L'hôpital de l'est est idéalement situé dans la ville, profitant à tous ceux qui n'ont ni le temps ni les moyens de se rendre dans celui du Nord. Le bâtiment est regroupé en quatre ailes : l'aile arrière gauche spécialisée pour les accouchement, les soins des enfants de maladies légères et les rendez vous avec des médecins généralistes. L'aile arrière droit, spécialisée dans les urgences et petits bobos, possède des chambres pleines de petits patients, attendant calmement de pouvoir rentrer chez eux. Cette aile regroupe quelques urgences un peu plus graves mais gérables comme les crises cardiaques, les AVC etc. L'aile avant gauche, elle, se spécialise dans la cancérologie, les maladies graves, ou les pathologies potentiellement mortelles. Quelques chercheurs y trouvent leur bonheur grâce à quelques salles de laboratoires. L'aile avant droit, pour finir, se résume par les urgences difficilement gérables, comme les grands brûlés, les accidentés de la route, ou encore les victimes d'importantes agressions. Elle est l'heureuse détentrice, donc, du deuxième centre d'urgence de l'hôpital, celui où il n'a a pas d'attente, les cas étant trop graves. C'est l'aile est la plus inquiétantes de toutes, on dit qu'il y règne une ambiance macabre, bien qu'elle soit la plus optimisée en terme de technologie médicinale.

Trois jours. Trois jours seulement que je n'ai rien pris depuis ma dernière chute, et je ressens déjà mes démons me saisir l'épaule et essayer de me pousser vers mes vices. Sans le moindre doute, je serais sorti de chez moi pour prendre ma dose quasi-quotidienne. Seulement un événement majeur se préparait ce jour là. On m'avait contacté, la veille. C'était une des nombreuses associations d'aide contre les addictions avec laquelle j'ai communiqué. Son principal pôle se trouvait dans la clinique de l'est de Palema, oui, dans cet hôpital où mon frère et moi avions vu le jour. Le gourou de cette organisation, c'était monsieur Swanders, un médecin réputé grâce à ses greffes et ses prothèses, mais aussi très actif en ce qui concerne les inégalités sociales. Il est même passé à la télé, dans une petite émission sans importance, diffusée par une chaîne sans importance.
J'avais donc rendez vous dans cet hôpital avec un autre docteur, qui fait parti du cercle de cette fameuse association «Reconnect your live ». Je trouvais ce nom vide de sens, pas très littéral mais après tout, ce sont des scientifiques qui ne sont pas tombés dans les travers de la drogue, alors bon, ils pouvaient se permettre un nom aussi déconnecté, décalé de la réalité. Parce que la vie n'est pas un jeu vidéo. Ils ont sans doute voulu se la jouer geek. C'était selon moi ridicule.
Mais je me devais d'y aller, je me devais même de me présenter partout où l'on me proposerait un rendez vous, c'était pour mon bien. Les travers de la drogue ont fait trop de mal à moi, et à ma mère, bien qu'elle fut volontairement méchante, elle, dans le fond !
J'avais une mine affreuse. Mes cernes semblaient être sans fin, j'avais une dégaine de clochard, rien à voir avec le Mathieu d'avant ! Il me manquait.
Je fis néanmoins un effort sur moi même, tentant de me rendre présentable. J'enfilais mes habits les moins endommagés, et il était enfin temps de partir.
La route parue longue sur le chemin. Je passais d'un bus passant par le quartier sud, peu fréquentable, à un autre où les "monsieur tout le monde" semblaient tous s'ignorer. De tous, ce sont bien eux les plus tristes.
Après plus d'une heure d'attente de bus et de route, je me trouvais en face de l'hôpital. J'y allais souvent en ce moment.
Allez ! Courage ! Avec détermination et crainte, je pénétrais l'hôpital. J'avais rendez vous dans l'aile arrière gauche, dans un endroit un peu plus à l'écart des autres, je suppose par soucis de confidencialité. Tout le monde n'a pas forcément envie de s'afficher en tant que toxico en puissance. J'étais d'ailleurs seul dans la petite salle d'attente dans laquelle je me trouvais à l'étroit. Je regardais mon petit post-it pour l'occasion.

« 14H30, Docteur Wells ».

Ce nom m'était familier. C'était peut-être ce médecin chauve qui m'a recousu la main?? J'en avais même gardé les cicatrices !
Je me perdais dans mes pensées, quand soudain, le docteur en question ouvrit la porte.

« - Mathieu, c'est à vous.»

Il connaissait mon nom, et moi je connaissais son visage. Un simple doc m'aurait appelé monsieur Descarmes, lui fit le choix de me nommer par mon prénom. Il avait l'air dépité. D'autant plus que c'est cet homme, qui m'avait mis au monde.

«  - Je suppose que ça ne pouvait pas se passer autrement... Je dois dire que ce n'est pas une joie de te voir ici. »

Je sentis un étrange sentiment de culpabilité. 26 ans après ma naissance, cet homme ne m'avais pas oublié. Il m'avait indirectement confié lors de la naissance de mon frère, que le jour de ma naissance était le plus difficile pour lui. Je devais être le premier enfant né d'une mère à problème qu'il connaisse. J'ai dû le marquer. J'ai dû marquer sa carrière.

«  - Allez viens dans mon bureau, on a une bonne nouvelle pour toi. J'espère que tu ne fera pas comme ta mère.
- Non … Plutôt mourir.
- Hm. Je préfère entendre ça. Allez, rentre. »

On entrait dans une petite pièce ordinaire, un bureau semblable à celui d'un secrétaire, l'hôpital n'a pas dû mettre beaucoup de moyens dans les associations. Soigner les riches ça paie plus, alors qu'aider gratuitement, ce n'est après tout pas plus utile qu'une voiture qui s'embourbe.

