Bar le New Heavens:

Choisir une cible avait été délicat. John n’avait aucune idée des talents de séduction de Nylian, et l’avant-goût de ses capacités de combat l’avait laissé sur sa faim ; alors il avait soigneusement épluché les candidats avant de se décider. Il fallait quelqu’un qui soit à la fois pourri, non violent et plutôt facile à draguer. Enfin, il devait aussi compter sur sa comparse pour se démarquer des pin-up du bar et apporter le petit plus qui ferait chavirer leur victime.
Finalement, d’indics en indics il était tombé sur une première proie parfaite, assez intéressante pour que la récompense et la difficulté balancent avec leur inexpérience : Thomas Kayne, un jeune homme de 25 ans qui s’était correctement enrichi avec une start-up de génériques de médicaments, qui avait comme principe innovant leur réutilisation par filtrage de l’urine. Une fois les premiers doutes dépassés, ce système avait très bien fonctionné et s’était très répandu à travers le quartier sud, grâce au prix très économique de ces produits ; mais au bout de quelques mois des problèmes sont apparus. Quelques familles se sont plaintes de soucis médicaux après la réutilisation des médicaments, et suite à une étude scientifique difficilement payée par le soin, ils en sont venus à attaquer en justice monsieur Kayne.  Seulement, le jour du procès la défense s’est retrouvée seule, les témoins étant absents. Après quelques recherches, John avait pu découvrir qu’en réalité Thomas avait acheté les victimes et fait disparaître les résultats de l’analyse, afin d’éviter d’avoir à rembourser le bon nombre de clients qu’il avait eu.
Ce soir, le but était donc de trouver quelques informations compromettantes si possibles, et dans tous les cas piocher allégrement dans la fortune du jeune homme.

Il était 23h, une heure inhabituelle pour les actions de John – d’ordinaire il agissait en pleine nuit, quand tous dormaient. Tout était prêt, Thomas était bel et bien dans le bar. Nylian allait bientôt entré en jeu pendant que John était installé à la fenêtre d’un appartement situé en face du bar. En faisant des repérages quelques jours auparavant, il avait remarqué ce petit logis en vente, et se l’était approprié le temps d’un soir. Son téléphone à la main, il était prêt à agir si sa collègue lui en donnait le signal ; ou si à l’inverse elle n’en donnait plus un seul. Le plan était simple : Nylian devait séduire Thomas Kayne et être invitée chez lui, puis lui faire goûter à son médicament à elle. Une fois endormi, elle devait envoyer un message à John et lui ouvrir la porte. Après leur méfait accompli, ils pourraient s’éclipser tranquillement, laissant leur victime se réveiller quelques heures après sans aucun souvenir de cette petite visite.

Avant qu'elle ne rentre dans le bar, il attrapa son téléphone et lui envoya un message. Malgré les apparences, il n'avait pas vraiment envie que cela se passe mal, car si elle se faisait attrapé, il se sentirait obligé d'intervenir. Et même s'il était plus fort que la moyenne, l'idée affronter plusieurs types à la fois ne l'enjouait pas trop.

J'espère que t'es plus habile avec les hommes qu'avec une bouteille de bière, sinon tu vas en entendre parler, Don Juan.

Finalement, John avait décidé de changer une partie du plan : il n’allait pas rester sans rien faire, assis dans cet appartement vide et triste. Non, il allait entrer dans le bar lui aussi puis s’installer tranquillement quelque part, observant Nylian agir. De plus, il s’était correctement habillé ce soir – chemise propre, pantalon entier, et même un reste de parfum trouvé-, donc il n’aurait aucun souci à rester dans cet endroit. En réalité, deux instincts l’avaient poussé à changer le déroulement de sa soirée ; le premier était le fait qu’il voulait garder un œil sur Nylian, même s’il avait vu quelques mois auparavant qu’elle résistait plutôt correctement au stress. Et l’autre était de d’admirer de quelle façon sa charmante collègue allait s’y prendre, pour pouvoir s’en servir d’essence à sarcasmes plus tard. Elle aurait fait pareil, donc il n’y voyait aucun inconvénient.

