La morgue. C'est la première fois que je vois un tel endroit, même si comme tout le monde je sais très bien de quoi il s'agit. Enfin pour l'heure je suis devant le bâtiment, à observer cet endroit austère qui garde des morts. Je savais très bien que tôt ou tard je finirais ici, mais j'aurais cru que ce serait une fois déchiquetée par des Ombres trop puissantes pour moi, ou prise en embuscade par plusieurs Seraphs. D'un autre côté... Ma venue n'est pas si étrange que ça. Elena...

J'ai reçu un coup de fil ce matin, juste avant d'aller en cours. Ca m'a paru étrange : on ne m'appelle jamais. Seule exception : Ashlan, quand il y a une urgence ou un rapport important qui ne peut pas attendre. Et ce n'était pas son numéro affiché sur l'écran. Quand j'ai décroché, entendre une voix professionnelle m'annoncer le service de police m'a surpris de plus belle. La suite, bien que tout aussi étrange, un peu moins. Une jeune fille a été retrouvée morte, apparemment gravement abimée, et elle serait dans la même fac que moi. Après une enquête rapide et efficace, il s'est avéré que je la connaîtrais et on avait donné mon numéro.

Je n'ai pas eu besoin de longtemps pour savoir de qui il s'agissait. Elena était une Nephil depuis 6 mois. Elle n'était pas dans ma classe, elle étudiait l'histoire, mais je l'avais déjà croisée quelques fois, à la fac comme au QG. Elle n'avait pas l'air très douée pour le combat, mais c'était une personne gentille qui rendait toujours service aux autres. Le genre de personnes qui devaient absolument changer pour espérer survivre longtemps dans ce monde... et qui n'avait plus donné signe de vie depuis quelques jours.

Ils ont besoin d'une identification formelle. Apparemment le corps a été trop abîmé pour qu'ils puissent confirmer son nom. J'ai eu envie de raccrocher, cela ne me concerne pas, mais c'est faux. Elena faisait partie de ma famille. Je n'ai pas pu l'aider de son vivant... si je peux au moins remplir un peu mon devoir de sa mort, je dois le faire. Cela ne changera rien, mais au moins pour les humains normaux elle existera encore un peu. J'ai donc accepté de venir en début d'après-midi, après les cours, et j'ai raccroché sans rien ajouter.

Encore une disparue... Ombre ? Seraph ? L'examen du corps devrait me l'apprendre. Je serre un peu les poings devant le bâtiment tandis qu'Inuki se frotte contre mes jambes pour me soutenir. Que ce soit l'une ou l'autre, je ferai de mon mieux pour les combattre et protéger ma famille. J'en ai assez de toutes ces morts contre lesquelles je n'ai rien pu faire. Dois-je pour les empêcher exterminer tous les Seraphs, comme Shizuo le veut pour nous ? Je n'ai pas envie de tomber dans ce piège-là, mais...

Inuki couine contre moi et je secoue la tête. Non. Pour le moment, je dois identifier Elena, et savoir qui l'a tuée. Les décisions viendront plus tard. Je hoche la tête et rentre enfin dans le bâtiment. Je dois sûrement faire tâche ici, avec ma tenue et mon sac d'étudiante, mais cela m'est bien égal. A l'accueil, je me présente et la personne passe un coup de fil pour prévenir de mon arrivée. Les mains croisées devant moi, j'attends, tandis qu'Inuki se met à renifler un peu partout, invisible pour tous ces humains.

Inuki change subitement d'intérêt pour se précipiter vers l'entrée et je me retourne, apercevant alors le Seraph que j'ai déjà croisé dans les plaines. Que fait-il ici ? Remarque... je crois me souvenir qu'il y avait une affaire étrange la dernière fois, de ses questions et des sirènes. Peut-être travaille-t-il dans la police, ce qui semble logique vu l'endroit où je me trouve à l'heure actuelle. Inuki se met à lui tourner autour, le reniflant sans le toucher, mi-curieux mi-méfiant, mais pas agressif. Cela me suffit pour considérer que, pour le moment, il n'est pas hostile. Je n'ai donc pas à l'être aussi. Méfiante, oui, bien entendu. Mais pas hostile. Je hoche la tête pour lui rendre son salut et note alors qu'il connait mon nom. Il a dû se renseigner, et s'il sait qui je suis, il doit aussi être au courant de mon rang. On repassera pour la discrétion. Ca ne me plait pas du tout.

