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Pour elle, la soirée avait bien fini. Comme il s'agissait d'un rendez-vous avec un autre homme, aucun garde du corps n'avait été convié encore une fois. Elle avait demandé à John de rester à la maison pour évidemment la garder avec Cassandra, la gouvernante de cet appartement. Elle avait la mission de le tenir propre lorsque Cameron Nightray n'était pas présent, c'est-à-dire, presque tout le temps.

Alice rentra donc assez tard dans la nuit. Elle n'était pas spécialement fatiguée puisqu'elle était contractante et que dormir deux heures lui suffisait amplement. Elle était donc rentrée, car son compagnon d'un soir était fatigué. Ça se comprenait parfaitement. Enfin, il l'avait tout de même raccompagné en bas du bâtiment. À cette heure-ci, Cassandra devait déjà être au lit, et elle se doutait bien que John ne dormait pas à cette heure tardive de la nuit.

En rentrant, elle déposa son sac à main dans le salon, et comptait tout de même vérifier que John était là. Russel brillait de son absence, il avait prévenu plus tôt qu'il devait faire quelque chose. Soit, tant que John était là pour faire le boulot. De toute façon, il avait déjà eu des nuits de repos, maintenant, c'était à lui de bosser. Le jeune homme pouvait clairement entendre Alice qui marchait dans le couloir à cause de ses talons. Frappant, à la porte, elle l'ouvrit pour découvrir John en train de manger salement la nourriture que Cassandra avait probablement cuisinée ce soir. Elle croisa un peu les bras en l'observant.

Ça faisait tout le contraste. Alice s'était habillée et coiffée de façon à ce qu'elle puisse être la plus belle jeune femme de la ville et attirer le regard de l'homme avait qui elle avait rendez-vous, et de l'autre côté, il y avait son garde du corps qui s'empiffrait comme un porc. Elle soupira un peu.

- Je suis rentrée, et aussi, tu t'arrangeras avec Cassandra. Il me semble qu'elle n'aime pas que quelqu'un mange dans les chambres. Elle s'occupe du ménage après tout.

Alice étira un petit sourire provocateur avant de continuer.

- Enfin, paraître comme un porc, ça doit être une habitude chez les roturiers, moi qui pensait pouvoir t'apprendre les bonnes manières, je pense que tu n'ai qu'un cas perdu finalement.

Ce soir-là, John n’avait pas été convié à faire son habituel boulot de garde du corps – encore une des fichues soirées pendant lesquelles Alice était censée découvrir son âme sœur. Heureusement, elle finissait à chaque fois par les remballer… Il faut dire qu’avec les nerfs à vifs qu’avait le jeune homme ces derniers temps, il aurait flanqué à la porte tout individu indésirable si un miracle était arrivé.
Oui, il était en jaloux, parce qu’il était en colère. Et cela lui allait très mal.

S’ennuyant, il avait décidé de regarder quelques séries en se remplissant la panse de tas de mets tous plus gras et salissants les uns que les autres. Néanmoins, il demeurait quelqu’un de civilisé et avait pris ses précautions : quelques serviettes, un plateau et même des lingettes nettoyantes. Pour le dernier détail, c’était Cassandra qui les lui avait données – probablement dépassée par les manières peu orthodoxes du jeune homme.

Alors qu’il s’attaquait à son dessert, une superbe tarte pistache-banane-oignon-chantilly, Alice débarqua subitement dans sa pièce. Sans tourner la tête, il écouta les remarques désobligeantes de la demoiselle, puis lui envoya un sourire forcé et un regard blasé. Il appréciait leur petit jeu de fausses insultes, mais ce n’était pas le moment. Il avait dévoilé sa jalousie il y a peu, et avait peur de trop en dire s’ils discutaient longuement ; de surplus il n’était plus vraiment maître de ses paroles.
Ses pensées sombres et sanglantes s’agitaient sans cesse, et le nom d’Aleister Chase résonnait comme un glas.

Finalement, il ouvrit la bouche, prenant soin de reposer tout son débarras de se nettoyer les lèvres avant de parler. Il soupira, puis se résolu à tendre son assiette vers sa patronne.

« - Tu en veux ? C’est super bon, j’ai fait ça avec des restes du frigo. C’est une magnifique spécialité roturière, le genre de choses dont tu te souviendras toute ta vie. »

Raté. Il avait cédé à l’invitation et commençait à rentrer dans leur petite mascarade ; à ses risques et périls. Il devait aussi avouer que la jeune femme était particulièrement jolie ce soir, et que passer à côté d’un blabla si bien accompagné serait triste. Peut-être pourrait-il passer une soirée agréable, tout compte fait ?

Non, aucune chance. Ou plutôt, c’était tendu : soit cela finissait correctement, soit il en disait trop ; et ce dernier cas pourrait lui coûter cher. Quoique, peut-être pas tant que ça…
Son indécision était totale.

Alice s'enfonça un peu plus dans la chambre et ferma la porte derrière elle, juste l'enclencher par la fermer à clef. Doucement, elle s'approcha de John et tout en marchant elle défit sa coiffure qui était tenue par quelques bricoles. Les cheveux relâchés, elle mit une main dedans pour se les mettre un peu près bien, mais ne se foulait pas la cheville puisqu'elle restait à la maison maintenant.

Arrivant devant le fameux plat de roturier, elle baissa les yeux dessus et eu un petit rictus moqueur.

- Pour quoi est-ce que je mettrais le nez dedans ? Cette nourriture te correspond parfaitement. En attendant, moi j'attendrais que Cassandra se réveille pour qu'elle me fasse de la nourriture digne de moi.

Soudainement, elle entendit alors la porte derrière elle s'ouvrir. Au début elle croyait que Cassandra venait de se lever, car ils faisaient beaucoup trop de bruit, mais quand elle aperçut un visage totalement inconnu, elle resta bloquée sur cette scène improbable. Elle savait bien que personne n'était invité ce soir, et au vu de l'heure, cela laissait surtout présager un cambrioleur. Alice avait l'habitude maintenant.

En tout cas, il paraissait bien stupide. Deux voies étaient clairement audibles depuis cette pièce, et il était quand même venu ouvrir cette porte. Il s'était jeté de lui-même dans la gueule du loup. La bourge tapota l'épaule de John et fit en sorte de parler plus doucement pour qu'il n'y ait que lui qui entende.

- Je crois qu'il y a un copain à toi. Tu devrais aller le voir.

Elle faisait vraiment référence à l'ancienne vie de John. Cette nuit, il allait pouvoir prouver qu'il savait garder une maison. Alice n'avait pas eu l'occasion de voir des missions réussis de sa part. Évidemment, s'il s'agissait d'un contractant, elle comptait venir l'aider, mais si ce n'était qu'un piètre humain, elle n'avait pas envie de se salir les mains.

Contre toute attente, Alice déclina la sympathique proposition du jeune homme – ironie. Mais avant qu’il ne puisse surenchérir, un visage fit une subtile apparition dans son champ de vision. L’air visiblement ahuri, l’inconnu referma la porte aussitôt et quelques pas se firent entendre s’éloignant de la pièce.
John resta figé quelque seconde, la bouche ouverte. C’était une blague ? Même lui à ses débuts ne faisait pas d’erreur aussi grossière. L’ordre de sa patronne le fit reprendre conscience. Trop surpris pour que sa colère remonte la première, il fit un clin d’œil à la demoiselle et se dirigea vers la porte.

Depuis qu’il avait été embauché, il avait plus protégé son employeuse des ombres que des dangers de sa vie humaine, et c’était une première ce soir – qui tombait assez mal pour l’intrus, car le Nephil n’était pas du meilleur poil. Si le type était venu pour porter offense à la Nightray, fille, il passerait un mauvais quart d’heure. Un très mauvais.
Parole de contractant.

