, avant de se rendre compte que son geste était celui d’une enfant, et de plus cela risquait de la faire passer pour quelqu’un de malpoli, ce qu’elle n’était pas.

Non, j’avais terminé. Vous…

Elle allait lui poser une question sur la mort, quand elle aperçut un visage connu qui arrivait du côté de l’allée, derrière elle.

Oh, monsieur… Vekor c’est ça ?

Le nouveau voisin. Il semblerait qu’ils allaient avoir plus que le magasin et le même immeuble en commun. Il était cruellement comique de constater qu’elle faisait beaucoup de nouvelles rencontres dans les cimetières. A croire que cela était plus populaire que l’endroit où elle faisait ses courses. Russel, Nialcen, et maintenant ce prêtre et son voisin. Le sort semblait s’amuser à jouer avec sa représentation de la mort. Elle décida de se lancer tout de même dans sa confession, malgré la présence d’une personne supplémentaire.

Vous saurez peut-être... Est-ce qu’une trace des personnes reste dans ce monde après leur mort ?

Voilà qui lui apporterait peut-être des réponses sur son pouvoir, tout en gardant le secret sur sa provenance et son fonctionnement.

Je fini de faire le tour de l'allée pour rejoindre le prêtre. Lenna Halo m’aperçois finalement.

"Oh, monsieur… Vekor c’est ça ?"

   Je laisse échapper un petit gloussement, Vekor... Du coup je ne sais pas si elle voulait utiliser mon prénom ou mon nom de famille puisqu'elle a mélangé les deux. Le prêtre me fais également un signe de tête, que je lui renvoi.

"Rekor Veroth pour être exact, pas de mal, tout le monde s’emmêle en général"

   Amusant coup du sort que de la croiser une deuxième fois en si peu de temps, mais au cimetière cette fois ci. La mort est donc si commune que ça ? Peut-être est-ce une raison pour qu'elle me paraisse aussi craintive, notamment le jour où je l'ai rencontré, devant l'immeuble. C'est alors qu'elle pose une question au prêtre.

"Vous saurez peut-être... Est-ce qu’une trace des personnes reste dans ce monde après leur mort ?"

  Étrange comme question. La plupart des gens partent du principe que les proches décédés sont disparu à jamais, et que la seule chose qu'il reste d'eux sont les souvenirs qu'on en garde. Est-ce qu'elle vivrait mal son deuil pour poser cette question ? Bon, si elle voulait parler de ça, peut-être que je pourrais attendre un peu plus loin le temps de leur discussion.

"Cela vous dérange t-il si je reste ? J'aurais une question à poser également après."

  Si elle voulait que la discussion reste privée j'irai attendre au bout.

Bon. Elle s’était trompée dans son nom, mais avait réussi à en être plutôt proche tout de même. Vekor, Veroth… un nom de vampire sorti d’un conte d’épouvante. Ou un nom russe, comme Vladimir. Lenna arrêta ses pensées là, pour capter la phrase qu’énonca son nouveau voisin. Serviable soit dit en passant, puisque tout le monde ne s’arrêterait pas pour porter les courses d’une inconnue. A moins qu’il soit à tendance pervers, et l’ayant trouvé « jolie »… non. Elle n’est pas jolie. Pas moche, banale tout au plus.

"Cela vous dérange t-il si je reste ? J'aurais une question à poser également après."

Le prêtre ne semblait pas perturbé par cette proposition, alors Lenna haussa les épaules.

Si vous voulez.

Elle s’en fichait. Elle n’avait rien à cacher de plus à lui qu’au prêtre. Elle ne comptait pas se confesser sur ses incartades récentes, ce serait trop long à couvrir sur la demi-journée restante. Elle tourna ensuite son regard vers le prêtre qui dégageait une aura de calme. Le costume, sans doute.

En entendant la question posée par Mademoiselle.. Madame Halo ? Le prêtre eu l'air un peu étonné, mais intéressé, ce genre de débat devait être au centre de ses intérêts, mais peu de gens devaient lui poser des questions aussi direct et spirituelles. Il ne semblait pas vouloir s'opposer à ce que je participe à cette discussion, surement que pour lui plusieurs avis sont intéressant.

