Bringuebalant, presque gaiement, je marche tout droit vers la boulangerie ; en quête de la petite récompense de mes bons et loyaux services de la journée. Ou tout autre excuse plus ou moins valable pour justifier ma dégustation gloutonne d’une des merveilleuses bûches poire-chocolat de la boutique.
Parce que, faut bien l’admettre, depuis que j’ai remis la main sur l’enseigne – c’est-à-dire, pas plus d’une semaine -, je m’y rends chaque jour, et je vide les stocks à chaque fois. Un mal pour les autres, un bien pour moi, et de l’argent pour les gérants. Et qu’on me balance pas que je suis égoïste : j’ai voué à ma vie à protéger la sympathique population de cette bourgade contre les Ombres, alors je peux bien avoir quelques concessions, non ? Bande d’ingrats.

Ouais, j’suis aigri si jamais on veut me piquer ma bouffe. C’est mon petit sujet sacro-saint, celui dont personne ne peut me priver – déjà que j’ai plus d’appétit, alors si je perdais aussi ma curiosité labiale … Mazette, qu’est-ce que je deviendrais ?

Enfin, j’atteins la porte vitrée du paradis, la poussant presque en sautillant. Petit écart que j’arrête à l’instant où mes yeux viennent caresser la douce apparence du mets tant désiré. Déjà, il n’en reste qu’une. Et y a une femme pas bien haute qui est en train de la commander, je le sais ; même, je le sens. Un peu comme Tommy et son super sens détecteur d’épisode des Power Rangers, je devine les mots qui se tracent sur les lèvres de cheveux violets, même si je suis incapable de les apercevoir. Bon sang ! Aucun respect les humains de nos jours, vraiment. Si je m’écoutais, j’irais lui dire deux mots et lui chourer la primeur de la saveur, non mais !
Sauf que, ça me paraît assez compliquée comme affaire. Surtout à cause du truc qui lui rode autour, là. L’espèce de monstre vaguement humanoïde, mais surtout boosté aux stéroïdes. La plus grosse bête que j’ai jamais vu. Et je suis censé me la farcir, là.

Je fais un pas en arrière, reposant doucement la vitre à gonds sur seuil. Je prends une grande inspiration, observe encore un instant la scène. L’Ombre ne m’a pas vu, mais n’a rien à faire ici – d’ordinaire, c’est pas ce quartier qui en fourni de ce gabarit. A croire qu’après avoir commis son méfait non loin, elle a décidé de remettre le couvert avec la voleuse de dessert. Et si j’me casse comme si de rien n’était, je donne pas chère de sa peau. Oh, non, elle ne va pas vraiment sentir l’étreinte des griffes, mais je pense qu’elle succombera bien assez vite aux caprices de sa tortionnaire. Je me demande même si les effets ne se feraient pas ressentir presque à l’instant du contact, tiens. Merde. Trop tard. Faut que je fasse quelque chose,  et rapidement.
Je balaye la rue du regard, et l’arrête sur le hall d’un immeuble. Mal fermé le bazar, une aubaine on dirait. Je fonce manu militari dedans, et profite de ce maigre moment de discrétion pour ouvrir un Kekkai, réservant brutalement la zone pour notre petit duel. Pitié, qu’on me dise que Barnes a été possédé par bien plus imposante, j’ai pas envie d’y passer à nouveau. J’en connais quelque uns qui me maudiraient pour mes conneries, sinon.

Je m’engouffre à nouveau dans l’allée, surveillant mon adversaire du regard, et commence sans tarder l’incantation de mon arc. Ça prend du temps ce truc, alors vaut mieux s’y prendre avec un peu d’avance. En pleine ruée, l’Ombre débarque de la boutique, et me sprint dessus, l’air bien énervée qu’un abruti l’ait privée de son petit repas du jour.

Et je décoche. La flèche gargantuesque fend l’air à une vitesse folle, et vient éclater sur la peau terne de ma cible, désépaississement visiblement ses hanches. Je reste interdit un micro-instant, simplement le temps de réaliser que c’est tout de même fichtrement petit, comme impact. D’habitude je brûle, je trou, je casse. Là, j’ai un peu creusé. Oh, ça va pas être simple comme combat, bordel.

Sa course à peine ralentie récupère son pic, et j’esquive sa première charge en me transportant une quarantaine de mètres derrière elle, reprenant l’appel de mon arc. Du coin de l’œil je la surveille, et je la vois freiner superbement, avant de repartir de plus bel droit sur moi. Il me faut trois secondes, simplement trois petites secondes. Je déglutis en voyant ses griffes approcher beaucoup trop rapidement de mon dos, mais une poignée de de centièmes avant le contact fatidique, je sens le carreau salvateur fricoter avec mes doigts arqués. Alors, je l’arrache à sa monture, et pivote pour parer l’attaque.
Une main sur la pseudo-poignée, l’autre sur le plat de la lame, j’arrive à retenir l’assaut fou de mon ennemie. Je serre les dents, et contracte tous les muscles nécessaires – voire plus, je suis pas très select – pour la repousser, d’un pas au moins. J’enchaîne avec un coup d’estoc simple, qu’elle dévie avant de contrattaquer en élançant ses mandibules droit sur mon visage. Je perds volontairement l’équilibre et lâche mon arme, esquivant de peu la fusée pour me rattraper du plat de ma paume gauche. Au sol, je plonge ma prise sur ma fidèle épée, et je me téléporte.

Un mouvement d’aiguille plus tard, je suis dans le dos de l’Ombre. Dans le micro-répit que son hébétement m’offre, je serre le poing et tente de la trancher en deux, d’un seul coup.
Tente, c’est le mot. La finesse de ma lame transperce sa chair, mais ses doigts griffus réagissent prestement et arrête le massacre, arrêtant le tout à un léger handicap de ses membres supérieurs droits. Déjà ça, dans un sens.
Bloqué dans ce geste, je ne remarque pas, justement, son autre griffe arriver lentement vers mon torse, griffant joliment mon ventre avant que je ne recule. Fait chier.

D’un pivot, j’ôte mon coupant de son corps, et récupère une position à peu près défensive, tandis qu’elle se tourne tout à fait face à moi. Bon sang, j’ai toujours pas le niveau quand il est question de mon nouveau pouvoir ; il faut vraiment que je continue à m’entraîner avec. Ses nouvelles tentatives fusent, et s’enchaînent un court balais d’assauts alternés, presque coordonnés.
Sauf que le truc, c’est qu’elle cale plus de points que moi. Et ça, c’est pas bon signe. Je me fais ouvrir le haut de la cuisse, mon épaule est touchée lorsque je rate mon évitement, et une autre plaie vient poser la symétrie sur mes hanches. Merde.

Condamné à ça, et toujours sans avoir atteint la sainte minute d’affrontements, je me téléporte encore plusieurs dizaines de mètres derrière elle, sentant un début de fatigue m’assaillir. Je suis un abruti, putain. Je vais pas clamser tout seul contre elle, quand même ?

Je respire un grand coup, et invoque une troisième fois mon arc, décochant illico mon épée-flèche en direction de l’Ombre. L’impact la fait trébucher, et je vois sa cheville être réduite de moitié. Oh, je ne serai pas si inefficace, au final, ?
Je joue de sa chute pour réitérer l’action, et parvient ce coup-ci à lui arracher complétement une main. A croire que plus je m’engage dans le combat, mieux je vise. Quelques gouttes commencent à perler spontanément sur mon front, mais je persévère et arrache une nouvelle fois à sa dimension mon arbalète pimpée. L’épaule de la bête quitte la place, et ses blessures commencent à l’affaiblirent visiblement.

