Clouds looks lonely

L

e vent soufflait fort mais il faisait beau tandis que le ciel, légèrement orangé, annonçait la fin de la journée.

“Aoba, attends-nous ici, on revient bientôt”

Les paroles de ma tante résonnaient dans mon esprit alors que je restais caché derrière un arbre pour observer l'horizon tranquillement.
J'étais très timide et facilement impressionnable alors je restais toujours dans mon coin, à attendre que les minutes passent, à attendre que ma famille revienne.

“Il est où ton papa ? Pourquoi t'as pas de maman ?”

On m'avait souvent posé ce genre de questions sans que je ne puisse y répondre : je ne savais pas. Que pouvais-je leur répondre ? Je n'en avais vraiment aucunes idées et même s'il m'arrivait de me le demander aussi : Pour moi, Len et ma tante étaient ma seule famille et c'était très bien ainsi.
Je me contentais de rester silencieux les rares fois où d'autres enfants m'abordaient sur ce sujet sans m'embêter. Caché derrière mon frère, j'étais bien trop effrayé pour oser dire quoi que ce soit alors que mon aîné, lui, n'avait pas peur de leur répondre avec nonchalance :

- Et alors ? Qu'est-ce que ça change ?

Il avait une facilité déconcertante pour rembarrer les curieux et les imbéciles : je l'admirait en quelques sortes. C'était d'ailleurs lui qui me protégeait des brimades et autres moqueries à l'école mais quand je me retrouvais seul, je n'avais d'autres choix que de le rester, d’espérer que personne ne vienne me causer des ennuis.
Mais ce vain espoir de tranquillité fut bien vite oublié en voyant arriver un petit groupe d'enfants à l’air familier et qui s'avançait dangereusement vers moi, un léger sourire vicieux aux lèvres.
Je restais collé à l'arbre avec une crainte dissimulée avant d'être complètement encerclé par la meute.
Un premier, me connaissant, se moquait de mon apparence, de mes cheveux trop longs qui me faisaient ressembler à une fille. En me regardant, n'importe qui s'y trompait et ce n'était pas sans me déplaire mais je n'y pouvais rien : ma tante savait très bien que j'avais horreur qu'on touche à mes cheveux car j'étais très sensible à cet endroit alors elle me les coupait rarement et je n'avais d'autres choix que de les garder longs.
Et puisque mon jumeau n'était pas là, il leur était facile de venir m'embêter : pire, un autre commençait à s'approcher d'un peu trop près pour attraper une de mes mèches avant de la tirer violemment.
Je me crispais de douleur tandis que leurs rires résonnaient autour de moi.
J'avais peur et j'étais trop faible pour leur tenir tête : je ne pouvais qu'attendre, prier pour que ça s'arrête, que ce petit jeu qu'ils trouvaient amusant les lasse vite.
Je savais que me voir pleurer les amuserait encore plus et je ne voulais pas leur faire ce plaisir mais les larmes me montaient aux yeux : j'étais sur le point de craquer.

《 Arrêtez… 》

Pourquoi me faire du mal était si amusant ? J'avais beau me le demander, je ne comprenais pas.

- Arrê… tez… leur demandé-je douloureusement, la gorge en feu à cause des larmes que je retenais même si je savais que c'était inutile. J'avais du mal à réfléchir correctement tant la peine et la souffrance que je ressentais m'empêchaient de le faire alors que les enfants continuaient de rire surtout devant ma détresse.

- Quoi ? Qu'est-ce que t'as dit ? Riait doucement celui qui tenait mes cheveux, tirant un peu plus fort tandis que je me crispais un peu plus, serrant les dents pour endurer la douleur.

《 Tata… Len… Revenez-vite… 》

Pensais-je avec désespoir en fermant les yeux.

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J

e commençais à avoir le souffle coupé, les larmes étaient sur le point de sortir et je ne pourrais rien faire contre.
Et le pire, c'était que ça n'arrêterait pas les autres, au contraire, ça les inciterait à me faire encore plus de mal.
Les yeux fermés, j’endurais le supplice jusqu'à ce qu'une voix retentisse juste à côté de nous :

- Hey, qu'est-ce que vous foutez ?

