Chez le père d'Alice:

Assis contre le mur, John contemplait l’étendue de sa chambre. Sur le sol étaient jonchés des paquets de chips, des assiettes sales et des vêtements qui l’étaient tout autant – quelques télécommandes parsemaient ce décor chaotique, le nombre de bouteilles de soda vides impossible à exprimer. Depuis son retour, Cassandra avait daigné le laisser un peu en paix à la vue de sa dépression latente, alors sa pièce était devenue une sorte de bazar monstrueux où des vestiges de nourritures s’entassaient les uns au-dessus des autres. Manger était devenu une sorte de havre de paix, de refuge dans la forteresse de solitude qui se construisait tout autour de lui.
Il avait échangé sa main contre son sourire, et peinait absolument à le retrouver ; la salle personne qui pouvait le lui rendre temporairement était Alice, mais il avait peur de trop la charger de ses émotions négatives. Le jeune homme ne voulait tirer personne vers le bas, mais Actée l’avait poussé cette nuit-là à avancer davantage vers ses proches, de ne pas les tenir éloignés de ses problèmes.

Alors, il agirait en conséquence. Après un long moment d’immobilité, il commença à rassembler les détritus et à tous les jeter dans la poubelle, rendant une apparence déjà plus respectable à l’environnement dans lequel il passait ses nuits. Ce qu’il s’apprêtait à faire était simple, facile, mais quelque chose l’effrayait. S’il venait voir son amie sans le masque qu’il s’imposait la journée, comment l’accueillerait-elle ? Perdrait-elle de l’estime pour lui, de l’amour ? Il n’en savait rien, mais voulait faire confiance au docteur.

Attrapant une T-shirt propre, sans vêtir plus en bas que son caleçon, il sorti et se dirigea droit vers la chambre d’Alice. A cette heure-ci, elle ne dormirait probablement pas ; mais ce qu’elle faisait, il n’en savait rien. Le trajet fut lent, long, propice à la réflexion – mais il finit par le clore, et à se retrouver dans un face à face profond avec la porte. Doucement, il toqua, puis attendit.

Lorsque la pièce se dévoila enfin à lui, il tenta d’adresse à la jeune femme un sourire, mais il sonnait faux.

« - Je peux entrer ? »

Pourquoi faisait-il ça ? Avait-il vraiment envie de parler de Nylian, du contrecoup de l’élixir ? Comment amener le sujet ? John n’avait rien prévu à vrai dire, mais il savait qu’il devait en parler ce soir. Sinon, il laisserait passer sa chance et n’aurait peut-être plus la motivation avant longtemps ; et il était bien plus agréable d’avoir l’impression d’avoir choisi le moment que d’y être contraint plus tard.

Alice n'était revenu que quelques heures auparavant. Elle devait aller en cours avant d'aller à Nightray Productions pour apprendre son futur métier. Ce n'était pas de tout repos. De plus, parfois son père continuait à lui arranger quelques rendez-vous, autant dire que la jeune femme n'avait presque pas un temps pour elle. Heureusement, sa nature de contractante lui permettait de ne pas être fatiguée de tout ça, et surtout qu'elle pouvait rester éveillée plus longtemps pour bosser ses cours, ou simplement passer un peu de temps avec John.

Ce soir, elle était encore accrochée à son bureau, faisant simplement des devoirs en rapports avec ses études supérieures. C'est alors qu'elle entendit quelqu'un frapper à sa porte. Elle tourna un peu la tête avant de se lever pour aller s'il s'agissait de Russel ou de John. En ouvrant la porte, elle eut alors un petit sourire. Malgré son sourire, elle l'enleva aussi tôt en voyant celui de son partenaire.

- Ça dépend, si tu me refais un sourire comme ça, il y a moyen que je te fasse sortir d'ici. Arrête de te forcer.

La jeune femme attrapa alors la joue de John pour lui la tirer un petit peu comme pour l'embêter avant de se décaler pour le laisser entrer dans sa chambre. Aussitôt, elle referma la porte derrière elle et rejoignit son bureau pour éteindre la petite lampe qui ne faisait qu'éclairer ses feuilles de cours avant d'allumer la lumière principale de sa chambre.