Une fois entré, il chercha les deux personnes phares de la soirée directement. Nylian était assise, semblant s’adresser au barman ; Thomas Kayne était lui encore seul. John se rapprocha et vint s’assoir à une table proche de Nylian, pour pouvoir entendre et scruter toute la discussion qui allait avoir lieu. Si jamais il reconnaissait quelqu’un à qu’il avait déjà visité, ça ne ferait pas tomber le plan à l’eau ; il n’y avait pas de connecteurs entre la demoiselle et lui.

John était arrivé trop tard pour suivre les débuts du plan, s’il y en avait eu. Très vite, Thomas Kayne fut rejoint par un groupe de jolies filles, vêtues très légers pour la saison, et il alla s’assoir à une table qui lui semblait réservée. Etonné par ce début décevant, il commença son verre, attendant une quelconque suite des actions.

Au bout de quelques instants, un jeune homme passa près de leur cible et s’arrêta quelques instants, le temps d’un échange. Puis il reparti, se dirigeant tranquillement vers la chaise sur laquelle était assise Nylian.

« - Bonsoir mademoiselle, je ne vous ai jamais vu ici avant. Vous êtes magnifique ce soir, je peux ? »

Il finit sa phrase en indiquant du regard le siège voisin de la demoiselle, dont l’occupant se dépêcha de quitter.

Le voleur assista à la scène, incrédule. Pourquoi un autre homme était-il ici en train de discuter avec elle ? Enfin, ce n’était pas le plan, pourquoi Thomas aurait-il envoyé quelqu’un la séduire ? Alors il scruta le visage de l’homme, en quête de se souvenir si celui-ci avait un passé douteux, mais ce fut vain. Les choses ne se passaient pas comme il l’avait prévu, et c’était décontenançant.
John tourna la tête vers la table du jeune entrepreneur, et vu qu’il était toujours assis et entouré de ces jeunes filles, quoique le regard fixé vers la scène au bar. Il semblait attendre quelque chose, mais quoi ? Comptait-il faire venir la jeune fille plus tard, voulait-il la connaître quelque peu avant ? Ou était-il déjà pleinement satisfait et la laissait-il à son ami ?
John grimaça à cette idée. Même si Nylian n’était que sa camarade, l’idée de la voir être traitée comme une simple marchandise ne lui plaisait pas vraiment ; alors il commençait à réfléchir à ce qu’il pourrait faire pour aider la demoiselle si elle n’arrivait pas à se sortir de cette situation, mais il devait avouer que la séduction n’était pas vraiment son fort. Néanmoins, il remarqua un détail intéressant à la table observée, par rapport aux demoiselles qui y étaient. Elles avaient l’air vexées du peu d’attention que Thomas leur apportait, et cela indiquait donc que Nylian n’avait pas tant raté son approche finalement ; en soit, que ce n’était qu’une question de temps avant que le plan reprenne son cours.

Quoiqu'il en soit, de son côté il devait passer inaperçu; alors il invita une jeune fille assise au bar à le rejoindre, lui payant un verre. A peine avait-il eu besoin de parler que l'intéressée consentit, et il comprit qu'elle n'était pas là par hasard. Enfin, ça suffirait pour le moment, tant qu'elle restait pour servir de couverture.

« - J’ai eu une dure journée… Change moi les esprits, parle moi... »

Le tact n'importait pas dans ce cas présent, et la jeune fille se mit à parler de sa vie sans problème, espérant en tirer quelques billets plus tard au jeune voleur. Chose qui n'allait pas arriver. Il détourna le regard, n'écoutant quasiment pas ces récits de boutiques, amies, et allusions sexuelles à foison, se concentrant dans l'observation des deux tourtereaux.

La jeune femme continuait à parler, faisant de plus en plus d’allusions sensuelles auxquelles John ne répondait pas. Il sorti son téléphone, lisant les messages de sa collègue ; il sourit, puis se décida à réellement utiliser sa couverture. S’il continuait à ignorer la fille de peu de vertu face à lui, elle partirait sans oublier d’attirer l’attention sur lui ; et la personne qui devait se faire remarquer ce soir, c’était Nylian. Sa mission était de se faire oublier, restant ici simplement pour admirer le spectacle, et intervenir si besoin.