  Lenna haussa légèrement les épaules, avant de dire que je pouvais rester. Bien, il ressortirait peut-être des choses intéressantes sur cette discussion, et il avait également une question sur la mort, qui lui trottait dans la tête depuis un moment.

  Mais chaque chose en son temps, je fais donc un signe de tête à Lenna pour la remercier, puis reporte mon regard sur le prêtre, pour lui indiquer que sa réponse m'intéresse également. Il semblait calme, reposé, pas vraiment étonnant vu sa profession. Mais maintenant que je posais mon regard sur lui de plus près, la stature qu'il avait vu en étant dans l'allée de devant ne rendait pas justice à ce qu'il était vraiment.

  Il était non seulement immense, mais musclé également. M'est avis qu'il n'a pas été prêtre toute sa vie, quand à savoir ce qu'il faisait avant pour développer une telle masse, les possibilités étaient nombreuses. Mais vu la cicatrice qui m'avait échappée sur son visage, surement pas quelque chose qu'on associerait à un futur prêtre. Ancien militaire peut-être ?

Les souvenirs, le matériel. Non ce n’était pas ça qui lui importait. Elle le savait ça : de la réponse de prêtre religieux tout crachée. Elle s’agaçait de leur façon d’interpréter tout le monde à leur sauce.

… il se peut qu'ils laissent en notre monde des choses que l'on ne peut pas voir, toucher ou entendre, mais seulement ressentir.
Est-ce dans ce sens que vous m'avez posé votre question?

Des choses que l’on peut ressentir… Oui, mais alors s’ils avaient quittés ce monde, pourquoi continuaient-ils d’agir comme s’ils y vivaient toujours ?

Oui. Ce qu’on ressent… Est-ce une copie de leur esprit, tel qu’il était de leur vivant ?

Là, les deux hommes allaient commencer à la trouver carrément bizarre. Mais, il est de bon ton parfois de s’attarder sur des réflexions métaphysiques. Elle jeta un coup d’œil à Rekor, pour observer ses réactions. Il ne faudrait pas que son voisin commence à vouloir l’éviter. Porter ses courses c’est toujours utile.

Le prêtre avait parfaitement décrit la façon dont j'avais fait mon deuil, "...ses volontés et ses rêves que d'autre porteront à sa place...". Certes ce n'était pas le rêve de Dwayne, ni son objectif, mais sa mort, et surtout la cause de sa mort, m'a laissé une raison de lutter contre le chagrin, et d'accomplir un objectif.

"...il se peut qu'ils laissent en notre monde des choses que l'on ne peut pas voir, toucher ou entendre, mais seulement ressentir."

  En revanche de quoi parlait-il ? De l'influence que ceux qui partent laissent en nous ? De comment leur caractère, leur souvenir, change nos façons de penser et d'agir ? Au final, on interprète la réaction qu'ils auraient eu si ils étaient encore là, et on agis en fonction de ça, on fait ce qu'ils auraient fait, mais qui peut prédire la réaction qu'ils auraient eu ? Même en connaissant la personne parfaitement, nous ne sommes pas dans leur tête.

"Oui. Ce qu’on ressent… Est-ce une copie de leur esprit, tel qu’il était de leur vivant ?"

  Une copie de leur esprit ? Non, c'est notre façon de voir leur esprit, ceux qui partent ne laisse pas leur esprit, il disparait lorsque leur cerveau s'arrête. Ce que le prêtre appellerait monter aux Cieux je suppose. La seule chose qui reste réellement c'est nous. Notre esprit à nous. La façon dont nous imaginions celui qui part.

"Une copie de leur esprit ? Je ne pense pas, leur esprit monte aux Cieux comme vous diriez n'est-ce pas ?" Je regarde le prêtre puis continue en regardant dans le vide. "Ce qui reste, c'est notre interprétation de celui qui part, la façon dont on l'imagine, et dont on imagine sa pensée et c'est ça qui nous influence, puis nous prenons ça comme un reste de son esprit pour nous rassurer."

