Flagrant délit de contractant

E

ncore une journée banale au magasin depuis que je suis revenu. Je me contente de rester assis sur la chaise près de la caisse, restant à disposition au cas où des clients entreraient même si j'avoue qu’aujourd’hui il n'y a pas grand monde.

- Aoba, aides-moi à ranger ce carton s'il te plaît.

Fit le patron en m'indiquant l'étagère derrière moi.

- Hai

Je me relève, saisis la boîte et tend les bras vers le haut avant de poser l'objet en hauteur à l'aide d’une chaise. Et oui, le meuble est trop grand même pour moi. Une fois fait, je retourne à ma position initiale alors que mon vis à vis m’annonce qu'il me laisse la boutique quelques instants pour aller voir un fournisseur. Ça ne renverse pas mes habitudes, au contraire puisqu’il me laisse souvent la garde du lieu même quand son fils est là c'est à moi de gérer mais ce qui m'a surpris, c'est qu'il ne m’a pas tenu rigueur de ma longue absence. Quand je suis revenu, c'était comme si rien ne s'était passé comme si j'étais parti depuis la veille. L'influence de Maeru peut être ? Aucune idée. Toujours est-il que j'ai pu reprendre ce travail sans encombre. Je soupire un instant et me remet sur la chaise alors que le téléphone sonne.

- Janku Shop Heibon à l'appareil, je peux faire quelque chose pour vous ?

Répondé-je en décrochant le combiné, un stylo en main avant de regarder l’ordinateur tandis que quelques clients entrent dans le bâtiment.

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A

pparemment, l'appel concerne un renseignement sur un produit en particulier. Je me contente donc de pianoter sur l’ordinateur avec ma main libre, gardant mon stylo sur cette dernière.

- Oui, effectivement, il nous en reste quelques uns. Je vous prend la commande ?

Demandé-je en recalant correctement le téléphone près de mon oreille tandis que je jette un coup d'oeil furtif sur la boutique. Pas grand monde comme il y a quelques minutes, j'aperçois juste vite fait un retraité que je devrais sans doute aider, une jeune fille et 2 hommes avant de diriger mes yeux vers l’écran à nouveau. Faisant valser le petit objet entre mes doigts, j'écoute la réponse de mon vis à vis tout en acquiesçant. J'étais d'ailleurs sur le point de lui répondre à mon tour puisque ma demande semblait positive mais un son vient résonner à travers le combiné, son caractéristique et similaire à une ligne coupée.

《 Are ? 》

Qu'est-ce qu'il se passe ? Instinctivement je regarde le dit téléphone avant de poser mes yeux sur le magasin quasiment vide et… Attends… Vide ?

- He…?

Fis-je étonné en gardant le téléphone en main. Un Kekkai ? Mais…? Nan-... Quoi ?!
Mais le choc est loin d'être terminé puisqu’il y a une personne ici. Oui. L'un des clients et il semble se diriger vers…

《 C'est une blague…? 》

Un contractant qui active sa barrière ici pour… En habitude, je crois que je serais resté en retrait puisque je ne connais pas le camp de mon comparse mais m'interrompre sur mon lieu de travail c'est juste… Non. Je me relève directement avant que l’homme ne me remarque et me poste devant lui alors que la porte menant à la salle des employés est juste derrière mon dos.

- Je peux vous aider ?

Commencé-je en croisant les bras, l'air sérieux avec un sourcil arqué. Il a intérêt à avoir une bonne excuse parce que je ne vois aucune ombre dans les parages et je ne le connais pas donc c'est très peu probable qu'il ait activé son kekkai pour moi. Étonnant de voir que je prends plus d'assurance quand ça concerne le boulot en fait.