« - Oh, vraiment ? Eh bien, ça m’étonne de ne pas t’avoir remarquée avant, Luna … Une femme si belle se démarque d’entre toute ! »

John n’entendit pas de réponse de la part de Nylian, et il profita de ce silence pour continuer sa tâche. Il s’approcha de la jeune fille face à lui, puis commença à lui poser des questions banales, comme sur de beaux endroits où se balader à deux dans la ville, où manger … Il voulait simplement l’intéresser encore quelques temps. Pendant que la jeune fille réfléchissait à la meilleure façon de l’arnaquer, l’inconnu parla à nouveau derrière lui.

« - Je disais que tu étais ravissante, et que cela m’étonnait de ne pas t’avoir vue avant. »

Sans laisser la fausse Luna répondre, l’homme continua :

« - Ah, c’est vrai qu’il y a du monde ce soir… J’ai un ami avec une table plus silencieuse là-bas, tu y es invitée ! »

John comprit que l’homme se tournait, indiquant une table. Maintenant, la question était de savoir laquelle, mais il fut très vite fixé. Au regard de Thomas Kayne, et au bras qu’il venait de lever, la table indiquée ne pouvait être que la sienne. Le voleur sourit, le plan reprenait son cours. Bon talent Nylianou !

Enfin, sa discussion avec la charmante demoiselle face à lui fut vite interrompue par un invité surprise. Elle s’arrêta soudainement de parler, et John leva la tête, étonné. Face à lui se trouvait un homme, qui le regardait avec insistance ; John lui rendit son regard, sans pour autant parvenir à mettre un nom sur ce visage. L’homme s’assit, éloignant la jeune femme, et posa sur la table une photo imprimée avec la tête de John. Celui-ci écarquilla en grand les yeux, tout à fait surpris de se faire reconnaître ici, et aussi vite.

« - Ahem, bonsoir ? On se connait ? »

C’était plus facile de faire cela que de tenter de s’enfuir en courant ; après tout, peut-être que cette personne ne venait pas pour l’arrêter, mais simplement pour le faire chanter.

« - Je sais qui tu es Théodore. J’ai bossé pour ton père pendant longtemps… J’ai été un de ses gardes du corps. »

Puis John se souvint soudainement de ce visage. Ce soir-là, cet homme était présent ; c’était un des deux gorilles qui avaient détruit sa vie et avait fait de lui ce qu’il était maintenant. D’un certain côté, il leur était redevable de ne pas avoir frappé assez fort pour le tuer, et l’avoir ainsi éloigné de la richesse pourrie de son père. Mais cela était très, très relatif.

« - Ah, ta tête me revient maintenant. Appelle moi Roger ici, c’est plus tendance. Enfin bref, t’es venu finir le boulot ? »

Il n’y avait plus de doute, la soirée de John venait d’être fortement compromise par cet invité-suprise, et cela allait être délicat d’arranger les choses. Enfin, quoiqu’il en soit, il n’allait rien dire à Nylian. Il fallait la laisser tranquille, s’occupant de son affaire ; si jamais elle se rendait compte ne venait pas une fois son office faite, elle n’aurait qu’à partir sans demander son reste.

« - Ton père m’a viré il y a cinq ans, et a refusé de me verser des indemnités de licenciement ; et il a aussi salit mon nom. Ça fait des semaines que je te suis, Roger, car j’ai une proposition à te faire. Je veux que tu envoies ce salopard en taule. En fait, c’est pas une proposition : soit tu l’y envoies en témoignant contre lui, soit je te dénonce, monsieur John Fallen. »

Voilà qui était plus ou moins une bonne nouvelle : John travaillait justement activement à trouver un moyen de se venger de son père. Enfin, il n’allait pas cracher son plan aussi facilement à ce type qui avait tenté de le tuer quelques années auparavant – il allait devoir la jouer fine. Néanmoins, il sourit à l'idée que ce type soit encore un plus gros psychopathe que lui en filature.

« - C’est à peine du chantage, donc ? Enfin, j’ai pas l’impression d’avoir le choix. Tu veux faire ça comment, t’as un plan ? »

Voyant que le géant se mettait à réfléchir, il balaya à nouveau la salle à la recherche de sa collègue, espérant la retrouver à la table de monsieur Kayne.

