Le matériel de peinture que Gamaliel était venu acheter dans le centre commercial lui avait semblé trop cher pour son budget et l’utilisation qu’il pouvait en faire. Après tout, il était nul même si le caractère nouveau de ce hobby faisait qu’il s’amusait à peindre des choses difformes et ratées, et à allier ensemble des couleurs qui n’avaient rien en commun parce qu’il n’avait pas réussi à obtenir la bonne teinte en mélangeant ses couleurs. Acheter des tubes de peinture correspondant à des pigments bien déterminés pouvait atteindre des sommes folles. Il n’allait certainement pas mettre une cinquantaine de dollars dans un tube de 10mL, quelque soit sa qualité. Et encore moins en acheter des plus chers encore.

 C’est donc les mains vides et ruminant son passe-temps dans son esprit, se demandant s’il allait déjà devoir en changer - et pour quoi ? - qu’il sortit du magasin sans avoir dépensé un sou. Il n’était qu’un étudiant, il ne fallait pas trop lui en demander. Certes, il gagnait de l’argent à chaque fois qu’il donnait des cours particuliers, mais cet argent partait en partie dans les commodités quotidiennes. Le reste, il le devait au support matériel de ses parents, donc il ne pouvait pas le jeter en l’air dans de la peinture. Pas alors qu’il savait pertinemment que son affection pour cet art ne durerait jamais.

 Voyant qu’il n’y avait pas grand monde dans le bâtiment, ce qui le surpris parce qu’il aurait plutôt pensé qu’il serait bondé à cette heure, Gamaliel en profita pour hâter légèrement le pas, la place étant suffisante pour marcher sans heurter quiconque ni être ralenti par les rythmes aléatoires des autres. Faisant tout de même attention à l’endroit où il mettait les pieds, il ne s’attendait pas du tout à ce qu’on lui rentre dedans. Parce que l’autre personne suffisamment de place pour manœuvrer sans que cela n’arrive.

 Gamaliel n’était responsable de rien et se fichait bien du fait qu’on lui soit rentré dedans. En temps normal, il aurait même continué son chemin sans prendre le temps de s’arrêter ni de râler. Sauf que le choc fut suivi par le bruit bien caractéristique du verre qui se casse, ce qui le poussa à se retourner pour regarder ce qui avait bien pu se passer - et constater un sac laissant entrevoir des bouteilles qui était en train de changer de couleur et de dégouliner.

 Levant les yeux vers celui à qui appartenait ce sac, qui venait justement de s’exclamer en vain contre ce qui s’était passé, Gamaliel se dit qu’il aurait peut-être mieux fait de ne pas être allé acheter de la peinture. L’inconnu avait l’air d’être en colère, peut-être suffisamment pour croire qu’il était responsable de ce qui était arrivé - même si c’était faux. En fait, son regard laissait justement supposer qu’il était en train de rejeter tout cela sur le pauvre étudiant qu’il était.

« - Je suis profondément désolé, ce n’était qu’un accident. Vous allez bien ? »

 S’il était parti sans rien dire, l’homme se serait sûrement énervé. Alors il avait décidé de faire mine de s’excuser, même s’il ne se sentait pas vraiment concerné par ce qui était arrivé. Il n’avait plus qu’à espérer que la personne en face de lui allait bien et serait satisfait en le voyant s’excuser. Qu’est-ce qu’il était supposé faire d’autre, de toutes façons ? Lui dire qu’il n’avait qu’à regarder devant lui ?

Russel s'était déjà imaginé boire son doux élixir le haut d'un immeuble en admirant la vue particulière du Quartier Sud. Un moment intense entre le plaisir d'une vue atypique et la peur au ventre de voir celle-ci se diriger vers lui pour le déchirer complètement. Mais voilà, tout ceci était réduit en fumée, où plutôt en verre cassé à cause de cette impact avec un inconnu. Comment rembourser toute cette joie qu'il s'était imaginé ? Hein ? Comment ? Les poings serrés, l'ivrogne observait le 'coupable' avec un oeil on ne peut plus sévère. Les maigres excuses qui atteignirent ses oreilles ne semblait pas suffisant pour rembourser un tel gâchis. S'il avait été suffisamment riche pour ignorer ce genre de casse, ce n'était plus le cas. L'argent ne coulait plus à flot et l'impossibilité de rétablir son agence n'aidait nullement à renflouer son compte bancaire qui se vidait au fur et à mesure.

"Si je vais bien ?" Lâcha-t-il ironiquement, la colère montant toujours plus dans son esprit.

Il tentait tant bien que mal d'éviter de devenir violent avec l'humain. Il savait pertinemment qu'à ce moment là, il était tout sauf rationnel. Cependant, retrouver son sang froid semblait peu probable. Il parvint tout de même à canaliser suffisamment sa colère pour éviter tout contact physique violent, se contentant de rester verbalement désagréable.

