Maison des Armani:

-" - P...p...pas l...li...li...livre."

De toute évidence, John avait touché juste en s’intéressant aux livres. Vu la réaction de la fille, John pouvait déjà être certain de pas mal de choses : Premièrement, elle était sacrément paniquée, pas étonnant vu la situation ; sauf qu’en général John n’impressionnait pas vraiment ses victimes, et au fond de lui ça lui remontait sacrément l’égo. Deuxièmement,  la fille semblait être attachée à ces livres pour demander, terrorisée, à John de ne pas y toucher. Et troisièmement, elle n’avait pas l’air de savoir se défendre, ce qui était un sacré bon point pour John. Sa récente débâcle lui restait en travers de la gorge.

« - Ah ? Pas les livres ? Tu as une autre idée alors ? Non parce que ce serait triste que je reparte les mains vides tout de même, j’aimerais bien passer plus de temps en ta compagnie ! »

Il ne savait pas pourquoi il avait fini sa phrase de cette façon. Il avait toujours eu un petit complexe lors de ces cambriolages, celui de ne jamais dominer. Et aujourd’hui, il avait cette sensation, et ça lui permettait de se laisser aller, être enfin cynique. Il n’avait pas éprouvé autant de plaisir à parler pendant un cambriolage depuis celui de la boutique de vêtement cet été… A ce sujet, il avait toujours des fleurs à offrir à la vendeuse ; enfin, là n’était pas le sujet. Mais les fleurs pouvaient être une idée, il pourrait peut-être jouer là-dessus dans le futur… Si elle n’appelait pas à l’aide avant. Enfin, ça devrait un peu pimenter sa soirée, elle finirait bien par se plier au jeu ; du moins John l’espérait.

John n’avait pas encore perçu de bruit au-dessus ni de mouvements de lumière, il s’imaginait donc pour l’instant ne pas avoir été repéré. Et même s’il venait de dire le contraire, il avait vraiment hâte de quitter cette maison. Même s’il se sentait puissant, même s’il pouvait presque dire ce qu’il voulait, l’essence même de ce cambriolage le dérangeait profondément. Il n’oubliait pas qu’il était ici car il s’était fait ridiculiser magistralement par cette force de la nature, et qu’il devait se racheter un arc. Enfin, s’il s’en rachetait un au final. Car à bien y réfléchir, même s’il l’avait pris au départ pour imiter son cher Robin des Bois, ce n’était vraiment pas pratique…

« - J'ai d...d...des b...b...ba...bagues aussi. »

Elle était vraiment terrorisée, et passé les premiers instants où cela l’amusait, maintenant John s’en voulait presque. Il passait pour un monstre, voire peut-être même pire, aux yeux de cette jeune fille, et il était évident qu’elle ne pourrait même pas imaginer qu’il faisait cet acte mauvais dans un but… bon. Néanmoins, il se leva et ramassa le bracelet qu’elle avait essayé de lui lancer ; il ne voulait pas repartir bredouille. En fait, c’était la première fois qu’on le prenait pour un vrai voleur, et finalement cela ne lui plaisait pas vraiment. Même si elle ne pouvait pas discerner les traits de son visage, John prit un air presque compatissant.

« - Je suis pas un monstre tu sais. Je te l’ai déjà dit, je n’ai aucune intention de te faire du mal ; et finalement ce que tu me proposes est meilleur que ce je voulais faire. Ce serait incorrect de se faire de l’argent avec de si beaux livres en fin de compte, et les personnes qui y tiennent à ce point sont rares. Je vais me contenter de ton bracelet, il a l’air d’avoir beaucoup de valeurs. »

Il s’avança vers elle, se secoua la tête et reprit

« - Va pour les bagues. Et après, je partirai aussitôt. »

De toute façon, il passait pour un enfoiré dans tous les cas, donc autant en profiter un peu. C’était rare pour lui de ramener un butin aussi conséquent, et aussi facilement, donc il voulait en profiter un peu. Et peut-être qu’au lieu de se racheter un arc, il utiliserait tout cet argent pour préparer les enfants du quartier Sud à l’hiver, ce serait plus utile.
Etrangement il repensa au braquage qu’il commit cet été, et il se dit qu’il allait agir à nouveau de cette façon. Au moins, ça la surprendrait, car c’était pas vraiment académique comme façon de procéder.

« - Ah, et, tu préfères quoi comme fleurs ? »

Définitivement, John devait être dérangé pour faire tout cela.

La jeune fille s’écarta quelques instants, puis indiqua quelque chose à John.

« -Elles sont là… »

John s’approcha, en faisant attention de ne pas trop frôler l’inconnue. Elle était déjà paniquée par sa présence, et cela ne l’amusait plus. Il ne voulait pas effrayer quelque à ce point, et était déjà confus de remords ; alors il était hors de question d’empirer la situation.

« -La… tu… tuli…pe. »

Il prit son temps avant de lui répondre. Il venait d’ouvrir la boîte, et vit plusieurs bagues qui semblaient avoir de la valeur. Vraiment, il était en train de dépouiller une innocente et cela ne lui plaisait guerre. Mais il ne pouvait pas faire marche arrière. Alors il releva la tête, prit ses distances en se dirigeant par où il était venu, et se décida enfin à parler.

« - Je suis désolé, jeune fille. Tu auras de belles tulipes devant ta porte bientôt… Je te le promets. Je… »

John s’arrêta, le regard perdu. Alors il secoua sa tête pour reprendre ses esprits, et commença à ouvrir la fenêtre pour s’enfuir. Une fois qu’il ressentit l’air frais sur son visage, il s’adressa à nouveau à la femme qu’il venait de voler.

« - Tu ne me reverras jamais. Ou alors, cette fois je ne te voudrais aucun mal. »

C’était cliché, et même ridicule dans cette situation. Mais John était honnête ; ce vol s’était trop bien passé alors qu’il faisait un de ceux qu’il haïssait. Pourquoi fallait-il qu’il réussisse uniquement les cambriolages de nécessité, et non ceux qu’il planifiait pour donner une leçon aux corrompus. Ce soir, il s’était fait honte.

Alors John mit la boîte dans sa poche, entreprit de descendre la façade et se dirigea vers la boîte aux lettres. Donc ce sont les Armani. C’est noté, je tiendrai ma promesse. Et il courut à s’en arracher les poumons pour rentrer chez lui. Il avait honte, vraiment honte d’avoir terrorisé cette jeune fille ; elle l’avait sûrement imaginé en monstre. Comment faire comprendre aux gens qu’il fait ça pour aider des personnes s’il effraie les gens qu’il rencontre ? Enfin, cette réflexion absurde le fit presque sourire : il était voleur, il était le mal. Imaginait-il vraiment pouvoir être apprécié des gens malgré son activité ? Était-il si naïf ? Il n’en savait trop rien.
En fait, la seule chose que John savait réellement, c’était qu’il se sentait seul.