Spoiler:

Comme je m'y attendais, mon entretien avec Wallace à la bibliothèque du quartier général m'avait appris des choses très intéressantes, en particulier sur deux de mes accomplis. Tous deux avaient fait preuve de faiblesses qui les avaient rapprochés de l'ennemi à un moment ou un autre. Assez vite, une stratégie très simple s'était imposée à moi : me servir de ces compléments d'information pour affermir mon emprise sur eux. J'avais décidé de garder Chase pour plus tard. L'occasion se présenterait probablement sous peu, de le mettre à nouveau à l'épreuve pour qu'il me montre enfin son véritable visage.

Mais tout d'abord, j'avais choisi de m'occuper de Halo. Je devais tirer les choses au clair, estimer à quel point sa haîne pour Blake était feinte, ou au contraire l'expression inconsciente d'un déni, comme Wallace l'avait suggéré. Je voulais également obtenir quelques explications sur Williams, dont l'accomplie était censée s'occuper, et qui, pourtant, montrait encore des signes de rébellion, semblait-il. En somme, mon objectif était de percer à jour la demoiselle, tout en lui faisant bien comprendre que rien de ce qui se tramait parmi les Séraph ne pouvait m'échapper, et que je comptais bien ne laisser passer aucun manque de fidélité à la faction. Chacun devait mettre toute son énergie dans notre cause, et ne pas en gaspiller en papillonages inutiles ou en sentimentalisme déplacé, à plus forte raison avec nos rivaux. Et si Halo avait besoin d'une psychanalyse, j'étais bien résolu à lui appliquer une thérapie à ma façon.

Dans ce genre de situation, il ne faut rien laisser au hasard. Tout doit être méticuleusement calculé, jusque dans le moindre effet que l'on souhaite donner. Je n'avais pas voulu la convoquer une nouvelle fois dans mon bureau. Elle aurait eu trop de temps pour se préparer à un nouveau face-à-face. Il me semblait bien plus intéressant d'aller la surprendre sur son terrain, loin de l'univers des Séraphs, à un endroit où elle ne s'attendrait pas à ma visite. Je m'étais un peu renseigné sur les lieux qu'elle avait l'habitude de fréquenter. On m'avait indiqué quelques bars où elle se rendait régulièrement.

L'heure aussi était importante et devait être soigneusement choisie. J'avais opté pour la tombée de la nuit, ce moment où certains se sentent un peu moins en sécurité et recherchent des endroits animés pour se rassurer, cet instant de transition entre deux temps bien différents, deux faces opposées d'un même univers.

Elle devait se trouver au bar "Le Caporal" ce soir-là, selon les renseignements dont je disposais. Je me présentai donc à l'entrée et jetai un coup d'oeil rapide à travers les vitres donnant sur l'intérieur, avant de pénétrer dans l'établissement. Une fois arrivé au niveau du comptoir, je lançai un regard circulaire, cherchant des yeux ma faucheuse d'âmes...

La soirée promettait d’être longue. Après son récent combat contre une conquête transformée soudainement en monstre Nephil après l’acte, Lenna se trouvait quelque peu désemparée, assise à son bar habituel sous le regard indifférent du barman. Tant qu’elle paie…

Elle tournait dans son deuxième Martini, l’olive ajustée au cure-dents, l’air de réfléchir à quelque chose qui aurait pu être intense si son esprit n’était pas totalement déconnecté avec la réalité. Elle était prise entre deux mondes sans appartenir à aucun d’entre eux. Ni totalement vivante. Ni totalement morte.

Elle tentait bien de ressentir quelque chose en se taillant les bras. Elle tentait bien de se lier à la mort en communiquant avec ses résidents, ou en y envoyant quelques sujets justement choisis. Mais il y avait toujours ce manque, ce trou qui peu à peu s’élargissait discrètement, lui laissant la sensation d’un non-sens. Un vide de sens.