Tranquillement, elle retourna s'asseoir sur sa chaise de bureau, mais un peu décalé sur le côté pour qu'elle soit en face du lit et invita alors John à s'asseoir sur le bord du lit. Elle n'avait qu'une chaise dans un chambre, alors elle ne pouvait pas lui proposer une place qui n'existait pas.

- Ça ne va pas ? Tu veux parler ?

Alice n'avait pas vraiment charrié John comme elle le faisait avant. Elle considérait que son état actuel ne lui permettait plus de rire sur ce genre de chose. En fait, elle ne savait pas vraiment, mais elle ne voulait pas prendre de risque et le faire se sentir mal.

Bien qu'il n'arrive plus à éprouver quelque chose, il arrivait encore à être plus ou moins triste de tout cela, sinon, il ne serait pas ici pour parler de ces emmerdes, comme il le disait si bien. La jeune femme joint alors ses deux mains, posées sur ses cuisses et continua d'écouter son petit-ami. Elle afficha un petit sourire chaleureux.

- Je ne pense pas que tu sois vraiment apathique comme tu le dis. Si tu considères ces choses-là comme des emmerdes, c'est que ça doit au moins te faire quelque chose. C'est juste que...

Doucement, elle approcha sa chaise pour être juste en face de lui, laissant un genoux aller entre les siens et sa main se glissa sur l'une de ses joues.

- Tu n'arrives plus à avoir des émotions positives ? Si ça te préoccupe tellement, c'est que tu n'as pas tout perdu. Peut-être que tu as d'autres problèmes qui t'empêchent tout ça ?

Sa main descendit doucement pour venir attraper la sienne et jouer un peu avec ses doigts. Elle hésita un peu à poser la question, puisque dans l'état où il était, même elle se demandait si elle aurait une réponse positive. Elle se sentirait un peu vexée dans le cas d'une réponse négative, mais elle ne le laisserait pas pour autant tomber.

- Quand tu es avec moi … Qu'est-ce que tu ressens ? Rien ? Tu t'en fiches ?

Être gentille à ce point-là, c'était une nouvelle pour elle. Elle ne savait pas comment parler ou agir, un peu gênée ; mais elle était heureuse qu'il lui parle de ses problèmes, de ce qu'il pense, et de ce qu'il ressent.

Est-ce qu’il ressentait vraiment de la tristesse de ne plus rien ressentir ? C’est vrai que, de cet angle-ci, cela semblait être un non-sens total ; mais il y avait pourtant une part de vérité. La majeure partie du temps il était absolument apathique, et cela le laissait indifférent – mais c’était cette dernière qui l’effrayait justement. Auparavant, il était un jeune homme souriant, blagueur et imbécile sur les bords, bien loin de l’émo sans teinture qu’il devenait.
C’était la perspective de rester enfermé dans cet état d’âme qui l’amenait à un semblant de tristesse. Il se disait simplement qu’il voulait être différent, mais il n’y parvenait pas ; alors, il échouait. Ce sentiment d’impuissance réussissait pourtant à franchir les barrières invisibles de son esprit et l’envahissait tout à fait. C’était un apathique triste de l’être, un paradoxe sentimental qui n’avait d’explication que la mauvaise utilisation de termes médicaux.

« - Peut-être que tu as raison… Mais, à vrai dire je ne ressens pas tant que tu sembles l’imaginer. J’essaye d’imaginer ce que tu dois ressentir, et ça doit te lasser de voir que maintenant je suis complétement différent de celui que j’étais auparavant ; j’éprouve par procuration on peut dire. Je n’ai pas envie, enfin, ce n’est pas le bon mot, que tu regrettes le choix que tu as fait là-bas, et c’est pour ça qu’il faut que je change. Je ne sais pas comment, mais il faut. »

Volontairement, il avait occulté la part de la mort de Nylian là-dedans. En fait, il avait en quelque sorte honte d’en parler, car il avait fait preuve d’un égoïste qui l’aurait auparavant pâlir. Il ne prenait encore en compte dans le suicide de son amie que sa part, et ne voyait pas réellement le fait qu’elle soit partie à tout jamais ; il ne se lamentait pas sur sa disparition, mais sur le fait que lui y ait pris part sans le vouloir.