- Bonjour.

Je préfère éviter de croiser des Seraphs, peu importent les circonstances, mais inutile de lui dire. Ce doit être assez évident comme ça et je suppose que ça pourrait être vexant. De toute façon je ne suis pas une grande bavarde et un homme vient nous chercher, coupant court à toute discussion. Cette situation m'intrigue : je pensais que je serais seule avec le médecin légiste, mais non. Il y a ce Naoto, mais également un autre homme en plus d'Inuki et moi. Ca me paraît beaucoup pour une affaire d'identification, mais je suppose qu'ils sont là pour autre chose. Est-ce que c'est monnaie courante de mélanger ainsi les différents protagonistes d'une affaire criminelle ? Peut-être. Je n'y connais rien.

Silencieuse, Inuki revenu sur mes talons, je suis les indications de notre guide pour rejoindre le fameux médecin légiste. Je l'observe un peu, le regard neutre, ne laissant pas transparaître la moindre émotion, tandis que mon compagnon vient lui tourner autour pour l'inspecter. Personne ne voit Inuki, à part Naoto, alors il peut vérifier chacun sans être dérangé. Cet homme a l'air dur, professionnel, et je suppose qu'il vaut mieux quand on fait ce métier. Il pose alors plusieurs objets sur une table, dont je reconnais la moitié : Elena portait toujours cette médaille. C'était un porte-bonheur, soit-disant. Je doute que ça ait été efficace... quant à la carte, même abîmée, c'est la même que la mienne, et c'est sans doute grâce à elle qu'ils ont pu me contacter.

L'homme s'adresse à Naoto avec le titre d'inspecteur. Cela confirme bien qu'il travaille dans le milieu, et je suppose que ça explique comment il a pu trouver mon nom alors que je lui avais donné un faux prénom. C'est dangereux. Un Seraph capable de faire des recherches poussés pourrait être une menace importante envers ma famille. Traquer ses membres efficacement pour mieux les éliminer... je n'aime vraiment pas ça. Faut-il que je réfléchisse sérieusement à la question d'agir contre eux ? Peut-être...

Je me contente de hocher la tête quand le médecin légiste me salue. Deion Wick selon ses mots. Je n'ai aucune question à poser, alors je me contente d'attendre la suite. Inuki revient près de moi, un peu méfiant. Il n'aime pas trop l'ambiance qui règne ici et préfère se tenir prêt au cas où. Le médecin légiste me montre les objets que j'ai déjà reconnu et je hoche à nouveau la tête.

- Je reconnais cette médaille, mais c'est une forme répandue. Je préfère voir le corps pour m'assurer qu'il s'agit bien de la personne à laquelle je pense.

Ma voix est neutre, dénuée de toute émotion. Je veux être certaine que c'est bien Elena, même si mon instinct me le confirme déjà. Que cet homme me pense trop fragile pour voir un corps lacéré par des Ombres ou un Seraph m'indiffère. Je ne crains pas le sang et les viscères exposées à l'air libre. J'en ai déjà bien assez vu comme ça pour m'y être habituée. Sans doute est-ce triste vu mon jeune âge, mais je n'y peux rien.

En attendant, j'écoute attentivement tout ce qui se dit autour de moi. Ainsi il a trouvé des balles dans le corps d'Elena ? Cela est étrange. S'il s'agissait d'un Seraph possédant une arme à feu, il n'y aurait aucune douille. Elles disparaissent une fois le pistolet ou le fusil révoqué. A moins qu'il n'ait utilisé une arme humaine ? C'est possible. Et l'homme que je ne connais pas possède un "établissement" en rapport avec ce genre d'objets ? Un vendeur d'armes, un armurier donc. Je ne sais pas si c'est utile à savoir, dans le doute j'enregistre l'information.