C’était mauvais. Il avait réussi à obtenir une couverture convaincante et utile pour surveiller Nylian à son œuvre, et voilà qu’elle l’emmenait avec elle à sa table. Cela allait fortement compliquer leurs plans, car John ne pouvait pas partir en même temps qu’elle alors ; et surtout, le gorille allait vouloir obtenir une discussion d’affaire après coup. Une si belle occasion d’avoir plus d’informations sur son père qui se voyait repoussée, et pour tomber au pire moment. Vraiment, cette demoiselle avait des progrès à faire dans ses choix stratégiques – elle les mettait plus dans l’embarras que dans la réussite en faisant cela. Et puis, elle continuait à se persuader que John était gay ; il allait devoir lui expliquer fermement que ce n’était pas le cas, mais une autre fois. Pour le moment, il fallait faire avec ses erreurs.

Se laissant trainer par sa camarade, John tourna la tête vers son ancien interlocuteur, l’air blasé et désolé, puis lui sourit en lançant :

« - T’as entendu la demoiselle, je peux pas dire non ! En profite pas pour me toucher, mais on continuera notre petite discussion après, ha ha ! »

Et il se tourna vers Nylian, affichant toujours un grand sourire pour tromper la table Kayne, mais cette fois lui parla tout bas.

« - Fallait pas. Vraiment. »

Le gorille consentit, non sans souffler, à se lever de sa place, repliant et fourrant dans sa poche la photo qu’il avait posée plus tôt. Ce petit aparté semblait l’avoir quelque peu exaspéré, et John avait eu peur à ce que ça le décide à s’en aller. Et si cela arrivait avant qu’ils parlent de Georges, le voleur ne saurait dire si c’était une bonne chose ; enfin, pour le moment il était toujours là.
Une fois tous trois arrivés à la table, le visage de Thomas s’embruma, probablement déçu par la présence des deux gêneurs. John savait très bien que cet homme n’aurait aucun scrupule à virer ces deux comparses de sa table, mais étant donné que John, alias Roger, semblait être ami avec la prétendue Luna, le jeune homme ne devait pas tenir à froisser cette charmante demoiselle avant de faire sa connaissance.
John fit attention à s’assoir le plus loin possible de Thomas, laissant à Nylian le loisir de choisir sa place. Il fallait donc qu’il trouve une histoire à raconter sur lui, dans l’improvisation la plus totale. Il commençait à regretter son petit élan de curiosité qui l’avait poussé à rentrer dans le bar : le plan était de laisser Nylian préparer son approche, tandis que lui s’était occupé de tous les préparatifs, sans avoir à parler durant la mission. Et, en considérant ses piètres talents de menteur, il allait devoir des efforts surhumains ce soir pour ne rien gâcher. Et bien sûr, sa camarade n’aidait pas, le faisant passer pour gay. Déjà que John était très maladroit avec les femmes, alors passer pour un homme aimant les hommes serait d’autant plus difficile pour lui.

« - Voilà, Luna, je te présente Thomas, c’est un très bon ami ! Tu peux prendre ce que tu veux ce soir, tout t’es offert. »

L’homme s’enfonça dans son siège, s’effaçant à côté de son ami qui, lui, s’avançait, se préparant à prendre la parole.

« - Enchanté Luna, Oliver vient de me parler un peu de toi. Alors tu viens ici souvent ? Je suis vraiment étonné de ne pas t’avoir remarqué avant ! »

Et il rit. Puis, sans prendre la peine de lancer un regard aux deux intrus, il s’approcha de Nylian en la regardant droit dans les yeux, lui parlant plus bas.

« - Tu es mon invitée ce soir. Tu aurais envie de quelque chose ? »

John assistait à la scène, sans savoir quoi réellement faire. Thomas fixait toujours son amie, sans lui prêter la moindre attention. Alors il tenta de se lever pour repartir d’où il venait, quand, avant même qu’il puisse s’exprimer, Oliver arrêta son mutisme, se levant et posant en même une main sur l’épaule de John.

« - Reste donc avec ton ami, vous avez l’air de bien connaître Luna… Nous pourrions faire connaissance, ha ha ! »

John fit un sourire forcé, puis consentit à se rassoir. Alors Oliver vint se poser à côté de lui, continuant la discussion.