Toujours était-il que John n’avait pas connaissance de la position exacte de l’invité mystère. Dans le salon, probablement, mais où ? Il alluma la lumière, se calla contre le mur et parla à voir haute et intelligible.

« - Sors de ton trou à rat et je serai un peu clément. Et si tu me forces à t’en extirper par la peau du cul il, hmm… vaut mieux pas que tu aies les détails. »

Son humeur exécrable devait s’être fait comprendre à travers cette mise en garde vulgaire ; et même s’il disait beaucoup, il aurait probablement plus de pitié qu’il le sous-entendait. Tabasser quelqu’un sous les yeux de la demoiselle n’était pas dans ses priorités, mais il lui ferait regrettait son audace.

Si le type lui semblait sympathique, peut-être tenterait-il d’en savoir davantage avant de jouer des poings… Et du pouvoir d’Alice ?
A moins que monsieur cachette ne soit un contractant en mission, il n’avait aucune chance.

Au début, Alice était simplement restée dans le couloir, tandis que John s'était avancé dans le salon. De là, elle pouvait parfaitement entendre leur conversation, et même y participer au besoin. Pour la facilité de John, elle s'était tout de même mise assez loin, pour ne pas se faire prendre par surprise par le cambrioleur de ce soir. Et la jeune femme n'avait aucune raison d'avoir peur.

Elle observa donc la scène : John commença à le menacer de sortir de son trou à rat. Elle afficha un petit sourire jusqu'à que l’intrus se mit à parler. La jeune femme s'avança doucement à l'entrée du salon et on pouvait clairement savoir d'où venait la voix résonnante. Enfin, Alice n'en fit rien, c'était à John d'agir, pas à elle. Une fois que son baratin fut fini, elle ne laissa pas le temps à John de répliquer.

- Vous êtes pathétique.

Alice croisa les bras.

- Pour la raison futile que je sois riche et vous pauvre, vous vous permettez de nous voler et de faire n'importe quoi, car c'est pour la bonne cause. Non, justement. Cette richesse, nous l'avons acquis grâce à des efforts. Ma famille n'est pas riche depuis très longtemps, seulement deux ou trois générations. Mon arrière-grand-père a sûrement dû faire les pires efforts du monde pour que les Nightray soient aussi aisés. Je ne vois pas pourquoi des simples roturiers comme vous auraient le droit de venir saccager les efforts que nous fournissons chaque jour pour conserver notre statut. Si votre seul effort est d'en venir à voler pour vous en sortir, c'est que vous êtes misérable, vous ne méritez même pas la charité. Si vous voulez survivre dans une société sans prendre de risque, commencez de bas, et grimpez les échelons honnêtement.

Elle souffla un peu pour faire une pause avant de reprendre, agacée.

- Mon père ne rentre pratiquement jamais. Il travaille presque tout le temps pour la survie de notre richesse. Et c'est sans doute pareil pour la plupart des personnes aisées. Si vous croyez qu'on se prélasse dans un palace en or, c'est bien faux.

Ces commentaires valaient pour lui, mais tout aussi pour John. Elle connaissait un peu près les motivations qui l'avaient poussé à venir la voler le premier soir. Elle adressa donc un regard à son garde du corps. Lui aussi, grâce à ses efforts il allait pouvoir facilement s'en sortir. Avoir dans son CV qu'il a été le garde du corps des Nightray était une très bonne chose, et un bon point positif.

Au final, ce genre de comportement énervait bien Alice. Elle savait comment son père travaillait d'arrache-pied pour la famille, et bientôt, ça sera à Alice de le faire. Et énoncer son père qu'elle ne voyait que très rarement était la meilleure chose à faire pour la mettre de mauvaises humeur. La seule compagnie qu'elle avait actuellement était sa gouvernante et ses deux gardes du corps.

Le regard rivé sur la tête du voleur, John demeura immobile, les bras croisés, contre le mur du salon. Il n’avait pas apprécié la déclaration d’Alice, vraiment pas ; et par pur esprit de contradiction il avait envie de relâcher le type aux yeux et au su de la demoiselle. Mais il savait que les choses ne fonctionnaient pas de la sorte, et qu’hormis lui attirer des problèmes cela ne mènerait à rien de bien concret.
Le discours du jeune homme lui rappelait le sien lorsqu’il avait tenté de dérober quelques affaires – par erreur – au bodybuilder gentilhomme, la précipitation en plus. Lui avait fait cela après s’être pris les coups et non avant … Quoique l’inverse aurait peut-être été plus intelligent. D’un autre côté, si son humeur avait été plus rose, il aurait presque pu être flatté que l’intrus suive ses menaces et se rendent à lui sur de simples paroles ; ses efforts finissaient par payer.

Enfin, il bougea et se dirigea droit vers le malheureux. Il lui saisit le bras avec force et le pointa d’un regard noir, puis s’adressa d’une voix on ne peut plus sérieuse à sa patronne.

« - Je vais lui apprendre les bonnes manières dehors, j’ai pas envie que tu assistes à ça. »

Surtout, qu’elle le force à appeler la police pour l’enfermer. Tout le monde avait le droit d’être pardonné une fois, et les paroles d’Alice l’avaient assez énervé pour qu’il passe outre ses prérogatives et écarte la jeune femme de l’affaire – surtout qu’il aurait à parler avec elle après.

« - Il faudra qu’on parle d’un truc après, Alice. »

Pas plus pour le moment.

Il traina de force le voleur jusqu’au palier le relâcha sans manière sur le sol, refermant la porte à clé derrière lui. Lentement il s’approcha de lui, adoucit un peu sa mine et parla à voix basse, de sorte à ce que personne d’autre ne les entendent.

« - Fais gaffe à ce que tu racontes, les culs dorés sont moins cléments quand tu vas frapper leur égo. Comment est-ce que tu choisis tes cibles ? »

La question pouvait paraître suspecte et sa pitié soudaine tout autant, mais il avait de bonnes raisons d’agir… Après tout, il avait volé, cambriolé, dérobé lui aussi quelques mois auparavant ; mais la nuance était qu’il faisait ça pour aider les gens. John ne voulait pas relâcher directement le recoloré ou le punir, il voulait découvrir ses véritables intentions.
Et s’il s’avérait être un véritable connard égoïste, alors il aviserait.

Tout deux étaient énervés, elle consentit bien les paroles employées par John bien qu'elle n'aimait pas du tout le ton qu'il prenait. Si ça lui chantait de le prendre à part, loin d'elle, qu'il le fasse. Peu lui importait maintenant.

- Très bien, je serais dans ma chambre quand tu auras fini.

La jeune femme tourna rapidement des talons. Si elle avait été une demoiselle beaucoup plus vulgaire, elle aurait probablement insulté John et cet intrus de tous les noms et taper dans le premier objet qui lui passait sous la main. Mais la retenue était l'une de ses qualités ; même si elle n'en avait pas beaucoup.

Cet homme aux cheveux bleu était simplement et typiquement le genre de personne qu'elle n'aimait pas. Il n'assumait rien du tout et venait à faire des actions stupides. Elle sentait bien qu'elle avait aussi touché John dans ses paroles, mais c'était tout ce qu'elle pensait. Encore peut-être qu'ils se dirigeraient sur une autre dispute, qui sait. En voyant le regard de son garde du corps, aucune chance pour que la première conversation se passe relativement bien. Il suffisait aussi de comparer leur idéaux et leur comportement vis-à-vis des personnes de leur trempe pour se rendre compte qu'ils étaient fondamentalement dans beaucoup de points.