Alors quand elle capta le reflet de l’Elu dans le miroir du bar, sa réaction fut totalement désintéressée. Elle s’avança vers lui de la démarche séductrice qu’elle avait pris l’habitude de porter sur elle en même temps que ses tenues de soirées, sachant pertinemment qu’il l’avait vu approcher. Il ne ratait jamais rien. Elle s’accouda près de lui, reposant le verre toujours inachevé, dardant un regard mi surpris mi interrogatif sur l’Elu suprême comme elle se plaisait à l’appeler. Bien plus efficace que Shizuo. Il était vivant. Cela le prouvait assez, non ?

Fatiguée des paroles aguichantes qui ne donnait plus sur rien au vu de son problème majeur de chaleur, elle se contenta de lui adresser un signe de tête bref en guise de salut, attirant l’œil du barman pour qu’il vienne offrir un verre à son supérieur.

Sa main revint à son olive et à ses préoccupations essentielles de la soirée. Déprimant.

Je repère Halo au moment où elle se détourne du bar pour s'avancer vers moi. Elle ne semble pas vraiment surprise de me voir. Tout juste puis-je remarquer un soupçon d'étonnement dans son regard. S'attendait-elle à ma venue ? Peu probable. Et pour l'avoir observée lors de notre premier entretien, elle ne semble pas du genre à cacher ses émotions. Ne ressent-elle donc rien, à cet instant ? Etrange. Je réponds à son signe de tête tandis que le barman s'approche à son tour.

"Bonsoir, Mlle Halo. Je ne vous dérange pas, j'espère."

Je formule brièvement ma commande, qui m'est rapidement servie, puis je m'adosse au comptoir, à côté de mon accomplie, fixant mon regard sur son visage. Après une lente gorgée, je reprends la parole.

"Sympathique endroit pour une soirée solitaire... A moins que vous n'attendiez quelqu'un ?"

En prononçant ces derniers mots, je jette un coup d'oeil vers l'entrée que j'ai laissée derrière moi. Autant savoir tout de suite si nous risquons d'être dérangés. Je ne tiens pas à devoir reporter cette nouvelle entrevue. Et puis, c'est une façon comme une autre d'amorcer une discussion sur les relations de ma ténébreuse voisine.

Elle posa son verre sur le bar, signe qu’elle ne comptait pas bouger l’instant d’après et observa son Elu. C’était étrange de le voir en dehors du QG Seraph. Il semblait y passer sa vie, et le bruit courrait qu’il n’en sortait jamais. La rumeur se trompait, il semblerait.

Du tout.

Ses sorties dans les bar n’étaient plus qu’un vague rappel à ce qu’elle aurait pu faire si ses pouvoirs n’avaient pas évolués à ce point dans la mauvaise direction. Elle était piégée dans le monde des humains sans y appartenir vraiment.

Je pourrai dire que je vous attendais ?

Mais ce serait faux. Elle s’amuse de cette idée en souriant vaguement, jouant à nouveau avec son olive, sans se décider à boire une gorgée de plus.

En général je choisis ma compagnie directement dans le lieu où je me rends. Bien plus simple.

Et plus amusant. Enfin, ça l’était du moins. Finalement, elle lâcha l’olive pour prendre une gorgée de son verre, en jetant un regard sur la salle de ce soir, attendant de savoir ce qui l’avait mené jusqu’ici.

Je laisse apparaître un léger sourire à la réponse de Halo. Il y a peu de chances que ce soit moi qu'elle attendait. Aucune même, pour ainsi dire. Et elle sait très bien que je m'en doute. Ce ne peut donc être qu'une boutade. Les paroles qui suivent le confirment, d'ailleurs. Après une nouvelle gorgée de ma boisson, je l'observe du coin de l'oeil, en train de parcourir la salle des yeux.

"Et personne n'a éveillé votre intérêt, ce soir ?"

Son comportement me semble avoir singulièrement changé depuis notre dernière entrevue. A présent, je lui trouve quelque chose de moins exhalté, de plus mélancolique. Je me demande bien ce qui a pu se produire dans l'intervale. Mais je ne dois pas me laisser distraire. Je suis venu pour savoir un certain nombre de choses, et je compte bien arriver à mes fins. Cela dit, j'ai tout mon temps. Rien ne sert de se précipiter.

