Appart’ de Nylian :

John devait se faire pardonner. Nylian était partie, pensant probablement que le jeune homme se servait d’elle, qu’elle n’était rien pour lui. Et lui, comme l’imbécile qu’il était, lui avait donné raison. Elle ne pouvait pas imaginer à quel point il s’en était voulu pour cette malheureuse après-midi qui avait tourné au vinaigre, et qu’il s’était lui-même insulté. Pour deux. Enfin, il n’avait pas envie de s’éterniser sur ce détail ; c’en était presque à croire qu’il avait réellement de l’affection pour la jeune fille. Et c’était probablement le cas, en fait.

Malgré tous ses états d’âme, il avait quand même patienté une semaine pour agir. Une longue semaine pendant laquelle il avait tergiversé sur la meilleure façon de venir la voir.
Et à défaut d’avoir trouvé la meilleure, il avait trouvé la pire. Et c’était celle qu’il avait choisi, celle qu’il allait réaliser. Le plan était simple : en premier lieu, se dégotter une licorne gigantesque en peluche. Et un pot d’orchidée, des blanches. On dirait presque que c’était un prétendant qui allait rejoindre son amante ; et cette comparaison le fit rire.

Une fois ses poches vidées de tout argent, il avait enfin obtenu ce qu’il recherchait. Alors, il procéda à la suite du plan : s’introduire chez Nylian avant qu’elle n’arrive.

C’était là, la partie complétement absurde et inutile. Le fait qui allait le faire passer pour un détraqué mental totalement socialement inapte ; mais après, c’était ce qu’il était, non ? Alors, il trouva un moyen. Quitte à avoir des pouvoirs surnaturels, autant les utiliser.
Il vint un peu avant le début de soirée – avant que Nylian ne puisse être rentrée de son travail-, et il se téléporta en haut d’un des immeubles avoisinant celui de sa comparse. Il s’approcha tranquillement, à la recherche d’une fenêtre visible, puis finit par satisfaire sa recherche. Alors, il passa à travers facilement. C’était tellement plus simple que lors de leur première rencontre… Et tant similaire. Il avait inconsciemment répété le scénario initial.

Une fois dans le salon – en toute illégalité évidemment- de l’apprentie voleuse, il posa ses cadeaux à côté de l’espèce de canapé. Il était encore trop tôt pour qu’elle rentre, alors il se décida à empirer sa situation. C’était le plus logique à faire.

Il se dirigea vers la cuisine et commença à préparer un thé ; cela lui ravivait la mémoire. Décidément, tel un vieux cliché pseudo psychanalytique, il reproduisait tous ses souvenirs avec Nylian, condensés en une seule soirée.
Une fois le breuvage prêt, il l’apporta sur un plateau dans le salon, et sorti deux tasses. Il s’assit sur le canapé, et attendit tranquillement que la demoiselle rentre.

C’était vraiment un abruti.  

John essaya de cacher tant bien que mal les petits cadeaux qu’il avait apportés à Nylian avec sa jambe, mais cela était bien inutile. Elle semblait bien énervée après lui – ce qui était totalement compréhensible après tout, elle pensait qu’il ne lui accordait aucune importance. Raccrocher les bouts entre eux allait s’avérer très compliqué, mais bon, il allait tout de même essayer. Il tenait à Nylian plus qu’elle ne l’imaginait, alors il était hors de question de la laisser partir si rapidement.

« - Je suis désolé Nylianette. J’me suis embarqué dans une merde dont je n’ai apparemment pas le droit de te parler… Alors va falloir que j’évite ce sujet-là. Tout ce que t’as dit la dernière fois… »

Il détourna le regard, cherchant de véritables mots à dire. Pas de simples paroles, il voulait que ce soit vraiment utile cette fois-ci. Pas comme le câlin factice de la fois précédente qui n’avait probablement rien signifié pour elle.

« - … était vrai. Je suis un connard, et je le sais. Et justement j’aime pas trop ça, donc je suis venu te voir pour que tu m’engueules un bon coup en me faisant un monologue sur mon degré de manque d’intelligence ; et puis qu’après on puisse repartir en bons termes. J’ai pas envie de me servir de toi, j’aimerais qu’on crée une sorte… D’amitié ? Un truc du genre ? Ça doit être le mot, je pense. Enfin me lance pas trop dans ce sujet, je vais finir par te faire des compliments et là, j’aurai vraiment tout foiré. »

Le jeune homme avait dit quelque chose, au moins. Oui, ce n’était pas très convaincant, mais cela suffirait sans doute à Nylian ; de toute manière, elle n’attendait pas grand-chose de lui.

