L’Elu venait tout juste d’être nommé. Il avait fort à faire, visible par les allées et venues jusqu’à son bureau. On parlait. On discutait. Lenna avait choisi d’agir. De montrer qu’elle méritait d’être passée accomplie. L’information donnée par Aria il y a de cela quelques mois venait enfin d’aboutir à quelque chose de concret. Stella. La pacifiste qui cherchait à arrêter une guerre pourtant inévitable. Accompagnée d’un Seraph plus puissant, tout aussi radical, elle s’apprêtait à mettre un peu au clair les idées de la Seraph.

Un mince sourire de satisfaction étira ses lèvres, quand elle vit sortir la jeune fille de la pâtisserie. Pile à l’heure.

Bonjour, Stella.

Elle fit quelques pas, accompagnés de sa canne jusqu’à elle.

J’ai à te parler de choses sérieuses, concernant notre Nature.

Allait-elle fuir ? Se justifier ? Comprendre ? Accepter ? Lui faudrait-il la menacer ? Ou pire ?

Elle ne se doute rien. C’est pitoyable. Restons poli. La source d’Aria s’était vérifiée exacte au sujet de Samantha. Il n’y avait pas de raison qu’elle se soit trompée pour Stella.

J’ai appris de source sûre que tu veux sympathiser avec l’ennemi.

Elle ignora sa question sur les informations. Ce n’était pas à elle de répondre aux questions mais à Stella. A elle de se défendre, et peut-être que Lenna saurait se montrer accommodante pour lui livrer quelques faits du passé. Peut-être.

Explique-moi.

Aucune trace de bienveillance ou de sourire n’était visible sur son visage. L’heure était grave. On parlait de traitrise. Traitrise qui pouvait entrainer la mort. Stella devait certainement comprendre la présence de l’autre type, plus fort, désormais, sous cette menace palpable dans l’air.
Elle avait déjà mené ce genre d'entretien. C'était plus facile désormais. La haine féroce commençait à laisser place à une colère calculée, bien plus dangereuse et plus difficile à contrer.

Parler de cela ailleurs s’imposait effectivement. Elle avait avoué avec une facilité déconcertante.
Lenna les entraina dans une ruelle adjacente, où personne ne les entendrait, ni ne les verrait, à moins de sortir sa poubelle pile à ce moment-là, ce dont elle doutait, le quartier étant en pleine affluence, pas de rangement en cours.
Elle se tourna, dos à la lumière, prunelles dardées sur le visage de la honte de leur faction.

Tu reconnais avoir des pensées de traitrise.

C’était bien de cela qu’il s’agissait. Elle ne cherchait même pas à se défendre, à nier, à trouver une autre solution comme l’avait fait Samantha. Elle n’était pas à la hauteur. Lenna ne rechignerait pas à l’éliminer si on lui en donnait l’ordre.

Tu dois cesser tout contact avec les Nephils, toute tentative pacifiste.

Ou alors… Je te tuerai de mes propres mains. Elle n’hésiterait pas à le faire. Le sang d’autres personnes maculaient déjà ses doigts, lui collait à la peau. Le premier était difficile. Les autres se suivaient sans problème.

C’était un nom qu’elle n’aurait jamais dû prononcer. Lenna sentit sa colère se cristalliser autour de l’agacement que lui causait jusque-là la jeune Seraph. Oser l’accuser de pareilles sottises revenait à passer pour une folle. Elle fit un signe de tête infime à l’homme qui l’accompagnait, sans dire un mot.

Le type s’avança et empoigna Stella au col, la plaquant contre un mur de la petite ruelle, les pieds touchant à peine le sol.

Lenna s’approcha de façon à être bien visible de l’effrontée. Elle n’était pas aussi douée qu’Adonis pour n’utiliser que les mots. Sa voix restait froide et dénuée de toutes émotions. Calme, sans ton. Sans rien. Vide.

J’ai failli réussir à l’éliminer il y a peine deux jours de cela, petite sotte.

Son corps gardait encore les traces du combat en elle, et plus particulièrement cette vague de regret qu’elle avait eu beaucoup de mal à digérer.

Je m’en servais comme d’un instrument, mais il ne m’était plus utile. Et si tu persistes à faire confiance à des Nephils, c’est toi qu’on retrouvera égorgée dans ton sommeil par l'un d'eux après t'avoir bien manipulé. Pas moi.

Quitte à ce que ce soit moi qui te tue plutôt qu’un ennemi qui pourrait te subtiliser des informations. Le plus important n’était pas là. La vie de Stella ne lui importait pas tellement.