"Ou peut-être quelque chose détourne-t-il vos pensées de l'envie de chasser ?"

Je laisse passer un petit silence, avant de poursuivre.

"Quelque chose... ou quelqu'un ?"

La perche est peu précise, mais elle a le mérite de ne pas dévoiler trop vite celui qui la tend.

Question rhétorique. Tu as éveillé mon intérêt petit Elu, sinon je ne serai pas là à perdre mon temps en train de discuter avec toi. Elle garda cette remarque pour elle, se disant que toute vérité n’était pas bonne à dire, reposant son verre sur le bar alors que la question suivante lui arracha un sourire jaune, à défaut d’un rire.

Ce n’est pas l’envie qui manque.

Si elle pouvait revenir en arrière, au moment où son corps se comportait encore comme celui d’un humain normal, elle le ferait. Largement. Tout plutôt que ce désert. L’illusion d’une oasis lui avait suffi, mais même ça lui était interdit. Du moins avec les humains lambda.

Plutôt ce petit problème.

Et le fait que sa dernière rencontre dans un bar avec un Nephil avait achevé de refroidir ses tentatives désastreuses pour s’amuser autrement qu’en décapitant des ombres. Elle lui tendit sa main, paume vers le haut, l’action étant plus parlante que de longs discours. Elle n’avait pas relevé le « quelqu’un » volontairement, ne voulant pas s’étendre sur ses récents échecs.

Touchez.

Je lève un sourcil à la première réplique de l'accomplie. Mais avant que j'aie le temps de demander des précisions, elle réponds spontanément à mes interrogations en me présentant sa main. Changeant mon verre de côté, j'avance la mienne et l'effleure du bout des doigts, la laissant courir quelques secondes sur sa peau. Glacée. Inerte. Pas la moindre once de chaleur, pas le moindre battement de vie. Comme si le sang ne circulait plus. Evidemment, cela explique qu'elle évite le rapprochement avec d'éventuelles proies.

"Une conséquence de votre contrat je suppose ?"

Certains voeux ont vraiment des effets inattendus, à tel point que des contractants doivent amèrement les regretter. Les deux créatures surnaturelles peuvent décidément se montrer sans pitié dans leur interprétation des désirs formulés. Est-ce le cas pour Halo ? En tout état de cause, cela m'apparaît comme une preuve de plus de la faiblesse de la condition humaine. Chacun est libre de ses choix, et de la façon dont il les exprime. Si un souhait est mal énoncé, c'est que son auteur n'a pas pris le temps nécessaire pour y réfléchir. Je retire doucement ma main, avant de fixer mon regard sur le visage de mon interlocutrice.

"Je vois... C'est fâcheux, en effet. Cela contrarie vos habitudes, j'imagine."

Je détourne les yeux pour reporter mon attention sur la salle.

"Mais je suppose que c'est le prix à payer pour avoir accédé à l'autre côté du miroir. Nous avons la chance d'avoir été choisis pour mener une bataille primordiale. Pour cela, on nous a donné des armes dont nous ne pouvions même pas avoir idée auparavant. Cela mérite bien quelques contreparties, vous ne pensez pas ? Renoncer à notre ancienne existence pour mieux embrasser la nouvelle..."

Je prends le temps de boire une nouvelle gorgée avant de poursuivre :

"Et puis, peut-être pourriez-vous tirer avantage de cette nouvelle condition. Tout est une question d'adaptation, de souplesse d'esprit. Vous devez garder en tête que vos objectifs ont changé, mais aussi les moyens dont vous disposez pour les atteindre."

Mes paroles, prononcées d'un ton uniformément calme, se perdent suffisamment dans le bruit ambiant pour n'être entendues que de celle à qui elles sont adressées, sans avoir besoin d'être murmurées. L'avantage d'un lieu public et animé.

"Vous devez vous concentrer sur l'essentiel, Mlle Halo, et laisser le reste derrière vous. Toutes ces préoccupations qui remplissaient vos pensées auparavant, avant votre contrat... Tout cela n'a plus d'importance à présent. Vous n'avez plus rien de commun avec eux."