Complètement à côté de la plaque ces messieurs. Elle ne voulait pas de paroles philosophiques, mais savoir ce que devenaient réellement les esprits ! Elle acquiesça de la tête, laissant tomber l’envie d’avoir des réponses concrètes.

Je vois. Mais leur paroles viennent parfois après leur mort.

Elle ne voyait pas du tout. Mais ce n’était pas grave, du moment qu’ils ne se sentaient pas floués par son manque d’intérêt total. Elle s'attendait à ce qu'il lui dise qu'on ne comprenait leurs paroles qu'une fois le recul sur leur vies faites, ou un truc du genre. Elle préféra changer de sujet, en se tournant vers Verkor, Rero, bref, son voisin.

Et votre question ?

Inutile de parler de mort avec lui. Il ne lui donnerait pas les réponses aux questions qui rongeaient son cœur.

Apparemment madame Halo ne parlait pas du tout du même genre d'influence. Leurs paroles après leur mort ? On part dans le spiritisme là, au risque de paraitre cliché, je suis pas dans la science pour rien, ce genre de chose, je ne pourrais jamais y croire.

"Et votre question ?"

 Après le débat sur les restes des morts et leur esprit, ma question me parait bien ridicule, mais ça me trotte dans la tête depuis un moment. Je tourne mon regard vers le prêtre.

"Vous voyez beaucoup de gens en deuil, vous les voyez revenir devant la tombe de leurs proches, vous leurs parlez peut-être comme nous nous parlons maintenant. D'après vous, quand peut-on considérer que notre deuil est fini ?"

 J'ai déjà parlé de ça à des psychologues, mais bien sur, la seule chose qu'ils ont à la bouche sont les 7 étapes du deuil, absolument tous. Choc. Déni. Colère. Tristesse. Résignation. Acceptation. Reconstruction. Est-il possible de faire son deuil sans passer par toutes ces conneries ? Ou cela faisait de moi un... Extraterrestre ? Un sans-cœur ?

Ainsi, Rekor aurait perdu quelqu’un. Qui ? Sa femme, sa sœur, son père ? Il devait y tenir, sinon il ne poserait pas une question pareille. Elle ne tenait plus à rien, et avançait en marche automatique.

Certains se raccrochent à l'espoir de voir un jour leur proche décédé, leur parler, et consultent des médiums.

Medium. Pouvait-elle dire qu’elle l’était en face d’un prêtre ? Hmm, elle trouvait cela déplacé. Un petit sous-entendu pour le voisin, qui pourrait facilement lui demander plus de détails si besoin.

Les mediums, cela fonctionne.

D'autres préfèrent oublier ou enterrer leurs souvenirs et leurs émotions, en sombrant dans l'alcool ou en fuyant leur vie.

Russel. C’était la première image qui lui était venue à l’esprit avec ces paroles. Il avait commencé à boire soudainement, mais qui avait-il perdu, alors même que c’était elle qui lui avait annoncé la mort d’Origan.

Ceux qui l'acceptent parviennent à surmonter leur peine tout en reconnaissant qu'ils ne se verront plus ici-bas. Quel que soit la durée ou l'intensité des émotions qui nous liait à un défunt, je pense qu'un deuil nous marque à jamais.

Oui. Marquée au fer rouge. Elle acquiesça de la tête, en phase total avec les dernières paroles du prêtre.

Mhh, la réponse du prêtre ne m'avance pas vraiment. Je ne pleure plus mon frère, mais je ne pense pas que mon deuil soit fait pour autant. Même en ayant repris le cours de ma vie, peut-être en reformulant ma question ?

"Et pensez vous qu'un deuil doit avoir un impact "positif" sur une personne ? Ils nous changent c'est sur et certains, mais nous change t-il en bien ?"

  Question rhétorique quand je m'entend la poser, bien sur que certains tournent mal après un deuil, sinon la vengeance n’existerait pas... Mais bon, si il développe sa pensé cette dernière question pourrait être intéressant tout de même.

  Les médium fonctionnent, c'est ce que semble soutenir Madame Halo... Mon esprit est fermé à ce genre de chose il faut l'avouer, serait-elle du genre à y croire ? Ou l'était-elle elle même ? Soit. On vit comme on le souhaite, toujours est-il qu'il m'est impossible de croire que certains pouvaient avoir des contacts avec les morts, ou les esprits, pour prédire l'avenir ou quoi que ce soit. L'aurait elle dit pour me conseiller d'aller en voir un ? Mouais...