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V

isiblement, il ne s'attendait pas à voir un autre contractant dans la barrière donc ça renforce l'attrait suspect de sa manoeuvre même si je dois dire que son excuse… est douteuse…

《 Ben voyons. 》

Monsieur voulait juste visiter. Je suis peut être calme mais… Je sais pas... J'ai l'air si con ? D'ailleurs, mon acolyte vient dévoiler son camp rapidement puisque j'aperçois une marque sur la paume de sa main. Je ne suis pas du genre à cacher que je suis Nephil mais pour une fois je ne dis rien, me contentant de le fixer nonchalamment : Tous les magasins possèdent une salle de stockage et il n'y a qu'une seule autre porte dans cette boutique. Il est donc plus que suspect.

- Je vois… S'il n'y a aucuns soucis, il n'y a donc pas d'inconvénients à ce que je vérifie votre sac.

Annoncé-je en le regardant droit dans les yeux, les bras toujours croisés. Je ne suis pas né de la dernière pluie. Le kekkai a plus d'une utilité et il est facile de voler quelque chose avec cette capacité, n'importe quel contractant fini par s'en rendre compte un jour. Peu importe la faction de toute façon, même s'il avait été Seraph j'aurais réagis de la même manière. D'ailleurs, j'ignore s'il a effectivement profité de la situation mais je vais bientôt le savoir.

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’expression “prit la main dans le sac” prend tout son sens dans cette situation. Mon acolyte a tout de suite perdu son sourire niais pour m’avouer qu'il voulait effectivement profiter de la situation, il m'avoue même avoir subtilisé une clé USB. Je saisis donc le dit sac sans changer d’expression et vérifie toutes les ouvertures avant de tomber sur l'objet volé en question. L’appareil toujours en main, je rend son barda à l'inconnu en lui lançant vite fait.

- Et après l’élue dit que ce sont les Seraphs qui sont fourbes…

Soupiré-je discrètement en passant une main dans mes cheveux avant de regarder mon vis à vis. Selon moi, les deux factions sont identiques. Seul le chat et la marque sont différents et c'est suffisant pour se faire la guerre. À chaque fois que j'y pense, je trouve ça stupide.

- Je ne suis pas du genre à faire la leçon aux autres... et puis... bon… Je ne pense pas que ce soit utile.

Répondé-je lassé après un moment bien silencieux tout en rangeant l’objet. Vu la tête qu'il me tire, je pense qu'il a compris que son idée était nulle.

- “Faute avouée, faute à moitié pardonnée” on va dire.

Terminé-je en recroisant les bras tout en le fixant.

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M

on vis à vis devine très rapidement ma nature ou plutôt… Le chat avec lequel j'ai passé un contrat : mais de là à dire que je suis un de ses partisans c'est un peu gros, surtout depuis ce massacre qu'ils ont organisé. En vérité, je suis loin d'être un partisan de la bestiole noire. Ni de l'autre d'ailleurs. En fait, je ne prend parti pour aucuns des deux. Je ne veux pas cautionner tous ces actes… Je ne voulais pas non plus combattre ces choses même si j'y suis obligé… Alors je ne dis rien, je détourne juste les yeux, acquiesçant de la tête pour confirmer sa pensée tandis que mon comparse retire son kekkai avant de se présenter même si sa dernière réflexion ne me fait tirer qu'un seul mot.

- Non.

Répondé-je un peu sèchement en le regardant. Ça reste du vol. C'est bien trop facile de penser comme ça : comme si la vie était si simple, qu'il suffisait de dépouiller les autres pour vivre heureux sans faire l'effort de l'obtenir soi-même. Ça fait peut être idéaliste, un peu trop même et c'est vrai que cette option m’a traversé l'esprit mais ce n'est pas la bonne manière de faire. Je ne le répète pas assez mais “la fin justifie les moyens” n'est pas une méthode que je cautionne. C’est avec une façon de réfléchir aussi stupide qu’on peut tout se permettre. Comme celui qui a essayé d’exterminer les Seraphs. La violence et la douleur n'engendreront jamais rien d'autres que la violence et la douleur et je ne veux pas d'un monde comme ça. Je ne veux pas participer à ça. Je ne me le pardonnerai pas. Je n'arriverai plus à me regarder en face et tant pis si je paraît trop utopiste ou que ces pensées déplaisent aux autres. Si j'agissais comme eux ce ne serait plus moi. Mais je fini par soupirer en lui donnant mon prénom pour lui retourner la politesse même si je n'ai pas trop aimé sa soudaine familiarité à mon égard.