La question que souleva Alice força le jeune homme à poser un arrêt dans son regard. Etait-ce une menace ? Une façon maladroite de parler ? Dans tous les cas, il lui fallait réparer la méprise.

« - Non, non. Avec toi, c’est différent. Je ressens un peu de choses, bien plus que dans les autres moments. »

Il ne mentait pas, il était vrai qu’il sentait un sentiment légèrement agréable quand elle était présente, quelque chose de totalement absent quand il côtoyait d’autres personnes.

Il avait raison, beaucoup de choses étaient différentes. Déjà il y avait son comportement, mais il y avait cette relation. Savoir comment se comporter vis-à-vis de l'autre était même difficile pour Alice. A vrai dire, c'était dommage, elle aimait bien finalement les mêmes chamailleries à longueur de journée. Ça occupait les pensées, ça permettait de penser qu'à l'instant présent. Dire qu'au début elle ne faisait que parler sérieusement, maintenant c'était avec un humour assez spécial que partageaient les deux avant que John ne se fasse trancher la main. Comme il avait perdu toute émotion, il ne se sentait plus capable de blaguer comme avant.

Tout de même, à sa réponse, elle afficha un petit sourire. Quelle déception aurait-elle pu avoir s'il avait répondu qu'il ne ressentait rien lorsqu'il la voyait. Il aurait sans doute pris un coup de pied dans le derrière et chasser de la maison.

- Ne te force pas à changer. Ça le fera naturellement. Si tu te forces, tu vas finir par te détester et moi aussi. Ton comportement ne sera pas naturel, je ne pense pas que ça soit une bonne chose. Comme tu es actuellement, ça me va. Personne ne va te détester. Alors ne dis pas des choses telles que « il faut que je change ». Ne mets pas une telle obligation, tu n'en as pas besoin. Je ne veux pas être la petite amie de quelqu'un de faux et je ne regrette aucunement le choix que j'ai fait pour le moment.

Pas facile de conseiller les gens. Alice ne faisait que dire ce qui lui passait par la tête, mais encore, elle restait maladroite et ne savait pas si ce qu'elle venait de dire était vraiment la bonne chose à dire. Ce n'était qu'un avis comme un autre après tout. Libre à lui de demander conseil ailleurs pour savoir comment il devait agir ou comment faire.

- Cependant, reprit-elle, je ne t'ai pas dit que tu n'avais pas le droit d'avoir envie. C'est bien d'avoir l'envie de changer. Garde juste ça pour toi. Si tu veux redevenir comme avant, ou si tu veux t'améliorer, laisse le temps faire son travail. Les Hommes évoluent toujours et ne restent jamais pareil mon petit John.

Alice lâcha la main de John pour rejoindre les siennes sur ses genoux. Elle espérait d'un sens qu'il ait compris où elle voulait en venir.

Son visage prit une espèce de quart de moue vexée quand Alice évoqua son nouveau surnom très viril, mais il en afficha pas davantage – mais dans son esprit, ce sursaut de ressenti ne fut que très passager.
Mais John devait avouer que sa petite amie marquait un point ; qui aurait pu être décisif si ce jour-là n’était jamais arrivé. Désormais, le jeune homme n’en avait que faire de se détester, tout ce qui l’intéressait était de se rendre utile… Et être apprécié des autres faisait partie de cette tâche. Alors, qu’il en ait envie ou non, il lui fallait changer – sauf qu’il n’allait pas complétement se fermer et être imperméable aux conseils de sa douce.
Non, elle représentait son dernier rempart avant une totale apathie, et il comptait bien tout faire pour la conserver, lui plaire et l’aimer. Mêler objectif et sentiments, voilà ce que John souhaitait réaliser : il ne devait pas foirer aujourd’hui au risque de la perdre, ce qui était totalement hors de question.