Alors, je recommence. Quatrième tir. Cinquième. J’en fais même un sixième, et maintenant une partie de son corps est aux abonnés absents. J’esquisse un sourire, et tends une nouvelle fois ma main, me concentrant pour rappeler mon pouvoir. Mais rien ne vient. Je hausse un sourcil, surpris ; tandis que le monstre commence à se régénérer.
Est-ce que je serais trop fatigué pour encore abuser de ça ? Je fais un pas. Ah oui. Quand même. Mes jambes sont lourdes, ma vision est brouillée – je suis en train de jouer avec mes limites ordinaires, là. Et c’est hors de question que cette chose me pousse à bout. Je marche vers mon adversaire, pendant de longues secondes, jusqu’à ce que l’on soit presque face à face. Sa mandibule restante vient gratter la terre, entailler mon mollet, mais je ne fais rien.
En fait, je la sens arriver. Là-bas, loin, à la frontière de mon âme et de ce monde, ma fidèle arbalète est en train de cavaler pour sortir de cet entrave que son autre forme lui imposer. Les dix secondes sont écoulées. Ma main se remplit d’une forme familière, davantage maîtrisée. Je lève le pic de ma baïonnette, et décoche trois carreaux dans la tête de l’Ombre.

Doucement, elle disparait. Je pousse un soupir de soulagement, révoque mon arme, et m’assois sur le sol quelques instants. Si j’avais continué à la lame, je serais mort. Tout bonnement. Putain, c’est censé être mon propre pouvoir, non ? Je devrais davantage le maîtriser, bordel ! Je m’allonge brièvement au sol, juste assez pour récupérer mon souffle ; et j’ôte mon sac de sa bandoulière, piquant dans son sein bandages et compresses.
Je me soigne rapidement mais correctement, et je me relève. C’était nul comme combat, mais au moins, je sais que je peux me mesurer à ce genre de monstres, maintenant. C’est déjà ça, peut-être.

Maintenant, faut révoquer tout ça. La technique du hall me paraît un peu trop risqué ce coup-ci, alors je retourne dans la boulangerie, et m’engouffre dans leurs toilettes. Ouais, c’est le genre qui fait aussi petit salon pour manger, alors faut bien des sanitaires. Une fois dans mon coin, je relâche la barrière, et découvre fort heureusement que je n’ai aucun spectateur indiscret. J’esquisse un sourire, et sors de cette petite pièce, débouchant face à la queue habituelle de l’enseigne. Quelques visages me toisent, décontenancé de voir un type sortir de là, alors qu’ils ne l’avaient jamais vu passer par la porte – du moins aujourd’hui -, mais ils lâchent vite l’affaire. A mon tour, j’arrête mes iris sur l’étalage, et brise ma mine lorsque je découvre que ma pauvre cible à ombres a bien vidé le stock de bûches.
Et là, juste dehors, je la découvre non loin de moi. Faut dire, tout ça n’a même pas dû prendre cinq minutes, alors c’est pas incohérent qu’elles soient dans les parages.

Donc, que ce soit par excès de zèle, ou dans une jalousie mêlée à ma gourmandise débordante, je me rue à ses côtés, l’alpaguant aussitôt à son niveau.

« - Hey ! T’es sûre que ça va ? »

C’est creepy comme démarche. Surtout avec mes fringues débraillés, troués, et parsemés de bandes. Mais, j’ai jamais été doué pour les contacts humains, après tout.
Surtout que, ça fait quoi d’être possédé par une Ombre ? Ça laisse de la fatigue, des séquelles ? Faudrait que je me renseigne, tiens.

[Ombre niveau 9]

Me … Défendre ? Je crois que j’ai à peu près la preuve que c’est pas vraiment de son ressort – et c’est bien l’inverse qui m’a fichu ces quelques coupures. Je hausse un sourcil, toise un instant mes fringues, l’air circonspect, et relève la tête vers elle, récupérant un sourire gêné. Parce que, je peux pas vraiment lui expliquer d’où ça sort. Un type normal irait déposer une plainte, faire un tour à l’hosto’, et compagnie ; sauf que ça me parait quelque peu compliqué, vue l’affaire.
Je déglutis, et agite les mains devant mon torse, ratant mon improvisation.

« - Mais, euh … Nan, t’en fais pas pour ça, c’est pas grand-chose. Enfin, j’vais bien quoi, vraiment. »

Ça se sent que je suis pas crédible, hein ? Bah, de toute manière, elle va me prendre pour un type qui se fait racketter à longueur de journée j’imagine, et peut-être éprouver un peu d’empathie envers moi. C’est un rôle que je pourrais jouer, mais je vais vite tomber à court de détails. Alors, autant tenter d’éclipser le sujet. Surtout que j’me suis pas vraiment pointé pour parler de moi.
Non, plutôt dans un élan désespéré pour récupérer sa bûche. Ce qui n’a pas la moindre logique tout bien réfléchi, mais que mon estomac-cerveau a trouvé bon de décider il y a quelques secondes. Je suis fichtrement abruti, parfois. Plus souvent, peut-être.

« - Bref, je t’ai vue là-bas, t’avais pas l’air dans ton assiette. Alors j’me suis dit que je pourrais … Eh bien, m’assurer que tout va bien ? Si t’as des vertiges, des douleurs, j’peux t’accompagner à une infirmerie si tu veux. »

Sinon, j’ai des médocs dans mon sac. Sauf que, bizarrement, je le sens mal de lui en proposer – ça ferait, vraiment, mec creepy. Déjà que je suis loin d’être un parangon de tout ce qui peut être rassurant, donc si j’en rajoute, elle va me foutre les flics aux basques.  
Et puis, qui irait aborder une personne sous cette raison, en fait ? J’veux dire, pour n’importe qui d’autre, ce serait cramé que je tente de la draguer ; à l’exception que c’est loin de mes envies. Genre, vraiment. Tromper Alice, et me lier plus que de raison à une humaine, c’est pas mon trip. A peu près autant que c’est celui de Russel que de boire des bières sans alcool. Pas compatible, on dira.

Je devrais partir. Là, tout de suite, juste retourner au QG pour boire un élixir et m’allonger une petite demi-heure. D’ailleurs, je sens que la voleuse de bûche est un peu mal à l’aise face à un type bizarre qui refuse de s’enfuir. Mais, j’arrive pas à me décider à quitter les lieux ; je suis comme envoûté par le contenu de son petit sachet. Et il y a de quoi, faut dire.
En plus, je suis fatigué – alors, raison de plus d’écouter mon bon sens. Mais mon estomac lutte pour conserver la mainmise sur mon esprit, et je crois bien qu’il est le mieux armé.

« - Ouais, un peu blessé, mais c’est de la déco, un style un peu zombie quoi. »

C’est de loin la pire excuse que j’ai jamais inventée. Sérieusement. On est en plein hiver, je suis sapé avec deux pauvres couches trouées de vêtement, et je prétends me grimer en mort-vivant pour le fun ? On est pas à une convention, ni même à un quelconque événement qui pourrait appeler la situation - je suis juste en train de passer pour encore plus étrange que je ne le suis vraiment. Et j’ai déjà un sacré niveau là-dedans, de base.