- Je ne sais pas qui vous a vendu tout ça comme une famille mais j'ai bien peur que la réalité vous ait été exagérée.

Fis-je après un long moment de silence en retournant devant l’ordinateur. Ce Peter vient d'embarquer dans un gros bordel : une guerre pour ainsi dire. En tout cas, ce n'est pas une famille, c’en est même très loin. Ça ressemble plus à une base militaire en tout cas : on ne parle que de cette fichue guerre, des méchants Seraphs, etc etc… Oui, je commence lentement à devenir négatif par rapport à tout ça. Les Nephils ne sont pas méchants bien sûr, enfin ils n’ont pas l’air d'avoir de mauvaises intentions mais… Ce qu'ils ont fait me reste en travers de la gorge. Ils ont tué d'autres gens pour arrêter l'affrontement : c'est ce qu'ils disent. Mais ils déguisent la réalité, ils ne font que se voiler la face pour justifier tout ça. Tout comme l'exemple que m’a sortie l’élue. Depuis quand les bombes nucléaires étaient la meilleure solution ? C'était surtout la plus sanglante. Et les Nephils ont choisi la pire voie pour mettre fin à cette guerre qui n'est au final pas terminée. Ça me déprimerait presque...

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M

’asseyant correctement sur la chaise de bureau, je m'apprête à me remettre au travail mais Peter s'excuse de nouveau. Tout à l'heure, j'aurais très bien pu le réprimander, voir même le signaler aux autorités si j'étais vraiment fourbe. Bon, c'est quand même un peu irritant d'avoir été coupé tout à l'heure mais ses excuses semblent sincères alors je hausse les épaules et attrape le combiné du téléphone fixe.

- “Allô la police, oui, un Nephil a tenté de voler une clé USB”.... Un truc comme ça ?

Rié-je légèrement en reposant doucement le téléphone.

- Je plaisante. C'est pas la première fois que ça arrive et ce ne sera certainement pas la dernière.

Fis-je en lui souriant.

- Le monde est comme ça.

Dis-je d'un ton un peu plus pensif avant de m’affaler sur le bureau, les bras croisés pour poser ma tête dessus, réfléchissant longuement. Il y aura toujours des gens qui font de mauvais choix et/ou qui agissent mal. J'ai beau ne pas vouloir participer à cette guerre… Je ne sais pas s’il est possible de faire la paix. Ce serait une bonne chose. Si ça pouvait arriver. Plutôt que de s'entretuer, de répandre la souffrance partout… Je veux dire, ceux sont les ombres la menace principale non ? Et chaques camps les affrontent. Au final, même mon acolyte finit par en parler, ce qui me surprend un peu. D'une certaine façon, je me rend compte que ma façon de penser… N'est peut être pas si rare. C'est un peu rassurant.

- C'est vrai mais… hm… En soi, je ne pense pas qu’ils y sont tous indifférent. Chacun le vit différemment et a eu sa propre expérience de cette guerre.

Avoué-je en restant dans la même position avant d'attraper le stylo près du clavier sans pour autant me redresser.

- Je pense surtout qu'ils ferment les yeux et essaient de relativiser en prétextant un groupe soudé et uni contre les “méchants” même si c'est pas vraiment le cas. Le truc… C'est que cette guerre est un cercle vicieux : haine, violence, souffrance, tristesse et mort. Voilà tout ce que ça engendre et au train où vont les choses… C’est pas près de s'arrêter.

Soufflé-je en fermant les yeux quelques secondes.

- Après, je ne suis pas d'accord donc… C'est peut être pour ça que je n'arrive pas à m'intégrer non plus.