« - Alors, si je dois laisser le naturel faire son œuvre, je dois rester près de toi. Tu m’as tellement changé depuis notre rencontre… Une sorte de pouvoir humain ? Quoiqu’il en soit, j’espère que tu es prête à me supporter encore davantage. »

La main qui avait rejoint celle d’Alice, le garçon prononça cette phrase avec une légère intonation d’espoir perceptible à l’oreille. S’il y avait quelqu’un qui était capable de modifier son comportement sans qu’il ne le décide lui-même, c’était bien elle : rare était ceux en mesure de transformer un voleur borné, haineux et solitaire en un jeune homme aimant et attaché en l’espace de quelques simples mois. Son état actuel étant dû aux effets secondaires de l’Elixir de Rekor, personne n’en tiendrait rigueur en tant qu’échec à la demoiselle – et il fallait bien que quelques imprévus ponctuent cette capacité.

« - Je… »

Une idée s’imposait dans son esprit, mais sa raison lui expliquait de cent cinquante manières différentes que c’était impossible.

« - Je sais que ne peux pas, mais … Tu penses qu’on pourrait partir un peu à l’écart, simplement deux jours ? Être loin des problèmes, et seulement à deux… »

Non, définitivement, Alice ne pourrait pas à cause de son travail. Mais il avait demandé, c’était l’important.

La jeune femme n'avait pas pu s'empêcher de baisser la tête pendant qu'il lui parlait. C'était à cause de certaines rougeurs qui étaient apparu sur ses joues. Elle voulait les cacher, mais de toute façon, John était bien trop prêt pour espérer qu'il ne les voit pas ; trop embarrassant. Ce n'était pas les mots en eux-mêmes qui avaient fait cet effet, mais plutôt la voix de John et les intonations de sa phrase.

D'une certaine manière, John l'avait changé aussi, tout ça allait dans les deux sens. Peut-être l'avait-il rendu un peu moins pourrie et gâtée comme dirait certains. Même si son comportement vis-à-vis des autres n'avait pas tellement changé, celui qu'elle entretenait avec John était devenu tout bonnement autre chose à sa grande surprise.

La proposition de John était intéressante, cependant, elle avait beaucoup trop de travail pour se permettre cette sortie. Alice aussi avait néanmoins besoin d'une pause de temps en temps. Elle travaillait presque avec acharnement, entre ses cours et ses visites à Nightray Production. Cela n'en finissait pas. De plus, il lui arrivait aussi d'arriver bien tard à cause de ces rendez-vous stupides organisés par son père.
Il lui fallait une solution, c'est-à-dire, en parler avec son père. Bien sûr, elle ne comptait pas parler de la vraie raison ou John se retrouvera sans doute sous une tombe dans les jours qui suivraient cette déclaration.

- En général, j'ai mon dimanche de libre. Le week-end je n'ai pas cours, alors je peux peut-être m'arranger avec mon père pour qu'il me laisse mon samedi pour une fois. Je ne pense pas qu'il puisse refuser, j'ai fait tout ce qu'il voulait jusqu'à présent.

Elle fit une courte pause pour remonter son regard vers le jeune homme.

- Il faudra juste attendre quelques jours, si ça ne te dérange pas.

Elle avait consenti. Vraiment, elle venait de lui proposer de s’échapper le week-end qui arrivait, étant en mesure de jouer de quelques excuses et congés auprès de son père – cachant toujours sa relation avec le jeune homme. Un fait que l’apathie de John empêchait celui-ci d’y porter trop d’attention, mais cela demeurait un problème à résoudre tôt ou tard. Enfin, voilà qu’ils avaient déjà des choses plus importantes à accomplir avant d’officialiser tout cela, surtout que ce serait un détail à la dénomination euphémisée. Comment convaincre un vieux conservateur riche, pas bobo pour un sous et attaché aux traditions, de laisser sa fille vagabonder aux côtés d’un type sans identité, héritage ou argent ? Le mariage n’était évidemment pas en question ; ce serait un peu précoce dans cette relation naissante, mais l’arrêt des speed datings pour la belle serait quelque chose que le Nephil apprécierait fortement. Tant est qu’il était en mesure de réellement apprécier quelque chose pour le moment.

« - Merci… J’ai une mission prévue cette semaine, mais ça ne devrait pas durer plus d’une nuit je pense. Je vais réfléchir à un endroit bien. »

Cette fois, c’était d’un sourire réel qu’il avait répondu à dulcinée ; mais rapidement sa mine s’assombrit. La dernière qu’il avait promis un moment à quelqu’un, et qu’il était parti en pseudo mission juste avant, il n’était jamais pas revenu à temps… Ce qui avait amené à la mort de Nylian.
Plus ça. Plus jamais. Ce weekend, il serait présent en chair et en os pour passer un moment seul à seul avec Alice, et sa tâche pour la faction se finirait impeccablement pour lui – il avait déjà assez donné de sa personne la dernière fois.

Il hésita, puis embrassa Alice. Si son côté moqueur du passé était toujours présent, il aurait ri de ce jeune homme aux manières amoureuses d’un écolier ; mais heureusement pour ce dernier, rien de tel n’était présent.
Pour le moment.

Trouver une bonne excuse pour que son père lui laisse le week-end end de libre était compliquée. Comment pouvait-elle dire « Je pars avec mon copain pour le week-end ». Elle ne pouvait simplement pas. Alice ne connaissait pas vraiment les réels sentiments ou désirs cachés dans les speeds dating qu'elle faisait. Pourquoi lui en proposer autant ? Tenait-il vraiment à ce que quelqu'un de la haute société soit avec sa fille ? Apprendre qu'elle sortait avec un bâtard qui avait traîné dans les Quartier Sud depuis longtemps et qui n'était même pas enregistrés, comment allait-il réagir ? Jamais elle ne pourrait lui avouer pour le moment. Une simple sortie entre amies pourrait suffire au fond. Encore là, tout allait virer au rouge s'il apprenait la vérité.

- C'est vrai ? Je peux te laisser gérer ça alors. Et ne t'en fais pas pour l'argent, je peux payer si tu veux. Même si avec ton salaire actuelle...

Alors qu'il avait affiché un ci beau sourire, sa mine s'assombrit doucement. Alice se demanda alors bien pourquoi. Elle qui s'en fichait presque de l'état de son interlocuteur, finissait par s'inquiéter pour John. L'amour l'avait fait changer et ce n'était encore que le début.

Après ce petit baiser digne de deux enfants de primaire, elle lâcha alors un petit rire, celui qu'aurait dû lâcher John s'il avait été dans un état plus ou moins normal.

- J'ai aussi une mission cette semaine. J'espère que tout se passera bien pour qu'on puisse s'en aller ce week-end.

Elle dériva un peu son regard sur le côté à la fin de sa phrase. Partir seuls signifiait bien des choses et faisait travailler l'imagination de l'héritière. À tel point que son côté timide finit par ressortir. Elle se leva de sa digne chaise de bureau pour s'installer sur le lit, sur une place juste à côté de lui.

- Souhaites-tu autre chose ? Le sourire que tu m'as fait juste avant. J'aimerais bien le revoir encore.

Alice parlait bien de ce sourire naturel qu'elle avait vu sur son visage après qu'elle ait accepté sa proposition et non pas d'un sourire forcé. Elle pensait alors qu'en réalisant ce qu'il souhaitait, elle allait simplement pouvoir en revoir et amélioré l'état de John pour le rendre un peu plus heureux.

John fronça les sourcils. Avec le salaire mirobolant que lui versait son employeuse chaque mois, il avait déjà mis assez de côté pour payer bien plus que deux nuits de luxe à sa dulcinée – bien que le concept d’offrir quelque chose à Alice avec cet argent était assez vague. On pourrait comparer cela à prélever de l’eau dans une fontaine, puis l’y reverser, sans altérer l’état du liquide.

« - Je ne pense pas que l’argent soit un problème, en effet. Je vais … faire des recherches dès ce soir, je te tiendrai au courant. »

Le ton était devenu un peu plus formel malgré les efforts du garçon, mais son esprit n’arrivait pas à s’émanciper de l’image rémanente de Nylian. La dernière fois, il avait failli, il l’avait abandonnée ; et à travers ce nouveau rendez-vous, à l’objectif bien différent certes, l’impression de déjà-vu le taraudait.
Enfin, il secouait la tête comme pour chasser un démon imaginaire, et reprit la parole, d’un ton un peu moins assuré.

« - Ah … Quelque chose de dangereux ? »

C’était bateau – toutes les missions de contractants étaient à risques, mais l’inquiétude du jeune homme pour la demoiselle dépassait et son apathie, et son bon sens. Toujours était-il qu’il valait mieux qu’Alice taise les détails de l’affaire : même si John était assez perdu en ce moment, la mauvaise idée d’aller assurer les arrières de la belle pouvait lui traverser l’esprit … Résultant en un petit-ami peut-être un peu trop collant.

Néanmoins, la question suivante le laissa un peu coi. Ce qu’il souhaitait ? Eh bien, le souci de l’apathie est qu’il ne voulait plus grand-chose en fait ; alors, décrire un vœu relevait du très compliqué.
Sans se fendre d’un faux sourire, le garçon se grima tout de même d’une mine plus enjouée que blasée.

« - Je … Je ne sais pas. C’est sorti tout seul, je crois que je peux pas en refaire un comme ça. »

Triste conclusion que voici, mais répondre différemment aurait été mensonge. La spontanéité, voilà ce qui pourrait lui faire arborer de nouveau cet air heureux ; l’inverse de ce que proposait donc Alice.

Alice réfléchit tout de même alors un petit moment et trouva peut-être même une solution qui pourrait être sympa.

- Si tu veux, on peut aller dans ma résidence en France. Comme mon père est en Amérique, il n'y aura que le personnel là-bas normalement.

Cela faisait maintenant quelques années qu'elle n'y avait pas remis les pieds. Ils ne seront pas totalement seul, mais la maison était vraiment grande, à proximité de Paris, luxueuse, encore plus que cet appartement qu'elle avait considéré comme miteux en arrivant ici.
Elle avait quitté la maison au même moment que le divorce. C'était fort dommage qu'elle soit revenu à son père et non à sa mère, sinon elle aurait peut-être aussi bien profiter de l'occasion pour revoir sa mère et son frère.

Maintenant, la mission. Alice ne savait pas vraiment comment lui annoncer, et surtout, elle ne savait pas si elle devait lui dire la vérité. Elle ne voulait pas vraiment l'inquiéter pour rien, et elle connaissait son attitude actuelle. Il ne méritait pas qu'elle lui mente… Alors juste après sa question, elle hocha doucement la tête.

- Avec l'élue, nous allons voir le repère que nous a fourni BlackBird l'autre fois. On va essayer de trouver Melkyor.

La jeune femme pouvait revenir avec de sérieuses blessures, voire pire. Melkyor n'était pas n'importe qui, elle était la plus forte. Et personne ne pouvait prédire ce qui allait se passer là-bas. Doucement, elle prit alors la main de John pour la serrer amoureusement, accompagnant son geste d'un petit sourire pour le rassurer.
Une pensée lui vint tout de même à l'esprit et coupa son élan de romantisme : « Depuis quand suis-je devenu aussi mielleuse ?... ». La différence d'attitude était marquante depuis leur rencontre jusqu'à maintenant, elle s'en dégouterait presque.

- Tant pis, j'attendrais alors pour en revoir un.

Alice, se pencha un peu sur le côté pour venir poser sa tête sur son épaule gauche.

En France ? L’idée était vraiment alléchante, mais Alice oubliait un détail légèrement important.