En rentrant dans sa chambre, elle referma la porte derrière elle, laissant John faire son affaire. Malgré ça, elle lui faisait confiance pour ne pas qu'il aide ce jeune voleur. De toute façon, si quelque chose manquait, elle allait savoir à qui s'adresser et bien le réprimander.

Tout de même et toujours agacée, elle s'assit sur sa chaise de bureau et regarda les feuilles de cours éparpiller dessus. Oh non, elle n'avait pas l'humour pour travailler le temps qu'il revienne.

Alerté par la sortie musclée qui venait d’avoir lieu, le voisin de palier fit une irruption soudaine sur la place dite, coupant le dialogue naissant des deux hommes. John balada son regard entre le voleur et l’invité surprise, un quinquagénaire visiblement en surpoids et au peignoir brodé d’or, puis soupira. Jouer au bon samaritain face à une telle figure de la luxure serait bien déplacé, et son acte évidemment rapporté tôt ou tard au père Nightray – il va sans dire qu’une telle décision signerait la fin du contrat inexistant entre la maison et le garçon.
Tâchant d’enfouir sa colère, il releva le cambrioleur et lui fit une clé de bras, tandis qu’il posa un regard accueillant envers le sosie de Strauss Khan, l’odeur nauséabonde en plus.

« - Ce type est un cambrioleur et je viens de l’arrêter, je m’en allais justement l’envoyer vers la police. Ça ne vous pose pas de problèmes de le faire à ma place, afin que je puisse continuer à veiller dessus ? »

Le regard de l’homme mûr s’éclaira, comme si l’on lui offrait un bon gâteau.

« - Félicitations mon garçon, vous êtes un bel exemple pour la jeunesse de nos jours ! Pas comme cette vermine que vous tenez… »

S’en suivit une longue tirade sur la jeunesse canailles de nos jours, que John se força à n’écouter que d’une oreille discrète. Cet homme était tout ce qu’il détestait dans les riches, ceux qui se prennent pour les plus intelligents et jugent à tout va. Au bout d’un moment, le Nephil descendit avec son prisonnier jusqu’au-devant de l’immeuble, là où deux policiers venaient d’arriver. Le voleur se fit embarquer sans davantage de cérémonie, et le bienfaiteur s’en alla, remontant lascivement les escaliers.
Un bruit sourd attira son attention, et par une fenêtre il aperçut la voiture au gyrophare emboutie par une autre, tandis qu’une forme sombre cavalait au-dehors de la première. John esquissa un petit sourire – finalement, il avait eu le beurre et l’argent du beurre.

Pour autant, tout n’était pas fini – il lui restait la discussion prévue avec Alice, celle qu’il avait imposée plus par colère et précipitation qu’autre chose. Refermant la porte derrière lui, il alla toquer à la porte de sa patronne, patienta quelques instants puis pénétra dans la pièce. La jeune femme était là, assise à son bureau et visiblement agacée.
Le garçon appuya son dos contre le mur le plus proche, puis dirigea son regard droit vers mademoiselle Nightray.

« - Je t’ai menti sur mon nom. »

Simplement cela, ce n’en dit pas beaucoup, à vrai dire.

« - Je m’appelle Théodore Brun, et je suis né dans une famille riche. »

Non, il n’avait pas changé de prénom car son premier était nul – quoique. Enfin, maintenant Alice savait que ce va-nu-pieds qu’elle considérait comme un moins que rien valait en réalité un peu plus de cash que ce qu’elle pensait ; il restait néanmoins à connaître sa réaction avant d’aller plus loin.

C'était une véritable révélation, pourtant Alice ne pouvait s'y résoudre, elle n'en croyait pas un seul mot. Elle ne s'était pas encore souvenue que cette Nylian l'avait appelé par un surnom qui devrait lui avoir fait comprendre quelque chose. Mais dans cette situation, elle n'essayait pas vraiment de réfléchir. Elle lâcha un petit soupir.

- Prouve-le moi dans ce cas.

La jeune femme se leva de sa chaise et s'approcha doucement de lui. Il n'y avait même aucune chance pour que John vienne d'une famille riche. En pensant qu'il n'avait aucune manière, c'était absurde. L'idée qu'il soit riche auparavant ne lui déplairait pas, elle s'en ficherait probablement en fait. Sa condition était telle qu'elle dérangeait actuellement la jeune femme au comportement de princesse. Elle pensait surtout que la conversation allait tourner autour de sujet, mais John prit un tout autre chemin.

- Je connais très peu les Bruns, mais assez pour dire que Théodore Brun est mort dans un accident. Si tu veux me mentir, fais le correctement.

C'était un rejet total et complet, persuadé d'avoir raison. Enfin, elle ne faisait vraiment pas le lien entre la conversation avec le cambrioleur et cette pseudo-révélation qu'il venait de lui faire. Où voulait-il en venir.

Elle avait son regard rivé sur lui, comme si elle attendait quelque chose de lui. Elle attendait cette preuve, car même si elle n'y croyait pas un bout, peut-être pouvait-elle se remonter le moral en disant que son garde du corps était complètement ridicule.

Alice était sceptique quant à ce que John ne soit pas tout à fait ce qu’il avait avoué jusque là – logique, cette révélation venait d’arriver comme un cheveu sur la soupe, voire même comme une ogive nucléaire sur une tasse de thé. C’était illogique, incohérent, et surtout techniquement impossible : la jeune femme connaissait la tragique histoire du cadet Brun, mort il y a de cela plus de neuf ans, alors comment pouvait-il se tenir devant elle.
L’ex Théodore soupira, puis souleva son regard le temps de réfléchir à une preuve qu’il pourrait apporter. Malheureusement pour lui, son ancienne famille n’était pas du genre à marquer au fer leur sceau sur les nouveau-nés, et il n’avait ainsi aucune trace tangible de ce qu’il disait.

« - Je n’ai aucune preuve, parce que je n’existe plus. Ça ne t’a jamais paru bizarre que je refuse de me faire déclarer, que je ne sois inscrit sur aucun registre ? Tout cela, c’est parce que John Fallen n’a jamais existé, et que mon ancienne identité m’a été volée – en même temps que je l’ai abandonnée. »

Fallait-il vraiment tout raconter à sa patronne ? Cette histoire était invraisemblable, alors à quoi bon s’évertuait à la prétendre, aussi réelle soit-elle. Enfin, tout cela finirait bien par remonter un jour ou l’autre, alors autant qu’elle ne puisse pas blâmer son employé de lui avoir caché des choses.

« - J’ai… Hmm, je n’ai jamais été le gosse parfait. Très tôt, je passais mon temps libre à jouer avec des gosses des coins défavorisés, au grand damne de mon père, Georges. Ça, plus mon incompréhension vis-à-vis du luxe m’a rapidement valu le fait d’être le vilain petit canard de la famille. Pour ça, et sûrement d’autres raisons que je ne connaitrais jamais, un beau soir l’impardonnable a été commis. »

La mâchoire du jeune homme commença à se crisper quand il prononça ces derniers mots, et il lâcha les phrases prochaines avec une colère sensible.

« - Mon père, ou plutôt ses gorilles ont tabassé à mort un de mes potes pauvres, John. Fou de rage et de tristesse, je me suis jeté sur cet enfoiré et j’ai eu le droit au même sort, la mort en moins. Ils sont partis en me laissant agoniser par terre, et c’est grâce à un couple du Sud que j’ai pu être récupéré, soigné et réinviter dans ce monde. Ils m’ont fourni une fausse identité, ont essayé – en vain, ma faute – de me pousser à étudier, et de fil en aiguille je suis devenu celui que tu connais maintenant. »

Pour prouver ses dires, John se mit dos à son interlocutrice et releva l’arrière de sa chemise, dévoilant une ribambelle de cicatrices au-dessus de son bassin – là où, ironiquement, était logée elle aussi sa marque Néphil.
Sa démonstration faite, il se tourna à nouveau vers la demoiselle, tâchant de faire disparaître la colère ambiante qui émanait de lui.