Mouvant l'objet dans ma main, comme pour avoir quelque chose pour m'occuper, je continue d’exprimer le fond de ma pensée.

- Enfin, dans tous les cas, je doute que l'opinion d'un Nephil aussi insignifiant que moi intéresse grand-monde. Bien au contraire. Seuls ceux qui participent activement et approuvent ce conflit semblent avoir de la valeur.

Terminé-je en me remettant comme il faut sur la chaise, m’étirant un coup. Ça fait bizarre de dire ça tout haut sans me méfier d’un Nephil, j'ai l'impression de me libérer d'un poids pour une fois.

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peine ai-je légèrement exprimé mes pensées que je me cale correctement sur mon siège tandis que Peter me pose une question. Une question qui me laisse un peu songeur je dois dire. Si j'ai pris part au conflit hein…

- Qui sait ?

Lui sourié-je sans grande conviction même si en y réfléchissant…

- C'est vrai que j'ai été confronté à quelques problèmes à cause de cette guerre mais… Je ne suis pas le plus à plaindre je pense.

Il y a pire que moi. Sûrement. Enfin… Même si je parle en toute confiance, je ne peux parler ouvertement de tout. Bibi… Si jamais ça se savait… Est-ce que les Nephils approuveraient ? Non… Certainement pas… pas avec les mentalités qui règnent là-bas… J'ai un peu peur pour l'avenir mais je ne veux pas m'éloigner de lui. Pas après tout ce qu'on s'est dit. Je n'ai pas eu énormément de mauvaises expériences avec les Seraphs contrairement à d'autres en tout cas. Alors, c'est non sans surprise que je regarde mon interlocuteur quand il s'installe à côté de moi pour me demander des informations. Je soupire un instant, pas par irritation mais parce que je suis moi-même perdu par rapport à ce sujet.

- J'aimerais bien qu'il y ai une logique moi aussi mais malheureusement je n'en sais pas plus que toi…

Soufflé-je en ramenant mes yeux ailleurs après un mini silence en posant mon stylo sur le bureau, l'air soucieux.

- Les seules raisons qu'on m’a donné ne tiennent malheureusement pas la route vu l'ampleur du conflit je dois dire.

- On nous raconte une histoire d'énergie limitée qui est censée expliquer pourquoi on se tape dessus mais… pour ma part, ça ne m’a pas convaincu.

Lorsque j’ai été confronté à l’élue… Malgré sa gentillesse… J'ai eu l'impression qu'elle considérait les pacifistes comme des enfants gâtés aux idées irréalisables. À chaques arguments elle trouvait une parade donc je n'ai pas pu exprimer mon opinion comme je le sentais mais de là à tuer pour une histoire de ressources… Dire qu'un massacre est bénéfique pour cette seule raison… Je ne veux pas y croire.

- Mais si je peux te dire une chose c’est que je ne te souhaite pas de la connaître même si tu risques d'y être confronté tôt ou tard. Les Seraphs ne sont pas aussi machiavélique que ce qu'on s'évertue à nous faire croire alors, si jamais ça t'arrive. Fais ce que tu penses juste. Pas en t’appuyant sur des rumeurs ou de la propagande mais sur tes propres opinions. Forges-les par toi-même.

Avoué-je en me tournant vers lui d'un air sérieux.

- C'est la meilleure façon de ne pas avoir de regrets je suppose…

Terminé-je en souriant chaleureusement. Et je le pense vraiment. Mais avec ce que mon vis à vis m’a dit, je me sens moins seul qu’avant. Je commence à rencontrer des Nephils aux idées moins radicales et d'une certaine façon je suis rassuré. C'est bon à savoir même si j'espère que mes paroles ne se retourneront pas contre moi un jour. Je les assume mais il suffit que je sois tombé sur quelqu'un qui ne partage pas mes idées pour que tout bascule. De toute façon… Avec ma relation, j'aurais dans tous les cas des soucis un jour ou l'autre… Sûrement…

hrp: