[L'action se passe dans un parc, relativement grand mais avec des endroits relativement dégagés. C'est dans l'un de ses lieux que peuvent se rencontrer de nombreuses personnes, grâce au hasard.]


Environ une fois par mois, la loi m'autorise à passer une après-midi avec mon frère. Ce jour là était venu.
Le coeur léger, l'esprit à l'optimisme, je m'étais préparé pour passer une de mes trois meilleures journées du printemps. Ce jour là j'étais clean depuis deux jours ... J'avais aussi réussi à limiter les quantités. C'était beaucoup moins "fun", mais il faut dire que j'avais déjà traversé le plafond autorisé. Je n'étais pas le seul à avoir exagéré, mais ce n'était pas une raison pour continuer.
Je m'étais fait beau, pas d'habits troués, pas de taches venant de je ne sais où ... Non, que moi et la propreté. J'étais ravis, heureux. Enfin. C'était pas trop tôt.

Ce jour là, je devais être à 13h devant l'école. Théophile devait d'abord manger à la cantine. L'orphelinat lui ayant payé un abonnement, Théophile n'allait pas rater un repas à la cantine sous prétexte qu'il n'y avait pas de cours l'après midi ! Mais quand même ... Ca me ferait plaisir de déjeuner avec lui ... Ca fait 5 ans que nous ne le faisions plus.
Ce jour là, je m'étais levé en pleine forme. Je regardais ce coupon orange qu'un médecin m'avait passé. Je devais aller dans une espèce d'association, montée contre les addictions ... J'allais à l'est de la ville ce jour là, cette agence s'y trouvait. Je pensais que je devais y passer ... En fin de journée.

- Allez .. C'est parti !

Je sortais de mon appartement. Une longue route m'attendait, les transports en commun étant le seul moyen pour y aller, le voyage a duré un certain temps. Deux correspondances pour trois bus différents plus tard, je me retrouvais à temps pour chercher Théophile. J'étais même en avance.
J'attendais alors, une dixaine de minutes, avant de l'apercevoir au loin ! Il grandissait vite ! En même temps, nous ne sommes pas des Descarmes si nous ne sommes pas grands !!!

Je le voyais arriver vers moi, le pas rapide. Le temps où il courait, que dis-je, me fonçait dessus n'était pas si éloigné. Mais bon, le petit grandissait et il se faisait plus réservé !

- Mathieu !!!

Aaaaah ! Ca me faisait plaisir. Je le prenais entre mes bras, je ne pouvais m'empêcher de presque l'étouffer. Ces journées étaient saintes pour moi. Le temps n'était plus à la déprime.

- Alors Théo ? Tu as bien mangé ?

- Beurk non, c'était dégueu ! Du maïs à l'eau et aux OGM beurk !!

Je notais qu'on lui avait appris les OGM en cours. C'était pas plus mal, au moins il saura ce qu'il mangera ! Et je pariais que sa maîtresse lui avait dit que la nourriture de la cantine en était pleine. J'ai eu le même genre de prof à son âge, mais elle c'était en version "réchauffement climatique".
Enfin bon. Je me séparais de lui, le regardant. Il était tout beau ! L'orphelinat avait des moyens, et c'était tant mieux ! Pourtant ce n'était pas celui du quartier nord !

- Alors quoi de neuf sale môme ?

Il me répondit sur le coup. J'étais sa seule famille, et il n'avait que moi comme modèle. D'ailleurs il commençait à faire des bêtises. Je faisais confiance à ses éducateurs pour ça ... Ils devaient être intransigeants. Théophile ne doit pas devenir comme moi.

- La prof elle a encore écorché mon nom. A l'orphelinat ils écorchent tous mon nom du coup ils m'appellent Théo. Mais la prof tout à l'heure, en faisant l'appel, elle a dit "Téfil dessecarmesse". J'aime pas.

Je riais. Car oui, j'ai eu droit aux mêmes écorchements. "Matthieu Descarmes", c'est un nom atypique, mais pas autant que Théophile !!

- Dis Mathieu, on va faire quoi aujourd'hui ?

C'était la surprise. J'hésitais un peu avant de lui lire d'un ton malicieux.

- Hmmmm .. J'ai pensé qu'on irait à Nibelheim faire un tour .. Et ... Prendre un vélo pour aller au parc !!