Blablabla… Autant sa précédente réponse était en phase avec ses convictions, autant celle-ci était hérésie selon sa propre religion d’être.

Il n’y a PAS de leçon de vie dans une mort.

Elle avait sans doute était un peu brusque dans ses paroles, mais elle ne pouvait se résoudre à les laisser se fourvoyer. La mort n’apportait rien d’autre que le désespoir. Elle le savait pertinemment bien. Elle secoua la tête, évitant cependant leurs regards.

Il n’y a plus de force non plus pour avancer. Il faut juste… vivre. Parce qu’on a pas le choix.

Cette conversation l’ennuyait. Elle glissa ses mains dans les poches de son jean, tournant la tête à la recherche d’un sujet plus passionnant et qui remuerait moins ses entrailles encore douloureuses.

Tout ce qu'il dit, c'est la conclusion a laquelle je suis arrivé, en dehors des passages sur la foi et Dieu, et pourtant, je n'arrive pas à m'en convaincre, ça continue à rester dans ma tête, inlassablement. Je continue à écouter sa réponse, mais plus distrait, au final, je ne ressortirai pas de ce débat vidé de ces questions et de ces impressions.

"Il n’y a PAS de leçon de vie dans une mort."

   Cette phrase tranchait littéralement avec tout ce que venait de dire le prêtre. Une façon bien triste de vivre un décès, elle en a forcement eu un, mais comment a t-elle pu s'en remettre en pensant comme ça ? A moins qu'elle ne s'en soit "simplement" pas remise. Si on n'essayait pas de trouver un sens, une leçon ou un objectif après la mort d'un proche, il ne restait que les émotions négatives.

"Il n’y a plus de force non plus pour avancer. Il faut juste… vivre. Parce qu’on a pas le choix."

   En effet, ça tombe au bord du désespoir, un gouffre que je n'ai pas vécu, mais que je n'ai peut-être pas encore franchi. Mais pour en parler ouvertement comme ça, elle était peut-être même dedans en ce moment même. D'un côté je la connaissais à peine et je me rend compte que je ne peux pas grand chose, mais d'un autre je me dis qu'elle a sûrement besoin d'aide, et pour plus que porter des courses.

"Pas de leçon de vie ? Pour ma part ce que j'ai retenu de plus fort, ce n'est pas une leçon, mais un objectif, vaincre ce qui m'a pris mon frère, le cancer."

   C'est sorti tout seul, ça doit bien être la première fois que j'en parle en dehors de ma famille, décidément cette discussion partait loin, peut-être trop, je n'aime pas vraiment en parler, même avec ma famille. A ce moment je rabaisse la tête et commence à regretter ma langue trop pendue.

Elle avait été trop virulente. Toute sa frustration était ressortie d’un coup, blessée par les paroles du prêtre. Ainsi ce voisin avait perdu quelqu’un lui aussi. Peut-être pourrait-ils s’entendre, chacun avec leur deuil. Elle croisa les bras pour se retenir d’exploser encore, posant la question qui venait de lui traverser l’esprit.

Vous avez dit que vous avez erré. Quand et pourquoi avez-vous ouvert les yeux ?

Peut sa solution pouvait-elle lui convenir. Une solution pour expier ses pêchés. Se faire bonne sœur ? Impossible. Faire vœu de silence ? Trop de cris à l’intérieur d’elle pour pouvoir se taire à vie. Alors, elle attendait sa réponse.

Cela m’intéresse. Et ne me sortez pas une réponse cousue de fil blanc, je veux des faits.

Oui, elle se méfiait. Elle voulait la vérité. Les actes réels. Le reste n'était qu'artifice superficiel. Elle s'en voulait d'être aussi agressive. Cette agressivité qui ne la quittait plus. Elle avait beau se défouler sur des ombres, le mal qui la rongeait était bien plus profond que ce qu'elle voulait bien se laisser dire.