« - Tu oublies que je n’ai pas de papiers ; je ne peux pas quitter le territoire. Mais je trouverai quelque chose, ne t’en fais pas pour ça. »

John répétait sans cesse ce bout de phrase, intimement convaincu qu’il le ferait – et c’était d’ailleurs le cas, quelques idées trottaient tranquillement dans sa tête. En fait, un souci demeurait : quel était le standing de la demoiselle ? Fondamentalement, leurs attentes à tous les deux devaient être différentes. Lui, était capable de vivre dans la crasse, l’inconfort et la pauvreté et être en mesure d’apprécier grandement un séjour, tandis qu’elle ne devait probablement supporter que le luxe. Alors, il fallait taper dans ce dernier, sinon … Eh bien, le séjour serait à coup sûr raccourci.

« - Ah … »

Une mine inquiète se traça lentement sur le visage de l’intéressé. La dernière mission liée à Melkyor avait été dangereuse, et celle-ci semblait se profiler comme pire – moins de participants, moins de force, donc plus de risques. Pourquoi choisir Alice seule pour accompagner Manori ? Enfin, il vaudrait mieux être au moins trois ! Serrant la mâchoire, John se tut néanmoins. Ce n’était pas lui qui pouvait empêcher quiconque d’obéir aux ordres, et encore moins de diriger la demoiselle.

Achevant cette mine, la dernière réplique de sa dulcinée voleta sans profondeur. Même s’il ne demandait pas vraiment d’aide, cet abandon subit du sujet le surprit quelque peu. D’un autre côté, pouvoir taire ses maux était un peu soulagement… John soupira, puis reprit.

« - Je crois que je vais retourner dans ma chambre. Merci Alice. »

Il s'agissait effectivement d'un détail qu'elle avait oublié : sa fausse identité. Il lui était donc impossible de changer de pays à cause de cela. Et la révélation de sa mission n'avait pas vraiment l'air de lui faire plaisir. C'était normal, elle-même s’inquiétait un peu de l'état dans lequel elle allait revenir. Elle en venait à se demander si elle sera d'état pour partir un week-end. Il n'y avait qu'à espérer pour qu'il ne lui arrive rien de grave, et réciproquement pour la mission de John. Tout de même, affichant un petit sourire, elle répondit à son soupir.

- Je reviendrai entière et on passera ce week-end tous les deux.

Pour le coup, savoir comment le rassurer était délicat. Se retrouvant pour la première fois avec une personne qui avait telle place dans son cœur, elle n'arrivait pas à trouver les bons mots pour lui parler.

C'était alors qu'il parlait de retourner dans sa chambre. Après tout, ils étaient tout deux en train de parler en pleine nuit. Alice était encore une contractante qui avait besoin de dormir un minimum et maintenant, il ne lui restait plus beaucoup de temps. John n'avait pas de soucis de ce coté-là.

- Attends un peu dans ce cas…

Elle se rapprocha alors un peu pour venir, l'enlacer et l'embrasser en guise de bonne nuit.

- Tu peux rester ici, si ça te chante, mais je ne suis pas sûre que me regarder dormir soit une activité très prenante. Et désolé, je ne suis pas forcément très douée pour parler, surtout quand j'ai l'habitude de t'insulter de tous les noms.

Ses yeux se fermèrent déjà légèrement pendant qu'elle profitait de ce petit moment.

Le fait de savoir qu'il viendrait la chercher si jamais elle ne revenait pas lui plaisait particulièrement. Ça la rassurait et se disait qu'elle ne serait pas totalement seule. Essayer de survivre et de réussir pour quelqu'un d'autre comptait beaucoup plus que pour soi-même. De toute façon, elle ne s'imaginait pas mourir alors qu'elle venait de goûter à un nouveau sentiment.

La tête de la demoiselle s'installa alors sur le bras de John et elle tourna son corps en sa direction pour le regarder un peu avant d'essayer de dormir.

- Bonne nuit...

Doucement, son bras passa alors par-dessus sa taille pour aussi le tenir dans ses bras. Il n'y avait rien de mieux pour le moment que de passer une innocente nuit dans les bras de la personne qu'elle aimait et qu'elle voulait protéger. Ironie du sort, vu la manière dont elle l'avait traitée jusqu'ici.