« - D’où ma haine des riches. Convaincue ? »

C'était effectivement de croire à toute cette histoire. S'il mentait, il aurait au moins eu un peu de mal à raconter tout ça. Elle ne pouvait pas s'appuyer sur ce qu'il faisait physiquement, c'est-à-dire, refaire sortir une sorte de souffrance. Cela pouvait très bien être de la comédie s'il voulait aller loin dans son mensonge. Cependant, cela faisait un petit bout de temps que tout deux se connaissaient et il était parti sur une base ou Alice pensait qu'ils pouvaient se faire confiance l'un l'autre. Depuis qu'elle avait appris les problèmes de Russel en rusant avec son pouvoir, elle s'imaginait bien John cacher quelque chose aussi. Ce quelque chose pourrait très bien être cette histoire.
Si elle était vraie, alors raison de plus pour s'énerver. Lui cacher des choses ? Oh non, elle n'aimait pas ça.

- Soit... , soupira-t-elle.

Même si son soupir faisait penser qu'elle baissait les bras, ce n'était pas le cas, surtout à cause de sa dernière phrase. La jeune femme se leva de la chaise pour s'approcher de son garde du corps.

- Souvent, on dit des femmes qu'elles mettent tous les hommes dans le même sac. N'es-tu pas en train de faire la même chose ?! Ou alors n'as-tu jamais réfléchi à la question peut-être ? Qui crois-tu que nous sommes, des sales races qui s'amusent à tirer au flanc, en mettant les pieds sous la table et qui ont pour la seule occupation de martyriser les pauvres ?! Réveille-toi, ce n'est pas le moyen-âge, notre richesse, on la mérite ? Je sais bien que tu avais envie de défendre les propos de ce cambrioleur. J'ai tort ?

Alice avait légèrement haussé le ton, alors que la domestique dormait dans la chambre d'à côté. De toute façon, presque toutes les nuits, c'était le chahut et par chance, elle ne s'était jamais réveillée. Quelle chance que la narratrice peut faire ce qu'elle veut.

C'était sans doute la pire chose que John pouvait sous-entendre dans ses propos. Puisqu'il s'était mis à voler tous les riches et uniquement pas que son père, cela voudrait donc dire qu'il avait effectivement mis tout le monde dans le même sac.

- Je vais être tout de même sûre d'une chose. Réponds à ma question : Est-ce que tu m'as dit la vérité ?

Autant montrer qu'elle voulait faire usage de son pouvoir pour confirmer les propos de John. C'était son seul moyen qui lui permettrait d'être sûre de ce qui lui disait. Le fait qu'il ne soit pas enregistré n'était pas en sois une preuve puisque beaucoup de monde ne l'était pas sans pour autant avoir vécu la même histoire que lui. Ces petits orphelins nés dans des conditions inconnus, qui étaient-ils ? Personne ne le savait.

Exhalant, John posa sa main sur son crâne. Il n’était pas là pour parler des bien-fondés de ses actions passées, ou pour expliquer son ex-stigmatisation des plus hautes castes de la société ; mais y échapper ne semblait pas être de la préférence de sa patronne.
Il était évident que sa vision des choses avait évolué au fil des mois – sinon, il ne serait pas ici. Même si le soir de son embauche avait été teinté de regrets, causés non seulement par l’arme de Russel, mais aussi par ses propres actes, il ne regrettait rien. Tous les riches n’étaient pas des enfoirés qui ne pensaient qu’à s’enrichir sur le dos des autres, et son odorat quelque peu étrange depuis son contrat lui permettait de se fier à un jugement plus juste ; et surtout, plus magique. Seuls ceux qui dégageaient une odeur forte semblaient être atteints par les maux qu’imputait John à l’ensemble de cette classe sociale, et ainsi il était bien plus indulgent maintenant qu’auparavant.

« - Pas besoin de me faire ce genre de tirades princesse, mes idées ont changé depuis des mois. Je pourrais t’expliquer pourquoi j’étais aussi catégorique à l’époque, mais tu trouverais ça imbécile. »

Face au regard de la jeune femme, il comprit vite qu’il fallait mieux qu’il s’explique tout à fait au lieu de poser des ellipses sur son ancien avis.

« - J’ai grandi dans la pauvreté, avec pour dernier souvenir d’un type riche une espèce de connard informe. C’est le genre de choses qui marquent un gosse comme du fer blanc ; mais il n’y a pas que ça. Mes exploits de Robin des Bois improvisé ne datent pas d’hier, et à mes débuts j’ai pu faire des rencontres, genre j’ai dû faire un combo parfait d’imbéciles heureux, riches, et avares comme pas deux. Et mon esprit assez étriqué était capable de ne pas prendre en compte ceux qui étaient différents. »

Définitivement, il s’était imposé de lui-même des œillères qu’il avait ôté il n’y pas si longtemps.

« - Mais les choses ont changé. Mon contrat me permet de différencier les mauvais des bons riches, et j’apprends peu à peu à faire la part des choses. Et si tu veux savoir pour ce voleur, je voulais savoir ses véritables intentions avant de souhaiter ou non défendre ses paroles – n’importe qui peut se faire passer pour une Sainte Nitouche, mais rares sont ceux qui pensent leurs mots… Sauf qu’avec l’irruption de notre puant voisin, j’ai préféré envoyer directement le garçon dans les mains des flics qu’autre chose. »

Content d’avoir à peu près conclu ce débat stérile, le rebondissement soudain de son interlocutrice le surprit. Après l’affaire avec Nylian, John avait saisi que les ordres de sa camarade pouvaient devenir parfois ordres, mais l’intérêt dans cette situation lui échappait. Contraint ou non, il répondrait à la question ; mais Alice était-elle vraiment capable de savoir s’il disait la vérité ?

« - Inutile de te servir de ton pouvoir Alice, je doute que tu puisses savoir si ton ordre a fonctionné. Mais sache que oui, je t’ai dit la vérité… Je n’ai aucune raison de te mentir. »

Cela n’allait rien lui apporter de porter de telles affabulations, alors pourquoi le ferait-il ?

Sa tirade avait réussi quelque peu à apaiser l'esprit de la jeune femme. C'était pourtant bizarre, et sur le coup, il n'avait pas tort. Elle n'avait aucun moyen de savoir si son pouvoir avait fonctionné sur lui. Bien entendu, lorsqu'elle l'avait utilisé sur Russel, elle ne savait pas qu'il avait fonctionné, mais vu la réponse fournie, elle avait supposé qu'il s'agissait de la vérité.

Doucement, elle tourna la tête sur le côté tout en se mordant la lèvre d'irritation rien qu'en repensant à Russel.

- Et comment je pouvais savoir tout ça si tu ne m'avais rien dit avant ? Russel et toi, vous m'énervez.

Entre les problèmes de Russel et ceux de John dont elle n'était pas au courant, il y avait de quoi être vexée, surtout qu'elle pensait pouvoir établir une relation de confiance. Elle ne se souvenait pas de leur avoir caché quelque chose. John était quand même à moitié pardonné puisqu'elle n'avait pas posé la question avant, mais en ce qui concernait l'autre garde du corps, elle était quand même assez révoltée.

- Vous deux... Vous m'agacez tellement., chuchota-t-elle dans son coin.