"C'est un objectif louable, Mr Veroth. Puisse le Seigneur vous aider dans cette lourde tâche."

    Un signe de tête pour dire merci, bien que je ne crois pas en Dieu, et que je ne pense donc pas qu'il puisse m'être d'une quelconque aide dans mes recherches.

"Vous avez dit que vous avez erré. Quand et pourquoi avez-vous ouvert les yeux ?"
"Cela m’intéresse. Et ne me sortez pas une réponse cousue de fil blanc, je veux des faits."

    Décidément, la femme timide a qui j'ai monté les courses savait ne pas mâcher ses mots par moment. Sa question restait intéressante, après avoir dévoilé une partie de ma vie, je suis curieux de savoir ce qui l'a poussé à devenir prêtre, si c'est en effet les évènements de sa vie qu'il a énoncé qui l'ont poussé à ça.

A force de trop contrôler ses émotions personnelles, elle en oubliait celle des autres. Devant le regard du prêtre, elle eut un mouvement de repli, honteuse de l’avoir bousculé. Son histoire était intéressante, mais elle ne se voyait pas embrasser la foi pour s’expurger et s’absoudre de tous péchés. Elle en avait trop.

N'y voyez aucune contrainte. Mais quelle est cette personne si importante dont la mort vous accable tant? Vous trouverez cela peut-être ridicule, mais j'aimerais prier pour elle. Et pour votre frère, Mr Veroth.

Une personne ? Trop de personnes. Le deuil de sa mère était fait, elle reposait en paix là-haut loin de tous les soucis de ce monde. C’était celui de Julien qui la hantait. Le premier et le deuxième. Ainsi que les conséquences qui en avaient suivies.

Merci, mais c’est trop tard pour prier.

Julien et Russel. Les deux hommes qu’elle avait connus étaient morts. Et les deux hommes qu’elles avaient revus étaient pires. Pour l’un d’eux son péché le plus grave était de vivre encore. Pour l’autre c’était de l’avoir abandonné, encore.

Ils reposent déjà au diable, ajouta-t-elle dans un souffle presque silencieux.

Un prêtre qui n'a pas tout le temps été un enfant de cœur du coup. A mes yeux ça le rend bien plus humain, et bien plus à même de conseiller d'autres personnes. Même si il n'a pas dit grand chose sur sa vie, j'imagine qu'il a du passer par pas mal de phases.

"N'y voyez aucune contrainte. Mais quelle est cette personne si importante dont la mort vous accable tant? Vous trouverez cela peut-être ridicule, mais j'aimerais prier pour elle. Et pour votre frère, Mr Veroth."

    Je ne suis pas sur que Dwayne trouve ça utile lui-même, mais soit, ça ne peut pas faire de mal.

"Merci, mais c’est trop tard pour prier. "

    Plus la discussion dure, et plus j'ai l'impression que madame Halo a de sérieux problèmes avec son deuil. Malheureusement je ne peux ni la juger, ni l'aider pour le moment, lui demander d'étaler sa vie pour essayer d'en discuter alors qu'on se connaissait à peine serait stupide. D'autant qu'elle vient de laisser échapper un.. murmure ? On aurait presque senti de la haine. C'est bien plus profond qu'un deuil inachevé.

    Dans tous les cas, j'allais devoir partir, vu l'heure, j'avais encore quelques trucs à raconter à Dwayne, et je devais encore m'occuper de mon sport et de mon appartement.

"Sur ce, je vais vous laisser, j'aimerai encore passer quelques minutes devant la tombe de mon frère, puis repartir à mes occupations, simplement, j'ai remarqué que la tombe était entretenu d'aujourd'hui ou d'hier, alors que mes parents ne viennent pas le samedi. Ce sont les prêtres qui auraient pris le temps de s'en occuper ?"

    Il revenait normalement aux familles de s'occuper des sépultures, mais j'imagine qu'un prêtre pouvait parfois passer devant une tombe et s'en occuper si ça lui semblait nécessaire.

Elle le faisait fuir. Elle détourna le regard, pour ne pas l’embarrasser plus qu’elle ne l’avait déjà fait. Elle le salua de la tête, sentant qu’elle en avait déjà bien assez dit devant lui pour qu’il se méfie de sa voisine du premier.