« - Je suis Oliver, je suis un collègue de Thomas. Et toi, tu es ? »

La situation que John voulait éviter était en train d’arriver. Il n’avait que quelques instants pour s’élaborer une fausse identité et, se tournant vers le gorille, eut une idée.

« - Moi c’est Roger, je suis un ami d’enfance de Luna … Je viens de revenir d’un long voyage, et je cherchais à lancer une petite start up par ici. Et voilà qu’un soir où je me détends, je la croise, ha ha ! »

C’était plausible après tout, John avait connu pire. Néanmoins, pour continuer sur lancer, il reprit la parole, pointant de la main l’ex garde du corps de son père.

« - Et lui c’est Jerem’, on était en train de discuter affaire. C’est peut-être mon premier associé, pas vrai ? »

Il finit sa phrase en souriant vers le géant, dans l’espoir que celui-ci se plie au jeu.

« - Oui, enfin tu vas un peu vite là, mais on en discutera. »

John garda son sourire forcé, puis se tourna vers Oliver, heureux que son bourreau – allié ait daigné poursuivre son mensonge.

Il était temps pour John de ne plus faire qu’improviser pour passer inaperçu, mais d’agir pour faire comprendre à Nylian la situation subtilement. Elle avait déjà ouvert le bal, lui posant des questions quant au gorille qui l’accompagnait. Il devait avouer que le coup de pied avait aidé à mettre son cerveau en marche ; il ne s’attendait pas à ce que sa comparse tente de jouer la subtilité si tôt. Et il en était content, car leur petite association pouvait bien s’assurer de beaux jours si leur duo faisait ses preuves ce soir.
John leva les mains, lâchant un sourire, et se tourna vers la demoiselle pour lui répondre.

« - C’est vrai, j’avais oublié de t’en parler, mea culpa ! C’est un peu privé pour le moment, mais à toi je peux t’en dire quelque chose, c’est au sujet de la domotique. Tu sais, rendre accessible les technologies de la demeure familiale pour toute la famille, des parents aux enfants. C’est un secteur un peu risqué, mais si on prend les bon paris, avec les bon projets y a moyen de faire quelque chose. »

Il finit sa phrase en regardant fixement le prétendu Jerem’, afin de lui faire comprendre qu’il devait acquiescer. Ce que celui-ci s’empressa de faire, secouant la tête pour confirmer les dires de son associé d’un soir. En fait, cette soirée commençait à devenir de plus en plus grisante pour John. C’était très risqué, mais c’était amusant de se retrouver dans une situation pareille. Et puis, si l’on se rendait compte qu’il mentait, il n’aurait qu’à invoquer une pauvreté qu’il aurait cachée à son ami, de peur qu’elle le renie.
Ignorant toujours ceux qui n’étaient pas sa proie du soir, Thomas héla le serveur, commandant la bouteille que lui avait indiqué la charmante jeune femme. En attendant que la boisson arrive, il se décida à continuer son approche fine de celle qu’il appelait Luna.

« - Passionnant ! J’ai toujours beaucoup apprécié les femmes qui aimaient l’animation. Moi et Oliver sommes associés depuis longtemps maintenant en fait, je l’ai embauché très tôt après la création de ma start-up. C’est un type très bien, même si entre nous il n’est pas très doué avec les femmes. »

En disant cette phrase, il tapa sur le dos de son collègue, qui lui répondit par un sourire forcé.

« - Ça m’arrive de voyager, ouais. Mes produits ont pas mal de succès, ils sont révolutionnaires, donc je me balade à travers tout le pays pour les vendre aux intéressés. Dernièrement j’ai même eu des demandes à l’étranger, dans des pays puissants. Si tout continue comme ça, mon rêve se réalisera ! »

En même temps, Oliver avait continué sa discussion avec les deux intrus. Il semblait avoir accepté cette petite histoire, et continuait à parler, avec entrain. Comme s’il était heureux d’avoir enfin des interlocuteurs qui n’était pas le narcissique qui lui servait de patron.