« - M’enfin. Si tu vas bien, c’est l’important. »

Je tente un nouveau sourire, et pointe un doigt maladroit vers son sac. Merde. Je suis en train de plonger dans le péché là. Mais trop tard pour reculer, il va falloir que je m’engouffre à fond là-dedans si je veux que mon réservoir à bile me lâche la grappe.

« - Euh … Est-ce que je peux te la racheter ? Genre, dix fois le prix s’il le faut ? »

Et bim, va refuser cette offre. Bon, ça fait pas une somme pharamineuse, surtout avec le reste de thunes que mon ex-taf m’a filé, mais c’est quand même un joli pactole pour un dessert. Même si ce n’est pas qu’un simple mets : de mon humble point de vue, c’est le meilleur de la ville. Et je défie quiconque d’essayer de me donner tort, car il ne ferait que de profondément se fourvoyer.
Surtout que j’ai de quoi tenir un monologue complet pour vanter les mérites de cette pâtisserie. Presque assez pour fonder une religion autour en somme, si jamais j’étais encore un peu plus fou que je ne le suis déjà.

Quoi ? Ça a vraiment fonctionné, mon truc d’acheter sa bûche ? Et en plus, elle me propose d’en partager un bout, sans que je débourse le moindre centime ? Je fais pitié à ce point, dans mes fringues déchiquetées ? Va savoir, mais c’est bien possible. Bon, même si j’admets que son rire aux éclats m’a vraiment fait peur un instant ; je veux dire, j’ai cru que j’étais si ridicule qu’elle allait s’en aller sans demander sans son reste, peu enchantée à l’idée de côtoyer quelques instants de plus un guignol de mon acabit.
Mais elle marque un point – ce genre de mets ne se cède plus contre de l’argent, une fois possédé. Il est précieux, délicieux, et tout ce qui peut sonner dans le genre. Simplement, je commence à bien apprécier l’idée de cette jeune femme. M’enfin, logique, vu qu’elle m’offre un morceau du gâteau.

J’agrandis mon sourire, après quelques instants de surprise, et je cède au chantage. Le prix n’est pas bien fort à côté de la récompense, faut dire. Je pose un doigt en avant, toujours en plein air, et réplique tout à fait enjoué.

« - J’aime ta façon de voir les choses. A ta place, je l’aurais pas cédé non plus, ha ha. Je m’appelle John. Et toi ? T’es une cliente régulière de l’enseigne ?»

Et je ponctue ma phrase d’une main tendue, signe logique d’une poignée demandée.
Bon, c’est une première mais voilà que je sympathise avec une humaine que j’ai aidée. D’habitude, je m’éclipse bien vite, mais elle avait un petit plus pour me convaincre. Et rien à voir avec son physique – qui, entre nous, pourrait être à peu près n’importe lequel, j’en aurais rien à cirer -, mais plutôt avec le contenu de son sac.
Oh, joie, je vais pouvoir avoir mon petit plaisir du soir. Un sixième de plaisir, mais c’est toujours mieux que rien ; quoique, une miette ne m’aurait probablement pas suffi. Est-ce qu’il y aurait moyen de gratter davantage ? Compliqué, ça. Mais ça se tente. Si la discussion le permet.

Amusant. Elle a le même nom que mon arme. Tant est que ce soit réellement son nom, en fait – d’ailleurs, j’sais même pas d’où il sort. Je m’étais jamais attardé là-dessus, et la première fois que j’ai voulu décrire sa nouvelle … Forme ?, ce mot s’est pointé dans ma tête. Je fixe ses pupilles un instant, cherchant bêtement un quelconque rapport avec mon arc dedans ; mais, rien. Logique tu me diras, c’est une humaine, et les homonymes ça existe. J’ai des idées absurdes, parfois.
N’empêche, elle a perdu son sourire un instant. Je me demande bien pourquoi.

Et donc, on se serait peut-être déjà croisés ? Possible. Je regarde pas vraiment les gens dans la rue, de toute manière je suis infoutu de retenir leur visage – ça tient presque du miracle que je reconnaisse quelqu’un des mois après.

« - Honnêtement, belle initiative, j’aurais fait pareil. Et je t’avoue que j’aurais pas eu ta bonté par contre, je me serais plutôt enfui avec mon précieux sans me retourner. Vraiment, les gens pour toi sont des miracles pour cette ville, merci beaucoup. »

Et hop, j’attrape la part qu’elle me tend. Un sixième, certes, mais un peu, déjà. Et puis, donné si gracieusement ! Un petit salaire pour mes actions, quoi. Je vais peut-être aller discuter avec les humains que j’aide plus souvent, tiens.
Sans attendre, j’engouffre la moitié de la bûche dans mon gosier, savourant le mélange de saveurs qui s’offre à moi. Le chocolat vient chatouiller mes papilles le premier, puis suivit de la poire qui le supplante et adoucit le goût. Le glaçage, et toutes les méthodes de pâtisserie dont je n’ai aucune idée du nom font leur apparition, et je me surprends à fermer les yeux un instant. Bon sang, je suis vraiment étrange, comme mec.
Enfin, ma main vient chercher le second morceau, mais s’arrête un instant. Reprendre la discussion, comme dans un entracte de ma visite du paradis. Pas très agréable comme perspective, mais je lui dois bien ça, tout de même. Quelle générosité !

« - Toujours aussi bon, ce truc. T’as eu une mutation, pour venir par ici ? »

Bah ouais, elle vient d’arriver. Donc il doit bien avoir une raison derrière ça – tu ne déménages pas sans raison. Ou simplement par envie, mais alors l’arrêt sur une destination précise est motivé par quelque chose, forcément.

Ah. Pas pour l’histoire du prince, du mariage arrangé, de tous ces trucs-là – nan, franchement, quel pays de barbares, que la France. Comment ça, j’ai de la famille là-bas ? J’crois pas, non. J’suis un bâtard, donc je pense pas que ça compte. Enfin, j’croyais quand même qu’ils avaient fait chuter la monarchie il y a quelques centaines d’années ; j’dois pas être à jour des derniers événements.
Bref, le problème est pas là. Elle me propose plus de bûche, en échange de la raison derrière mes blessures. Mais je ne peux pas vraisemblablement être honnête, je me trompe ? Je veux dire, je dois déjà veiller sur l’autre humain, entraîner Sean, et tenir ma petite vie familiale et amoureuse sur le côté. Donc, passer du temps à tout présenter à une inconnue, ça va pas le faire.
Surtout quand, honnêtement, j’ai pas la moindre envie d’arracher quelqu’un à sa petite vie pour l’amener dans mon monde. Parce que ce serait presque un simili de meurtre, le délai en plus.

Je crispe légèrement ma mine, et souffle un instant. Sacrebleu comme on dit, j’aime pas ce que tu me proposes, l’amie. Je peux pas accepter, mais je veux la récompense.