Alice soupira que légèrement avant de faire demi-tour, marchant jusqu'à sa chaise pour s'y asseoir. Elle posa son coude sur la table pour appuyer sa tête avec sa paume de main et ses yeux se mirent à scruter John dans le silence.

- Et moi ? Je te parais être une « bonne riche » ? Pourtant je ne fais pas de don, je méprise les personnes qui sont plus basses que moi en rang social, je fais semblant de bien m'entendre avec les personnes de mon rang pour aider mon père dans ses relations, je mens, je suis avare, je suis imbu de moi-même, je vais à des rendez-vous alors qu'ils n'ont aucune chance d'aboutir à une relation sérieuse car je ne souhaite être avec pers-...

Elle se coupa net en plein milieu de sa phrase, et ce, à cause de l'image de John qui lui apparaissait dans la tête. C'était ridicule et pourtant, la vérité. Elle ne pu s'empêcher de penser à cet autre jour, après l'entraînement qu'ils avaient fait, ce petit moment qui aurait presque pu être pris pour du romantisme s'il y avait quelque chose entre eux deux.

- Pourquoi restes-tu ici ? Ai-je fait quelque chose de bien qui mérite ta présence ? Depuis le temps que je t'ai engagé, tu as du largement gagné la somme d'argent que tu souhaitais, non ?

Personne ne blâmait Alice de son ignorance du passé du garçon, et encore moins le concerné ; après tout, il avait volontairement tut le sujet pour demeurer aussi longtemps que possible le type paumé et pauvre qu’elle voyait en lui. Le voile était tombé à cause d’un enchaînement fortuit d’événements désagréables, et si un seul avait changé, peut-être n’auraient-ils jamais eu cette discussion.
Néanmoins, à l’évocation de Russel, John souleva un sourcil. Etant donné que son collègue avait fini par continuer d’officier au service de la demoiselle, c’était qu’un consensus avait été trouvé – mais, savait-elle tout ? Craignant d’amener des informations qui n’auraient pas dû l’être, le jeune homme omit volontairement une quelconque réflexion sur le faux départ de l’ex-détective.

« - Après tout, aucun de nous n’a jamais cherché véritablement à en savoir plus sur l’autre. »

Des mois qu’ils formaient un trio, mais ce n’était qu’une histoire d’une dizaine de jours que les deux gardes du corps s’étaient échangés des secrets tabous ; et le plus jeune ignorait beaucoup de choses quant à sa patronne. Peut-être était-il temps de réfléchir à des confessions, tant est que l’humeur y soit.

Ses pensées arrêtèrent leur fluctuation soudainement. De but en blanc, la réponse à l’interrogation d’Alice était qu’elle n’était pas une personne qui offrait une belle image de l’aisance ; mais ce n’était pas ce que John avait envie de répondre. Il s’était attaché à elle, et cela aurait peut-être pu devenir autre chose que de la pure affection si son esprit avait eu du temps pour réfléchir à tout cela – mais ses malheurs récents avaient obscurci toute idée de ce genre. L’événement avec David s’y était apparenté, mais seulement en apparence. Alors, à cause de ses questionnements il ne releva l’arrêt brutal de la jeune femme, et reposa son regard vers elle pour lui répondre.
Mais, il ne dit rien. L’air de son interlocutrice trahissait quelque chose qu’il n’arrivait pas à définir. Il fronça sa mine, et Alice reprit l’air de rien ses questions incessantes.

« - Je sais pas. Vraiment, je m’en fous de l’argent, ou de comment tu traites les autres ; je suis bien ici, bien dans ce taf, bien avec toi-vous, donc je ne vois pas de raison de démissionner. A moins que tu me demandes de le faire, évidemment. »

C’était de la pure honnêteté, peut-être que cela valait aussi pour son lapsus ; mais toujours est-il qu’il était incapable de fournir meilleure réponse.

Il avait raison, aucun des trois n'avaient essayé d'en savoir plus sur l'autre. Il n'avait pas tort, pourtant Alice ne pouvait pas s'empêcher de se sentir un minimum vexé. L'ignorance de leur histoire ou de leurs problèmes était vraiment énervante, au point où cela avait réussi à l'embêter pendant plusieurs jours d'affiler.
Il était vrai, que même eux-deux, n'en savaient presque rien sur elle. Étaient-ils par exemple au courant qu'elle ai vécu en France pendant sa tendre enfance ? C'était un exemple banal, mais qui fonctionnait bien dans cette situation. Cette information pouvait en plus être trouvé assez facilement. Après tout, son père devait bien être sur l'un de ces articles Wikipédia. S'il y avait sa biographie, il n'y avait aucun mal à savoir un minimum du passé d'Alice vis-à-vis de son père.

Pendant l'espace d'un instant, et surtout maintenant qu'elle était calmée, elle s'était résolu à se mettre à la place de John, lorsqu'il n'était encore qu'un pauvre voleur. C'était dur de s'imaginer à quel point il était dur de vivre sans richesse, sans rien. Elle ne connaissait pas tout cela et même si John avait beau lui décrire plusieurs fois, elle n'arrivait pas à ressentir. Son père était peut-être un con comme il l'avait dit, mais encore une fois, elle pensait que ça n'avait rien à voir avec la richesse et qu'il s'était trompé assez longtemps.

Elle avait écouté aussi la réponse de John d'une oreille à peine attentive, mais les mots qui sortirent de sa bouche, lui faisaient quand même légèrement plaisir ; à tel point qu'un petit sourire avait commencé à se dresser sur son visage.

- Je vois, de toute façon, je ne te laisserais pas démissionner si c'était le cas.

Cela valait bien une petite déclaration, mais elle n'allait pas trop loin tout de même. En fait, elle s'imaginait bien que John pouvait partir de cet appartement quand il aura fini son travail. Cette idée lui laissa un petit sentiment bien aigri et amer ; rien de très agréable.
L'ambiance était tout de même un peu lourde, et ça se ressentait facilement par le temps de silence qui était bien plus supérieure qu'à celui de parole énoncé par l'un des deux.

- Continue à me parler de toi… Je n'aurais pas de mauvaises surprises dans ce cas.

Un sourire mesquin couvrit le visage du jeune homme lorsqu’Alice lui imposa presque de rester à son service. L’envie de lui rendre la question du pourquoi le démangeait, mais la réponse ne serait finalement qu’une copie à l’identique de la sienne – l’héritière n’avait pas de raisons autres que purement personnelles de refuser le départ de John. Sa carrure ne valait pas celle d’un véritable garde du corps, son assiduité laissait parfois à désirer et, surtout, sa seule présence pouvait attirer des ennuis légaux aux Nightray. Alors, il n’y avait aucune logique rentable de le garder.
Cette déduction fit perdurer la moue du garçon, mais il décida tout de même de garder le silence. La motivation de celui-ci n’était pas tout à fait innocente à vrai dire ; la mesquinerie n’était peut-être que la façade d’un plaisir plus réel. C’était justement l’interrogation qui nourrissait sa réflexion, et une espèce de frayeur pudique le retenait de pousser trop loin ses pensées – ce qu’il allait y découvrir était peut-être en mesure de briser ses principes pourtant bien ancrés. Alors, de sa charmante interlocutrice sonna au bon instant et fit taire sa voix intérieure.

« - Soit. Le soir où j’ai passé mon contrat, j’étais enfermé dans une cave quelque part dans les environs. Je m’étais infiltré chez mon père pour le faire avouer, le frapper ou tout simplement le buter – je sais pas, je sais plus. Je me suis fait attraper, foutu dans ce trou à rat et tabasser pendant quelques jours. »

Hormis Leeroy, personne ne savait les détails de cet événement ; c’était le genre qui n’était pas bien glorieux à raconter.