« - Oh, génial ! Entrepreneur avec de bonnes idées, c’est très prometteur de nos jours. Je vous souhaite bien de réussir. Entre nous, tu pourrais me parler un peu de tes projets ? On pourrait peut-être te financer un peu. »

John avait déjà une piste pour sa start-up, celle qu’il avait évoquée plus haut quand il répondait à Nylian ; mais l’homme semblait ne pas s’en être contenté. Il lui fallait gagner un peu de temps.

« - Merci ! Tu sais, parler de mes projets c’est un peu risqué, il pourrait y avoir de mauvaises oreilles pas loin… »

« - Ha ha, non, soit en sûr ! Tes secrets sont assurés ici ! »

Le faux entrepreneur prit une mine partagée, puis patienta quelques secondes avant de répondre, comme s’il réfléchissait au bon fondement de cette idée. Enfin, il prit la parole.

« - Allé, je vais te dire quelques trucs, après tout tu m’as invité à la table. Ce serait autour de la maison en fait, l’idée ce serait centraliser tout dans une seule société : domotique comme j’ai dit tout à l’heure, fenêtres, portes… Enfin, tu vois l’idée ? »

Avec un peu de recul, cette idée n’avait aucun futur. Mais qu’importe, c’était une fausse idée ; et un entrepreneur pouvait tout à fait faire faillite en partant sur de mauvaises routes.

John se demandait si sa collègue avait compris tout ce qu’il souhaitait lui faire comprendre. Ils n’avaient jamais réellement abordé son passé, et elle ne savait pas toute l’importance revêtait la vengeance envers son père dans l’esprit de John. Pas dans un sens œdipien, sa mère ne valant pas plus ; mais simplement littéral : il voulait faire payer son père pour ce qu’il avait subi. Ni plus, ni moins. Et c’était d’ailleurs l’objet d’une de ses prochaines escapades, quoique ce ne fût pas le sujet du soir.
Au passage, il remarqua que Nylian venait de servir Oliver. Étonnant, sachant que sa proie n’était autre que Thomas ; mais John ne broncha pas, ayant confiance dans la façon de faire de sa camarade. L’associé, surpris de l’attention de la jeune fille, la remercia en balbutiant, puis se racla la gorge et continua, à l’attention des deux faux entrepreneurs.

« - Ah, c’est un projet ! Eh bien, trinquons à ta réussite. »

Et il leva son verre, ce que s’empressèrent de faire le gorille et John. L’idée de financement venait de disparaître, et John n’était pas dupe : c’était simplement un prétexte pour s’assurer que ce jeune innovateur ne venait piétiner ses plates-bandes. En parallèle, la jeune fille s’était adressée à John, citant le fameux mot. Donc tout allait bien pour elle, et le plan pouvait continuer ; maintenant il fallait trouver un moyen de les isoler pour qu’elle soit invitée chez Thomas. Il se rapprocha d’Oliver, lui glissant, l’air mutin.

« - Je crois qu’il serait mieux qu’on aille finir cette discussion plus loin, ces deux-là m’ont l’air de bien s’entendre. »

L’homme prit une mine dépitée, puis tourna la tête vers son patron. Celui-ci semblait avoir entendu les paroles de John, et lui fit signe d’accepter. Alors l’associé et les deux intrus se levèrent, s’en allant à la table d’à côté. Elle était étrangement vide, comme si quelqu’un avait viré les précédents occupants. Enfin, c’était tout à l’avantage du voleur : ainsi, il pouvait continuer d’espionner la discussion derrière lui. D’ailleurs, le riche prétentieux avait repris la parole, et John s’empressa de prêter l’oreille, profitant du mouvement pour se taire quelques instants.

« - J’aimerais soigner tout le monde, éradiquer la maladie des pays pauvres. Ce serait magnifique un monde où tous serait en bonne santé, tu ne trouves pas ? On ne perdrait plus de proches comme ça, et puis les gens seraient plus heureux… Je sais, je suis un grand rêveur, mais il faut de ça pour faire avancer le monde ! J’ai déjà aidé beaucoup de villages, si tu veux je pourrai te montrer des photos, c’est si beau de tous les voir sourire. »

John savait de quels villages cet enfoiré parlait. Thomas Kayne avait fourni de ses médicaments défectueux à bas prix à des villages africains, les échangeant contre de l’ivoire et autres produits issus de braconnage. Et surtout, il profitait de ce marché pour faire la promotion de ses génériques à travers le continent. En soit, il abusait de la pauvreté des gens pour les empoisonner. Vraiment, il était la définition du connard selon John.