Enfin l'inspecteur Naoto, ou plutôt Shirogane si j'en crois Wick, semble ici pour prendre l'enquête en main, rien d'inhabituel à en croire le médecin légiste. Il sort alors des masques d'hygiène et en enfile un. Je ne suis pas malade mais je suppose que c'est plus pour nous protéger des vapeurs du corps qu'autre chose, ce qui confirme qu'il va bien nous le montrer. Tant mieux. N'étant pas ici pour faire des histoires, j'en prends un et l'imite pour me le mettre correctement sur le visage. En revanche je ne compte pas me retourner et me contente de le regarder, attendant qu'il retire le drap protégeant le corps. De toute façon, ses belles paroles ne semblent faites que pour la forme. Il n'attend pas notre réaction pour découvrir Elena.

Elle a été salement amochée. Ma première pensée en voyant ce qui reste de son visage est qu'une Ombre est passée par là. Les lacérations sont bien trop familières pour que je n'y songe pas. Pourtant il peut exister des Seraphs possédant eux aussi des griffes en guise d'armes, alors ce n'est pas une preuve suffisante. A en croire l'état de décomposition, la mort doit remonter à un certain temps. Combien, je n'en sais rien, je ne suis pas légiste, mais ça se voit bien que la nature avait commencé à faire disparaître la chair encore mangeable avant qu'on ne la trouve.

Malgré le masque, je sens l'odeur écœurante du corps, mais je reste impassible. Ca n'est pas pire que ce que j'ai déjà senti au foyer et même dans la rue, quand j'errais pour éviter de passer trop de temps avec les autres jeunes. Finalement, une seule chose me semble importante et je pose la question à voix haute, légèrement assourdie par le masque, toujours aussi dépourvue d'émotions.

- Est-ce qu'elle a été tuée par les lacérations ou les balles ?

La réponse est importante, même si elle ne m'apportera pas la certitude absolue quand à la nature de son assassin. Mais cela pourra me donner un début de piste. Pauvre Elena... si j'ai une chance de retrouver celui ou celle qui l'a tué, alors j'aurais une chance de le détruire et ça fera un ennemi de ma famille en moins.

L'inspecteur, puis le légiste confirment que ce sont bien les lacérations la cause de la mort. Maintenant, Ombre ou Seraph... ? Je ne peux bien évidemment pas leur demander. Ce serait trop facile n'est-ce pas ? Inuki gronde un peu vers le corps, un court instant. Ne t'en fais pas, peu importe qui est le responsable, on le retrouvera tôt ou tard.

Je ne suis pas une policière, et même si j'estime ne pas être plus bête qu'un autre, je n'ai pas les compétences d'un inspecteur ou d'un légiste. Mes études sont en psychologie, pas en criminologie, même si j'ai la possibilité d'allier les deux en me spécialisant. Cela ne m'empêche pas d'écouter et d'essayer de suivre ce que ces hommes se disent. La fuite d'Elena, des balles impressionnantes, trop pour une jeune fille comme elle, mais pas pour autant responsables de sa mort finale. Est-ce que le propriétaire de l'arme n'était qu'un simple humain et ce n'est que pur hasard si une Ombre était dans le coin et en a profité ? Ce ne serait pas impossible. Je suppose que, tant que la police n'aura pas retrouvé le tireur, on ne saura jamais.

La seule chose que je veux savoir pour le moment, c'est si ces lacérations proviennent bel et bien d'une Ombre ou pas. J'écoute la suite tandis que Wick en vient justement à ce sujet dont les analyses semblent terminer. Et ce qu'il en dit me conforte dans mon opinion : Ombre ou Seraph, c'est forcément l'un des deux. Cette mort n'a rien de classique. Comment différencier l'un de l'autre par contre... ni les Ombres ni les armes des Seraphs, comme les nôtres d'ailleurs, ne laissent de traces pour le monde normal.

Wick ne comprend pas le résultat de ses opérations, et ce n'est pas moi qui vais l'aider. En revanche je peux répondre à une de ses questions, même s'il ne l'a pas reposée, sans doute oubliée parmi toutes les autres.

- Je vous confirme l'identité de cette personne : Elena Darlian.

Comment savoir ce qui l'a tué... je ne sais pas. Je jette un coup d'oeil à l'inspecteur Seraph. Hors de question que je m'allie une nouvelle fois avec lui, mais... c'est la seule personne ici qui peut comprendre ce qui s'est passé au même niveau que moi, et donc m'apprendre s'il s'agit d'une Ombre ou d'un des siens. Seulement... en fait non, je ne peux même pas en être sûre. Il n'est pas stupide, il doit bien savoir que, si c'est un Seraph qui a fait cela, alors je n'hésiterais pas à le traquer pour le faire payer. Qui irait donner un membre de sa famille ? Personne. Enfin... j'aimerais le croire, mais non, je sais que c'est faux.