Par tes actes, tu mets en danger la vie de tous les autres Seraphs. Veux-tu avoir la mort sur la conscience de centaines de personnes ?

Je ne te laisserai pas arriver jusque-là. Crois-moi. La menace était tout ce qu’il y a d’implicite, mais elle ne doutait pas que Stella comprendrait. Elle avait été suffisamment intelligente pour trouver le nom de ce sale Nephil d’enfoiré.

Ah. Voilà. Le cri du refus de voir des personnes mortes par sa faute convainquit Lenna. Elle ne chercherait plus à trahir sa faction, sans penser à chaque fois à tous ceux qu’elle pourrait tuer par ses actes. Le malabar relâcha la pression qu’il maintenait sur Stella, et recula d’un pas, silencieux. Le corps achetait bien des choses que l’argent peinait à consolider.

- Pourquoi... Pourquoi as-tu accepté de te joindre à cette guerre? Est-ce la une manière pour toi de protéger?

Un sourire sans joie étira le visage de Lenna qui la fixait de ses prunelles éteintes. Si naïve. Si innocente. Tellement futile. Elle était à côté de tant de choses.

Il n’y a pas de choix. Soit tu acceptes, soit tu meurs.

Il fallait qu’elle comprenne maintenant. Maintenant et avant de faire une erreur qui pourrait les affaiblir plus qu’ils n’étaient déjà par le changement d’Elu. Un mal pour un bien, espérons.

Je connais la vérité. J’ai tout vu.

Ce souvenir la renvoyait à sa propre faiblesse. Lâche. Tu es inutile. Seulement, ce n’était pas aussi simple.

Un Nephil l’a assassiné.

Si là, elle n’était pas convaincue de la Nature néfaste de ces créatures, il valait mieux qu’elle meurt immédiatement par ses alliés que de connaitre la souffrance qu’elle-même ressentait encore et qui la rongeait sans fin, sans cesse.

Froidement. Sans aucun remords.

C'était dur à entendre. Mais elle devait l'entendre. Pour s'endurcir. Évoluer.

Ta copine était en train de le remercier de son aide pour tuer une Ombre.

Lenna ne sourcilla pas d’un yota quand le kekkai se déploya autour d’elle, pas plus quand le mur se fissura dans ce monde fictif. Cette rage elle la connaissait bien. Elle lui était tellement familière qu’elle lui collait à la peau, et qu’elle se voyait dans une parcelle de Stella. Ce hurlement lui rappelait celui qu’elle avait produit à la mort de Julien, quand même sa peau se refusait à écouler la douleur qui la parcourait. Elle ressortait toujours insatisfaite de ses séances d’automutilation puisqu’aucun sang ne sortait d’elle.

Je ne sais pas qui a tué Tenko et Shizuo.

Elle s’en moquait. Ils étaient tous de la même engeance. Peu importait que l’on tue l’assassin d’un, plutôt que celui de notre connaissance. Ils devaient tous mourir, se faire occir jusqu’au dernier comme des rats qu’on chasse d’un lieu à protéger.

Origan a été tué par David, un Nephil puissant. Trop puissant pour toi.

Cela risquait de la mettre en colère, mais Lenna ne craignait pas Stella. Cette rage lui était tellement familière qu’elle s’en voulait presque de l’avoir provoqué. Presque. C’était pour son bien. Elle comprendrait plus tard, quand les émotions se seront diluées dans le temps.

Si tu veux l’atteindre, tue ses alliés plus faibles à ta portée. Pour devenir plus forte

Un mince sourire étendit les lèvres de Lenna. Gagné. Cet épisode avec Russel, malgré les traces qui restaient, plus profondes que celles visibles physiquement, allait finalement lui servir dans sa lutte contre l’espèce maudite des Nephils qui se croyaient tout puissants. A ouvrir les yeux aux Seraphs trop utopiques, en recherche de justice. Transformé cette justice par une vengeance implacable était parfait.

Je te communiquerai les noms de Nephils dangereux à ta portée.

Voilà une parfaite petite arme à disposition. Elle serait utile à leur cause. D’arrêter cette guerre purement et simplement, elle avait compris que cela n’aurait lieu qu’à moins d’éliminer tous les Nephils. Vision en parfaite adéquation avec ce que ressentait Lenna. Son pouvoir était intéressant mais Lenna ne pouvait lui laisser voir ses faiblesse, et plus encore…

Je possède des informations confidentielles que je ne peux te communiquer. Elles sont réservées à l’Elu.