« - C’est là où Bey s’est pointé, et m’a proposé un vœu. J’ai pris ça pour une blague ou une hallucination… J’ai demandé, accroche toi bien, à devenir un meilleur … Voleur ! Ah ouais le truc bien inutile quoi. »

John ne regrettait en rien d’être devenu Nephil, mais il possédait des remords quant à la demande qu’il avait prononcée : elle était foncièrement inutile.

Quelqu’un connaissant bien le passé du garçon – même si une telle personne n’existait pas -, se serait demandé pourquoi choisir de conter ce passage-là plutôt qu’un autre, alors que des détails auraient pu être tout à fait remplir la tâche tout en compromettant moins sa crédibilité ; et il n’y avait pas de raison.

Elle n'avait pas totalement réalisé les paroles qu'elle venait de lui énoncer, mais le sourire mesquin que tira John sur son visage la fit revenir. La gêne s'installa alors aussi facilement que ses pommettes qui étaient devenus rosées. Juste après, elle n'osa alors rien dire et attendit simplement qu'il reprenne la parole pour parler de lui.
Pendant qu'il conta son récit qui ne durait qu'à peine une minute, elle écouta attentivement et eut une petite pensée pour ce pauvre voleur qui avait dû pas mal souffrir dans cette cave. Justement parce qu'il n'avait pas énoncé les détails de l'affaire, que cela laisser l'imagination de la jeune femme travailler et aller à l'extrême. Doucement, son regard se dirigea vers la seule fenêtre de sa chambre qui ressemblait à une baie vitrée à cause de sa grande taille.

En fait, elle venait d'avoir une pointe d’inquiétude pour lui, donc les quelques mots qu'elles essayaient de faire sortir de sa bouche, eurent quelques difficultés.

- Je.. Je vois. J'aimerais te rendre la pareille en ce qui concerne mon vœu, mais tu n'en as pas besoin.

Il était aussi évident que le nez au milieu de la figure. John l'avait rencontré avant son vœu et par conséquent, lorsqu'elle était encore atteinte de mutisme. Alors qu'elle disait souvent que c'était complètement incurable, comme par magie, elle s'était remise à parler. Ce fut aussi une affaire très compliquée à explication et elle était limite passé pour un monstre auprès de ces médecins qui la suivaient de près. Les choses avaient, heureusement, finis par se tasser.

- Quant à ton vœu, c'est sûr que tu aurais pu demander mieux. Il est effectivement plutôt inutile, disait-elle pour remuer le couteau dans la plaie.

Alice haussa légèrement un de ses deux sourcils tout en le regardant. Maintenant, il était son garde du corps, nul besoin de son vœu. En revanche, John n'aurait jamais eu cette place s'il n'avait pas fait son vœu.

- Pour tout ce que tu m'as dit ce soir. Je t'autorise à me poser une question.

Comme tout était bien partie dans la soirée des révélations, autant continuer un petit peu. Alice commençait à connaître un peu mieux John, mais lui, connaissait-il sa patronne ?

Evidemment, John s’était plusieurs fois interrogé sur le vœu de la demoiselle – et la réponse était logique et simple. Malgré cela, il avait trouvé amusant de se demander si cela n’avait pas pu être chose. Allons, pour quelqu’un qui est capable d’autant de mépris, peut-être avait-elle considéré que le garçon n’était pas digne de sa voix ? D’un autre côté, peut-être était-elle détentrice auparavant d’une tonalité qui ne lui plaisait guère.
Un petit soufflement nasal trahît les pensées du jeune homme, mais la perspective d’entendre une Alice à la virilité vocale remarquable était irrésistiblement hilarante. Enfin, voilà que s’il partageait ses idées il se ferait probablement gifler.

Ouvrant la bouche pour répliquer, sa patronne continua à enfoncer son souhait, insistant sur l’inutilité latent de celui-ci.

« - Oh, tu sais, ça peut toujours être pratique un jour si je me fais virer … »

Ce n’était que de l’ironie, mais le jeu était de voir si elle allait tomber dans le piège. Bien sûr, le Nephil ne prévoyait nullement de cambrioler à nouveau, mais si sa menace en l’air faisait mouche, ce n’en serait que davantage drôle.

La proposition de la jeune femme le laissa coi, en fait. Ce n’était pas le contenu qui le décontenançait, mais le principe derrière : alors, il lui fallait une autorisation dûment signée pour l’interroger ? C’était tout bonnement ridicule – s’il avait une question à poser, il le ferait sans se gêner -, mais il n’avait honnêtement pas l’envie de se fâcher une nouvelle fois ce soir. La première fois l’avait forcé à révéler son passé, alors il allait finir à court d’histoires tristes s’il recommençait.
Réfléchissant un court instant, John finit par exposer sa demande.

« - Est-ce que tu aimes ce que tu fais ? »

- Fais donc ce que tu souhaites de ta vie, mais je t'assure que si tu viens me cambrioler encore une fois, attends-toi à ce que cette chose qui pendouille entre tes jambes disparaisse sous le coup de la torture.

Le tout était accompagné d'un petit sourire bien sûr ironique. Surtout qu'il y avait peut-être des gens que Russel soit encore le garde du corps d'Alice. Le pauvre n'aurait vraiment pas de chance. Alors qu'ils étaient partis sur un humour un peu décalé et surtout à leur manière propre de faire à chaque fois, John avait lancé sa question. Le visage d'Alice se raidit légèrement. Parmi toutes les questions possibles et inimaginables, il avait posé celle que la jeune femme voulait le moins entendre.

A grande échelle, en réfléchissant à toute sa vie, la réponse était catégorique déjà dans sa tête : Non. À plus petite échelle, en ne prenant que quelques parties, cela pourrait finir par devenir un « Oui ».

- Évidemment, ça me plaît d'être contractante, même si ce n'est pas facile tous les jours.

Pour répondre à cette question, elle avait totalement mis sa vie humaine de côté. Après tout, elle n'avait rien promis, elle lui avait juste permis de lui poser une question. Ce n'était pas dit qu'elle allait y répondre. Mais au vu de la voix et du ton que la bourge avait utilisé dans sa phrase, il était simple de deviner la véritable réponse. Sur ce coup-ci, elle n'avait pas usé de son petit talent de comédienne habituelle pour tenter de tromper les gens. John n'était pas une personne qu'elle souhaitait vraiment tromper. Premièrement, parce qu'elle s'était évidemment énervée après John pour lui avoir caché sa vie. Et là, elle faisait exactement la même chose par le moyen d'un de ses plus gros mensonge.

John pouffa doucement, bon public face à la réplique voulue cinglante de la demoiselle. Tout cela lui rappelait leur rencontre, et même si ce n’avait pas été foncièrement un moment très agréable, c’était cela qui avait ouvert la voie à où ils en étaient maintenant. Enfin, il était encore trop tôt pour parler d’un tout vis-à-vis des deux lurons, mais, qui sait, cela finirait peut-être par être de mise ?
Prenant une mine faussement terrifiée, il leva les mains en l’air et parla entre deux souffles exagérés.

« - Ok ok, je me rends, me faites pas de mal pitié. »

Son piètre jeu d’acteur encore une fois dévoilé, le garçon reprit peu à peu son sérieux. Après tout, la question qu’il venait de poser à son interlocutrice n’était pas dénuée de sens, ni de profondeur ; et la mine de cette dernière trahissait la gêne qui la gagnait. Une seconde, il se demanda s’il n’avait pas été trop arrogant en posant ce genre d’interrogation, mais après ce qu’il venait de révéler, ce n’était pas si affligeant.