"Dis moi, tu crois que ça m'a coûter combien tout ça ? Hein ? J'espère que t'as l'intention de rembourser ta connerie !"

Oui, l'ancien homme de loi, celui qui protégeait les citoyens de son pays, étaient plus ou moins entrain d'essayer d'extorquer un citoyen, à priori sympathique. On ne blague pas avec un bon whisky gâché.

"500$. C'est le prix de ce que tu viens de casser."

Il tendit sa main, espérant miraculeusement que l'homme allait lui donner l'argent qu'il demandait. Sous l’œil suspicieux des autres consommateurs de la galerie marchande, Russel ne se sentait nullement gêné, n'ayant d'yeux que pour ses précieux breuvages brisés..

Espérer ne suffisait visiblement pas pour que les bouteilles cassées soient enterrées, il le comprit vite au ton avec lequel l’homme lui répondit. Sauf que maintenant que l’inconnu lui était rentré dedans et avait cassé ses bouteilles, l’étudiant ne pouvait plus rien faire du tout. Le liquide qui s’étalait par terre n’allait pas magiquement remonter dans les bouteilles et, s’il était bien disposé à l’égard de cette personne au vu de sa mauvaise fortune, il n’avait pas de quoi lui apporter la moindre compensation – sinon il se serait sans doute acheté ces tubes de peintures.

 Il tenta de sourire timidement mais la demande d’un remboursement lui parvînt. Elle avait été inévitable dès le moment où son interlocuteur s’était énervé à ce point – parce que, maintenant qu’il avait eu le temps de comprendre un peu mieux la situation, il lui semblait vraiment être en colère. Ses poings s’étaient serrés et Gamaliel songeait qu’il pouvait sans doute s’estimer être heureux d’être dans un lieu public puisque la situation ne pouvait pas en venir aux poings dans un tel endroit. Surtout que ça ne changerait toujours rien à la situation. Donc il pouvait avoir confiance en lui et refuser ce qu’on lui proposait, n’est-ce pas ?

 En temps normal, il détestait se retrouver au centre de l’attention, puisque que ça voulait dire qu’on était sûr de le remarquer s’il venait à faire une erreur – il n’en faisait pas souvent mais qu’importait. Mais là, il comptait sur la foule pour être sûr que ça ne dégénère pas et, s’appuyant sur ses croyances selon lesquelles il serait normal qu’elle réagisse si quelque chose venait à survenir, il réussit à répondre fermement qu’il ne pouvait certainement pas sortir 500$ de son chapeau. C’était tout bonnement impossible.

« - Je veux bien être coopératif, mais je ne peux pas vous donner 500$. Je ne suis qu’un étudiant, même avec toute la bonne volonté du monde je ne les aurais pas. »

 Mettre autant d’argent dans du whisky lui semblait aberrant. Autant dire que s’il pouvait effectivement réussir à réunir une somme pareil en se mettant à sec, il n’avait pas la moindre inttention de l’avouer ni de la donner alors qu’il n’était en rien responsable de ce qu’on lui reprochait. Il voulait bien l’aider et le dédommager un petit peu, parce que c’était naturel de bien vouloir y mettre du sien quant ce qui s’était passé bouleversait autant que cela une des deux partis, mais juste un petit peu.

« - Je ne peux pas imaginer quelque chose que je n’ai pas, mais si vous avez une idée plus raisonnable, je suis disposé à l’entendre, désolé. »

 Il se mordit un peu la lèvre en se demandant s’il n’avait pas un peu exagéré en lui proposant de choisir une alternative, mais il pensait qu’il avait plus à gagner à le faire. Même s’il doutait à présent que l’homme perde son sang froid alors qu’il l’avait maintenu jusqu’alors, il valait sans doute mieux faire en sorte de le brusquer le moins possible. Ne serait-ce que pour lui-même, histoire qu’il ne ressorte pas de tout ça avec sa journée totalement gâchée par un malencontreux accident.

Fort heureusement, l’attitude de l’amateur de whisky semblait montrer une évolution positive. Sinon, il n’aurait sans doute pas eu la présence d’esprit de lui proposer de discuter tranquillement ailleurs qu’en plein milieu de la grande surface, là où ils étaient la cible de tous les regards. Le fait qu’il ne lui laissait pas l’opportunité de refuser n’était qu’un détail par rapport à ce qui aurait pu se passer – et Gamaliel n’avait rien contre le fait d’aller prendre un verre même si sa compagnie lui semblait assez peu recommandable.