« - Ça, tu vois, j’ai pas le droit. J’veux dire, c’est pas un cosplay de zombie, mais …. C’est privé, tu vois. Et pourtant, je la veux bien ta bûche, mais, j’peux vraiment pas. Désolé. »

Et voilà, je sonne encore plus étrange. Soit elle va me prendre pour une victime honteuse, un maso caché, ou d’autres idées farfelues dont le nom ne m’est pas encore passé par la tête. Mais, ah, ça me fait chier de pas pouvoir lui dire la vérité. J’ai la dalle, bon sang !
Bon, en fait, nan. Mais c’est tout comme, hein ? Elle me fait envie, et je crois qu’involontairement je viens de bouloter mon reste de part.

« - Bref, bref, bref. C’est quoi ton histoire de prince ? Louis XII est revenu au pouvoir ? »

J’ai aucune idée du numéro de leur roi. Mais au pif, ça doit pas être bien loin – le prénom est le bon, je crois.
Fichu collège que j’ai arrêté ; un peu plus de culture ne m’aurait pas fait de mal. Vais peut-être réfléchir à ouvrir des livres d’Histoire, tiens.

Nan, elle l’a rangée ! Mon regard suit la triste course de la bûche, et je reste fixé encore un demi-instant sur la pochette opaque qui contient le sésame, la bouche crispée. Putain de faction, voilà ce qu’elle me fait faire ! Je rumine discrètement un peu, puis remarque sous sourire apparent. Pourtant, j’ai pas fait de blague ? J’ai dit une connerie ?
Ah, ouais tiens, ce serait bien mon genre ça. Me suis peut-être planté d’un bâton, va savoir.

Plus, en fait. Vu que le XII est mort depuis une belle lurette, y a moyen qu’ils aient atteint la vingtaine depuis. Ou pas. Ça change de prénom parfois ces choses-là, non ? Pour ma défense, c’est pas dans ce pays qu’on ait les plus habitués de la royauté. Une sombre histoire de République, je crois.
M’enfin, voilà qu’elle me parle d’un type qui parle à peine français, et pas anglais non plus. Il parle quoi alors ? Espagnol ? Ça tomberait bien, je parle bien cette langue.
Bon, pas exactement. Juste le vocabulaire d’un livre en particulier, quoi. Et le nécessaire de chantier. Mais assurément pas le genre de discussion que je pourrais avoir avec une inconnue dans la rue. Déjà qu’Alice m’en collerait deux, alors elle, surtout avec son couteau, ça pourrait encore plus mal finir. Tss.

« - Et donc, tes parents voulaient absolument te marier à cet espagnol ? Tu pouvais pas dire non, et simplement le rembarrer ? Ils sont chiants à ce point ? »

J’ai peut-être présumé de sa nationalité un peu trop vite. Mais y a pas deux cents pays, non ? A force d’erreurs, je finirai bien par tomber juste. Ou pas.
N’empêche que j’ai pas oublié le précieux gâteau qu’elle retient dans sa poche. Faudrait que je trouve une autre bonne raison pour en gratter un bout supplémentaire. J’ai une idée.

« - Au fait. Un café pas loin, ça te dit ? Histoire de continuer la même conversation, mais assis. »

Bon, faut pas non plus que je m’attarde deux ans ici – j’ai du taf qui m’attend après. Mais il peut bien survivre encore une demi-heure, l’ami Aoba, je me trompe ? Peut-être pas en fait. Oh, il sait comment me contacter si ça dégénère au pire, et je déboulerai sans délai chez lui.
Abandonnant ma quête sur l’instant. Brr.

Maintenant, faut trouver un café. Pas la chose la plus dure que j’ai eu à gérer de ma vie, je pense – on est dans une rue commerçante, à l’instant charnier entre l’après-midi et la soirée. Donc, je prends le paris qu’on mettra pas plus de cinq minutes pour tomber sur ce qu’on cherche.
D’ailleurs, j’en vois un, pas loin. Je prends l’initiative du pas, et la dirige droit vers l’enseigne, sans me presser. Rien de pire qu’un café pris après un sprint, on le digère mal.

Bref, retour à notre conversation palpitante. Un Luxembourgeois, elle a dit ? C’est quoi comme espèce ? Jamais entendu parler. Par contre, les Belges, je les connais : on raconte qu’ils font de merveilleuses gaufres, donc évidemment que j’en ai entendu parler. Faut me parler bouffe plutôt que géographie, je m’en sors rudement mieux dans ce sens-là.
Mais donc, ni l’un, ni l’autre, ni elle sait pas quoi, en fait. Un Européen. C’est grand l’Europe ? Si j’me souviens bien de la carte du monde, ça m’avait pas l’air bien plus gros qu’ici.

« - Ouais, j’te comprends. J’ai déjà essayé de parler avec un parpaing, c’était assez à sens unique. »

Attends. Je viens vraiment d’avouer ça ? J’étais pas sobre ce soir-là. J’étais seul, au Chili, sans ami, sans but, sans … Ouais, nan, j’ai juste voulu essayer l’alcool local. Ben l’était rudement bon, le con. Et moi j’étais sacrément rond.
Saloperie de Pisco.

« - Ouais, enfin, pas vraiment hein. Une métaphore, tu vois. Bref. Donc, t’as fui. Il te cherche, ou t’as enfin réussi à gratter un peu de tranquillité ? »

Voilà qu’à force de me confondre dans mes expériences peu reluisantes, le chemin jusqu’à la bâtisse s’est déroulé sans que je le réalise. Cool.
Victime d’un soudain trou de mémoire de la galanterie, je pousse la porte et rentre le premier, repérant bien vite une table vide et m’y installe, scrutant le menu.
Peut-être que j’aurais dû lui demander son avis, avant. J’ai même pas maté les prix. Bah, au pire, je lui payerai.

Incisant la discussion, le serveur s’immisce et nous interrogent soudainement, m’intimant presque de faire mon choix sur le champ. J’esquisse un sourire, et laisse mes yeux se balader d’une ligne à l’autre, haussant un sourcil à chaque boisson qui pourrait m’intéresser. Mais, bon, pas d’alcool en service j’imagine ; et les glaces fantaisies, pas vraiment la saison. Bon, faisons classique alors.

« - Hmm, un café s’il vous plaît. »

Son sésame obtenu, le type prend la poudre d’escampette sans demander son reste, et mes lèvres s’étirent encore un peu plus. Tranquillement j’en reviens à Némésis, la toisant un bref instant. Chic personne de m’inviter tiens, mais j’pense que je vais refuser – allons bon, c’est pas pour moins de deux dollars que je vais demander l’aumône. Enfin, si, ça m’est arrivé, mais, plus maintenant, m’voyez ?

« - C’est gentil, mais j’suis sûr de trouver assez, et sans racler mes poches ! »

C’était une blague. Une tentative, plutôt. Mais je me suis dit qu’avec ma dégaine de clodo, il y avait de quoi s’imaginer, et légitimement, que j’avais pas un rond. Je m’étends un peu sur la chaise, et le fil de nos mots vient se suturer, presque brutalement dans mon esprit. Oh, oui, ses dernières syllabes. Un contrat. J’en connaîtrais bien un. Mais, est-ce que j’ai vraiment envie d’en parler ?
Je suis bien le dernier à proposer à quelqu’un de rejoindre mon monde. Je l’ai assez répété je pense. Mais si sa vie humaine la rejette, est-ce qu’il y a quelque chose de mal à l’en détacher ? Hmm. J’aime pas la façon dont je réfléchis. Parce que je suis littéralement en train de me demander si ça vaut le coup de réduire drastiquement son espérance de vie, simplement pour échapper à quelques gens. Mais, et si ces salauds la retrouvaient, et lui infligeaient le même traitement. Nan, apparemment, c’est autre chose qui les intéresse … Et qui pourrait bien s’avérer plus chiant.
Je fais une petite moue, et soupire. Ouais, j’adore faire ça.