«  - Alors, dis moi … Quoi de neuf depuis … 8 ans maintenant ? C'est ça ?
- 10 ans monsieur.
- Ah oui ? Déjà. Putain. Je suis déjà vieux, ça va tellement vite. Heureusement je ne suis plus tellement loin de la retraite. Alors, quoi de neuf.
- Eh bien … Ma mère est morte .. Y'a cinq ans. »

La nouvelle semblait … Le réjouir. Lors d'un centième de secondes il avait esquissé un petit sourire sadique. C'était compréhensible. Je pense que tout le monde était soulagé de sa soudaine absence. Mais ça me donnait toujours des frissons dans le dos.

«  - AH ! Désolé …
- C'est pas grave.
- Bon, parlons de toi. Comment vas-tu ?
- Ca peut aller. J'essaie tant bien que mal de prendre la garde de mon frère depuis la mort de ma mère. Mais la loi me jugeant trop immature et trop jeune me l'a interdit. Et c'est depuis que je suis tombé dans … Cette merde !
- Hm .. Oui … Je vois. Il faut dire que ton quartier n'optimise pas tes chances de t'en sortir mais .. Bon !! Je suis quand même content que tu aie pris l'initiative de tenter de t'en sortir, et on y arrivera ! Justement, j'ai une excellente nouvelle.
- Vraiment ? Un bonne nouvelle ?
- Oui, tu as donné à mon supérieur, le docteur Swanders un CV, et on s'est penché dessus. Habituellement, on est obligé de donner de petits boulots à ceux qu'on essaie d'aider, mais toi ton dossier était vraiment différent. Et … Une opportunité est tombée du ciel. »

J'arrivais rapidement à la conclusion, vers où il voulait en venir, seulement, j'avais vraiment peine à y croire. Après cinq années de galère, cinq année de chute libre, je commençais à deviner une petite lueur d'espoir.

«  - Vous allez vraiment …
- Oui c'est ça. Je t'explique.
- Heum … D'accord.
- Il se trouve que tu as fait des études en biochimie et analyse, et d'après les rapports de tes anciens professeurs d'université, tu étais un élève beaucoup trop sous-estimé. Il y en a même un qui t'a qualifié de petit génie. Tu es aussi un chimiste remarquable. Ca changeait pas mal des autres CV et dossiers qu'on pouvait recevoir.
- Vous allez … M'offrir un emploi en rapport avec la science .. ?
- Presque .. Enfin .. Pas tout à fait … Je te propose un métier de technicien en laboratoire … En quelque sorte.
- En quelque sorte ? Je vais aider des chercheurs en université … ?
- Hiiiii … Pas … Vraiment. Le détail c'est que … Je te propose un métier d'avenir .. Vraiment .. Mais tu devras évoluer dans un milieu très particulier.
- Heum .. Dites moi .. Pourquoi une place s'est subitement libérée pour moi ? »

Wells était de plus en plus gêné. Il ne savait plus où se mettre. Le pauvre homme vit la teinture de sa peau virer au rouge vif.

«  - L'homme qui occupait ton poste avant toi … Enfin … Si tu l'accepte, ce poste … S'est … Suicidé il y a une semaine à peu près. Les collègues sont encore un peu sous le choc, et … L'ambiance y est encore plus terne que d'habitude. »

Je fut choqué par cette déclaration, mais rapidement je m'attachais à un détail.

«  - Plus .. Que d'habitude ?
-Oui … C'est le deuxième point un peu …
- Dites moi … Ca fait dix minutes que j'attends de savoir où je travaillerai !
- En fait … Tu vas avoir le plaisir … D’ausculter, la personne à qui tu prendras la place … Haha. »

Le rire gêné de Wells contribua grandement au malaise général de la pièce. Il avait tenté de l'atténuer avec cette blague, mais ce fut le pire échec que je n'ai jamais vu de toute ma vie.

«  - … Quoi ? Médecin légiste ?
- Alors non … Technicien de salle d'autopsie … Tu devras … Aider les médecins légistes dans leur tâche. Avant leur arrivée, tu laveras les nouveaux corps, tu les aseptiseras. Pendant les opérations d'autopsie, tu accompagneras ton supérieur. Ensuite, s'il y a des échantillons … Ou quoi que ce soit à analyser, c'est aussi toi qui t'en chargeras.
- AH ! Je ne sais pas trop docteur. C'est un métier … Enfin …. L'ambiance sera particulière et … C'est pas tellement dans mes principes et ...
- C'est payé 2700 dollar par mois.
- Je commence quand ?
- Lundi prochain.
- Okay.
- On te donnera les directive sur place. Je suppose que tu es capable de déceler n'importe quoi à partir d'un échantillon ?
- J'ai fait ça souvent, ça va aller, ne vous en faites surtout pas. »

A ce moment précis, je venais de faire ce premier pacte qui allait changer ma vie. J'avais quelques pensées fleuries comme « PUTAIN 2700 BOULES BORDEL DE M***** !!! MAIS QUEL CHA**E!! ». Mais bon. Je repris vite mes esprits. Je quittais alors la pièce, heureux, j'avais hâte de décortiquer mes premiers cadavres … Enfin, j'allais pas le faire, mais assister à ce genre de scènes pour un aussi bon salaire, ça vaut clairement le coup. Et puis le médecin légiste est un ami de Wells ! Comment cela aurait pu mal se terminer ? Hahahaha ! Cette vie n'est qu'un enchaînement d'opportunités. Je me devais de les saisir, j'étais tombé trop bas.
Je repartais de l'hôpital, avec un job en poche !