Enfin, il voulait alterner un peu de sujet pour éviter de finir par devenir trop sentimental – après ils regretteraient tout deux cette soirée. Alors, il empoigna la licorne en peluche et la tendit à Nylian, veillant à ne pas renverser les verres. C’était peut-être la dernière chose à laquelle elle s’attendait, mais il l’avait fait ; la pire des solutions, il ne fallait pas l’oublier.

« - Cadeau. Joyeux Noël, anniversaire ou n’importe quoi en fait, mais joyeux en tout cas. J’trouve qu’elle va bien avec ta déco’ très conceptuelle… Et puis elle est vachement douce, quoi ! »

En finissant sa phrase, il avait déjà ramené la peluche au niveau de sa tête et enfouissait cette-dernière dedans. Après quelques instants de vide, il retira subitement son appendice et tenta de reprendre un air sérieux. Un point qui était définitivement perdu pour le reste de la soirée.

Et le pire était encore à venir ; l’orchidée. Il se demandait bien quels moyens il allait devoir invoquer pour qu’un meurtre ne soit pas commis ce soir – un câlin ? Non, c’était définitivement une mauvaise idée : il n’était même pas sûr qu’elle l’ait pardonné pour le dernier en date. John avait comme l’impression de ne s’être entiché que d’individus qui détestaient l’approcher physiquement. Pourtant, il ne s’était pas imaginé si repoussant …

La situation était bien plus compliquée que se l’était figurée John – il avait pensé que quelques belles phrases auraient suffi à apaiser le courroux de son amie. Et voilà qu’il était désormais pied au mur, accusé d’hypocrisie et de mensonge ; presque de lâcheté en fait. Alors, il se leva et se dirigea lentement vers la porte d’entrée, ne sachant pas vraiment quoi répondre.

Soit il sortait de la vie de Nylian, soit il lui avouait tout. Il était allé trop loin dès de le début pour maintenant se taire, et elle lui avait bien fait comprendre ; il lui fallait prendre ses responsabilités, ou fuir sans revenir.

Pourtant, quelque chose lui donnait envie de rester – non pas le prix de la licorne ou autre détail du genre, il s’en fichait-, mais le fait qu’il fasse confiance à Nylian. Elle connaissait son passé, sa situation, ses péchés, et elle n’avait rien dit. Enfin si, la première fois ; mais c’était une situation particulière. Et puis, il l’avait dit à Leeroy : s’il souhaitait tout dévoiler à cette jeune femme, il le ferait.

Il s’arrêta devant la porte, et se retourna face à son interlocutrice, le visage impassible.

« - J’ai pas envie de m’excuser une fois de plus. Alors je vais la faire cette putain de démo’, ce sera plus rapide et plus efficace que te faire de longs discours. »

Il se mordit la lèvre, pris d’un doute. Puis il le fit ; il se téléporta à son ancienne position, se rasseyant à sa place. Son pouvoir était assez étrange, très surprenant pour quelqu’un qui ne l’avait jamais vu auparavant. Et c’était logique, en l’utilisant il brisait une des règles fondamentales de la physique : la continuité d’un déplacement. C’était comme si en utilisant sa capacité, il pliait les règles invincibles à sa volonté l’espace d’un instant – et c’était peut-être pour cela qu’il l’aimait tant, ce saut. Cette sensation d’être tout puissant, même si ce n’était qu’un minuscule moment ; c’en était presque un complexe à ce niveau-là, mais il n’en avait que faire.