« - Je connais des gens qui pourraient t’aider, peut-être. Plutôt fréquentables, mais ça induirait de modifier ta façon de vivre. Bon, ça fait creepy dit comme ça, surtout qu’on vient de se rencontrer, mais … »

Je lève les bras, visiblement hésitant. Je vais peut-être éviter de me prononcer sur la véritable origine de mes bandages, pour l’instant. Si mon idée l’intéresse, ça s’pourrait bien que je change d’avis sur ce dernier point.

Oh. Elle est drôlement emballée par ma proposition, en fait. J’m’attendais à ce qu’elle me regarde bizarrement, hausse un sourcil, puis décide de finir son diabolo attablée plus loin. Sauf que non, elle a pris le parti de rester là, en me fixant de façon presque dérangeante. Pire, elle me demande d’aller jusqu’au bout de mes affabulations.
Et merde. Moi qui déteste parler de tout à un humain, faut croire que j’enchaîne, ces derniers temps. M’enfin, avec les potentiels spectateurs autour de nous, je vais pas me laisser aller jusqu’aux tours de passe-passe, donc il y a bien moyen qu’elle me prenne pour un délure et me rit au nez. Hmm, ce serait un dénouement qui m’arrangerait bien. La prévenir si jamais le matou se pointe sous son nez, sans non plus la ficher dans l’embrouille absolue de mon monde.

Alors, je laisse mon dos s’étaler sur le fond de la banquette, et je bois la moitié de ma tasse, oubliant que tout humain normalement constitué attendrait qu’il refroidisse au préalable. Ouais, qu’importe les efforts que je fais pour paraître normal, je laisse toujours traîner deux-trois erreurs de-ci de-là.
Mon forfait accompli, je pose mon café sur sa soucoupe, et approche mon visage du sien, baissant le ton pour être entendus de moins d’oreilles indiscrètes. Voire même d’aucune, si j’ai de la chance.

« - Bon. Le principe est délirant et pas franchement croyable, mais c’est très sérieux. Il existe des types assez bizarres et inexpressifs qui peuvent te proposer un Contrat. Ton vœu contre ta vie. C’est-à-dire qu’ils réalisent le souhait que tu leur avances, n’importe lequel – et me demande pas comment ils font, j’en sais rien -, mais en échange tu devras plus ou moins taffer pour eux. Sauf que c’est un boulot très prenant, et dangereux, en fait. D’où mes blessures. »

Ah. Je viens de lui parler de toute l’affaire de façon presque crédible, en fait. En occultant la partie magique, surnaturelle, et l'important du tout. Donc, en gros, être Nephil, c’est faire partie du KGB avec un bonus à l’embauche ? Hmm, j’aurais jamais cru le définir de cette façon, en fait.

Un sourire gêné me prend, et je résiste à la sensation de me frotter la tête – nan, pas copier les personnages de série, on avait dit. Elle est beaucoup trop enjouée à l’idée du Contrat, en fait. J’aimerais m’en aller et lui faire oublier ces quelques mots ; mais je n’ai pas ce genre de capacités. D’un autre côté, maintenant que je lui ai vendu la majorité des bons côtés, taire l’ampleur véritable du danger serait absurde, sadique. Si je ne veux pas balancer un humain heureux dans ce monde, pourquoi est-ce que je tenterais de purement enrôler un autre ?
Mais, mon hésitation s’efface rapidement, à mesure que je la découvre ôter la bûche de son sac et la poser sur la table, un couteau de la main. Elle est vraiment en train de me corrompre à coup de bouffe, là ?
Enfin, je dis ça, mais ça marche, hein. Je ferais presque n’importe quoi pour un morceau de ce truc. Vraiment.
Je prends une inspiration, et laisse descendre le volume de ma voix encore plus bas.

« - Non, tu t’emballes trop. Ça n’a rien de drôle, en fait. C’est … Surnaturel, on va dire. Je te montrerai ça dehors. On doit affronter des monstres, tout le temps, et on risque d’y passer à chaque combat, tous les jours. Et tu devras aussi affronter, ou même tuer, de vraies personnes. »

Mon ton se fait plus incisif, sérieux. Je déconne très souvent, mais parfois je ne peux pas prendre les sujets à la rigolade. Et j’imagine qu’il y a un je-ne-sais-quoi dans mon regard qui jure que je suis persuadé de raconter la vérité. Peut-être parce que c’est le cas, tiens.

« - Il existe deux … Patrons. Une fois le vœu prononcé, tu devras vouer le reste de ta vie à affronter ces bêtes et les Contractants adverses, ceux qui ont suivi l’autre chef. »

Voilà. Maintenant, elle sait. Si elle croit encore à mes histoires délirantes, bien sûr ; mais j’ai dans l’idée qu’elle ne demande qu’à s’en persuader.

« - Le mien s’appelle Bey. »

Je viens de donner ma faction à une inconnue, oui. Mais si elle a bien suivi le fond de mes propos, elle a saisi que choisir l’autre est synonyme de devenir mon ennemie. Et donc, avec, crever par ma main.
Je lui parlerai des nuances quant à tout ça plus tard. Quand elle aura accepté le pire, je lui dirais qu’il peut y avoir du mieux.

Voilà. Elle commence à réaliser l’ampleur des choses, et ses mots sont déjà moins enjoués, plus soucieux. Et à juste titre – je suis en train de lui vendre son ticket vers une mort certaine et prématurée, et non pas un petit voyage à destination de l’Eldorado. Personne ne devrait avoir envie de passer ce Contrat sans une excellente raison, une motivation qui surpasserait le coup ; et même si Némésis pourrait rentrer dans cette catégorie, pas de précipitation.
Je pondère, le temps que toutes ses interrogations trouvent la sortie et m’arrivent à la tronche, m’enterrant presque sous cet amas de phrases désorganisée. Je prends une inspiration, et liste mentalement toutes les réponses que j’ai à fournir, dans un ordre absolument subjectif. Celui de ma logique.

« - La plupart des nôtres ne savaient pas se battre, avant. Mais une fois le Contrat établi, Il t’indiquera un endroit où tu seras … Recueillie, informée, entraînée. Assez vite tu prendras la main et même une tarte à la pomme pourrait bien devenir létale entre tes mains. »

J’esquisse un sourire. Ça sonnait drôle dans ma tête, peut-être beaucoup moins à ses oreilles. Va savoir. Je récupère une mine sérieuse, et continue avec la même absence de décibels.

« - Nos ennemis, en dehors des Contractants de l’autre camp, sont les Ombres. Des monstres humanoïdes dont l’origine n’est pas franchement claire. L’idée commune serait qu’elles sont nées des pulsations sanglantes des gens, et que désormais elles se développent et subsistent à travers elle. Pour ça, elle se colle à de pauvres gens normaux, et attaquent brutalement leur moral pour leur intimer des envies de meurtres, de suicide. Tu en as peut-être fait l’expérience tout à l’heure, c’est après ton agression que je suis venu te voir. »

La cohérence s’envole, à moins que son embryon de confiance en moi serve de poids pour la maintenant au sol. Et pourtant, tout ce que je dis est vrai, non ? Oh, ce que j’aimerais raconter des histoires, honnêtement.