Je parcours distraitement la salle des yeux, m'arrêtant insensiblement sur les visages des autres clients, que je viens de désigner dans ma dernière phrase.

"Un nouveau monde s'est ouvert à vous, Mlle Halo. Vous ne faites plus partie de l'ancien. Vous devez vous concentrer sur votre mission. Les liens d'attachement, les attirances, tout ce spectre des sentiments humains n'y a pas sa place."

Et surtout pas les sentiments envers un adversaire. Mais je considère que ce cas de figure est suffisamment englobé dans mon propos pour ne pas avoir à le préciser.

Elle acquiesce de la tête légèrement alors qu’il parle de son contrat. Ce contrat qu’elle aurait mieux fait de ne pas passer pour un vœu aussi stupide. Ressusciter un mort. Quelle ineptie. Elle se changeait désormais en morte, donnant ce qui la rendait vivante en échange d’un vœu gâché par un Nephil.

Ma vie a été bouleversée au moment où j’ai prononcé mon vœu. Il n’y avait déjà plus rien à voir avec mon ancienne vie.

Qu’elle ne vivait pas vraiment, enfermée dans le travail, absente de toute relation sociale. Au moins avait-elle un but à présent, même s’il se réduisait à tuer des ennemis. Un but absent de toute relation avec ce qui avait été son premier but. Une erreur.

Des sentiments… humains ?

Elle faillit rire, et se retint de justesse en se rappelant qu’il était son supérieur et qu’il valait mieux ne pas lui manquer de respect. Quelle ironie, alors même qu’elle tentait de ressentir quelque chose par le biais d’actes aussi futiles qu’une nuit torride, et se contentait d’adrénaline, il lui enjoignait à quitter tout attachement pour la sphère humaine.

Je ne ressens rien.

Plus rien, enfoncée que tu es dans une nappe de douleur profonde, à t’en scarifier les bras pour l’exprimer.

Vous prêchez une convaincue.

Manière polie de dire que tu te fourvoies lourdement mon petit.

Je me détourne légèrement vers mon interlocutrice pour m'acouder au comptoir, appuyant négligemment mon menton sur le dos de ma main.

"Notre existence à tous a été bouleversée quand nous avons conclu notre pacte. Avant tout cela, auriez-vous imaginé un seul instant tout ce que vous savez désormais ?"

Quand je parle de renoncer aux sentiments humains, non seulement Halo semble aller dans mon sens, mais elle paraît m'y avoir précédé. Elle prétend ne rien ressentir. Mensonge ou réalité ? Dans le second cas, je me demande bien quel voeu elle a pu formuler. En tout cas, tout cela est bien éloigné de ce pour quoi je suis venu. Qu'en est-il de ses sentiments pour Russel Blake ? M'aurait-on mal renseigné ? J'avais pourtant cru percevoir moi-même quelque chose de trouble à son sujet, dans le comportement de l'accomplie lors de notre première rencontre. De fait, j'ai l'impression de me retrouver en présence d'une personne très différente, ce soir. Qu'a-t-il pu lui arriver entre temps ? Je termine mon verre à petites gorgées, puis je demande :

"Si vous êtes si convaincue, pourquoi cet air désabusé ? Etre délivré du poids des sentiments n'est-il pas une bénédiction ? Vous pouvez vous consacrer au plus important sans le moindre remord, à présent."

Je laisse passer un petit temps, puis je poursuis d'un ton léger :

"...comme par exemple, vous occuper de nos recrues défaillantes... A propos, comment se porte Mlle Williams ?"

Si le sujet Blake semble devenu plus incertain, il me reste tout de même à interroger Halo sur l'autre thème qui m'intéresse, les résultats de son travail de remise en ordre des idées de sa jeune collègue.

Non elle n’aurait jamais imaginé qu’une guerre se tramait dans son dos à la vue de tous et toutes, entre des habitants même de cette ville. Elle n’aurait même jamais songé qu’elle pourrait communiquer avec les morts, ni les voir, ou que sa peau se changerait en frigidaire.

La vie a moins de saveur sans sentiment. Je vivais d’adrénaline jusqu’à ce que mon pouvoir grandisse. Désormais, je ne vis que pour tuer.

Ce paradoxe lui plaisait, mine de rien, et un éclat brilla dans ses yeux un instant avant de se reporter à la question de l’Elu.

Samantha ?

Lenna soupira, et finit le verre de Martini qu’elle posa sur le bar, alors qu’elle réfléchissait à la dernière épreuve supposée l’endurcir.

Irréparable. Elle ne trahira pas sous notre nez, mais elle gardera toujours une âme pacifiste. Inutile en somme. Elle a presque pleuré en tuant un Nephil, et ne l’a fait seulement pour que je ne le torture pas. Alors qu'il le méritait amplement...

L'inactif était presque plus coupable que celui qui avait tué Origan. Abruti fini. Une idée, brusque, et mauvaise s’insinua dans son esprit. Elle ne put s’empêcher de la murmurer à Adonis, alors qu’elle mesurait toute l’implication de pareil argument.

Dommage qu’elle n’ait pas de famille connue.

Cela aurait été un moyen de pression plus que satisfaisant pour la rendre utile en la sachant incapable de les trahir. Mais c'était tellement cruel, qu'elle se surprit presque un instant de penser aussi mal vis-à-vis d'une ancienne amie. Presque.

Je hoche la tête, de plus en plus intrigué par la nature de son voeu. Il semble que le changement d'attitude que je note chez elle soit donc le fruit de l'évolution de son pouvoir. Une diminution progressive des émotions, peut-être.

"Ce ne doit pas être simple, en effet. Mais si vous avez perdu cette adrénaline, vous échappez aussi à la souffrance, non ?"

Cela dit, une machine à tuer, froide et implaquable, c'est un atout plutôt appréciable dans une guerre. Au moins, on est certain de ne plus tomber dans les compromissions auxquelles se sont livrés certains Séraphs ces derniers temps.

"Vous n'avez jamais songé à devenir traqueur ? Ca me paraît une fonction toute indiquée, au vu de ce que vous venez de me dire..."

J'écoute ensuite ses explications sur Williams. Comme on me l'avait dit, elle me confirme que sa tentative de reformatage a été un échec. Certains pacifistes semblent décidément particulièrement résistants à la suggestion. Cela dit, je balaie le propos de mon interlocutrice d'un léger geste de ma main libre.

"Personne n'est irréparable, comme vous dites, Mlle Halo. Il suffit de trouver la bonne stratégie, d'identifier les points de fragilité."

Quand Halo évoque l'idée d'une pression via la famille, je fais la moue.

"Il existe des méthodes bien plus subtiles pour amener quelqu'un à se montrer plus... agressif. Dans certaines situations, on ne peut faire autrement que de combattre et de tuer, et on y met d'autant plus d'ardeur que la cible nous inspire de la haîne. Voyez ce bon M Chase par exemple. Pacifiste devant l'éternel quand il est arrivé dans la faction. Aujourd'hui, il torture et tue des Néphils de sang froid. Il suffirait par exemple de nous arranger pour que cette chère Samantha ait sous les yeux la barbarie néphile dans toute sa splendeur pour qu'elle revoie son opinion..."

Cet Elu l’interpelle. Ses mots percutent. C’est avec un drôle de regard qu’elle l’observe comme si les Seraphs pouvaient s’avérer plus prometteurs que ce qu’elle pensait jusqu’alors. Avec un chef pareil… Hmm.

La souffrance est ma partenaire habituelle.

S’il jetait un œil sur ses bras, il ne manquerait pas de découvrir les ouvertures qu’elle s’infligeait régulièrement pour tenter de ressentir quelque chose de plus puissant que cette douleur sourde qu’elle souhaitait évacuer de son corps, qu’elle souhaitait oublier en buvant ce verre. Vide, d’ailleurs. Elle avait remarqué récemment que la souffrance des Nephils était tout aussi satisfaisante que la sienne propre. Surtout que son corps s’entêtait à l’empêcher de saigner aux petites coupures. Ironie du destin.

Traqueur... d’ombres ou de Nephils ?

Un mince sourire étira ses lèvres. Cela lui plaisait de les tuer. D’autant plus qu’elle savait débarrasser le monde d’une tare des plus manifestes. Ce sourire s’agrandit de plus belle en entendant le plan qu’il suggérait au sujet de Samantha.

Si vous avez besoin d’un acolyte… ce sera avec plaisir.

Je fais signe au barman de remplir nos verres vides, puis je coule un regard en biais à Halo, tout en prenant une nouvelle gorgée de ma boisson. Elle ne serait donc privée que des sentiments positifs ? Mais quel voeu a-t-elle donc pu formuler ?

"On peut se servir d'une partenaire à son avantage, pour devenir plus efficace, si on parvient à la contrôler... Qu'en pensez-vous ?"

Sa question suivante sur le type de traqueur à adopter me fait lever un sourcil. Je lui réponds par une autre question, avec un petit sourire en coin.

"Pourquoi devoir choisir ?"

Je m'y suis moi-même refusé, quand j'étais traqueur. Je chassais aussi bien les ombres que les Néphils. Les unes comme les autres rapportaient de l'énergie à notre camp, après tout.

"En tout cas, si vous décidez de tenter votre chance, je serai prêt à appuyer votre candidature. Réfléchissez-y."

Je hoche la tête quand mon interlocutrice me propose une coopération pour traiter le cas Williams.

"J'en prends bonnes notes. Mais attendons un peu. Peut-être les prochains événements nous fourniront-ils une bonne occasion de mettre cette stratégie à exécution. Et si ça n'arrive pas... eh bien, nous ferons en sorte d'aider un peu le destin."

D'expérience, il n'y a rien de tel qu'une attaque de Melkyor pour resserrer les rangs et révéler des vocations. Et comme notre bonne amie ne s'est plus manifestée depuis un certain temps, j'ai dans l'idée que ce ne devrait plus être qu'une question de jours, peut-être de semaines.

Si elle n’avait pas encore trouvé comment contrôler sa douleur, elle avait du moins compris comment contrôler les esprits, et c’est pour cette raison principale qu’elle acquiesça aux propos d’Adonis, songeant à ce qu’elle pourrait faire également en contrôlant Stella ou une jeune recrue manipulable.

Les partenaires contrôlés sont les plus efficaces, oui.

Encore fallait-il être douée de manipulation, chose dont elle avait passablement échoué auprès de Russel Blake, encore trop faible par rapport à sa nature humaine. Elle saisit le nouveau verre, enfin le verre à nouveau plein d’une main et y trempa ses lèvres, pensant que cette conversation prenait une tournure des plus intéressantes.

Parce qu’on parle en général de traqueur d’ombres… mais je vois que nous sommes sur la même longueur d’ondes. J’y réfléchirai.

Au final ce ne serait qu’un titre qui lui permettrait de faire ce qu’elle faisait déjà et de chasser de façon plus paisible dans les rues de la ville et de trouver un soutien plus large auprès des autres Seraphs. Une fonction enviable.
Pourquoi attendre ? Cela échappait à Lenna, trouvant qu’il valait mieux être solide avant que des évènements ne se produisent justement. Elle haussa les épaules, signe qu’elle ne se permettait pas de critiquer, mais qu’elle n’en pensait pas moins. Elle préférait l’action à la patience. La patience était trop longue à supporter, tellement fade et sans saveur.

Heureusement que ce ne sont que des exceptions.

La plupart des rangs restait fiable et fonctionnel après tout.