Le visage de mon frère s'illumina ! Il ne m'exprimait pas vraiment physiquement sa joie, mais comme à son habitude, il me couvrait de louanges. "T'es le meilleur" était son meilleur compliment ! Et rien ne me faisait plus plaisir que de lui donner de la joie.
Oui. Ce jour là, j'étais heureux. Pour la première fois depuis un mois.

Nous sommes alors allé dans cet orphelinat, un magnifique manoir dans lequel étaient gardé quelques enfants. Quelque part, il avait de la chance d'être ici, mais les éducateurs qui sont en relation avec eux sont assez strictes. Je ferai n'importe quoi pour obtenir la garde de mon frère. Je lui donnerai cette autorité et surtout ce contact que les gens d'ici ont trop peu. Ils ne le comprennent pas. Il commence à faire des bêtises, on l'a déjà surpris en train de préparer ses affaires : il voulait fuguer.
La faute a été reportée sur moi, il avait "une mauvaise influence familiale". Ils pensent m'empêcher d'aller voir mon frère, définitivement. Mais nous ne sommes pas d'accord.

Après être passés dans l'orphelinat pour chercher un vélo, nous nous sommes dirigés vers un parc, idéal pour ce genre d'activités. Il n'était pas spécialement doté de terrain fait pour le vélo, mais les petits chemins, difficiles d'accès et naturels font le plaisir de Théophile.
Quelques minutes plus tard, nous entrâmes, par un petit chemin qu'on prenait à chaque fois. Le temps était magnifique, tout était parfait.

- Théophile ne va pas casser le vélo, hein ?

- Non non, promis !! Disait-il en fonçant comme un taré ! Halala ! Il tenait presque pas sur place !!

Je m'asseyais sur un banc, pour l'observer. Je le gardais toujours dans un coin de mon oeil, et je regardais ma main. Les blessures étaient en cours de cicatrisation, mais ce n'était pas fameux. Le médecin m'avait autorisé à enlever les bandages, pour laisser ma peau respirer un peu. Seulement j'avais peur qu'un corps intrus provoque une infection. J'exécutais quand même le conseil, après tout ce n'est pas moi qui aie fait médecine.

Je plongeais un peu dans mes pensées, quand j'entendis, d'un coup, un bruit de métal. Théophile avait glissé sol empoussiéré, le vélo a dérapé jusqu'à la balançoire. *cling*.
Mon frère venait jusqu'à moi, le genou ensanglanté.

- Je peux m'asseoir à côté de vous ?

Une voix féminine me parvenait, mais j'écoutais à peine, je ne lui prêtais pas attention. Non, je regardais Théophile venir vers moi. Il était fier de lui, quel sale gosse ! Ce genre de chute, ce n'était pas bon pour moi ! Ils pensent déjà que j'ai une mauvaise influence sur lui !!

- Heu ... Oui oui bien sûr ! Et j'enchaînais directement.

- Théophile !!! Je t'avais dit de faire attention !!! Mince !!!

Il était tout de suite moins fier ... Il n'aimait pas me contrarier .. J'étais généralement assez souple avec lui, mais j'avais compris la leçon .. Je devais être moins cool, sinon il allait se croire trop libre. Et s'il se sentait à l'étroit à l'orphelinat, il allait avoir envie de fuir ...Et s'il fuyait ... Plus jamais je ne l'aurai revu.

Son genou était salement écorché. Il saignait pas mal, et surtout, la terre recouvrait sa plaie. Il ne fallait pas qu'elle s'infecte. Je regardais à droit, à gauche, mais je ne vis que cette femme avec sa poussette et d'autres mères, ne se préoccupant même plus de la chute de mon petit frère.

Ah ! Je voyais déjà les éducateurs me faire la morale, me reprocher que je ne prenais pas assez soin de mon frère ! Eux qui l'élèvent sans amour, et qui ne voient pas qu'ils sont en train de le rendre quasiment violent ! Eux qui éduquent comme des machines, avec des règles écrites et indiscutables, avec une froideur de marbre, eux, vont me faire la leçon.
Je craignais les moments à venir. J'aurai dû lui acheter des protections, mais ce n'était pas comme si j'en avais les moyens. Ils auraient peut-être du lui en donner eux-même, après tout, je ne suis pas responsable de lui au yeux de la loi.