Bonne journée à vous.

Elle se retourna ensuite vers le prêtre, une dernière question hantant encore son esprit. Une dernière et elle le laisserait en paix, l’ayant déjà assez agressé pour la journée. Elle prit un ton plus calme, adouci. Elle avait repris le contrôle sur ses émotions grâce au retour des banalités amenées par le voisin.

Dites... Est-ce que... Dieu pardonne-t-Il vraiment tout ?

Elle avait froid, soudainement si froid. Elle pensait que son âme était définitivement perdue, mais peut-être pourrait-elle se pardonner à soi-même si son Dieu le faisait. Ce serait un premier pas pour s’éviter la folie qu’elle savait proche de son esprit.

Je retourne donc vers la tombe de Dwayne, en refaisant le tour de l'allée. Alors c'est ce prêtre qui s'est occupé de la tombe, pas trop étonnant, il a l'air très respectueux. En repartant je lui fais signe que non, ça ne me dérange pas, ce n'est qu'une tombe au final d'un certain point de vue. Ma voisine elle me souhaite une bonne journée, je lui souris donc en lui en souhaitant une également.

    En faisant le tour de la dernière tombe pour retourné dans l'allée où était celle de mon frère, j’entends Madame Halo poser une autre question. "Dites... Est-ce que... Dieu pardonne-t-Il vraiment tout ?" Une question étrange pour une femme qui semblait rejeter la croyance. Que c'était-il passer pour qu'elle passe d'une femme effacée, à une femme un peu direct et brute, puis finie par poser cette question.

    Finalement, même devant la tombe pour laquelle j'étais là, j'entends toute la conversation. Soit, je parlerai à voix basse pour ne pas les interrompre. Je reprend donc où j'en étais resté tout à l'heure.

Des crimes qui sont atroces. Coucher avec l’ennemi, le laisser tuer son fiancé, et se mutiler devaient certainement en faire partie. Sans compter qu’elle se défoulait dans une folie meurtrière d’ombres. Elle baissa la tête, nerveuse à l’idée qu’elle ne pourrait certainement jamais se pardonner.

Et si l’âme est déjà trop corrompue ?

Murmura-t-elle en réponse au prêtre, en baissant la tête, sans attendre de réponse véritable. Sa volonté propre était complètement détruite. Elle agissait comme une arme froide, et incalculable. Ses émotions étaient soigneusement enterrées sous une couche de haine qu’elle cultivait avec soin, histoire de pouvoir brûler pour quelque chose. Cet homme ne pourrait rien lui apporter de plus. Elle était déjà damnée. Vouée à atterrir en enfer. Peut-être que si elle expurgeait le monde de la menace, réussirait-elle à s’accorder un début de pardon. Peut-être.

Elle se détourna vers l’allée, décidant qu’il valait mieux mettre fin à cette conversation avant que la glace formée autour de son cœur ne fonde sous les à-coups de philosophie et ne lui fasse ressentir sa douleur à nouveau.

Merci. Pour votre écoute.

"Il est des crimes que Dieu réprouve et qui sont aussi atroces aux yeux du Ciel qu'ils ne le sont sur Terre. Le pardon de Dieu est comme le pardon qu'on s'accorde à soi-même. C'est le fruit d'un vrai changement d'âme et il demande une réelle volonté. Mais Dieu n'a jamais rejeté un pêcheur qui désire se repentir."

    Des crimes impardonnables... Et si je suis forcé de faire ce crime ? Dieu pardonne t'il ceux qui ne trouvent pas de solutions ? J'en ai aucune idée, et la question ne m'intéresse que parce que je viens d'entendre le prêtre en parler. Je sais que si la solution se présente je la prendrais, et peu importe ce que Dieu en pensera, j'aurais fait ce que je peux pour mes proches et pour moi. Le pardon de Dieu attendra si je peux mettre mes proches hors de danger.

"Merci. Pour votre écoute."

    Bien, si la discussion prend fin, je risque plus d'avoir les oreilles qui trainent. Non pas que j'écoute volontairement, mais avec le peu de distance, j'ai l'impression d'encore participer à la discussion.