J’ouvrais les yeux, surpris tandis que les autres enfants s'arrêtèrent net avant de se retourner, l'un toujours avec mes cheveux dans la main mais il ne tirait plus. Je ne pouvais pas voir ce qu’il se passait à cause du cercle qu'ils avaient formés, aussi, lorsqu'ils détalèrent à une vitesse folle à cause d'une deuxième remontrance en lâchant leur prise, je ne pus m'empêcher d'haleter de tristesse avant d'apercevoir une femme tout en noir qui se tenait devant moi.
Un long silence se fit entre nous deux alors que je la détaillait du regard.
Elle était grande et son allure un peu dure aurait pu m'effrayer mais elle s'abaissa vers moi alors que son visage froid laissait place à un sourire.

- Ils ne t'ont pas trop fait mal, ça va ? Dit-elle gentiment.

- Ça… va… fis-je doucement en fixant le sol même si je continuais de retenir mes sanglots en haletant.

Je clignais des yeux pour essayer de me calmer mais trop tard, les larmes coulaient déjà.
J'aurais pu me mettre à pleurer et déverser toute ma tristesse mais je me remémorais encore les paroles de ma tante lorsque j'étais triste. Elle me disait de ne pas céder, de rester fort et j'écoutais son conseil en pinçant mes lèvres avant d’essuyer mes yeux avec la main. La vision un peu embrumée à cause des larmes, je reniflais discrètement pour faire partir le reste et dirigeais à nouveau mon regard vers l'inconnue qui venait de me sauver.
Silencieux, je la regardais sans savoir quoi dire, toujours un peu tremblant, la frayeur de tout à l'heure n'étant toujours pas partie.

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L

’inconnue vêtue de noir semblait hésitante, je me demandais d’ailleurs ce qui l’avait poussée à m’aider.
Ici, personne ne faisait attention à moi quand les autres venaient m'embêter, même les adultes ignoraient leur comportement et il n'y avait pas beaucoup de gens prêt à aider dans le quartier Sud, c'était le cas de le dire. Si ma famille n'était pas comment elle était, j'aurais certainement eu du mal à m'en sortir tout les jours...
La réponse un peu froide de mon interlocutrice aurait pu me surprendre aussi mais ce ne fut pas le cas : je ne m'attendais pas à trop d'affection d'un coup, ça aurait été bizarre pour moi. Surtout que je me serais sans doute remis à pleurer si je m'étais retrouvé devant quelqu'un de trop compatissant. Trop émotif ? Oui sans doute mais j'essayais tout de même de retenir mes larmes.

- Tu attends quelqu'un ? Demanda-t-elle en se relevant, regardant un peu partout alors que je me remettais à fixer le sol.

- Oui, dis-je doucement en traînant légèrement du pied.

Ma tante m'avait dit d'attendre ici, j'avais bien sûr le droit de me balader un peu mais seulement si je restais sur la colline avec les autres enfants.
Seulement, elle ignorait que j'avais des problèmes à l'école. Après tout, Len me protégeait et puis, je n'osais pas lui en parler donc je me suis toujours tu à ce sujet.
Je tournais le regard quelques secondes, captivé par le bruit à côté et remarquais d'autres personnes : un couple et deux garçons en train de jouer, ils avaient l'air de s'amuser. Ce que je supposais être le “père” s'amusait même à les pourchasser.
Cette vision idyllique d'une famille avait toujours été différente me concernant.
Je ne savais pas, je n'ai jamais su et je ne saurais certainement jamais.
Après un instant, je redirigeais mes yeux vers ma “sauveuse” sans savoir quoi faire puisque j'ignorais quand est-ce que Len et ma tante reviendraient avant de mettre mes mains derrière mon dos, hésitant alors que je m’acollait à l'arbre avec un air un peu perdu.

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lle restait toujours là, sans partir. Cette personne semblait aussi perdue que moi sur sa façon de se comporter.
Après tout, je ne l'obligeait à rien, elle pouvait partir si elle le souhaitais : je ne lui en voudrais pas… enfin… même si intérieurement j'avais peur que l'on me laisse seul encore une fois, que les autres reviennent dès qu'elle soit partie.

- Hm. Je m'appelle Iris Khan. Je suis juste de passage. Fit l'inconnue en essayant de sourire alors que je la détaillait du regard une nouvelle fois, cherchant à savoir s'il se dégageait d'autres émotions de son visage.

Elle venait de se présenter devant moi alors je supposais qu'elle allait rester un moment, ce qui me rassurait indirectement.
Cette personne avait une allure vraiment imposante, voir même jusqu'à paraître effrayante mais je lui étais reconnaissant en quelques sortes.

《 Iris… Khan… 》

J’essayais de retenir le patronyme alors que je fixais le sol.
Elle venait de se présenter : je devais donc lui rendre la politesse.

- Aoba, dis-je doucement en traînant du pied encore une fois.