Halo a raison. La principale chose dont il est question au moment de passer un contrat avec Kyu, et j'imagine qu'il en va de même pour l'autre créature, c'est l'élimination des ombres. Pour preuve, c'est ce que la plupart des contractants ont en tête dans les premiers temps de leur existence en tant que Séraph. Ce n'est que plus tard qu'ils découvrent plus précisément, ou qu'on leur fait découvrir, que cette mission passe par la lutte contre les Néphils. Je me suis toujours demandé pourquoi la guerre entre les deux factions passait autant au second plan, à l'instant de formuler son voeu. Peut-être Kyu et Bey ont-ils compris que la meilleure façon de convaincre les humains était de leur parler d'une sorte de quête sacrée pour neutraliser des forces maléfiques responsables de tous les malheurs des hommes, plutôt que d'un conflit entre deux clans rivaux... Jouer sur la corde sensible des êtres humains, le rêve de devenir un héros légendaire pourfendeur des créatures obscures, représentant du bien luttant contre le mal, comme le décrivent les fictions traditionnelles, c'est très vendeur, c'est vrai. Mais ensuite, c'est à nous, Séraphs plus expérimentés, de nous démener pour faire comprendre à toutes ces nouvelles recrues que cette belle épopée passe par un combat fratricide, et qu'on ne sauve pas le monde sans faire couler le sang. Et pour cette étape, nos commanditaires se montrent souvent bien discrets...

En tout cas, mon interlocutrice semble prête à examiner ma proposition de plus près. Donner aux gens un rang supérieur, un rôle plus important, est une excellente méthode pour les motiver davantage à accomplir leur mission. Tous comptes faits, Halo n'avait peut-être besoin que de quelques marques de confiance supplémentaires comme celle-ci pour devenir un élément parfaitement fiable. Ou peut-être l'évolution de son pouvoir suffirait-elle à la rendre imperméable à toute sensiblerie qui pourrait la rapprocher d'un quelconque Néphil. Finalement, alors que je suis arrivé ici en pensant qu'un grand travail restait à faire, je repartirai probablement avec la sensation que ce travail est en réalité déjà bien avancé.

La dernière phrase de l'accomplie me fait prendre un air sombre.

"Quelques exceptions, c'est encore trop. Cela suffit à donner un mauvais exemple, et nous n'avons vraiment pas besoin de cela en ce moment. Si Melkyor attaque à nouveau, ce n'est pas avec des fleurs et des déclarations d'amour que nous sauverons nos vies... Nous ne devons pas nous faire d'illusions. Elle connaît nos faiblesses, et c'est là qu'elle frappera. C'est cela qu'ils ne comprennent pas. Ce sont nos existences qui sont en jeu."

Je reviens à Halo, la fixant droit dans les yeux.

"C'est pour cela que j'ai besoin de vous, Mlle Halo. Votre exemple doit remplacer celui de tous ces pacifistes. Parce qu'à présent, je sais que s'il vous faut frapper, votre bras ne tremblera pas."

Je vide mon verre et le pose sur le comptoir, avant de régler nos consommations. Je sais tout ce que je voulais savoir.

"Nous serons probablement amenés à nous revoir bientôt. D'ici-là, restez sur vos gardes."

Et je la salue d'un geste avant de me détourner et de me diriger tranquillement vers la sortie.

[Dernier post pour ma part, merci pour ce RP. ^^]

Melkyor n’est pas le pire ennemi, mais la nature humaine transformée par ces maudits contractants qui jouent un double jeu. Au moins Melkyor était au moins très claire sur ses actions : tous nous tuer pour nous sauver. Ils n’avaient pas encore trouver de quoi, mais cela finira par se savoir un jour. Lenna n’était pas vraiment douée dans la récolte d’informations, plus utile au massacre qu’à la devinette. Le regard d’Adonis la ramena à la réalité. C’en était presque troublant de se faire fixer avec autant de droiture.

Son exemple ? S’il ne fallait que ça… Ce compliment était plutôt flatteur, signe qu’il avait plus ou moins bien compris ses récents actes, et qu’elle n’agissait pas dans l’ombre. Elle le salua d’un signe de tête entendu, alors qu’il quittait le bar, reprenant son verre dans la main pour y tremper les lèvres.

Elle s’accorderait bien un dernier verre, avant de rentrer, ou de partir chasser quelques ombres.

[Merci pour le RP ! ^^]