Commissariat:

Il était temps pour John de créer sa nouvelle vie. Même s’il en avait parlé avec Leeroy et qu’ils en avaient conclu qu’il serait très risqué pour John d’aller dénoncer son père directement à la police, il fallait qu’il le fasse. Pas auprès de n’importe qui, loin de là, mais en avouant tout à Fox. C’était le seul policier en qui John avait eu confiance – quoique leur rencontre reste encore aujourd’hui un mystère pour le jeune homme-, ainsi que probablement un des rares qui l’écouterait sans l’accuser de ses torts immédiatement.  

Sur le chemin du commissariat, le Nephil tenter de faire un tri dans les informations qu’il allait dire. Déjà, il fallait omettre tous noms autres que Brun liés à cette affaire : exit Leeroy, Nylian et autres joyeux lurons qui avaient accompagnés John dans ses petites affaires. De même pour Bey, il fallait trouver un prétexte pour l’évasion du jeune homme autre que l’histoire de sa téléportation salvatrice.
Toujours dans ses réflexions, il finit par arriver devant le lieu voulu. Il resta de longues secondes, le regard perdu sur le bâtiment, tentant de refouler tous ses regrets d’être ici ; après tout il était recherché. Enfin, il passa la porte, le pas lent, et se dirigea vers l’accueil. Il y avait du monde, fait classique étant donné l’heure – il était à peine 16 heures. John resta debout le temps de sa longue attente, observant des gens de toutes origines se dépêcher, volant des places, insultant parfois leur voisin, s’effondrant face à certains refus de la police… Le jeune homme observé la scène d’un regard froid, le nez envahis par des odeurs nauséabondes provenant de toutes les directions. Il n’avait pas encore l’explication de ce phénomène récent, mais il était de plus en plus certain que c’était lié à son contrat ; enfin, là n’était pas le sujet pour le moment.

Une fois ce triste spectacle terminé, ces pauvres hères servis ou non, John parvenu finalement à l’accueil. Il attendit quelques instants que le policier lève les yeux vers lui, le regardant comme s’il tentait de se rappeler de quelconques souvenirs à son égard ; mais il arrêta très vite, reprenant son air blasé, prêt à écouter une énième jérémiade.

« - Bonjour. J’aimerais parler à Fox s’il vous plaît. J’ai un dossier important et il faut que j’en discute avec lui… Pas avec un autre, ce serait long de tout reprendre. »

Le policier souffla, prêt à refuser la demande du jeune homme. Pourtant, il se ravisa face à sa mine sérieuse et déterminée, qui se démarquait des visages faussement expressifs habituels. De contre cœur, il accepta sa demande et consentit à appeler Fox, lui répétant les dires du jeune homme. Puis, sans un mot, il indiqua à John les chaises déjà prises. Alors celui-ci s’y dirigea dans l’attente de Fox, le visage maintenant impassible. Il ne devait pas laisser paraître les tourments qui l’occupaient, et encore moins face au policier ; si ses étranges sentiments avaient disparus, John n’en gardait pas moins l’envie de faire bonne figure face au blond.

Fox. Toujours cet effet soudain, cet attrait temporaire. John n’arrivait pas à comprendre pourquoi le policier lui paraissait être séduisant à chaque fois qu’il l’apercevait, mais ce charme était là. Lui qui est hétéro, pourtant. Lui, qui vient uniquement dans un but civil, lui qui est pourtant attiré par ce blond. Après que celui-ci ait fini de lui parler, John avait continué encore quelques secondes à le fixer, plongé dans son regard. Il ne s’était toujours pas accoutumé à cet effet, et son esprit était partagé entre la vision du jeune officier et la traque du pourquoi. Un contractant, aux pouvoirs charmeurs ? Non, John n’arrivait peut-être tout simplement pas à accepter que ce jeune homme lui soit plaisant aux yeux. C’était le premier, et probablement le dernier ; mais John ne pouvait le nier.

Lâchant enfin le regard de l’agent Wallace, John secoua rapidement sa tête, reprenant un visage sérieux. Ses états d’âme avaient assez duré, maintenant il était temps d’accomplir la raison de sa venue.

« - De même Fox, de même. Mais, je dois être sérieux… Je viens ici dans des tas d’objectifs différents, mais on va faire simple : j’ai besoin de toi pour avoir une existence. »

Une fois sa petite accroche ayant – ou non-, fait son effet, il continua.

« - De naissance, je m’appelle Théodore Brun, le plus jeune fils de Georges Brun. Jusqu’à mes douze ans, j’ai vécu une enfance opulente, sans manquer de rien ; mais j’ai toujours préféré traîner avec des enfants du Sud qu’avec ceux bien élevé de mon quartier huppé, et mon père m’a toujours considéré avec mépris. Un soir, alors que je jouais avec un gosse nommé John sur une colline à la frontière des deux quartiers, mon père est venu avec deux de ses gardes du corps me chercher, et pour me donner une leçon il a ordonné à se suivant de tabasser mon pote, m’expliquant que j’allais passer un sale quart d’heure si je continuais à trainer avec des pauvres. On s’est disputé, j’l’ai giflé… et il m’a tabassé, me laissant pour mort sur là-bas. John est mort, le visage broyé et impossible à identifier, et moi j’ai réussi tant bien que mal à rouler jusqu’en bas, où quelqu’un m’a récupéré et soigné. J’ai eu beaucoup de chance, on va dire… Mon père a récupéré le cadavre et l’a fait passer pour mon corps, faisant croire que j’avais été tué par des badauds du Sud. »

Après ce monologue, John souffla quelques instants, puis reprit.

« - Bref, les années ont passé et moi j’suis resté dans les quartiers paumés du Sud, changeant d’identité assez souvent. Enfin, mon prénom préféré c’était John, par rapport à mon ami décédé, une sorte de mémoire. Quant à mon nom de famille, j’imagine que tu auras trouvé le jeu de mots pas terrible… Voilà. J’ai eu quelques activités illégales cette année, qui ont amené à attirer ton regard sur une photo de moi. Mais l’important c’est que fin décembre j’ai rendu une petite… visite, enfin, tu vois le genre, à mon père. Je voulais avoir une discussion sur lui en ayant l’ascendant, mais aussi trouver des preuves sur lui, parce que, comme tu l’imagines, c’est un vrai salopard, bien pourri comme il faut. La visite s’est mal terminée, il m’a attrapé, foutu dans une cave et torturé quelques jours. Second coup de bol, j’ai réussi à m’enfuir, et maintenant que j’ai récupéré des blessures, me voilà ici, face à toi. »

La situation était posée, Fox savait tout du passé de John. Bon, pas tout à fait tous les détails quant à sa vie de voleur, mais ce n’était pas le sujet le plus important du jour.

« - Donc, je suis là aujourd’hui pour faire reconnaître que je suis encore en vie, changer mon nom en John Fallen pour que ce connard sorte de mon passé, et pour une dernière chose, plus… Délicate. Je veux voir cet enfoiré en prison, et pour ça il faut des preuves. Ses avocats sont excellents et ma seule voix ne compte pas, alors je suis venu te voir pour savoir s’il était possible d’ouvrir une enquête sur lui. Tout ça, pour ça en fait… j’aime ménager le suspense, ha ha !»

Le rire était là pour tenter de se décontracter un peu lui-même, tendu par toutes ces révélations. Après tout, il venait de déballer ses secrets à un policier, et celui-ci pouvait très bien le coffrer pour avoir avoué ses pratiques hors-la-loi. Pourtant, John avait la conviction que ce beau blond n’était pas de ce genre-là.

Fox avait souri. L’espace d’un instant, John se perdit dedans, lui en rendant un démultiplié ; le jeune homme était heureux. Pourtant, la réalité le reprit soudainement, se rendant compte que son charmant interlocuteur attendait une réponse.
Pourtant, John fit durer encore quelques secondes ce silence. Il avait l’air niais, la bouche béate et les dents visibles, et mais une autre chose l’agitait de l’intérieur. Une joie qui n’avait rien d’éphémère, quelque chose qui s’approchait de l’accomplissement d’une quête. Et même si ce n’en était en réalité que les prémices, se rendre compte que quelque chose allait être faite, même seulement tentée, avait excité ses hormones. Son corps se remplissait d’une de ces substances au nom compliqué, celle qui vous donne la force de soulever des montagnes ; celle qui provoque le stress et vous paralyse parfois aussi. Mais aujourd’hui, ses mains tremblaient d’excitation. Il était prêt à avancer, à enfin assouvir sa vengeance – et le plus important, légalement. Il ne se salissait pas les mains, il ne se rabaissait pas au niveau de son père : il le sublimait.

« - Merci Fox de prendre du temps pour ce dossier. Vraiment, merci beaucoup. Je répondrai à toutes tes questions. »

Maintenant, il fallait le faire. L’adresse, ou le nom de son ancien ami ? John baissa les yeux, plongé dans sa mémoire ; et seul ressortait une idée vague de la maison. Peut-être serait-il capable de la retrouver en sillonnant les rues proches de la colline ? C’était probable ; mais quant à son nom, le Nephil n’en avait simplement aucun souvenir.