« - Bien sûr, tu n’as rien vu. Ces bêtes ne sont visibles que de ceux qui ont croisé le regard de Bey … Ou de Kyu, l’autre. Et même ceux qui ont décidé de ne rien signer, et donc sont sans défense. Parce qu’à l’instant où tu acceptes le marché, ton Contracteur te dote de pouvoirs liés à ton souhait, et d’une arme. Humaine d’apparence, mais capable de blesser ces abominations – ce qu’une lame lambda ne saurait pas faire. »

J’ai tout dit, je crois. Ou presque. En tous cas, si j’ai omis quelque chose, je vois pas, là. M’enfin, j’en serais bien capable, je dois l’avouer. Reste à savoir si tout ça l’intéresse toujours, ou si je viens de l’effrayer avec ma tonne d’informations mystiques et logiquement irréalistes. Mais si on s’arrête qu’à ce qui devrait arriver, on crève bien vite mon univers, non ?

Merde. C’était pas le but de la faire culpabiliser, de la convaincre de nous rejoindre simplement parce qu’elle s’en veut d’être la cause de mes blessures. Et puis son ton, sa manière de prétendre que sa survie n’importe pour personne. Nan, vraiment, si j’avais pas une superbe demi-bûche sous le nez, j’crois que je serais triste pour elle. Mais là, par-dessus ma raison, mon estomac m’hurle de dévorer ce délice avant de reprendre la discussion.
Ce serait impoli, non ? Vraiment, j’peux pas faire ça. D’un douloureux revers de la main, je repousse de quelques centimètres le plat, et j’en détourne le regard. Résiste, bats-toi John. T’es pas qu’un zombi dirigé par ton appétit – en plus, c’est même plus ça, juste de la gourmandise -, t’es … Quelque chose d’autre. Plus que ça.
Je déglutis, et fonds de nouveau mon regard dans celui de Nemesis, dessinant sur mes lèvres un air bien plus bienveillant que la mine que j’affiche depuis le début.

« - C’est pas ta faute, vraiment. Il y en a partout de ça, et un humain peut pas lutter contre eux, même en se donnant à fond. Et, entre nous, je m’en remettrai de ces deux-trois griffures, j’ai vu pire. »

Ouais, j’ai été carbonisé vif, entre autres. Alors qu’elle se formalise pas de ces égratignures-là, ça m’détruirait assez l’égo de douiller des jours à cause de ça.
Tandis que quelques doigts volettent discrètement vers les couverts, je reprends le contrôle de mes nerfs et dirige ma paume droit dans une poche, sortant le téléphone qui y siégeait pour le poser devant moi. Je pianote le code rapidement, et ouvre l’onglet pour les nouveaux contacts, inscrivant son prénom.

« - Prends quelques jours, semaines, voire mois pour réfléchir. Si un jour, en sachant tout ça, tu décides de passer un Contrat avec Bey, appelle-moi et je viendrai t’accompagner. »

L’appareil pivote et je l’avance vers elle, faisant comprendre par mes yeux qu’il ne lui reste plus qu’à inscrire son numéro. Mais, avant qu’elle puisse y faire glisser sa pulpe, je reprends la parole, plus calmement.

« - Et, si jamais tu signe sous Kyu, efface mon numéro et ne cherche plus jamais à me contacter. Ce sera mieux pour nous deux. »

C’est probablement violent, voire même très. Mais je ne veux pas tourner autour du pot quant à ça – et l’idée d’éliminer une si jeune recrue, innocente qui plus est, ne me plaît pas. Protecteur on a dit, pas Traqueur.

Je ris doucement, et récupère l’appareil pour envoyer un simple message vide à la jeune femme, fourrant le tout dans une poche l’instant suivant. Elle est naïve, mais sincèrement gentille – ou alors, joue assez bien pour me duper. Alors, même si sa référence à la feuille m’a fait marrer, je crains pour elle. Parce qu’elle va devoir faire face à bien pire, et de loin.
Une esquisse de moue plus tard, j’entame de me couper un bout de bûche et en tend un autre à Nemesis. Nan, vraiment, tout accroc que je suis, j’allais quand même pas la déguster sous ses yeux, sans qu’elle ne puisse rien faire. Bon, ok, ça me ressemble, mais j’ai assez d’empathie envers elle pour me comporter en tant qu’être civilisé.

« - Je t’aiderai, t’en fais pas. »

Cette fois-ci je souris vraiment. Puis, lentement, ma main libre vient glisser sur la table et s’arrête presque devant elle, paume planant légèrement au-dessus du bois.

« - Je t’avais promis une démonstration, alors … Regarde bien sous ma main. »

Un influx s’échappe de mon cerveau, et parcoure des canaux jusqu’à sortir de ce plan, s’échappant à travers la frêle et instable dimension de … Mon âme, probablement. Après un bref arrêt, la sensation se répète, en sens inverse, et ce léger courant électrique revient sur ses pas, déchirant la mince toile de par sa nouvelle charge.
Ou plus simplement, un carreau apparaît sous mon poignet, preuve irréfutable de mes propos. Presque nerveusement mes yeux scrutent les environs, sans découvrir le moindre regard troublé par mon geste. A croire que j’ai réussi à être discret, tiens.

« - Voilà une partie de mon arme. On va dire que le reste serait un peu moins facile à cacher à nos petits spectateurs. »

Honnêtement, même avec toute ma bonne volonté, j’me vois appeler une arbalète ici sans que personne ne s’en rende compte. Faudrait quelqu’un de plus habile pour ça – pas moi, donc.

Ah oui, ça lui a fait de l’effet, mon petit tour de passe-passe. Faut dire, si j’avais découvert mes pouvoirs dans d’autres circonstances, j’aurais sûrement eu une réaction du genre. Quoique, quand je suis là-bas, j’ai dû réagir d’une façon encore plus folle et … Non mais sérieux, ce truc-là est génial. M’enfin, il est encore trop tôt pour lui en causer, j’imagine – elle ne comprendrait pas un traître mots de tout ça, tout aussi attentive qu’elle serait. Je hoche la tête, et retire ma main pour glisser le carreau dans mon sac, avant d’entamer ma part.
Et qu’est-ce qu’elle est bonne cette bûche, sans déconner. Je vais vraiment le démarrer ce culte, à force.

La bouche pleine, j’écoute sa question suivante, ralentissant mes mâchouilles pour davantage savourer le gâteau, et aussi mieux saisir ses paroles. Elle m’a l’air à la fois bien enjouée, et aussi très défaitiste quant à ses capacités, vraiment. Bon, au moins ça veut dire qu’elle sera assidue aux entraînements, c’est déjà ça – non, parce qu’un monsieur je-sais-tout et persuadé de ses talents en tant qu’élève, ça doit franchement être un enfer. Un coup à l’envoyer se démerder tout seul dans son premier combat, et être obligé de ramener son cadavre à Luna.
Un peu trop brutale comme leçon à mon goût, faut dire.

