Je l'invite à me suivre à l'intérieur, restant près de lui au moindre signe de fatigue. Son masque m'empêche de voir son teint, et je l'imagine pâle, ce qu'il m'inquiète.

Malgré ces soucis, je laisse Mary, ma perruche blanche, nous accueillir, tendre avec moi, curieuse envers William. Perché sur mon épaule, elle le regarde en penchant la tête pour apercevoir son visage.

J'espère qu'elle ne vous dérange pas. Elle s'appelle Mary.

Posant mes clés sur le plan de travail de la cuisine, je me tourne vers lui.

Nous ferions mieux de nous occuper de votre blessure en haut. Vos vêtements sont couverts de sang, je vais vous trouver des vêtements de rechange et de quoi soigner au mieux la plaie.

Ma main vient tirer doucement sa manche. Je ne suis pas gêné de poser ma question, mais j'en appréhende la réponse. Il n'est pas de ce bord pour commencer. Je m'étonne même un peu que mes sentiments soient réciproques. Je devrais vérifier ma cheville, voir si mon signe Seraph est visible. J'ai peut-être utilisé mon pouvoir par mégarde.

Le dos est difficile à atteindre par soi-même. Je peux vous aider à le nettoyer du sang, si ça ne vous incommode pas?

Amusante idée qu'elle le croit de son espèce. Mais tu ne me prendras pas, ma jolie, n'est-ce pas?

Pour les vêtements, ça risque d'être compliqué... Je ne peux pas prendre d'autres manteaux. Vous comprenez pourquoi, je suppose.

Il doit être possible de le recoudre, alors.

Je ne sais que recoudre des boutons ou faire des ourlets, mais un pan de tissu et un nécessaire à couture devraient suffire, j'espère.

Il est d'accord et cherche où s'asseoir, mais je lui prends la main.

Allons directement à l'étage. Il faudra d'abord nettoyer le sang.

Sans forcer sur mes doigts, je garde une légère pression sur son poignet en marchant puis montant jusqu'à la salle de bain.

La salle est grande et claire. Une grande baignoire presque centrale, légèrement accolée au mur de droite, attire le regard, dans cet espace carrelé de blanc avec quelques touche de gris anthracite le lavabo à double vasque est surplombé par une glace qui reflète la lumière du soleil le jour, et celle des lampes murales la nuit. Un carré de douche en pierre grise fait le coin de la salle de bain, séparée du reste de la salle de bain par une large vitre claire décoré à mi hauteur d'une mosaïque opaque, à côté d'un placard à serviette.

J'invite William à s'installer sur le rebord de la baignoire. Doucement, quémandant par mes gestes lents l'autorisation, je défais son manteau et sa chemise pour chercher à découvrir les bandages défaits et la plaie en sale état.

Je ne m'attendais pas à une telle odeur, mais elle n'est pas encore insoutenable. Aussi, je m'en accommode autant que faire se peut. Après avoir pris une seconde à encaisser, je repars dans ma priorité. Le soigner. je remonte mes manches jusqu'au coude et hésite une seconde à toucher son dos. Je m'y résous, et ne voyant aucun sursaut de sa part, j'en profite pour le toucher plus normalement. Plus tout court.

N'hésitez pas à me dire si c'est douloureux. Je n'ai l'habitude de soigner autrui.

Aussi méticuleusement et précautionneusement possible, je dénoue et enlève une à une les couches de bandages souillées de sang. Piochant un gant de toilette, j'essuie à mesure que je la découvre la peau de William, aussi abîmée que celle de son visage. Aussi fascinante.

La bande entièrement enlevée, je peux voir enfin la source de mes inquiétudes : une plaie fine mais longue et qui me parait profonde. Une griffure d'Ombre à n'en pas douter. Pour nous changer les idées, je cherche de quoi parler pour alléger l'atmosphère. Aussi, la première bêtise qui me passe par la tête sort de mes lèvres.

Vous êtes vraiment fascinant...

Ouh c'est cliché, ridicule et stupide. Tant pis, c'est dit. Au moins je tente de briser le silence comme je peux.

Je veux dire. Pour un contractant, vivre dans le Quartier Sud. Et puis...

Oui, je veux parler de son corps. Mais pas moyen de ne pas passer pour un pervers, dans cette situation... J'en suis un, certes, mais j'ai envie qu'il ait une meilleure image de moi, tout de même. Il me laisse laver son dos nu sans broncher, c'est déjà assez... Pour l'instant.