Je secoue un peu la tête tandis qu'Inuki vient se frotter à mes pieds.

- Est-ce qu'en tant qu'amie de la victime j'ai le droit de connaître l'avancement de l'enquête ?

Officiellement je suppose que je n'ai plus rien à faire ici. On m'a appelée pour identification, j'ai accompli ma tâche. Mais je veux en savoir plus. Au moins qui est le responsable des lacérations. Le reste n'est pas si important. Si j'ai le droit de savoir où en est l'enquête, cela me permettra de suivre et, peut-être, d'avoir la réponse à ma question. Sinon... je pourrais toujours revenir menacer Wick ou Shirogane pour connaître l'état de la situation. Mais j'aimerais éviter d'en arriver là.

Shirogane me confirme ce que je soupçonnais déjà : je ne peux pas suivre l'enquête de près, ce qui est logique. Les forces de l'ordre ne s'en sortiraient pas si elles devaient rendre des comptes aux proches des victimes. A part me faire potentiellement interrogée pour des détails sur la vie d'Elena, je ne pourrais avoir que les informations qu'ils voudront bien me transmettre. Sans doute rien en somme. Cela ne me plait pas, mais je ne suis qu'une étudiante, je n'ai aucune prise sur la police, et je n'ai aucune raison d'insister.

- Je vois.

En revanche, rien ne m'empêche en tant que Nephil de mener ma propre enquête, ce que je compte bien faire. Il est tout simplement hors de question de laisser cette mort impunie, surtout qu'à écouter ces professionnels du crime elle a dû souffrir. Ombre ou Seraph, ou peut-être même les deux, je retrouverai les responsables. Il doit bien y avoir un ou deux Nephils travaillant dans les forces de l'ordre qui pourraient me renseigner sur l'avancement de l'enquête officielle pendant que je continuerai sur un aspect plus officieux. Et si ce n'est pas le cas et que je n'avance pas, alors je devrais me rabattre sur Shirogane, puisque c'est lui qui mènera la danse.

Je lui lance un regard appuyé, sans doute peu expressif mais suffisamment insistant pour qu'il comprenne bien que je n'en resterai pas là, oh non. Et qu'il ne tient qu'à lui que la suite se passe bien. Je suppose que, s'il découvre qu'un Seraph est responsable en partie de la mort d'Elena, il voudra le protéger, et je ne peux que le comprendre. Mais de mon côté je ne lâcherai pas l'affaire, peu m'importe les obstacles. Je n'ai jamais été très proche de cette Nephil, mais c'était un membre de ma famille. Cela me suffit pour chercher réparation. Vengeance ? Tout dépend du point de vue. Je ne suis pas comme Shizuo, je ne compte pas provoquer un bain de sang. Je veux simplement découvrir la vérité et sanctionner le coupable à la juste valeur de son crime. Ce qui ne signifie pas forcément le tuer. Pour le moment.

Le dernier homme explique de manière très technique ce que sont les balles qui ont frappé Elena. Je n'y connais rien, et cela ne m'intéresse pas vraiment, mais j'essaye de retenir au moins la taille, 12,7 mm. Ca peut être important si jamais je découvre un Seraph utilisant ce type de projectiles.

- Si vous n'avez plus besoin de moi, je vais retourner en cours.

En passant à l'accueil pour demander précisément où Elena a été retrouvée. Les cours attendront, je compte bien passer sur la scène de crime comme on dit pour jeter un coup d'oeil. Peut-être qu'Inuki trouvera quelque chose. Il revient s'asseoir à mes yeux, le poitrail un peu en avant, en fixant Shirogane, le défiant de s'approcher. Je suppose qu'il doit sentir une certaine tension entre nous. Le médecin légiste hoche la tête et confirme qu'il n'a plus besoin de moi. Parfait. Je jette un dernier coup d'oeil au corps d'Elena, retire le masque pour le laisser sur une table, puis salue les autres et quitte la salle

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