« - Avec le vœu, tu obtiens des pouvoirs qui y sont … Bah, liés, c’est l’idée générale. Et aussi une arme, bien sûr. Apprendre à utiliser tes pouvoirs est assez naturel, donc tu devrais t’en sortir sans des mois de perfectionnement, mais pour l’arme faudra pas rechigner sur les entraînement. M’enfin, ça vient plus vite qu’on l’imagine, vraiment. »

Surtout quand on s’en sert chaque jour pour se sauver les miches face à des monstres cauchemardesques et sanguinaires. Ouais, en général, ça motive à devenir meilleur ce genre de trucs.
Et voilà, j’engouffre une nouvelle tranche, sorte de récompense à ma réponse. On se justifie comme on peut, hein ?

J’me suis jamais senti aussi écouté, j’crois. Pas que ça soit désagréable, mais c’est … Bizarre. Enfin, genre, d’habitude, les gens peuvent rester attentif parce qu’il y a un éclat d’intérêt dans mes paroles, ou bien parce que sinon on se ferait drôlement chier avec Alice ; mais aujourd’hui, c’est assez différent. Faudrait pas que je m’y habitue, sinon je vais finir par devenir plus arrogant que je le suis déjà.
N’empêche, j’dois remarquer que ses questions commencent à se tarir – au revoir les interrogations générales et presque vitales, bonjour celles plus dues à sa curiosité et soif d’en savoir davantage sur tout ce que je lui propose. Aucune critique dans mes mots bien sûr, je comprends tout à fait la démarche.

« - On est … Beaucoup, te dire exact serait compliqué. Donc ouais, on a des nouveaux assez maladroits, comme de vraies machines de guerre – le genre presque tout droit sorties de bon vieux film d’action. J’exagère à peine. Mais t’en fais pas, aussitôt que tu auras fait ton choix, je t’emmènerai chez nous pour que tu puisses rencontrer pas mal de gens. Et franchement, sans aucune pincette, beaucoup valent vraiment le détour. Et pour les autres, c’est juste que je les connais pas encore. »

En vrai, je survends à peine mes camarades. Bon, sauf niveau puissance peut-être – dégoupiller une grenade avec ses dents, je doute que même Russel puisse le faire. Mais il peut arrêter le temps putain, ça rattrape carrément l’affaire.
Presque réglé sur une fréquence fixe, je m’octroie une nouvelle part et la dévore dans l’instant, laissant vagabonder quelques pistes d’informations avant d’en sélectionner une.

« - Autre chose. Sans te donner aucun nom pour l’instant, on a un système de commandement. Un Élu choisi par Bey, des Commandants sélectionnés par ses soins, puis d’autres relais on va dire. Ça fait un peu militaire comme système, mais on s’y fait vite et c’est clairement pas très contraignant. Donc, je sais pas ton avis sur tout ce qui est autorité, mais si ça te pose problème, faudra faire une exception de ça. »

Sans déconner, même moi j’ai dû admettre que toute cette échelle avait un véritable rôle dans ce monde – et pourtant, je suis fichtrement pas le plus convaincu des soldats.

I

Non mais je comprends son point de vue, tout à fait même – parce qu’il faut le dire, je ne suis certainement pas un parangon d’obéissance. Entre ma difficulté à traiter Juliet ou Rekor comme si je faisais face à un patron, et mon ancien objectif de trahir Yuhira, il me reste pas mal de progrès à faire si je veux devenir un jour le Nephil loyal par excellence. Enfin, honnêtement, j’en ai un peu rien à battre de réfléchir une image du genre ; nos objectifs convergent, je suis les ordres. Et si jamais ils commencent à déconner là-haut, je me gênerais pas pour aller leur en toucher deux mots, mon absence de tact bien en évidence.

Bref bref, voilà une nouvelle question avant que je réponde à la première. Bon, ben, simple sourire, et voici une réponse tout à fait correcte – de toute manière, j’allais rajouter quoi ? Connaissant mes talents, j’aurais bien eu l’indiscrétion de glisser quelques noms. Et ça, même si elle prévoit d’être de mon camp, ça s’rait une belle connerie.

« - Alors, j’aimerais bien te dire que les Seraphs sont des païens dansants autour d’un feu de joie et sacrifiant des vierges, mais ce serait quand même sacrément te mentir. Autant te dire tout de suite que j’ai jamais eu de retour sur l’organisation qu’ils ont entre eux, même si j’imagine bien que ça doit ressembler à la notre, quelques variations de noms tout au plus. Parce que ça fonctionne bien ce merdier, en fait. »

Maintenant, il faut que je m’attaque au sujet épineux. Les raisons de la guerre humano-humaine qui nous oppose – et surtout, j’sais pas si je dois donner mon avis, ou non. Il est vachement changeant à mesure des mois faut dire, même maintenant.

« - Quant aux raisons… Eh bien, l’idée commune, ce serait une espèce d’équilibre énergétique. Je veux dire, on existe pour combattre les Ombres. Et pour qu’on ait tout nos trucs, il faut bien une source d’énergie – ouais, même la magie ça peut tomber en panne. Alors, on fait le plein en éliminant des Ombres, ce qui semble être une bonne solution. Sauf que, ce que je saisis c’est qu’on dépense plus qu’on récupère… Alors, en éliminant un de l’autre faction, on récolte encore davantage de carburants. Assez pour subsister, mais à cause de nos efforts continus, il faut constamment nous recharger en volant des ressources aux autres. »

Je peux pas lui certifier à 100 % que j’ai ce que je dis est la vérité, mais à force d’informations je crois que c’est ce qui s’en rapproche le plus. Ou si je me trompe, je pense en tous cas que cette solution justifierait presque les meurtres.

« - Ainsi, si personne ne se bat, les deux camps disparaîtront et les Ombres seront libres d’agir. Et bien sûr, aucune faction n’acceptera de s’effacer pour les beaux yeux de l’autre – et pourtant, je suis persuadé que bien des tentatives de paix ont été proposées, en vain, à travers les années. »

A l’inverse, il existe bien des pistes pour faire cesser tout ça. Mais nous ne sommes pas encore prêt pour fouiller plus en profondeur la principale – mais je suis persuadé que je le jour viendra.

Là, elle tape juste – ou en tout cas, presque juste. L’idée est bonne, l’interrogation tout autant, mais j’esquive la colle de peu. En effet, si l’on se débarrasse de tous les Seraphs, on perd un gigantesque réservoir d’énergie ; pour en gagner un autre, si l’on pousse la réflexion plus loin. Mais j’admets que la question méritait d’être posée, et c’est pas mon air interdit un instant qui pourra prétendre le contraire.
Je lève mes mains, mimant une balance, et me fends d’un sourire bien plus chaleureux qu’arrogant pour lui répondre.

« - Alors, pas tout à fait en fait. Actuellement, chaque faction survit des Ombres, et en tuant les autres – c’est-à-dire qu’on se partage plus ou moins le stock de bêtes des environs. Mais si l’un camp venait à disparaître, alors l’énergie de tous les monstres serait redirigée vers l’autre. L’idée de la quantité qui surpasse la qualité, quelque chose comme ça. »

C’est à peu près l’état des choses, je pense. Pas que j’ai la science infuse, mais ma théorie tient encore la route, pour l’instant du moins. Enfin, pas le temps de me perdre dans d’autres songes, j’ai quelques autres réponses à lui fournir – et ce serait maladroit de me refuser à l’exercice.

« - Bon. Maintenant que je t’ai présenté tout ça sous son pire jour, autant nuancer un peu. Le QG est très bien équipé, propre et l’ambiance là-bas est vraiment sympathique. Pour te dire, la plus grosse dispute que j’ai vécu là-bas a dû duré trois jours tout au plus, et s’est largement arrangée. Quant à tuer… C’est moins fréquent que ce que j’essaye de te faire croire. J’ai jamais tué. L’important, c’est de se défendre si tu te fais attaquer et de ne pas retenir tes coups, quitte à tuer si besoin – et de ne pas te faire avoir par les doux mots des Seraphs. Et si tu préfères fuir, fais donc. Ta survie vaut plus que la mort d’un ennemi. »

J’étais un sacré excité avant, faut bien l’avouer. Entre la torture de Lenna, la tentative d’assassinat sur Aleister, et mon sacrifice sans retenu sur le Major, j’étais un soldat obéissant et con à souhait – tout ce qu’elle ne veut pas devenir, j’imagine. Et elle fait bien.
Maintenant, reste à savoir s’il y a d’autres choses qui l’intéressent ; alors, sur cette pensée je me délecte d’une nouvelle tranche de bûche, découvrant qu’il n’en restera plus qu’une après ma bouchée. Merde, déjà ?

A vrai dire, je commence à avoir l’impression de lui présenter un club de scout, ou l’institut Xavier. Nan, sérieusement, si on fait des sorties ? Les taux d’entrée à l’université ? Si la bouffe du self est bonne ? Oh, pas que je la prenne pour une imbécile, je dois bien avouer qu’elle m’a assez étonné avec cette dernière question – et pourtant, il en fait pour me déconcerter. Bah, passons, avoir un ton arrogant ou jugeur c’est pas vraiment mon genre. Bon, sauf à quelques exceptions près, comme j’entends la voix de Luna le tambouriner dans ma tête.

Je toise un peu l’ultime part, la découpe en deux d’une lame presque fébrile, puis tends une moitié à Nemesis, en guise de prémisse de réponse. Le côté Castor Junior à part, sa remarque a du juste : rare sont les Nephils frais à se prendre au jeu de la guerre si tôt. En général, on se décide à sortir les coups létaux uniquement quand la situation l’exige une première fois, et ensuite ça devient un automatisme froid et terrifiant. Waw, je crois que je viens de détruire mon ambiance mentale avec une simple phrase. Joie.

« - Bon, les Ombres, t’as bien saisi, ce sont des monstres, rien d’humain, pas de conscience, que de la haine. Quant aux contractants, tu peux, tu peux.  Même si je t’admets que parfois des missions d’élimination tombent, quand un Seraph est un véritable fou furieux de l’épée. Mais notre Élue prend à cœur de respecter les choix de chacun quant à sa présence dans ce genre d’opération. »

Alors, honnêtement, j’en ai aucune idée. Sauf que je vois mal Juliet filer des ordres trop aux contrastes avec la mentalité de ses soldats, ça … Jouerait bien trop en sa défaveur. Preuve en est le coup de gomme de mon nom sur la liste des potentiels tueurs – promesse à laquelle le Commandement se tiendra, j’y compte bien.

« - M’enfin. Je rembobine un peu la discussion, mais ouais, on peut vivre là-bas. Y a des salles pour  s’entraîner, la possibilité de faire ça seul ou avec d’autres camarades, et puis … Ben, ouais, comme je viens de le dire, on a des missions, parfois. Quant à des sorties, on est quand même pour la plupart des adultes majeurs et vaccinés. Genre, on fait ce qu’on veut. »

Même Tommy, il se fait des petites virées. Bon, pour aller à l’école, mais c’est qu’un détail.

Qu’elle ait peur de mourir, de pas être à la hauteur, je peux bien le comprendre. On se sent pas à l’aise, au début – et même maintenant, derrière mes airs de fanfarons j’étais pas le serein des macaques tout à l’heure. Je me fends d’un air qui se veut rassurant, et puis, mon ultime bouchée terminée, j’écarte d’un lent revers le cadavre de paquet.

« - T’auras ta place. C’est notre responsabilité d’assurer ta survie lors des tes débuts ; et celles d’autres encore que s’en occuper quand tu auras déjà fait ton petit bout de chemin. Alors, sois rassurée. J’te demande pas de faire un Contrat, mais si tu décides d’en faire un, appelle-moi. Et je t’aiderai, je ferai en sorte que tu t’en sortes, je t’apprendrai ce qu’il faut. Et puis, quand t’en auras assez de voir ma gueule tous les jours, tu te trouveras d’autres petits Nephils pour t’épanouir, et tout se passera bien. »

Nan, sérieusement. Pour vivre avec moi en permanence, faut avoir un sacré pet au casque – d’ailleurs, j’ai jamais compris comment faisait Alice pour résister. Peut-être bien qu’elle se drogue, ou que Russel la paye en douce pour tout ça. Va savoir.
Bref, je laisse quelques doigts s’échapper de la table et venir attraper des billets dans ma veste, pour les déposer sur la table, tranquillement. De quoi payer toutes nos consommations, et le pourboire avec, évidemment.

« - Bon. Je pense que je vais devoir m’en aller, j’ai un peu de travail à faire. Si tu as d’autres questions, je reste joignable. »

Ouais, ça pourrait être une idée que j’aille voir si l’ami Aoba est toujours vivant, quoi. Parce que ça fait un petit moment qu’il est tout seul, ça commence à m’inquiéter.
Ceci mis à part, je me lève sans me presser, attendant quand même son retour d’au revoir. Qu’on s’y méprenne pas, derrière les apparences j’ai quand même un fond de bonnes manières, ha.

J’incline le menton, heureux de lui avoir servi – et d’un côté, pas si coupable de lui faire croiser mon monde -, puis je m’écarte de la table pour m’avancer vers la sortie, non sans lui accorder un dernier coup d’oeil.

« - Pas de souci. Bonne soirée à toi, à bientôt ! »

Peut-être. Parce que, derrière ses paroles, rien ne me promet qu’elle finira par m’appeler ; et au fond de moi, je ne sais pas franchement ce que je souhaite. Qu’elle échappe à ses tracas de sa vie humaine pour s’enfermer dans ceux de Contractants, je sais pas si le marché est tout entier gagnant, mais … Ce sera sa décision, en pleine conscience. Je pouvais pas franchement faire beaucoup mieux en guise d’explications, à moins de l’emmener au beau milieu d’un Kekkai en pleins affrontements. Sauf que, sans lui montrer Bey, je vois mal comment faire un truc de la sorte – enfin, si je fais ça, je vais disparaître, sans qu’elle face le trajet elle aussi. Alors, inutile.

Là-dessus, je pousse la porte de la brasserie et sort, levant un instant le nez pour me repérer. Chut, on a tourné, faut que je retrouve dans quel direction habite Aoba. Ah, par là-bas, je crois.
J’espère qu’il lui est rien arrivé, quand même. On a dû discuté une petite heure avec Nemesis, et ça fait quand même pas mal de temps, faut bien l’avouer. Oh, pas qu’il soit une tanche en matière de survie, mais quand même… Une mauvaise rencontre est si vite arrivée, surtout dans son quartier.
Bref, j’accélère la cadence et trottine presque, soudainement bien plus pressé de rejoindre sa maison, trichant même à quelques occasions en me téléportant quand aucun regard n’était rivé sur moi. Crève pas comme un abruti garçon, ça n’arrangera ni toi, ni moi.