Je sors de quoi désinfecter la plaie et appliquer un point de compression adéquat. Mes hésitations me font faire des gestes dans le vent, mais si j'ai peur de toucher la plaie, n'appliquant le produit que quand je suis sûr qu'il ne peut pas avoir moins mal, je ne manque aucune chance qu'il m'est donné de parcourir le reste de sa peau. Doucement, juste pour savoir s'il est là, s'il n'a pas trop mal, si j'ai encore le droit de le faire.

Et puis ?...

Je rougis. Oserais-je le lui dire? C'est déplacé, presque pervers, sans doute malsain. Mais il me le demande et j'aimerais le dire.

Est-ce votre vœu qui vous a rendu ainsi?

Je me permets une réflexion horrible, et lui dire ça, c'est l'inciter à m'interroger à son tour. Non. Il me repoussera. Quoique non. Pas si j'utilise effectivement mon pouvoir... Non. Je ne peux pas lui faire ça.

Vous êtes marqué par un mal qui vous ronge mais...

Je pince mes lèvres et pose encore mes doigts sur son dos. Le rouge brûle toujours sur mes joues.

Je ne peux pas m'empêcher de trouver ça... beau.  

Comme les cicatrices d'un soldat valeureux, sa peau me content toutes ses épreuves, me montrent tout son courage et me prouvent toute sa force. C'est un héros, un héros magnifique, splendide dans son mal, incroyable de volonté.

J'ai fini de nettoyer la plaie qui a cessé de saigner et n'est plus qu'une marque rouge. J'applique une épaisse bande de coton dessus pour prévenir tout nouveau saignement, mais n'appuie pas trop. Et je passe une première bande autour de son torse.  

C'est... Une conséquence secondaire de mon vœu. Je n'ai pas voulu ça, mais... Je suppose que Kyu ne pouvait faire autrement pour y accéder.

Je finis de serrer le bandage et le noue précautionneusement. Les soins sont finis. En rangeant mon matériel dans la valise, je l’écoute avec attention. Je suis comme pendu à ses lèvres, attendant et redoutant un peu aussi ses mots.

Je... Hmmm… Ecoutez, je comprends vos sentiments, et... Enfin... Mais vous même, vous êtes beau, vous avez de l'argent, vous êtes intelligent, pourquoi... Pourquoi me choisir moi ?

J’émets un doux rire, presque désolé.

Pardon, William, votre question est celle que je me suis posée en fuyant à notre première rencontre. Pourquoi vous aimer si vous êtes si différent de moi ? Depuis, je sais bien que ça va vous paraître stupide, mais je n’ai pas la réponse, si ce n’est celle que me transmets mon cœur.

M’asseyant à côté de lui, mais encore en retrait, je prends sa main et la pose sur ma poitrine qui tambourine au rythme de mon cœur effréné. Je ne le regarde pas, le regard baissé, de côté.

Quand il bat ainsi, quelle excuse pourrait émettre ma tête que mon cœur ne ferait pas aussitôt taire ? Et elle finit même par l’écouter. Vous aussi, vous êtes beau, riche de ce que je manque, intelligent plus que je ne le serais jamais, et bien plus posé que moi. L’argent n’a rien à faire là-dedans. Je n’aime pas ce que vous avez, j’aime ce que vous êtes.

Je n’ai jamais eu autant de franchise, et le rouge qui me couvre jusqu’aux oreilles en est une preuve aussi évidente que le solo de batterie que joue mon cœur. Mais il est Seraph. Je n’aime pas y penser, mais si demain, la mort l'emporte, je m’en voudrais encore de ne lui avoir rien dit. La pudeur n’est pas une de mes qualités, et pour une fois, ma franchise n’est pas assassine.

Si nous devions... Commencer quelque chose... Seriez vous prêt à... A me souffrir, chaque fois que je me blesserai ?

Je lève les yeux vers lui, serrant un peu sa main et esquissant un sourire heureux.

Et même si vous n’êtes pas blessé, vous êtes toujours bienvenu ici.

Par toute la dynastie des Windsor, je ne sais plus comment je m’appelle. Détail peu important, car même si maintenant on me le demandait, je ne répondrais pas, les lèvres bien trop occupées à rendre à celle de William le baiser passionné qu’elles m’offrent. C’est le plus évident des accords qu’on m’ait jamais donné, le meilleur. Mais bougre de bougre, comment embrasse-t-il aussi bien ? Ma main s’en accroche au bandage si passe sur son torse, pour que je ne perde ni la tête, ni une seconde de ce baiser.