Pendant que Thomas finissait de parler, Oliver avait déjà repris la parole, et John récupéra la discussion en cours de route :

« - … femmes. Je crois que ton amie va passer une bonne soirée, si tu vois ce que je veux dire. »

John regarda l’homme d’un air bizarre, puis se reprit et lui sourit, faisant croire qu’il partageait le même avis.

« - Ah, quand je l’ai connue elle était encore jeune et innocente… Les gens grandissent, ha ha ! »

Le gorille racla sa gorge, signifiant au jeune homme qu’il commençait à s’impatienter. Il fallait que John trouve un moyen de se séparer de ce type un peu lourd sans susciter de doutes.

Hrp:

La solution s’était finalement présentée à John sans que celui-ci n’aille chercher très loin. Oliver s’était mis de plus en plus à loucher sur une jolie femme au bar, et s’en rendant compte John décida de l’encourager à l’aborder. Il avait l’habitude de croiser des prostituées et il était donc capable de reconnaître leurs manières ; Mary avait déjà réussi à payer de justesse son loyer en s’y prenant de cette manière. C’est pourquoi il avait compris sans peine que cette si belle demoiselle n’était en réalité intéressée que par la bourse de l’assistant – enfin, il serait plus correct de parler de l’intérêt du proxénète, cette fille n’ayant probablement pas choisi cette voie par plaisir-, et que la séduire ne devrait pas s’avérer très compliqué étant donné la tenue d’Oliver. Alors John poussa celui-ci à lui parler, lui conseillant de mettre en avant ses atouts financiers lors de quelques phrases misogynes. Ce n’était pas vraiment sa tasse de thé, mais il fallait bien faire des sacrifices pour mener à bien sa mission.

Une fois débarassés du gêneur, les deux prétendus entrepreneurs en revinrent à leur discussion initiale, prenant soin de discuter bas.

« - On devrait être tranquilles un moment. C’est quoi ton plan ? Que j’aille directement témoigner ? Ce serait du suicide. »

Et puis ce serait détruire toute la pseudo vie qu’il venait de créer, et peut-être même attirer à des ennuis à Leeroy et Nylian. Non, vraiment, il espérait que le gorille ait une meilleure idée.

« - Non. J’ai des infos sur ses prochains déplacements, sur ses rendez-vous. L’idée ce serait que tu le suives, chopant des preuves s’il fait des trucs illégaux. »

C’était déjà plus recherché ; et tout à l’avantage de John. De cette façon, il obtiendrait de nouvelles informations sur son père, de manière à pouvoir mener au mieux la petite visite qu’il avait prévu de lui rendre. Et s’il était amené à trouver des papiers compromettants lors de cette escapade, ce ne serait que plus apprécié.
Alors ils se mirent à échanger des informations, construisant une sorte de plan des voyages de Georges ; et au bout d’un bon quart d’heure John commençait à avoir une bonne idée des quelques filatures qui lui restait à faire d’ici le jour j. C’est le  même moment que choisit sa collègue pour lui signaler une petite avancée dans sa mission, en faisant crisser sa chaise.

Comprenant que la situation allait bouger, il tendit l’oreille vers la table des deux tourtereaux. Nylian venait sûrement de s’inviter chez Kayne, et celui-ci était en train de reprendre la parole.

« - J’aime les femmes audacieuses. Je vais t’offrir une magnifique fin de soirée, suis-moi ma belle. »

Sur ces derniers mots, il finit le verre de la jeune femme et lui tendit la main, la menant vers la sortie de la boîte.

Maintenant, la partie sérieuse, et la plus dangereuse du plan démarrait ; et John commençait à craindre pour sa comparse. Il allait devoir mettre un terme à ce rendez-vous de fortune, sans pour autant en prévoir un autre. Ce gorille travaillait peut-être toujours pour Georges, et John devait rester sur ses gardes – alors il était hors de question de lui donner de quelconques informations sur sa vie actuelle.