Sa rencontre avec Melkyor devait rester secrète, tant qu’Adonis n’aurait rien décidé à son sujet. A lui de révéler cette information aux autres Seraphs ou non.

Mais Jack… Fais profiter de tes souvenirs.

L’homme s’avança en haussant les épaules. Il n’avait rien à cacher.

Son pouvoir était des plus utiles. Lenna s’en rendait compte en l’écoutant parler. Heureusement qu’elle avait refusé de se faire toucher, qui sait ce qu’elle aurait découvert sur elle. Sa noirceur l’aurait ébranlé, elle aurait vu tout le mal dont elle était actrice, tout ce dont elle était coupable. Elle regarda Stella avec une vision éclaircie sur la jeune Seraph. Ce serait un atout fort utile. A elles deux, elle pourrait récupérer toutes les informations qu’elle pouvait. Et à la guerre, le savoir est le pouvoir le plus grand. Elle-même se chargeait des personnes tuées, Stella pour les interrogatoires.

Ne sous-estime pas l’ennemi, même celui qui te paraît le plus inoffensif. Ils excellent dans la manipulation.

Mais elle ne se ferait plus avoir. Russel mourra. Il mourra. Elle le tuera de ses propres mains, quitte à perdre des alliés dans la bataille, à sacrifier tout son amour-propre. Il cessera d’exister.

Ton pouvoir est des plus utiles… J’aurai peut-être quelques personnes à te faire toucher. Peux-tu le faire sur n’importe qui ?

Aria, Fox… tant d’informateurs potentiels qui ne révélaient que ceux qu’ils voulaient bien. Mais Stella et elle partageait un lien indescriptible. Origan. Elles se sentaient coupable de sa mort à juste titre, et vouaient une haine aux Nephils suite à cet évènement. Chez Stella ce n’était qu’une graine qui demandait qu’à être arrosée, alors que chez elle la flamme brûlait jusque dans ses yeux quand elle parlait de l’ennemi.

Ou il y a des conditions ?

Un mince sourire mauvais étirait les lèvres de Lenna. Ce qu’elle pourrait savoir ainsi… Tout ce qu’elle pourrait apprendre avec Stella. Elle pouvait voir les souvenirs de Russel, de n’importe qui. Tout connaître de ce qui se passe. Toucher l’élu Nephil…

Hmm…

Lenna réfléchissait à toute la portée des pouvoirs de Stella. Plus besoin de perdre du temps en torture, il lui suffisait de toucher la personne et tout serait à eux. Il fallait absolument qu’elle en parle à Adonis. C’était une informatrice de choix. Pourquoi ne s’était-on pas encore occupé d’elle et de ses capacités exceptionnelles ? Quel vœu avait-elle dû faire pour gagner pareil pouvoir.

Intéressant ce petit calepin.

Il faudrait lui subtiliser pour savoir tout de lui. Cette obsession à l’encontre de Russel tournait au cauchemar mais il en était la seule cause et la seule façon d’y mettre fin serait de le tuer.

Que sais-tu de Katherine ?

Si cela pouvait permettre l’élimination d’un ennemi supplémentaire, autant en profiter. Elle adressa un réel sourire à Stella.

Tu es un atout pour nous. On va pouvoir arrêter tous les dangereux Nephils.

Tous les Nephils. Mais elle ne le dit pas. Stella serait trop enfoncée quand elle finirait par s’en rendre compte. Autant commencer par un début simple.

Une Nephil dirigeant une mafia. Cela ne valait rien de bon. Une cible parfaite à éliminer. Mais cet entretien devait s’arrêter là. Elle en avait appris assez et le problème pour lequel elles étaient venues dans cette ruelle était réglé. Stella se conduirait en parfait petit soldat désormais.

Heu... Quel sont vos capacités à vous? J'aimerais quand même le savoir un peu vous comprenez.

Demande plus que légitime. Lenna la regarda un instant, souriant d’un air mystérieux.

Je parle aux morts. Tu touches les vivants. A nous deux, l’information devient aussi facile à obtenir qu’un journal lu au p’tit dèj.

Elle tourna les talons sur cette phrase, pensant déjà à la suite de ses actions pour la journée.

Je dois te laisser. Je te recontacte bientôt.

L’Elu l’attendait, ou du moins n’allait pas tarder à la recevoir. Elle avait une information capitale à lui transmettre. Apprise non pas d’un esprit, mais d’une menace bien vivante.