J’ai rarement eu une réponse positive à mes déclarations, en tout cas à celles qui n’impliquaient pas mes yeux de Cupidon. Alors à mon bonheur déjà grand s’ajoute celui d’être accepté, que mes mots aient été entendus et acceptés, et plus encore que mes sentiments me soient renvoyés. William est réellement le premier homme que j’aime ainsi, et qui m’aime aussi, sans jeux, sans artifices, simplement l’un aimant l’autre et réciproquement, ne s’occupant que du regard de l’autre. Mon cœur ne se calme pas plus, mais il n’est plus troublé par l’inquiétude, ni la peur cynique d’être rejeté. Non, il bat seulement d’amour et de plaisir, et mes lèvres rosies au souffle de William esquissent subrepticement un sourire heureux.

Quand nos lèvres se séparent, elles ne s’éloignent pas vraiment, et nos visages restent proches, me laissant tout le loisir de contempler mon amant, son visage et ses yeux. Nos souffles se mélangent mais si je partirais bien à nouveau à la conquête de ses lèvres, me sentant soudain chevalier glorieux, je ne bouge pas et profite de cette proximité aussi agréable que frustrante.

Les baisers divins sont à ajouter à la liste de tes qualités, William.

Je ne pensais pas le dire à voix haute, mais qu’importe. C’est dit et si ça l’inspire à m’embrasser de nouveau, je ne m’en formaliserais pas le moins du monde, au contraire. J’émets un léger soupir avant d’articuler.

Je t’aime, William.  

Fox, je...

Oui ? Ai-je atteint son cœur comme il a atteint, percé et emporté le mien ? Mes yeux le fixent intensément et je bois ses paroles.

Je vous aime aussi. Je... C'est évident. Mais...

Non, je détourne un instant le regard, blessé par ce « mais » qui vient tout gâcher. Pourtant, j’écoute ce qu’il a à dire.

Si nous... Laissez-moi un peu de temps. Tout cela est... Nouveau, pour moi. Je n'ai... Enfin... Que diriez-vous de nous revoir dans... Dans quelques jours, pour, disons, dîner ensemble ? Nous serons plus à même de discuter... La tête froide. De nous.

J’émets un rire ténu, presque silencieux.

C’est cruel. Après ce baiser si tentateur de préférer me laisser seul. Avez-vous peur de ce que vous avez provoqué ?

Malgré moi, je me détache de lui et me mets debout. Je l’effraie donc. Nouveau, c’est un joli synonyme pour dire qu’on ne connait pas, et qu’on a peur de connaître. Ai-je donc l’air d’un animal ?

Rassurez-vous, William. Je ne… comptai pas aller si loin. Simplement… être proches. Mais si vous ne le supportez pas, je tâcherai d’éviter… cette proximité. Mais ne fuyez pas.

J’ai du mal à parler. C’est pire que d’être tout bonnement rejeté. C’est m’appâter pour mieux me taper sur le museau. C’est méchant.

Mais c’est William. Bien que j’aimerais le traiter autrement, voir avec plus de raison son geste, je suis déjà entre ses filets et vois seulement un moyen pour lui de m’évincer un peu quand notre relation à peine née commence à lui déplaire. Face à ça, je veux le garder près de moi, et lui être aussi cher qu’il l’est pour moi, mais aussi, je veux qu’il m’aime autant et aussi facilement que je l’aime. Faire des efforts, mais pas trop. Ne pas être le triste perdant d’une relation qui compte seulement pour moi. J’ai trop connu ça, auparavant, j’ai trop souffert de cela.

Alors, devrai-je utiliser mon pouvoir pour qu’il m’accepte ? Le rendre plus amoureux ? Fou amoureux ? Kyutie m’a donné ce que j’ai toujours voulu, mais je n’avais jamais la bonne personne en face de moi pour l’utiliser. Maintenant qu’il est là, pourquoi hésiter ? Un regard et tout est réglé.

Jusqu’à ce qu’on se sépare.

Mais si à chaque rencontre, je le happe à nouveau, il ne pourra plus protester, et finira par se dire que c’est naturel. S’il a vraiment des sentiments envers moi, ce ne sera que les rendre plus réels. Et s’il se joue de moi comme il semble le faire en ce moment, ce sera une punition dont je ne tirerais que des avantages, jusqu’à ce qu’un jour, peut-être, je me lasse.

En levant les yeux, je me vois dans le miroir. Ces pensées m’ont fait prendre un visage triste, que je connais de mon adolescence. Bien sûr, c’est sournois. Bien sûr, je le dégouterai quand il ne sera plus sous mon emprise. Bien sûr, je finirai par penser de même.