« - Et je suis pas tout seul à faire des trucs du genre. Voilà pourquoi Leeroy voulait pas que je t’en parle, voilà pourquoi je voulais t’en parler… Je sais pas si je dois tout te dire ou pas, bordel. Maintenant, c’est fait, et c’était peut-être une connerie. Mais j’m’en fous. »

Il y a des centaines d’années, des personnes se faisaient accusées d’user de la sorcellerie et étaient exécutées ; alors, Nylian n’allait-elle pas prendre peur en découvrant cela ? C’était un risque qu’il venait de prendre, celui de la perdre alors qu’il était venu la récupérer.
En fait, cette maladresse était presque logique : il était John Fallen, un type socialement inapte et incapable de conserver des liens avec des gens. Pire encore, ce n’était qu’un échange équitable ; le contrat l’avait fait renouer avec Leeroy, voilà que le coup était Nylian.
Décidemment, il lui fallait réfléchir avant d’agir. Il était tombé dans un piège simple – même, il avait plongé dedans de lui-même.

« - Si tu veux que je parte, que je disparaisse, dis-le moi. Tout ça est dangereux, alors je comprendrai que tu préfères garder ta tranquillité. Mais maintenant, tu sais tout au moins. »

Pour autant, il ne se leva pas. Il n’imaginait pas Nylian sentimentale au point de l’empêcher de partir s’il le voulait ; il était encore trop tôt pour inverser la situation. Et puis, comment voulait-il réellement compter pour cette femme ? Depuis qu’ils se connaissaient, tout avait tourné autour de lui et de son passé. Pourquoi Nylian se serait-elle attachée à quelqu’un qui ne s’est jamais intéressée à elle, qui n’a fait que l’utiliser pour améliorer son confort ?
Plus il réfléchissait à son lien avec la jeune femme, plus il en voyait la fragilité : il avait été égoïste et elle bonne poire. Si jamais elle finissait par accepter de le revoir, il aurait à changer tout ça. Radicalement.

« - En tout cas, j’ai pas envie de partir. »

Encore et toujours, John allait raconter sa vie. Et pis encore, c’était Nylian qui lui avait demandé. Le bon côté de l’affaire, c’était que son animosité semblait l’avoir momentanément quittée après la petite démonstration du Nephil. En soit, ce n’était pas très surprenant, mais voir la jeune femme virer autant avait tout de même étonné John.
L’heure de tout dévoiler était donc arrivée, et il consentait à en raconter une bonne partie. Les parties privées autour du Quartier Général et autres détails de ce genre allaient bien sûr être tus, mais, en soit, elle n’allait pas lui tenir rigueur.
Il se calla un peu sur son siège, pris une inspiration et commença à déblatérer son histoire.

« - Quand je suis allé voir mon père, il m’a vraiment attrapé et torturé. Sauf qu’au bout de quelques jours, y a Bey qui s’est pointé. Un chat noir, qui m’a fait un speech me proposant un vœu ; un délire chelou. J’ai cru que mon père se moquait de moi, et j’ai gueulé que je voulais devenir un meilleur voleur. Alors le truc poilu a planté ses extensions portugaises dans mon torse, a fait de la lumière et a continué à me parler. J’te passe les détails là-dessus, mais une fois qu’il était parti, je suis resté dans cette cellule. Et j’ai regardé par les barreaux, j’ai souhaité sortir… Et je me suis retrouvé dehors. J’ai appelé le premier numéro de mon répertoire – Leeroy, et il m’a ramené chez lui. »

Jusqu’ici, elle connaissait déjà une bonne partie. C’était la suite qui allait l’intéresser ; la partie étrange.

« - Je suis devenu un Nephil ce soir-là. Maintenant je peux voir des ombres, en gros des bêtes moches qui s’attachent aux humains et les forcent à commettre des actes sombres… Seuls nous pouvons les voir, les contractants. J’ai une arme que je peux invoquer, et mon pouvoir de téléportation… On n’a pas tous le même, et apparemment c’est lié au vœu qu’on a fait. Un bien nul pour ma part, mais j’suis devenu redoutable en cambriolage depuis. »

Avait-elle vraiment besoin d’en savoir plus ? Ce n’était pas sûr, mais il valait mieux la prévenir de l’existence des Seraphs avant toute chose : si jamais elle en venait à croiser Kyu, John ne voulait pas qu’elle devienne son ennemie. Il avait beau faire le beau, tuer Nylian n’était pas vraiment dans ses envies.