Je le regardais comme si je lui en voulais, le pauvre, il n'avait pas le droit de profiter de son enfance. Des droits, il n'en avait presque pas.
Mais soudain, j'entendais une voix féminine, à côté de moi. Certainement la mère de famille qui s'était assise sur le banc. Je me tourna vers elle, et enfin je la vis. Elle me proposait des soins pour Théophile. Je n'hésitais pas une seule seconde.

- Vous feriez ça ? C'est vraiment très gentil ... Je ne sais pas trop quoi vous dire !

Je lui affichais mon plus gros sourire en guise de remerciement. Je lui devais au moins ça, et pourtant physiquement, je n'étais pas au meilleur de ma forme. Je ne l'étais jamais, d'ailleurs.

Alors je regardais Théophile, qui avait l'air de bouder un peu. L'idée de se soigner n'avait pas l'air de le réjouir. Et oui, l'alcool ça pique, et la bétadine n'est pas très esthétique. Les enfants sont vraiment difficiles, même ceux qui rentrent dans l'adolescence.
Je saisissais alors doucement ses deux bras, et lui parlais d'un ton rassurant.

- Tu as entendu la dame ? Allez, assieds toi, s'il te plais.

Je me levais du banc, et le faisais s'asseoir. Je ne voulais pas non plus que la femme, qui visiblement avait accouché il y a peu, se baisse. Alors je posais mon frère sur le banc, l'action sera alors moins délicate pour la jeune femme.

- C'est vraiment très gentil à vous ... Je ne sais pas ce que j'aurai fait s'il rentrait avec le genou plein de terre et ensanglanté. Il n'y a pas grand chose de pire pour les infections.

Je regardais Théo attentivement. Il tirait une mine affreuse, décidément, il n'était pas ravis. On aurait presque dit que la situation l'agaçait. Il avait surtout hâte de reprendre son vélo et de repartir faire "le fou" un peu plus loin.
Son expression me déplaisant, je lui faisait comprendre du regard qu'il devait se trouver plus agréable envers la femme qui allait le soigner. Puis mes yeux se posaient sur la poussette.

- C'est une grande poussette ! Vous avez deux enfants ? Des jumeaux ?

C'était adorable de voir une jeune femme avec une poussette et deux enfants, et de la voir concernée par la blessure de mon frère. Pour moi les enfants sont extrêmement importants. L'éducation, l'enseignement, tout ça a toujours eu une place importante dans ma vie. Après tout j'ai élevé Théophile presque tout seul, ma mère ne s'occupait presque pas de nous. Pour Théo je suis à la fois un frère, et ce père qu'il n'a jamais eu.

La jeune mère s'occupait merveilleusement bien des blessures de mon frère. Elle nettoya sa plaie avec une grande délicatesse et une intention spécifique des mères envers les enfants. J'aimerai avoir cette souplesse, cette délicatesse et cette patience envers Théo, mais je fais plutôt figure d'autorité. Ais-je le choix ? Avec lui pas vraiment, il fallait le remettre à l'ordre, mais ce n'était pas pour autant qu'il manquait d'affection !
Une fois pansé, je lui frottais la tête, il détestait ça, et c'est ce qui me plaisait !

- Allez file sur ton vélo sale môme !

Je le vis ensuite se ruer dessus, avant de partir à toute vitesse vers le parcours, qui était à portée de vue. Je n'allais plus le quitter des yeux, ou alors j'allais y faire attention. Et puis visiblement, j'avais un peu de compagnie. Cela allait me faire du bien. La dame, assez aimable pour s'occuper de mon frère, me donna en plus des conseils pour m'occuper des petits bobos. Ce n'était pas de trop, bien que je sache quoi faire dans ces éventualités .. Je n'y avais juste pas pensé.

- C'est noté, j'achèterai quelques médicaments pour lui, et de l'alcool .. C'est pas donné ces choses là, mais si ça peut éviter qu'il s'infecte un jour ...

Je me rasseyais sur le banc. Mon regard se posa à nouveau sur la poussette, d'ici je pouvais voir les deux petits bébés. Hana et Julian, c'était donc une fille et un garçon, donc bien des faux jumeaux ! Ils étaient vraiment jeunes, à vu de nez ils avaient que quelques mois. J'avais aussi un nom à poser sur la mère, Naoto. Le nom était de consonance japonaise, ça faisait plaisir, Palema était une ville de diversité !

- Naoto, très bien ! Quant à moi je me nomme Mathieu ... Je vais dans ce parc de temps en temps et je croise toujours les mêmes mères et les mêmes pères ... Vous venez de découvrir ce parc ?

Il est vrai qu'en cinq ans de temps, jamais je n'avais vu cette femme, et pourtant, c'est toujours les mêmes visages que je croise là bas. Des mères fermées entre elles, qui se connaissent toutes, mais qui ne font généralement pas l'effort de connaître d'autres personnes, et surtout pas un junkie avec un gosse un peu dur. C'était l'une des premières fois que quelqu'un m'adressait la parole. Je devais en profiter un peu.

- Vos deux petits m'ont l'air en pleine forme en tout cas ... Ce n'est pas trop difficile d'élever deux bébés chez soi ? J'espère que "papa" vous donne un petit coup de main ?

Elle me parlait, et ça me faisait bizarre d'entendre langage qui ne soit pas (au minimum) familier. La rue me réussit peu, et à part les gens de mon bâtiments, les formules de politesses sont rares là bas. La pauvreté ne réussit pas à l'élégance, et cette femme, Naoto, en avait certainement plus que moi. Je faisais de réels efforts pour ne pas paraître grossier ou même inquiétant. J'essayais d'apaiser mon visage, je n'étais pas en danger, il n'y avait aucun risque ... Je devais canalyser mon stress.

Enchantée Mathieu. Et on peut dire ça, oui. Le Quartier Est est un peu loin de mon domicile mais comme il faisait beau, j'en ai profité pour leur faire prendre l'air et du coup, nous sommes venus jusqu'ici. Je connais un peu plus le Quartier Nord mais ce parc est ma foi bien agréable et très bien agencé.

Il était vrai que le parc était particulièrement bien fait et bien entretenu. C'est pour cette raison que j'y allais, tout était fait pour que l'on puisse surveiller les enfants, et eux, avaient suffisamment de place pour se défouler. Je faisais attention à ce que Théo faisait avec son vélo. Il voulait faire le fier avec, il a toujours fait ça. Faire les dérapages les plus impressionnants, les montées de vitesse les plus folles ... Il voulait que je sois surpris et fier de lui, je le savais, j'étais jadis comme ça, je voulais attirer l'attention. Il ne comprenait pas vraiment que j'étais déjà fier de lui, bien que je m'inquiétais un peu ... Il avait peu de fois l'occasion de me le prouver.

-Eh bien, c’est un peu déroutant au début. Parce qu'il faut toujours tout prévoir en double. Mais finalement, ce n'est pas si compliqué que cela. C'est un peu comme pour tout, c'est un coup à prendre. En plus, ce sont des bébés sages alors j'ai de la chance.
Et le papa m'aide beaucoup, même s'il a beaucoup de travail de son côté. Il aimerait être plus présent mais ne perd jamais un instant à partager avec les jumeaux.

Ah, elle était du Nord de la ville. Cela ne m'étonnait que très peu. Elle était assez distinguée, chose à laquelle j'étais peu habitué. Mais j'en étais vraiment heureux. Les deux petits étaient entre de bonnes mains, avec une mère aimante et un père visiblement très préoccupé du sort de ses enfants. Cette nouvelle a provoqué chez moi une certaine chaleur, cela me changeait de toutes ces mères, souvent très jeunes, et qui dans le meilleur des cas, bataillaient pour acheter des habits à leurs enfants. J'étais ravis d'apprendre ça ... Je regardais Théophile, lui n'avait pas autant de chance, mais au moins il pouvait s'habiller correctement, ce qui n'aurait pas été le cas avec moi. Je devais changer de vie avant de changer celle de mon frère.

-Et vous, cela se passe bien avec Théophile? Visiblement, il vous apprécie beaucoup. Il ne cesse de vous regarder, même en pédalant comme un fou. Comme s'il craignait que vous ne disparaissiez.

Cette remarque me fit aussi chaud au coeur. Ca se voyait alors que Théo voulait m'impressionner, que mon avis comptait et que je comptais pour lui ! Entendre que mon frère m'aimait me rassurait encore plus. J'étais à la fois fier et ... Heureux, oui.

- On est très complices avec mon frère. Je l'ai élevé à la dure un peu, mais ça a son effet. Je vous remercie vraiment, ça me fait chaud au coeur.

Il continuait à pédaler comme un fou. S'il avait moins de fierté, il me dirait toutes les trente secondes de le regarder. On sentait vraiment le désir que je sois fier de lui.

- Dans tous les cas je suis content que vous deux enfants ne vous posent pas trop de problèmes ! Mais attention, ils grandissent vite ! Mon petit frère par exemple, je ne le vois pas pousser ! Et pourtant vous avez vus, il est très grand pour ses dix ans ! Et puis quel caractère !!

Je m'en amusais un peu. Je ne voulais pas faire peur à Naoto, mais parler de Théophile me mettait toujours dans ces états là. Je m'embarquais toujours un peu vite, avec joie, un peu comme si j'étais passionné, avec des étoiles dans les yeux.

- Vous avez le temps, vous êtes jeunes, peut-être plus que moi ! Profitez, vraiment !

- Pour le moment, c'est ce que je fais. Je profite de mon congé maternité pour passer la grande majorité de mon temps avec eux et les voir grandir. D'ailleurs, je ne sais pas encore si je vais reprendre le travail par la suite. J'aimerais mais je voudrais pouvoir être là pour eux avant tout alors, il va falloir que j'y réfléchisse sérieusement.

Travailler ou ne pas travailler ? Je comprenais parfaitement le dilemme dans lequel elle était confrontée. Bien que pour moi la réponse est évidente, elle peut varier en fonction des personnes, de leur tempérament, de leur vécu.
Vivre avec ses enfants le plus possible ou subvenir à leur besoin ? Avoir une mère omni présente, ou bien une mère plus absente ?

Théophile s'y prenait vraiment très bien sur son vélo. Il voulait s'inscrire prochainement dans un club de vélo tout terrain, j'étais sûr qu'il allait y trouer son bonheur. Je ne pouvais pas vraiment me concentrer à 100 % sur les deux, mais je décidais quand même de me partager entre les deux, histoire de ne vexer personne. Je fixais toujours mon frère du regard, tout en continuant de converser avec Naoto.

- Vous avez le temps pour réfléchir. Personnellement je vous conseille de garder votre emploi. C'est important de vivre autre chose qu'un quotidien de mère ... C'est un peu comme garder son identité. Et puis il faut subvenir aux besoins des enfants, c'est primordial .. J'en sais quelque chose.

- Pardonnez ma curiosité mais... Vous avez dit l'avoir élevé un peu à la dure. Vous vous en êtes occupé seul? Vous avez des soucis avec vos parents?
Si vous trouvez que je suis trop indiscrète, vous avez le droit de ne pas me répondre.

La question me paraissait tout à fait légitime. Elle était en droit de se la poser, et la curiosité dont elle fut preuve était totalement compréhensive.
Je souriais, content de ne pas être le seul à poser des questions un peu "mal placées". Celle-ci ne me dérangeait pas. Ma situation, j'ai appris à l'assumer, il me reste encore à la combattre.

- Ne vous en faites surtout pas. En fait ma mère n'était pas digne d'élever Théophile ... Selon moi en tout cas. Elle n'a pas su m'élever, je comptais alors donner une éducation à cette petite tête. Vous savez ... Quand il est né, il était minuscule ... J'ai eu comme un frisson, je prenais conscience que j'avais une autre famille que ma mère, et que je devais l'en protéger. On n'a pas grandi dans un milieu très favorable.

J'avouais tout cela avec un assez large sourire, je voulais lui montrer que je ne me forçais pas à lui répondre. Et puis, j'étais assez occupé à regarder Théophile, pour lui faire plaisir ... J'avais en vérité trop peur qu'il se fasse mal.

- Théo juste s'il te plais, fais attention aux poteaux là bas, fais pas comme la dernière fois.

Il me fit signe de la tête, avant de repartir comme un fou avec son vélo. La vitesse était une de ses passions ... J'aurai préféré qu'il travaille d'avantage à l'école.

- Naoto ... D'après ce que j'ai pu comprendre, vos enfants vivent dans un milieu assez stable, vous aviez un emploi, ils ont un père ... Il faut vraiment prendre conscience de la chance qu'ils ont, d'évoluer dans une telle atmosphère. Après, je ne sais pas comment ça se passe à la maison, mais vous avez l'air comme ... Un peu épanouie. Je me trompe ?

En même temps, toute mère venant d'accoucher est épanouie, à part en cas de baby blues, seulement ... Je sentais en elle comme un sentiment apaisé.

- Disons que malgré toutes mes appréhensions, je crois que finalement, je ne me débrouille pas si mal que cela. Je ne m'étais jamais ne serait-ce qu'imaginée mère alors... Je crois que j'avais peur mais maintenant, ça va mieux.

Les gens comme elle étaient rares. Ne jamais imaginer être mère, ce n'était pas très commun ! Nous avons tous, enfants, adolescents, ou jeunes adultes, imaginés le nombre d'enfants que l'on voudrait, une fille, ou un garçon, c'était un des jeux d'imagination les plus fréquents. Mais je la comprend, il m'est, après tout arrivé la même chose. Quand ce petit être est né, j'ai décidé plus ou moins d'endosser le rôle de père, de mère, et de frère. Poids visiblement trop lourd pour mes petites épaules, je me suis laissé allé à la facilité. Le refus de la garde, quand ma mère est morte a été un coup de massue dont je ressens encore la douleur dans ma poitrine, un coup lourd porté dans l'âme.
Alors je la comprenais, et ça fait un choc quand cela nous arrive. Heureusement pour elle, elle était dans une circonstance assez tranquille.

- Je comprends ... Enfin, je ne suis pas père mais je pense saisir ce que vous ayez eu peur. Mais je suis content que ça aille mieux.

- Après, la chance tourne vite dans ce monde. Alors, je préfère ne pas miser dessus. Et ce qui est de la chance pour certains ne l'est pas pour d'autres. Je veux seulement qu'ils soient heureux, qu'ils sachent être aimés et qu'ils puissent grandir à leur rythme, en prenant le temps de devenir des gens bien.
Enfin, c'est sans doute le souhait de tous les parents, je ne dois pas déroger à la règle.

Ah, vouloir que ses enfants soient des gens biens. Je l'appréciais déjà, cette femme, nous avions àà première vue la même optique en ce qui concerne l'éducation. Car contrairement à ce qu'elle disait, ce n'est hélas pas ce que souhaitent toutes les mères, on apprends ça dans le quartier sud. Là où je vis, on les élèves plutôt pour qu'ils deviennent forts, qu'ils ne se fassent pas bouffer par les autres, et les enfants ne deviennent que très rarement des gens biens.
Mais je vis pareil avec Théophile, voir plus, car mon frère va atteindre l'adolescence bientôt. C'est maintenant qu'il va forger son caractère, c'est maintenant plus que jamais qu'il faut lui dire de respecter les autres, de se respecter soi-même.

- Oui, c'est plus ou moins ce que se disent toutes les mères ... Enfin presque. Mais ... Désolé d'en revenir à Théophile ... Je lutte aussi pour qu'il soit quelqu'un de respectable, qu'il devienne vraiment quelqu'un de bien, avec de bonnes valeurs. Il est un peu dur, je ne sais pas si vous l'aviez remarqué ... J'ai un peu peur pour lui.

La peur ... Entre celle de la drogue et celle de l'avenir de mon frère, je ne savais pas laquelle était la plus forte. Entre ce qui pourrait me tuer, et ce qui pourrait pourrir le futur de ma seule famille. En y réfléchissant, je préfère peut-être mourir que de voir mon frère galérer dans la vie. Enfin ... L'un ne va pas sans l'autre. Si je ne me sors pas de la drogue, je pense qu'il n'aura pas un excellent avenir. Donc sois j'échoue sur les deux plans, sois je persiste et je vainc tous mes démons. Je le regarde, je me dis que je dois le sortir de cet orphelinat face et asceptisé.

- Heureusement il sait qu'il a intérêt à s'en sortir dans la vie. Tant que je serai là, sinon ma colère sera terrible.

Un petit sourire jaune s'échappa de mon visage. Je ne voulais pas en venir là, mais si bêtises il fait, je serai obligé de lui montrer mon mécontentement. En le connaissant, j'espérais bien qu'il prenne conscience de ses actes.

- Visiblement, il a plus l'air de chercher votre admiration que votre colère. Et c'est une bonne chose. Mais c'est encore un enfant alors il a aussi cette partie de sa vie à mener, à découvrir et à profiter. Même si ce n'est pas la plus facile, il sait au moins qu'il peut compter sur vous. Ne pas être seul, c'est essentiel.

Compter sur moi. Possible mais difficile étant donné que je le voyais une fois tous les mois. Il perdait peu à peu ses repères familiaux. Enfin, "son" repère familial, je suis le seul, et je ne suis pas non plus un bon exemple. Mais bon, cette femme ne sait pas, elle ne connait pas les situations dans lesquelles on vit. Elle ne sait pas que je vois mon frère une fois par mois, elle ne sait pas que je suis dépendant. "Ne pas être seul" ... Cette réalité m'empoigna le coeur. Il n'était pas seul, mais il était mal entouré selon moi. Les éducateurs et les autres faisaient bien leur boulot, peut-être même trop bien. Ils étaient froids, ils suivaient des règles strictes, simples.

- Je ferai du mieux que je peux en tout cas. Mais seulement ... Bien qu'il découvre encore la vie, il se forge son caractère dès maintenant, et ça commence plutôt mal. Je ne veux pas qu'il suive le mauvais chemin, il doit être quelqu'un de bien, c'est important.

Cette petite remarque de ma part passa presque inaperçue. Un de ses bébés commençait à faire savoir qu'il était mécontent. Cette image, cette scène me remémorait la vie que j'avais avec Théo et ma mère. Cette petite bouille insatisfaite demandant des bras bienveillants pour s'occuper d'elle. Une image toujours attendrissante, adorable, qui m'apaisa l'espace d'un instant.

- Cela doit vous rappeler des souvenirs, non?

Tout juste, un sentiment de nostalgie m'avait submergé. J'avais presque envie de revivre cette expérience touchante.

Dites, quel genre de bébé était Théophile? Après tout, je n'ai pas beaucoup d'expérience dans ce domaine alors, si vous aviez des conseils ou des avis à me donner, je serais preneuse.

Quel genre de bébé il était ? Facile de répondre, je le revoyais encore sous mes yeux, cet enfant plein d'entrain et de caractère.

- Théo savait montrer qu'il n'était pas content quand il le fallait. C'était son principal trait de caractère. Mais ... Il ne pleurait pas, il tordait sa couverture ou il tendait ses mains vers moi en gémissant. Sinon il était assez calme, mais voilà, il était capricieux. Il passait la plupart de son temps dans mes bras ou dans sa poussette parce que ... Alors ... Comment dire, c'est un peu bizarre mais il refusait de dormir dans son parc. Je ne sais pas si c'est très bon pour les bébés, mais il dormait dans sa poussette, qui, heureusement, était assez grande, et assez pratique ... En fait le siège pouvait se plier, il pouvait alors être en position couchée, et en position assise. Après en grandissant il est devenu très volontaire. Il s'est mis à marcher assez tôt, et très rapidement il s'est mis à courir, à user de ses petites mains pour faire tout de lui même ... Mais il demandait encore des câlins, seulement, il le faisait de moins en moins souvent. Donc en gros ... Théo était un petit très exigeant et très autonome ... Il a grandi à une vitesse folle. D'ailleurs votre fille, Hana, a un peu le même genre de comportement que mon frère quand il était petit.

Pfiouuu ! Ce que je pouvais parler ! En même temps, elle m'a posé une question très intéressante, enfin, du moins, sur un sujet qui me passionnait presque. C'était une belle journée qui se profilait, vraiment. J'étais heureux de m'être levé pour cette journée, ensoleillée, et pleine de souvenirs. La vue de cette maman m'a fait prendre conscience que sans moi, Théophile serait dans un bien pire état. Sans moi il n'aurait eu que ma mère. Sans moi il serait à ma place, je me souviens qu'à son âge de cassais déjà les boîtes aux lettres des voisins de mes amis. Je n'avais personne sur qui m'accrocher. Faire confiance à ma mère, c'était emprunter une pente glissante et rocailleuse. Bien que je n'ai pas eu sa garde bien longtemps, il peut au moins se fier à moi. C'était déjà bien mieux que ce que je n'avais jamais eu.

Ces enfants étaient à première vue adorables. Ils provoquaient chez moi un sentiment de nostalgie profonde, et je faisais rapidement le lien avec mon passé.

- Et vous ? Comment sont vos jumeaux ? Je suppose qu'il ont bien leur petit caractère qui les définit non ?

En posant cette question je savais que j'allais déclencher la passion d'une mère. Je devais être attentif, après tout, elle m'a écouté pendant mon long monologue, je me devais de faire de même. Alors je l'écoutais, tout en regardant les exploits de Théophile, qui s'entraînait maintenant à sauter au dessus de petits trous avec son vélo. Quelle tête brûlée !!

- Hm, sinon, si vous manquez de temps un jour, je veux bien m'occuper de vos deux jumeaux ... Ca me fera passer du temps dans quelque chose que j'adore faire .. En tout cas n'hésitez pas, je ne travaille pas, j'ai donc tout mon temps libre en ce moment.