Mais une nuit, rien qu’une nuit. Devenir sa Cendrillon pleine d’éclat et de beauté, lui qui m’a vu trempé et sale. Être un doux rêve qui disparaîtra au matin.

Vous avez sans doute raison... Restons-en là pour le moment.

Je me retourne vers lui, le sourire revenu, timide mais encourageant. Et mes Yeux d’Eros s’activent. S’il croise mon regard, il m’aimera, plus encore si ses sentiments sont sincères. C’est à mon tour d’être cruel. Pourtant, je ne veux pas qu’il se doute de ma fourberie, et je reprends donc mon discours comme si de rien n’était.

Mais... vous êtes blessé, et il fait si froid dehors... alors restez au moins cette nuit. J’ai une chambre d’ami dans la véranda. Vous y serez au chaud, et en sécurité. Cela vous permettra au moins de recouvrer quelques forces.

D’un air faussement contrit, je rajoute.

Je vous promets que vous ne risquerez rien de moi.

Rien... que je n'ai déjà fait.

Son regard ne me fuit pas longtemps, et quand nos yeux se croisent, il me transmet beaucoup trop de choses pour que mon côté fleur bleue ne s’active pas avec autant de puissance que mon pouvoir. Voilà bien le regard que j’ai attendu ma vie entière, pour lequel j’ai tant voulu être parfait, et pour lequel je continuerai de l’être, juste pour qu'il reste posé ainsi sur moi.

Quand William réduit la distance entre nous, quand ses doigts glissent sur mon visage, bien que je pourrais prévoir cette réaction, elle fait monter la chair de poule le long de mon dos comme si c’était la première fois qu’un homme me touchait de cette façon. Et il me dévore encore des yeux, jusqu’à m’embrasser avec passion.

Ses mains ont tout pouvoir sur mon corps. Il est vorace, comme j’adore. Ce que seules quelques racailles ont tenté de m’apporter, par leur brutalité, il me l’offre pleinement par cette envie, presque ce besoin de m’obtenir quels que soient les moyens. La voracité d’un homme qui ne veut qu’une chose et est prêt à la prendre entièrement. Moi. Mes lèvres tremblent un peu, par l’émotion du moment sublimé par le contrecoup de mon pouvoir, mais mes mains passent sur sa nuque pour l’empêcher de reculer encore, pour l’inviter plus près.

Je dois pourtant le lâcher pour faire tomber ma chemise au sol, lui offrir plus d’occasion de me toucher, de m’embrasser. Bien qu’hétéro, il ne semble pas méconnaitre les caresses qui m’offriront de doux frissons. Pourtant, je refuse d’être le seul à profiter de ce moment qui nous lie si magiquement. Mes mains demandent humblement l’accès à sa peau, glissant doucement sous les vêtements de William pour mieux sentir sa chaleur. Je ne suis pas déçu de sentir les muscles qui se dessinent sous mes doigts. Je crains de le blesser par mégarde mais n’arrive pas à résister à la tentation de parcourir sa peau, d’en découvrir chaque secret, chaque recoin, chaque cicatrice.

Mes yeux ne lâchent pas les siens, comme si les Yeux de Cupidon risquaient de briser leur charme s’ils le faisaient, et mes lèvres rencontrent autant que possible celles de William. Mon souffle est court, mais c’est comme si j’étais électrisé par la proximité, par la passion de l’homme prêt à me dévorer. Je n’oserai même pas interrompre ce moment de ma voix, mais de sa volonté ou de la mienne, je ne saurais dire, nous quittons la salle de bain et la porte de ma chambre s’ouvre dans mon dos.

[Ellipse]

Oh, je devrais regretter mon égoïsme, mon appétit pour ce qui m’est inaccessible et ma fourberie ! Mais allongé dans le lit, couvert de la couette et d’une partie du manteau de William, le regardant somnoler à moitié à mes côtés, je n’y parviens pas. J'ai rarement été pris avec autant d'amour et d'avidité en même temps, mais c'était fantastique! L’odeur était un problème, mais je ne suis pas mécontent d’être parvenu à le tirer de sa cape et finalement, William a vite su me faire oublier ce désagrément par des choses nettement plus agréables. Le calme retombé dans la pièce me fait remarquer que l’odeur a même disparu, ce qui me tire un sourire.

Mes Yeux sont toujours actifs, ce qui explique pourquoi je résiste à une irrépressible envie de tenir la main de William, ou de le coller comme un chat mal élevé. Mais impossible de fermer l’œil, tant ma contemplation de l’homme que j’aime me plait. Je n’ose rien dire, mais mon sourire et mes joues rouges parlent sans doute plus que je ne le voudrais moi-même.