Je ne parlais pas beaucoup : j'en étais conscient, mais j'avais toujours eu du mal à m'exprimer devant les autres, je restais très timide et toujours en retrait.

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J

e continuais de regarder Iris alors qu'elle décidait de s'asseoir contre l'arbre où je m'étais appuyé.
Elle avait l'air pensive : je me demandais à quoi elle pouvait bien réfléchir.

- Dis-moi, Aoba, as-tu déjà voyagé ? Demanda-t-elle avec un regard sur l'horizon depuis la colline florissante tandis que je la regardais, des yeux ronds d'étonnement.

- Voyagé ? Lui avais-je répondu doucement et machinalement tant j'étais intrigué par sa question, Non…

J'étais né ici et j’avais toujours vécu à Palema : j'ignorais tout du monde à cette époque-là.
M'approchant doucement d'elle, curieux, je la fixait droit dans les yeux en penchant la tête.


- Tu as déjà voyagé Iris ? Lui demandais-je en ayant tout de même quelques difficultés à prononcer correctement son prénom à cause de mes habitudes linguistiques asiatiques.

Son sourire penseur m'intriguait, il forçait l'admiration… Comme si elle savait beaucoup de choses : elle me rappelait ma tante d'une certaine manière.

hrp:

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I

ris s'arrêta de fixer l'horizon pour me regarder, un sourire aux lèvres avant de m’avouer qu'elle était actuellement en voyage. Elle me paraissait de plus en plus impressionnante, le fait d'être un enfant jouait-il là-dessus ? Sans doute, après tout j'étais à un âge où s'émerveiller devant quelqu'un était simple. Je n'étais plus un tant soit peu effrayé par ma comparse, non, j'étais intéressé par ce qu'elle avait à me raconter.

- Ce n'est pas la première fois que je viens, mais en général je passe mon temps en Afrique ou en Asie. Je suis venue accompagner mon père. Il... Travaille un peu partout dans le monde. Dit-elle avec un autre sourire assez étrange mais je n'en tenais pas compte.

En entendant les mots “Afrique” et “Asie”, cela me disait vaguement quelque chose, après tout, le maître d’école avait à peine commencé la géographie et il faut dire que j’avais quelques lacunes dans cette matière mais la voir m'expliquer tout cela me fit rester bouche-bée, affichant presque un sourire admiratif tandis que j'appuyais inconsciemment mes mains sur elle pour continuer de l'écouter. Elle se déplaçait donc beaucoup et rien que de le savoir, je l'imaginais déjà connaître pleins de choses sur le monde entier : naïf ? Oui je l'étais.

- Avant de venir ici j'étais à Taïwan, par exemple. A côté de la Chine et du Japon. Tu vois où c'est ? Me Demanda-t-elle alors que je l’observait, un regard interrogatif tout en secouant un peu la tête pour lui répondre que non.

J’étais né ici mais mon sang venait du Japon : c'est une chose que j'ignorais malgré le fait que je pouvais parler japonais tout naturellement puisque c'était la première langue que j'avais apprise. Ne pas savoir d'où l'on vient… c'est une chose que j'ai souvent vécu et même enfant, je ne me souciais que très peu du pourquoi et du comment puisque tout ce que je considérais comme acquis me paraissait l'évidence même : les choses étaient ainsi, point final. Un enfant ne cherche pas plus loin. Mais devant Iris, c'était comme si toutes ces choses prenaient un sens, comme si je trouvais un intérêt à découvrir ce monde dont j'ignorais tout.
D'ailleurs, à cet instant précis, je la considérais déjà comme une personne incroyable tandis qu'elle sortait son téléphone pour me montrer une image.
Comme sur le globe terrestre de mon professeur, elle me montrait un endroit précis d’une carte et qui m'était familier, je me concentrais même dessus pour retrouver le nom de l'océan qu'il nous avait demandé d'apprendre mais sans succès.

- Tu es allée si loin que ça ? Répondais-je avec émerveillement en détournant mon regard de l'objet électronique pour la regarder droit dans les yeux, me penchant un peu plus sur elle avec un regard toujours aussi rond d’étonnement.

Des questions, comme tout enfant de cet âge, j'en posais souvent mais surtout à ma tante à cause de ma timidité : Iris était la première personne avec laquelle j'étais devenu aussi curieux après ma tutrice alors que j'arrêtais d'ouvrir la bouche pour lui sourire avec sympathie. Ça aussi c'était nouveau, sourire à une autre personne qui n'était pas de ma famille… J’en oubliais presque le fait que j’étais ici pour attendre cette dernière tant la conversation avec mon interlocutrice m'intéressait.