La réponse, en revanche, le fit hausser durablement un sourcil. Pour éviter de répondre par la négative – une issue évidente -, la jeune femme avait préféré manipuler le sujet à son avantage. C’était malin, mais loin d’être assez subtile pour duper le gaillard ; quoiqu’il ne soit pas le plus fin des limiers à vrai dire.

« - Je vois … Tu n’as pas envie, de ... Changer ? »

Volontairement, il avait remis la discussion sur son chemin initial. En revanche, sa réplique n’était finalement peut-être que rhétorique : il y avait fort à parier qu’Alice avait envie de changer son existence – mais le pouvait-elle seulement ?

S'il remettait le sujet sur le tapis par une autre question, c'était bien parce qu'il avait réussi à comprendre qu'elle ne disait pas vraiment le fond de sa pensée. Il ne fallait de toute façon pas être un grand génie pour savoir qu'elle avait essayé de dévier sa réponse et la question en autre chose.
Après réflexion, ce n'était pas très honnête vis-à-vis de John qui lui avait livré une bonne partie de son histoire familiale alors que la bourge ne voulait pas entamer le sujet sur la sienne. Ses problèmes n'étaient sûrement pas aussi graves, mais étaient tout aussi important pour elle. Peut-être que tout au fond, elle se sentait légèrement mal et se forçait.

- Sans voix, j'avais beaucoup de mal à m'exprimer pour être crédible, qui aurait confiance en une voix robotique et synthétique ? C'est cette différence qui m'a donné envie d'avoir une voix, encore plus qu'avant. Et je pensais qu'elle allait m'aider à changer ce côté que j'aimerais différent.

Alors que ces yeux avaient regardé son interlocuteur dans les siens pendant presque toute la discussion, au moment où elle avait commencé à parler, son regard se baissa un peu pour regarder le torse de John. Son t-shirt n'était pas spécialement joli ni rien, mais c'était plus simple de s'imaginer parler à quelque chose qu'à un être vivant.

- J'aimerais avoir le courage de partager mes convictions et mes propres choix et que les personnes les comprennent. Parfois, je m'imagine entourée de monde, et j'ai beau hurlé, j'ai l'impression que personne ne s'en soucie.

Alice se doutait légèrement que John ne comprendrait pas où elle voulait en venir, et même s'il y avait quelques éléments à sa connaissance pour. Elle ne souhaitait pas être fiancée, alors pourquoi ces speeds dating ? Elle ne voulait pas reprendre la boîte de son père, alors pourquoi faire des études qui l'y aideront ? Ce n'était que les deux plus grands exemples auxquels elle avait pensé à ce moment-là, cependant, en y réfléchissant encore, elle pourrait en trouver beaucoup.

Elle avait surtout l'impression que sa propre vie ne lui appartenait pas et elle n'avait aucun courage pour essayer de changer ces faits.

Ne faisant pas attention à la contemplation t-shirtière de la demoiselle, John écoutait assidument la tirade de celle-ci. Être muette devait véritablement être un handicap de taille, et avoir passé vingt années à s’exprimer uniquement par le biais d’une voix robotique était absolument désolant – comment faire comprendre la colère, la tristesse, le désir à travers cet appareil ? A force de s’exprimer comme une machine, c’était peut-être la jeune femme qui avait commencé à se mécaniser : obéir, ne pas discuter, agir selon le protocole… Obscurcissant sa mine, le Nephil comprenait cela. Alice vivait un monde qu’il avait fui, et sa peine lui était évidente.

Néanmoins, il la laissa continuer. Elle en avait beaucoup sur le cœur, et la laisser s’exprimer librement de ses maux était une espèce de libération pour elle – du moins, c’était ce que s’imaginait son garde du corps.

« - Si je m’écoutais, je te conseillerai de faire mille choses contre ça. Mais est-ce que l’avis d’un type qui a tout fait pour échapper à ta vie est-il vraiment de valeur ? Je veux dire, j’imagine bien ce que tu ressens, mais je ne peux pas avoir une idée réelle de ce qu’il en est vraiment… J’ai toujours lutter contre ça… Est-ce que, parfois, tu as envie de te rebeller et de tout arrêter ? »

Une grimace passa brièvement sur son visage. Il ne fallait pas qu’il dise ça, qu’il influence la jeune femme. Il n’avait aucun droit de détruire sa vie.

« - Non, oublie. Je suis pas un type qu’il faut écouter là-dedans, je vais t’amener à tout planter… Fais ce qu’il te plait, mais ne m’écoute pas. »

Peut-être que se rebeller un peu l'aiderait à se libérer ou au moins à s'évacuer, elle qui n'avait jamais connu la crise d'adolescence. Les seules choses embêtantes qui avaient pompé ses parents jusqu'aux os étaient ses petites crises lorsqu'elle voulait quelque chose. Cependant, jamais elle n'avait manqué de respect à ses parents ou s'était permis de les contredire jusqu'au bout (À moins qu'ils ne parlent affaires par rapport à la Nightray Production. Il s’avérait qu'Alice avait des idées plus innovatrices que son père).

Tout de même, la jeune femme hocha doucement la tête pour confirmer les dires de John. Elle avait effectivement envie de tout arrêter et de balancer tout par la fenêtre.
Par-dessus tout, elle voulait abandonner la boîte de son père, c'était probablement ce qui la perturbait de plus en plus. Pouvoir faire ce que l'on avait envie. C'était un beau conseil, mais difficile à appliquer.

- John, j'ai une passion. Le dessin et la peinture.

Lorsqu'elle était petite, sa mère lui disait souvent qu'elle n'avait pas besoin de savoir parler pour s'exprimer, que l'art le ferait pour elle ; ce boîtier qu'elle avait n'était que superficiel et il n'y avait rien de mieux qu'un beau tableau pour montrer ses sentiments. Sa maîtrise du pinceau et son sens artistique étaient exceptionnelle, ce qui lui valait plusieurs titre et une renommée incroyable dans l'Europe occidentale.

Pourtant, même s'il s'agissait de sa passion, il n'y avait ni pinceau, ni cadre, ni tableau dans cet appartement. Les décorations murales n'étaient que photos et autres sottises qui s'éloignaient le plus de l'art que la fille des Nightray convoitait. Cela faisait maintenant plusieurs années qu'elle n'avait pas touchées à un seul pinceau, seulement des moyens techniques qui allaient lui apprendre à parler économie, politique et l'art de la comédie, de la musique et de l'audiovisuel.

- Faire ce qu'il nous plaît est bien trop difficile et avec la pression et l'attente d'autres personnes, c'est encore plus dur. D'un sens, j'admire la liberté que tu as.

La jeune femme se leva de sa chaise, tout en restant en face de lui un moment puis elle se retourna pour simplement la ranger contre son bureau, correctement. Elle ne pensait pas tenir la discussion trop longtemps. Peut-être qu'elle s'y méprend un peu, mais Alice n'avait pas envie d'aller trop loin et qu'il se mette à penser « Pauvre petite fille riche pourrie gâté ».

Sans se cacher, John fit une moue, impressionné. Il n’avait jamais envisagé que son employeuse puisse être une artiste, et ce nouveau trait de caractère chez elle renforça l’affection sordide qu’il lui portait – parce que oui, après des mois à la côtoyer, il avait fini par s’attacher un peu à la riche capricieuse qui lui versait son salaire. Et l’hébergeait. Et représentait la majorité de sa compagnie. Tout compte fait, c’était bien heureux que cela se soit développé.
A travers ce nouveau trait, il découvrait une autre facette de celle qui se tenait devant lui. Jusqu’alors, elle ne s’était montrée qu’uniquement sous la personnalité d’une héritière trop riche et gâtée, capable de s’énerver pour un rien si jamais on ne la traitait pas avec des égards royaux ; une espèce de Himedere s’il avait bien retenu sa leçon de termes japonais weirdo.