« - Je crois pas avoir déjà su son nom de famille, mais je me souviens à peu près de l’emplacement de sa maison. J’irai faire un tour par là-bas, histoire de mieux la situer. Par contre je pense que je ne suis pas vraiment le bienvenu là-bas… Après tout, c’est ma faute si John est mort. »

John bafouilla un petit « Ah », puis fouilla à nouveau dans son cerveau : il n’avait pas répondu à toutes les interrogations du policier. L’école lui été aussi inconnue, mais en revanche son visage était resté gravé à jamais dans sa mémoire. Il était capable d’en ressortir chacun des traits comme s’il l’avait devant lui ; mais c’était souvent les contours de son visage déchiqueté que ses souvenirs ressassaient.

« - Il était brun, les cheveux longs et attachés avec ce qu’il trouvait. En fait, c’était surtout sa mère qui l’y forçait…Il avait les yeux bleus. Après il portait de vieux vêtements de son père, retouchés pour essayer de bien lui aller mais ils étaient trop grands. Je vais essayer de te faire un portrait-robot. Par contre, je n’ai aucune idée de son école, mais ses parents doivent savoir. »

C’était déjà un bon début. John ne savait pas vraiment ce dont Fox allait avoir besoin plus tard, mais il attendait le reste avec impatience.

Apparence de John CENA:

Mentalement, John tenta de retracer sa vie. A bien y réfléchir, l’illégal n’y est pas fondamentalement lié, si l’on exclue son existence hors de registres ; et peut-être qu’il en détachera son futur. Enfin, il n’était pas sûr que ses activités de contractants soient tout à fait dans le cadre de la loi, mais c’était un détail. Mais là n’était pas le sujet, et il se demanda un instant s’il devait tout avouer à Fox sur son passé. En fait, qu’avait-il à cacher ? Le policier se doutait déjà que le jeune homme n’était pas tout blanc, et l’avait même gracié lui-même … Alors, pourquoi le craindre ?

« - Après le fameux soir, j’ai été récupéré par un couple, Mary et Edgar. Edgar était un ouvrier alors on le voyait pas souvent, alors Mary s’est beaucoup occupée de moi, seule. J’ai dû passer pas loin d’un an en convalescence, car je suis pas allé à l’hôpital, donc ça a pris plus de temps que nécessaire… Je suis allé au collège, mais j’ai arrêté vers 14 ou 15. Enfin, je me suis fait virer plus exactement, j’étais plutôt un ado’ turbulent. C’était le collège Washington, pas super bien coté, mais ils ont pas trop posé de question sur mon identité et tout le bazar… Faut dire que Mary m’avait obtenu des faux papiers sous le nom de John Fallen. »

Il était en train de dénoncer ses sauveurs. Le policier pourrait les inculper à tout moment de tas de méfaits, mais John était persuadé que ce jeune homme n’allait rien en faire. Enfin, c’est ce que ce regard lui disait ; et qu’il avait du mal à lâcher, en fait.

« - Après ça j’ai vécu chez eux jusqu’à mes seize ans je crois, et ils m’ont payé un appartement miteux. Ça leur revenait cher mais ils tenaient à mon indépendance, alors j’ai décidé de les aider… T’imagines bien, quelques vols à la tir, rarement des visites de courtoisie. Mais pas de gang, pas de groupe ; j’agissais toujours seul. Je sais que Mary détestait que je fasse cela, mais sans ça ils n’auraient jamais pu s’en sortir. Bref, j’ai survécu comme ça jusqu’au début de l’an passé, où j’ai commencé à cambrioler des enfoirés pour leur donner une leçon. Pas de violence, juste des vols dont je donnais la majeur partie à des mendiants du sud. Je garde juste le nécessaire pour survivre, le reste sert à des buts caritatifs. Et le reste, tu le connais. »

Voilà, il avait dévoilé toute sa vie à quelqu’un ; et un policier qui plus est. Mais celui-ci était Fox, et John avait le sentiment que tout ce qu’il pouvait dire serait en sécurité avec ce jeune homme. En fait, il ne savait pas si c’était lui ou les informations qui seraient hors de danger – mais les deux le rassuraient.

« - Quant aux traces… Sûrement quelques déclarations de vols dans l’Est, ou plus récemment dans le Nord. Après, j’ai quelques personnes qui me connaissent : Marry Derrith, Leeroy Stone et Ash Narraw. Et d’ailleurs celui-ci m’a connu avant l’événement, donc son témoignage pourrait être important. Ah, et j’ai travaillé il y a peu pour monsieur Nightray comme homme à tout faire et Naoto Shirogane comme jardinier. Ces derniers trucs, c’était légal par contre, pour changer ha ha. »

Il n’avait pas cité Nylian. C’était bien la seule personne dont il préféré avoir l’accord avant de faire quoi que ce soit ; elle ne serait pas protégée par Fox s’il apprenait sa participation dans les activités de John.