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C

e qui me semblait incroyable, lui paraissait tout à fait normal. Iris était allée loin, plus loin que je ne pouvais l'imaginer à cet âge et la réponse modeste de mon interlocutrice renforçait cet attrait impressionnant qu'elle dégageait tandis que cette dernière continuait de me montrer l'endroit d'où elle venait.
Ce bout de terre montré sur cet écran ne me disait rien mais l'endroit semblait si éloigné, j'en restais toujours surpris.

- Tu n'aimerais pas retourner là-bas ? Lui demandé-je intrigué.

Cette question innocente ne cachait aucune arrière pensée, elle savait où elle était née. C'était quelque chose que je n'avais pas…
Ma comparse m’avait expliqué qu'elle voyageait sans arrêt à cause du travail de son père, j'étais étonné, elle devait en avoir vu des choses mais lorsque celle-ci m’appris qu'elle n'avait pas vraiment de foyer, je me suis senti assez triste pour elle.
Ne pas avoir de maison, pour la majorité des enfants cela paraissait presque impensable.
Alors je ne répondait rien, restant silencieux quelques instants avant de me demander ce que je pourrais faire. Je savais bien que je n'y pouvait rien mais c'était plus fort que moi.
Aussi, lorsqu’Iris décidait aussi de rester silencieuse, je ne pus m'empêcher de l'enlacer affectueusement comme ma tante quand elle essayait de me consoler. Mon geste était peut être maladroit mais je voulais apaiser ne serait-ce qu'un peu cette personne qui me donnait l'impression d'avoir un manque. Ce manque, j’en avais un ou plutôt plusieurs même si j’avais souvent tendance à l'oublier. Quelque part, je me sentais compatissant pour elle.
Je voulais faire quelque chose.

- Ça devait être dur, de pas pouvoir rentrer. Fis-je doucement sans la lâcher.

Ne pas avoir de chez soi, quelqu'un qui t'attends le soir. Cette solitude, me rendait morose mais cette étreinte affectueuse, je ne l'avais pas faite par pitié, non, elle était sincère alors que je restais ainsi sans perdre cette volonté de la consoler.

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E

n soi, j'ignorais si mon geste avait été impoli ou non, je n'avais pas réfléchi. Cette accolade avait-elle été efficace ? Je n'en savais rien mais en entendant sa voix d'un ton légèrement tremblant, je me suis dis que ça avait du avoir de l'effet : en bien ou en mal ? Là était la question mais je n'y réfléchissais pas, me contentant de rester ainsi jusqu'à ce qu'elle finisse de se raidir.
Mais lorsque ma comparse apposa une main sur ma tête, je ne pus m'empêcher d'être surpris.
Je n'avais jamais laissé quelqu'un toucher à mes cheveux, même encore maintenant, ce n'est pas un geste que j'apprécie même venant de ma tante, mais étrangement, sur le coup, ça ne m'avait pas dérangé. Je l'avais laissé faire comme lorsque ma tutrice passait une main dans les cheveux de mon frère. Aussi, le plus intriguant était que je n'avais ressenti aucune douleur comme j'en avais l'habitude. Oui, je n'étais pas prêt d'oublier ce jour rien qu’avec ce détail qui pourrait paraître insignifiant pour n'importe qui.

- Merci, tu es vraiment adorable. Fit-elle alors que je la laissais se retirer.

Iris devait rentrer mais je ne lui en voulait pas : j'avais beau être jeune, c'était quelque chose que je pouvais aisément comprendre et puis… Le sourire qu’elle m’avait donné, m’a convaincu que mon geste n'avait pas été inutile. J'étais même plutôt content d'avoir pu l'aider ne serait-ce qu'un peu.
J’acquiesçais donc à son au revoir, lui rendant son sourire au passage en me demandant où serait sa prochaine destination.
Je n'étais d'ailleurs pas resté seul bien longtemps, ma tante accompagné de Len sont revenus plutôt rapidement et en me demandant si tout allait bien, ma tante avec un visage surpris, n'avait eu comme réponse qu’un visage souriant tant la scène restait gravé dans ma mémoire.
Encore aujourd'hui, il m'arrive de me souvenir de cette personne : où est-elle en ce moment même ? Voyage-t-elle toujours ?
Je l'ignore mais j'espère qu'elle continue de sourire comme elle l'avait fait pour moi : ça lui allait drôlement bien.