« - En fait, y a deux chats, Bey le noir et Kyu le blanc. Bey dirige les Nephils, ma faction ; et Kyu, les Seraphs. Et évidemment, sinon ce ne serait pas drôle, les deux camps livrent une guerre mortelle. Voilà, c’est où j’en suis là-dedans, pris dans cette affaire… Tôt ou tard, je vais devoir planter des gens. Et pas les louper cette fois-ci, sinon j’y passerai… »

Finir sur une touche négative, voilà qui était fait. Il n’avait pas raconté tout cela pour forcément inviter Nylian à rejoindre les Nephils – il voulait simplement qu’elle sache les choses. Et le mieux, ce serait qu’elle ne soit pas intéressée par tout cela. Cela lui assurerait bien plus de sécurité.

John attrapa le pot de fleurs et le tendit à Nylian, affichant un sourire.

« - Orchidées ? »

Beaucoup de questions – beaucoup trop. Nylian débitait ses paroles à une allure phénoménale, tandis que John tentait tant bien que mal de retenir les points importants, essayant de répondre au maximum. C’était une réaction bien normale, et le Nephil aurait probablement réagit pareil ; s’il n’avait pas été en situation de quasi-mort ce fameux soir. Comprendre tout ce que représentait ce monde s’avérait être une bien tâche bien compliquée, et même après plus d’un mois de service John n’en savait qu’un tout petit peu sur toute cette histoire.

Quand le calme revint – et l’air dans les poumons de Nylain en même temps-, John se concentra et énuméra ce qu’il avait retenu du flot de paroles de la jeune femme. Assez pour la satisfaire pensait-il, et dans tous les cas cela allait dégrossir l’affaire au moins un peu.

« - Les ombres sont des bêtes sanguinaires, violentes et dangereuses : oui, mes blessures viennent d’elles. Aucun Seraph ne m’a encore blessé pour le moment, mais la guerre est réelle entre nos factions, et on m’a bien fait comprendre que tôt ou tard on allait s’en prendre à moi, tenter de me tuer… Et si jamais ce jour arrivait, j’ai bien peur de devoir me salir les mains. Pas que ma vie soit particulièrement précieuse à mes yeux, mais… Je suis dans un camp maintenant. Quant à Leeroy, il est contractant mais je préférerais ne pas t’en parler davantage, et je pense que tu comprends tout à fait ; c’est pas le genre de chose qu’on raconte à tout le monde. »

Le point majeur était sur le point d’être abordé : la véritable motivation d’avouer tout cela. Celle évidente était de la retenir, de renouer un lien avec elle ; mais ils savaient très bien tout deux que cela allait plus loin que cela. Il avait envie de protéger cette jeune femme… Et cette guerre pouvait très bien la perdre, comme donner un sens à sa vie. Le choix était difficile.

« - Parlons des choses sérieuses maintenant. Le chat noir, Bey, le truc hyper poilu, c’est le chef des Nephils. Quand il apparait, il te demande de formuler un vœu, et il te le réalise. N’importe lequel j’imagine, et il te donne des pouvoirs en plus… Le contrat, c’est d’affronter des ombres et des Seraphs en retour. Je veux que tu sache tout ça si un jour cela arrive, que tu sois capable de percevoir ce qui t’attendra derrière ces quelques mots. Et puis, je veux éviter que tu fasses un contrat avec Kyu, le chat blanc. Dans ce cas-là, tu deviendrais mon ennemie par la force des choses. Qu’on le veuille ou non, les choses fonctionnent de cette façon-là. »

John soupira, puis capta Nylian de son regard, d’un air totalement sérieux. Toutes ces phrases n’avaient qu’une seul but : en venir ici, et c’était le moment de conclure.

« - Je veux que tu sois en sécurité. Je te demande pas de faire un vœu… En souhaiter un, c’est risquer d’écourter sa vie de beaucoup d’années… Mais au moins, tu connais les deux alternatives désormais. Si tu me dis que ce monde te dépasse et ne t’attire pas, je le comprendrai tout à fait. J’ai fait ce vœu au pied du mur, et je ne peux pas te dire si je l’aurai fait si j’avais été en forme à ce moment-ci… »

Voilà qu’il en venait à parler comme Leeroy ; il ne manquait plus qu’il déteste Bey et il deviendrait le parfait pendant Nephil de son ami. Enfin, ce dernier détail était encore loin : John appréciait la vie qu’il menait maintenant.