Se faire discret, c’était bien dans les ambitions de John. Il l’avait promis à Saskia, à Leeroy, à lui-même et presque au chien du quartier, alors il allait le faire. Expliquer à sa charmante camarade que leurs petites escapades allaient s’arrêter bien plus vite que prévu allait probablement être quelque peu ardu, mais c’était un mal pour un bien. Enfin, c’était ce qu’il espérait, mais cela ne devait pas être si loin de la vérité à vrai dire.
Au moins, son coup de chance était le casier de sa véritable identité était vierge. Pas étonnant pour un mort de douze ans dirait le premier, mais il serait mauvaise langue. Ou non. Mais cela n’avait pas d’importance.

« - Ouep’, je compte me ranger. J’ai fait des promesses et j’ai l’intention de les honorer, alors va falloir que je me trouve un boulot légal et que j’arrête les conneries… De ce côté-là, tu peux me croire. »

Le quartier Nephil devait être en mesure de l’héberger si jamais il n’avait plus d’argent, alors il ne se faisait plus vraiment de soucis de ce côté-là.

Quant aux blessures, c’était complexe. Il avait des blessures dans le dos et sur le torse qui dataient de ces quelques jours paradisiaques ; mais il y avait aussi des griffures d’ombres plus récentes, sur son bras gauche et son côté droit. La différence de temps allait probablement être trop flagrante, alors il lui fallait trouver une explication rapide pour celles-ci : parler des contractants et toute l’affaire serait long, fastidieux, et surréaliste.

« - J’en ai, j’ai aussi de vieilles cicatrices sur le bas du dos qui date de la colline… Mais comment est-ce que je pourrai prouver qu’elles sont dues à mon père ? C’est possible de les dater précisément ? »

Ses connaissances en médecine se limitaient à quelques organes du corps, ainsi que d’autres bases ; mais rien de très profond. C’était là aussi un domaine dans lequel il allait devoir progresser.

Une idée absurde traversa l’esprit de John quant Fox le prit en photo : il se dit qu’il allait peut-être en garder une pour lui. En réalité, le Nephil aurait préféré l’inverse, mais ce n’était pas vraiment la situation pour procéder à cela.

Donc, ses cicatrices étaient importantes pour l’enquête ; et le lieu aussi. C’était logique, John le savait déjà… Mais le détail important, c’était qu’il espérait vraiment que ses griffues dues aux ombres avait commencé à bien disparaître. Ces entailles étaient étranges, et leur trouver une explication rationnelle ne serait pas aisé – alors il ne restait plus que l’espoir.

Enfin, il y avait d’autres choses importantes : revoir Mary. Cela faisait déjà des mois qu’il ne lui avait plus rendu une visite, alors aller la voir accompagné d’un policier pour enfin se venger devrait lui faire plaisir. Peut-être. De toute façon, c’était ce qu’il devait faire ; laisser Georges impuni plus longtemps serait cruel.

« - D’accord, je vais tâcher de retrouver les endroits important alors. Dès que tu souhaiteras que je te mène dans le quartier Sud, préviens-moi, je me libérerai aussitôt. Merci encore, Fox. »

Il sorti son téléphone et afficha son numéro dessus. C’était probablement le meilleur moyen de contact entre le charmeur et lui ; il faut dire que les pigeons messagers n’étaient plus très efficaces de nos jours.

Fox avait entièrement comblé les espoirs de John ; maintenant il fallait que le jeune homme persévère et réalise désormais ses objectifs. Et un fait important parmi les autres l’aidait plus que de raison : Fox comptait sur lui. Et ça, c’était quelque chose.

Voilà qui était fait – Fox avait le numéro de John. Peut-être pourraient-ils se faire un café ou quelque chose du genre en dehors de l’enquête ? Le jeune homme avait très envie d’en savoir plus sur ce mystérieux policier qui avait accepté de l’aider à rétablir un peu de vérité et d’ordre dans sa vie.

Se levant, John attrapa la main de Fox et la serra… doucement. Un sourire aux lèvres, il voulait prendre la main ; mais que dire ? Il avait à rester correct – Fox n’était pas son ami, simplement un agent des forces de l’ordre sur une enquête-, mais pour autant il voulait faire comprendre au blond la gratitude qu’il avait envers lui.

« - Mer… Ahem, Je tâcherai d’être prudent. A bientôt Fox. »

Le jeune homme demeura encore un peu sur place ; puis après avoir instauré un certain vide de paroles, il réalisa qu’il tenait encore la main de l’agent Wallace. Alors, dans une gestuelle gênée il releva sa prise et se dirigea aussitôt vers le seuil de la porte qu’il franchit.

Une première étape d’accomplie – sa vengeance s’approchait déjà un peu.