J'avais hésité à poser cette question, mais après tout, je risquais quoi ? Qu'elle refuse ? Bah tant pis. Mais si elle acceptait, j'aurai une raison plus ou moins quotidienne de stopper la drogue. J'aurai enfin un bon appui pour m'occuper un peu de quelqu'un d'autre que moi. Je ferai enfin tout ce que j'ai toujours aimé faire. Et puis, je voulais le faire bénévolement. J'attendais sa réponse avec impatience. Une occupation, c'est ce qu'il me manquait le plus dans ma vie.

C'est gentil de vous proposer. Pour le moment, nous arrivons à nous en sortir pour le moment entre moi et son père mais pourquoi pas? Après tout, vous avez l'air de vous y connaitre et de maîtriser ce domaine.

C'était parfaitement compréhensible. Je baissais les yeux, j'avais tenté ma chance, mais une mère ne laisserait pas ses enfants à n'importe qui ... Bon, ce n'était pas un non décisif, c'était juste, à mes oreilles, une réponse négative formulée de manière polie.

- Mais si vous ne travaillez pas, pourquoi justement ne pas vous proposer comme baby-sitter ou vous proposer comme garde d'enfants? Si c'est un domaine qui vous plait, cela vous motiverait forcément. Et puis, je ne doute pas de vos capacités.

Ah, proposer mes services, pour des aides au devoir notamment .. Oui, je l'ai déjà fait mais qui ferait confiance à un junkie du quartier sud ! Manque d'expérience, vie trop écartée, je n'ai rien pour être accepté dans un travail stable, surtout quand des vies sont en "jeu". Avoir besoin d'une occupation pour stopper la drogue, et devoir stopper la drogue pour avoir une occupation, je me trouvais dans un dilemme, ou un cercle vicieux. Soit je prend une décision, je je reste dans cette boucle infernale. Que faire ?

Le temps passait, vite, trop vite. Il allait bientôt être l'heure de ramener Théophile à l'orphelinat. Je le regardais faire du vélo, encore, il ne semblait pas se soucier du temps, pourtant il devait le redouter. Moi en tout cas je le redoutais. Je sortais mon téléphone de ma poche, je regardais l'heure, une minute s'était encore écoulée, sous mes yeux. Il me restait à tout casser dizaines de minutes pour profiter encore de cet instant. Mais je n'allais pas non plus laisser de côté ma chance d'avoir enfant une activité sérieuse.

- Bon, je vais bientôt devoir y aller. Je vous laisse quand même mon numéro de téléphone ? Vous pourrez toujours me joindre avec celui-ci si vous voulez ... En tout cas si vous voulez, je sais pas ... Heuuuu ... Sortir au cinéma avec votre amoureux, vous pourrez faire appel à moi.

Je Fouilla dans ma poche, et je trouvais un vieux papier, et un stylo que je gardais toujours dans ma poche. Bien que ce n'était pas forcément convenable, cela allait suffire pour lui laisser mes coordonnées. J'écrivais tout ce qui allait être utile, et je lui tendais ce chiffon, qui un jour, je l'espérait, allait pouvoir me faire sortir de chez moi.

- Dans tous les cas Naoto, c'était un plaisir de m'entretenir avec vous. C'était très constructif, j'ai pris beaucoup de plaisir. Je dois y aller, je dois être à l'heure avec Théophile et .. Bah ... Le temps passe quoi !

Je n'ai jamais été bien doué pour m'exprimer mais il en était ainsi. J'espérais avoir été assez convainquant sur ce coup. Je saluais la jeune femme, avant de me rediriger vers mon petit frère. Il s'était un peu sali, mais ce n'était pas très grave. Tout était lavable, ce n'était que de la poussière.

- Hey Mathieu, elle avait l'air gentille la dame avec toi, ça fait longtemps que t'as pas parlé avec des gens, encore plus avec une fille !

La vérité, elle sort toujours de la bouche des enfants, même s'ils ont dix ans. Oui, c'est rare que je m'intègre dans une discussion mais seulement ... La vie semble prendre un nouveau courant en ce moment. Je commence à voir du monde, Saskia, Naoto, et demain une femme de l'association dont m'avait parlé le docteur. Je reprenais enfin ma vie en main, oui, dans l'espoir d'une nouvelle vie.