La situation était tout de même plus complexe que cela – John n’avait pas techniquement eut le choix pour le contrat, et encore moins pour les pouvoirs. Ce soir-là, il pensait de toute manière être condamné, alors il décidé d’un vœu nul, le genre qu’il n’aurait choisi sous aucun prétexte s’il avait été conscient de la réalité de la situation ; il ne faut pas oublier qu’il pensait à une très mauvaise farce à ce moment-ci.
Quant au reste, ce n’était pas totalement faux. John considérait sa survie comme miraculeuse, presque comme de la triche ; alors il ne prenait plus vraiment garde à sa survie. Pas qu’il soit particulièrement suicidaire, mais Bey lui avait donné une sorte de second souffle – une nouvelle chance de se porter convenablement, dira-t-on-, alors si la contrainte était de mourir plus tôt qu’un individu lambda, il l’acceptait. Chaque seconde qu’il vivait était du surplus, alors dans son esprit tout ce sacrifice était logique, presque naturel.

Pourtant, la jeune femme soulevait un point intéressant, auquel John n’avait réfléchi que sommairement : leur histoire de vols en duo. Au départ, il s’était dit que ses nouveaux pouvoirs allaient s’avérer très utiles dans cette histoire, mais avec tout ce qui avait suivi ce contrat… L’illégal n’était plus vraiment envisageable. C’était triste de conclure sur un casse, mais le Nephil n’avait plus vraiment le choix désormais ; et surtout, il avait un travail. Désormais, se faire pincer signifiait perdre toute son enquête avec Fox, et son emploi avec Alice. Donc une perspective assez sombre, en somme.

« - J’ai pas choisi mes pouvoirs, ni vraiment mon vœu… C’était sur un coup de tête. Je devais mourir ce soir-là, maintenant j’ai que du surplus. Alors, mourir… Ce ne serait que la troisième fois. »

Finalement, cette discussion plaisait bien moins au jeune homme qu’il ne l’avait imaginé ; même s’il n’avait pas tant de réponses à faire que cela. Il avait envisagé le cas où Nylian l’aurait rejeté direct, l’aurait écouté puis rejeté ou encore ne serait même pas entré dans la pièce, l’apercevant. Sauf qu’il y avait presque un air inquiet dans ses phrases – pas que l’on ressente une quelconque peine dans ses propos, mais le sujet sembler l’intéresser.

« - Par contre, j’ai toujours une vie civile, même un véritable boulot pour te dire ! Donc compte sur moi pour venir faire le mec chelou de temps en temps. Mais ouep’, je vais plus pouvoir voler, désolé… Mais si jamais tu es dans le besoin, je pourrais te filer de l’argent ; mon salaire est devenu plutôt sympathique on va dire. »

Cela dit, il fallait revenir au sujet principal : qu’en pensait-elle de toute cette histoire ? Voulait-elle faire un vœu, ou en était-elle effrayée ? Et dans le cas où elle était prête à partir là-dedans, quel vœu ferait-elle ? L’argent ? Le bonheur ? Un truc bien plus fanfreluche et tordu dont John n’avait aucune idée ? C’était bel et bien la plus envisageable des solutions, qu’on se le dise.

« - Si, je dis bien si, un jour tu décides de rentrer dans ce monde… Dis-le-moi, je trouverai un moyen. Mais, conseil d’un type qui commence à s’y faire, c’est loin d’être une vie tranquille. Et surtout, ça te promet pas une longue vie. »

Il racontait cela alors qu’il était toujours en vie ; mais il se souvenait des paroles de Nelytsa lors de leur rencontre : elle avait vu un Nephil mourir sous ses yeux, et après coup John s’était rendu compte de l’étendue mortelle de l’activité.
Et quoiqu’il dise, la mort de Nylian ne se classait pas très bien dans les événements qu’ils attendaient avec impatience.