« - A ce que j’ai compris, c’est un bon moyen de s’échapper du monde quelques instants. »

Définitivement, lui ne faisait pas partie du monde de l’art. Dans le fond, c’était un type normal sans passion, à qui aucun talent virtuose n’avait souri – dans un sens, c’était logique : si l’on n’essaye pas et ne cherche pas à se perfectionner, rien n’arrive soudainement. Alors, au lieu de se taire il avait préféré retranscrire des paroles que quelques personnes lui avaient dites des années auparavant. A moins que ce ne soit au détour d’une oreille indiscrète dans la rue ? Quoiqu’il en soit, cette réplique lui semblait valoir son pesant de cacahuètes.

« - Ma liberté n’a rien d’admirable : je suis ton exact opposé. Personne n’attend quelque chose de moi, et il n’y a aucune pression sur mes épaules. Et pour ainsi dire, c’est tant mieux, sinon j’aurais bien déçus mes quelques spectateurs. Et ne prends pas ça pour un instant pleureuse, car tu sais tout autant que moi que je n’ai pas la moindre qualification. »

Clore le sujet le plus rapidement possible lui sembler désormais une bonne idée : il en avait déjà beaucoup avoué sur lui, et il n’avait pas franchement l’envie d’exposer l’échec qu’était sa vie davantage. Alors, comme s’ils étaient sur la même longueur d’onde, Alice se leva et replia sa chaise, invitant plus ou moins subtilement le jeune homme à déguerpir, quoiqu’avec un peu de sympathie tout de même.

« - Hm, il se fait tard. Je vais te laisser alors, merci de m’avoir écouté. »

Sa liberté n'avait rien d'admirable ? Il n'avait aucune qualification ? Pourtant, il s'en était très bien sortit. Il était le pire des rats d'égout, et maintenant, il était là à crouler sous un salaire qu'il ne pensait même pas pouvoir recevoir à jour en étant garde du corps d'une jeune femme héritière. Il s'en était plutôt pas mal sorti au final.

- Tu es quand même arrivé jusqu'ici par tes efforts, et aussi…

Parce qu'il avait souffert à cause de son père. Sans ce vœu, il n'aurait probablement jamais rejoint Alice en tant que garde du corps puisqu'au début, elle avait accepté puisqu'il était du même camp qu'elle et qu'il serait bien de l'avoir sous l’œil. Au final, elle avait fini par lier quelques sentiments à l'égard de ce jeune homme.
À vrai dire, c'était difficile de répondre à ce qu'il venait de dire, puisqu'il avait peut-être raison. Tout de même, elle tentait de lui trouver quelque chose.

- Tu n'as peut-être pas de qualification comme tu le dis, mais… Tu as plein de qualité que l'on ne peut pas ignorer.

C'était assez gênant de dire quelque chose d'aussi gentil, alors qu'hier, elle lui aurait vomi dessus. Parfois, être gentil avait ses bons côtés, et pour le coup, elle n'avait pas vraiment l'attention de l'enfoncer encore plus aujourd'hui. Il avait fait l'effort de lui parler de son passé. Elle, elle n'avait que survoler le sujet en posant ses impressions et ses envies. Elle n'avait jamais émis ces problèmes concrètement comme il l'avait fait.

En vérité, le fait de ranger sa chaise ne signifiait pas une fin de conversation, elle voulait surtout s'appuyer contre le dos de la chaise. Parler à John alors qu'il était debout était assez perturbant, alors elle avait décidé de se lever.

- D'accord, de rien, je te retourne les remerciements, disait-elle avant de prendre une petite pause, j'aimerais te souhaiter de manger des araignées toute la nuit pendant ton sommeil, mais l'appartement est trop propre pour avoir un seul insecte.

Elle dressa alors un petit sourire de taquinerie.

John observa son interlocutrice avec un grand sourire quelques instants. Jamais Alice n’avait été aussi clémente dans ses mots – mais voilà que ce soir, en lieu et place d’insultes absurdes, se tenaient des compliments à l’intention du jeune homme. C’était bluffant ce que l’honnêteté pouvait apporter à quelqu’un, et c’était une véritable ode à sa franchise qui était en train de se jouer.
Malheureusement, une partie de ces belles phrases étaient fausses. S’il était à cette place maintenant, c’était parce qu’il était allé faire la manche auprès d’une riche et qu’elle avait daigné l’aider ; sinon, il serait probablement toujours dans son appartement miteux, ou pire, en prison. Non, vraiment, sa réussite ne lui appartenait pas.

« - Si tu le dis … »

Partir en véritables explications là-dessus amènerait à un nouveau débat, et ce n’était pas tout à fait l’objectif de la manœuvre... Alors, il fuyait le clash autant que possible.

S’étirant, la petite remarque fit mouche dans ses oreilles. La voilà l’Alice qu’il connaissait ! Toujours prête à lui asséner une réplique assassine, parée à sous-entendre un quelconque défaut. Alors, un bras toujours levé, il mima l’expression de la demoiselle et lança quelques sons, avant de franchir le pallier l’air de rien.

« - Mince, faudrait peut-être faire un nettoyage alors. »

Maintenant dans le salon, le garçon soupira et se dirigea vers sa chambre, le visage bien plus enjoué qu’au début de la soirée. Avouer celui qu’il était réellement l’avait véritablement libéré d’un poids, celui de la culpabilité de mentir peut-être. A priori, cette nouvelle ne devait rien changer, du moins l’espérait-il.

Elle sourit légèrement attendit que la porte de sa chambre soit fermée pour commencer à bouger. L'heure était pour elle de se mettre à dormir les quelques petites heures dont elle avait besoin, et peut-être même rester dans son lit pour comater. La fraîcheur des draps était telle qu'on y resterait pas mal de temps. De toute façon, Cassandra viendra la lever en début de matinée puisqu'elle n'avait aucun cas le droit de faire la grasse matinée. Pourquoi ? Parce qu'une jeune femme bien élevée ne doit pas se lever à une heure si tardive.

Alice se dirigea alors vers sa penderie pour simplement se changer, ses bras bougeant par automatisme. Tandis qu'elle se changea, elle se perdit un peu dans ses pensées, dans des réflexions par rapport à sa passion, celle qu'elle ne pourra probablement jamais exercer. Cette discussion avait eut au moins plusieurs répercussions vis-à-vis de certaines choses, d'abord la vision qu'elle avait de John avait légèrement changé, mais aussi son propre discours concernant ce qu'elle ressentait l'avait tout de même poussé à se poser un peu plus de questions sur elle. Aurait-elle le courage un jour d'affirmer ce qu'elle souhaitait ?

Une fois habillée, elle ferma la penderie et commença à marcher en direction de son lit en passant devant la fenêtre. Son regard bleuté se perdit facilement à travers le monde qu'elle pouvait voir par-delà sa fenêtre. Un monde qui était illuminé de lumière, pour le quartier nord en tout cas. Les étoiles et la lune étaient tout aussi rayonnantes qu'à leur habitude. En descendant un peu son regard, elle pouvait apercevoir ce même homme chaque soir qui rentrait tard chez lui. Il était habillé modestement, sûrement un nouveau riche. C'était comme si elle revoyait à chaque fois le même film par sa fenêtre lorsqu'elle allait se coucher.
Non, rien ne changeait, et rien ne changera. D'un seul coup, elle ferma les rideaux d'un air mélancolique.