Le ton avait soudainement changé, et John baissa la tête au fil du haussement de voix de la jeune femme. Il n’était pas vraiment impressionné, ou particulièrement soucieux – il avait envie de sourire, mais la situation ne s’y prêtait pas. Nylian ne voulait pas faire de contrat, elle ne voulait pas risquer sa vie dans ce monde ; et mieux encore, elle voulait tout obtenir par l’effort et non grâce à un vœu magique. C’était la meilleure conclusion qu’avait pu espérer le Nephil : celle dans laquelle son amie déclinait son offre de vœu, tout en ayant connaissance de ce qui pouvait advenir.
Et puis, elle venait de lui confier quelque chose sur elle, un peu de son passé – et c’était bien quelque chose d’appréciable. John avait le chic pour avoir des amis qui savaient tout de lui sans que ce soit réciproque, alors cette révélation le rendait quelque peu content ; malgré la tension qui en était la source.

Finalement, il releva la tête, arborant un sourire qui se voulait en quelque sorte tendre.

« - C’est parfait. »

Il tenta d’approcher sa main de l’épaule de la jeune femme, puis continua.

« - Tout ce que je veux, c’est que tu saches toute cette histoire… Je ne suis pas venu pour te convaincre, simplement pour te mettre au courant ; et ce que j’espérais le plus, c’est que tu refuses. J’ai pas envie de te voir disparaître dans cette affaire. »

Il soupira, face au dernier sujet à aborder. Son faible instinct de survie, ou sa petite inclination à survivre, au choix. Evidemment, s’il finissait par mourir, Nylian, Leeroy et d’autres personnes en serait touchés ; mais John n’imaginait pas vraiment que ce soit d’une grande peine. Pour lui, tous finissaient par mourir – et que ce soit demain ou dans soixante années, cela ne lui faisait pas beaucoup d’effet.
Néanmoins, son interlocutrice semblait tenir un peu plus à ce genre de détails, et il lui fallait rattraper la situation ; cela demeurait un sujet difficile.

« - J’ai du respect pour toi, Leeroy, Ash et j’en passe. Mais ta survie m’intéresse plus que la mienne, voilà ce qu’il en est… Alors j’peux te promettre de me démerder pour rester en vie, si tu préfères. »

Avec ses pouvoirs, cela ne devait pas être quelque chose de bien compliqué de s’en sortir vivant, il lui suffisait simplement de s’enfuir. Ce serait lâche, mais s’il le fallait, il le ferait.

Nylian l’avait éconduit ; c’était prévisible. John laissa passer un petit flottement après les paroles de la jeune femme, puis finit son thé d’une traite.
Même si ça ne lui plaisait pas, s’il voulait éloigner Nylian du danger, il fallait qu’elle se tienne loin de lui aussi – logique -, et s’opposer à cela reviendrait à détruire ses propos. Alors, le Nephil se leva, et fixa le regard de Nylian d’un air amical ; loin de celui de quelqu’un qui s’apprête à faire ses adieux.

« - J’imagine que tu as raison… »

Le jeune homme attrapa l’orchidée et la posa sur la table, attrapant au passage le sachet de thé qui trainait encore sur le plateau.

« - Si jamais t’as besoin de quelque chose, hésite pas. »

Il n’avait pas envie de faire ses adieux à Nylian, mais pourtant c’était ce qu’il y avait de plus normal à faire. Tôt ou tard, il allait se faire des ennemis – et alors, peut-être s’en prendront-ils à son ancienne associée pour l’atteindre. Ou peut-être se faisait-il des idées un peu trop farfelues, mais toujours était-il qu’il valait mieux qu’il disparaisse de la vie de mademoiselle Hunt.
Si jamais elle consentait à faire, malgré tout, à faire un vœu, alors il serait peut-être temps d’y apparaître à nouveau. Et étrangement, cette perspective, bien qu’à la fois heureuse et triste, n’enchantait pas le Nephil. Il avait déjà attiré assez d’ennuis à son amie pour lui en causer davantage.

Alors, pour finir sur une touche absolument ridicule – collant tout à fait à l’image que Nylian avait probablement de John-, il prit un sourire malicieux, et déclara.

« - Disparition ! »

Aussitôt, il lâcha le sachet de thé qu’il avait précautionneusement éventré, et se téléporta dès que ce fut fait.
En réalité, il n’avait pas tout à fait disparu de la pièce, mais aux yeux de Nylian ce serait probablement tout comme : il avait effectué un premier saut derrière la jeune femme, puis avait tourné la tête et avait à nouveau usé de sa capacité pour sortir le plus loin possible par la fenêtre.

Voilà une sortie bien absurde d’une discussion sérieuse, mais c’était John.