 Suivre l’autre. Ne pas s’embêter à dire qu’il n’avait pas envie de faire quelque chose s’il ne se souciait pas vraiment de la faire. Laisser les autres l’exploiter et en faire ce qu’ils voulaient tant que ça ne l’empêchait pas de vivre – et qu’il faisait attention à ne pas tomber trop bas. C’était comme ça qu’il avait choisi de vivre sa vie. Après tout, il lui semblait généralement plus sûr d’être d’accord que l’inverse, de ne pas avoir d’opinion plutôt que d’être responsable des erreurs. Le comportement final pouvait être considéré comme étant lâche, tant qu’il ne fonçait pas un mur et qu’il pouvait gagner quelque chose à ne pas trop frustrer les gens qui apparaissaient dans sa vie, il s’en foutait.

 Il commanda donc également un whisky. L’homme aimait les whisky et lui-même n’avait rien contre le breuvage donc il lui semblait naturel de suivre le mouvement et de rester dans le domaine du whisky. Il ne s’était jamais installé à se café et le découvrirait donc en même temps que ce qui avait convaincu l’inconnu à le conduire ici pour continue leur conversation. Gamaliel espérait qu’il ait effectivement compris qu’il ne pouvait ni ne voulait rembourser tout cet alcool et qu’il avait trouver autre chose.

 Ses soupçons quant au fait qu’il allait peut-être enfin faire une demande raisonnable se confirmèrent  lorsqu’il lui indiqua qu’il existait une solution ne nécessitant pas de lui qu’il fournisse de l’argent. Il ne pût empêcher son visage d’être surpris et de faire la moue en entendant le mot « paie ». L’étudiant n’avait pas envie de se retrouver pris dans quelque chose de louche – et la personne à laquelle il faisait face lui semblait toujours être aussi étrange qu’au début. Il s’arrangea néanmoins pour sourire rapidement à son interlocuteur – c’était mieux que de le laisser face au doute qu’il ressentait.

« - Est-ce que vous connaissez beaucoup d’étudiants qui ne sont pas fauchés ? Je donne quelques cours de temps en temps, mais je ne fais pas beaucoup plus que joindre les deux bouts. »

 En réalité, il était un petit peu mieux loti que cela puisqu’il savait qu’il pouvait trouver du support si une urgence survenait, mais il n’avait certainement pas le luxe de se considérer comme disposant d’argent. Et certainement pas dans le sens qu’une personne qui mettait des centaines de dollars dans de l’alcool entendait. Il était intéressé – très intéressé même – par la proposition qu’il venait de recevoir même s’il n’en connaissait encore rien. Mais si elle s’avérait trop en dehors des clous, il pourrait sans doute essayer de mentionner le fait que ses cours l’occupaient – même s’il n’en avait plus et devait juste se concentrer sur l’écriture de son mémoire.

« - Je vous écoute. »

 Puis, pour appuyer sur le fait qu’il était effectivement disposé à donner du sien – vu qu’il n’avait fait que le répéter jusque là – il décida de prendre les devants sur ce qu’on allait sans doute attendre de lui et de mettre en avance l’argent correspondant aux deux whisky d’après la plaquette qui était restée sur la table dans le récipient prévu à cet effet.

Gamaliel attendit quelques instants qu'il passa à se demander quelle serait la meilleure réponse à donner s'il décidait finalement de se défiler - il avait le choix entre le mentionner ou disparaître purement et simplement de la vie de l'autre, par exemple - puis la proposition de cet inconnu qu'il soupçonnait fort d'être alcoolique fût déclarée, ce qui lui arracha un soupir. Cela n'avait visiblement rien à voir avec toutes les actions peu recommandables qu'il avait pu imaginer - au contraire, la proposition lui semblait avoir du sens.

 Quelques secondes après, il s'aperçut toutefois qu'elle cachait sans doute quelque chose. Sinon, pourquoi est-ce que l'autre aurait besoin de lui ? S'il voulait monter une agence de détectives, ne pouvait-il tout simplement pas la monter lui-même et passer une petite annonce a posteriori pour chercher un secrétaire ? A moins qu'il n'y ait une bonne raison pour laquelle il ne voulait pas utiliser son nom pour celle-ci. Et si Gamaliel n'était pas sûr de ce qu'elle pouvait être, la possibilité du fait que l'homme veuille cacher son nom l'ébranla un peu et il ne pouvait pas s'empêcher de s'inquiéter. Il avait vraiment envie d'accepter, mais pour l'instant, il allait se contenter de donner une demi-réponse et de glaner un peu de temps pour un y réfléchir un peu plus.

« - Ca me semble être une bonne proposition. Très intéressante, même. Par contre... »

 Par contre, demander à un étranger d'utiliser son nom pour monter une agence de détective n'était certainement pas le genre de comportement normal que Gamaliel appréciait. C'était plutôt celui qui indiquait qu'il y avait un couac quelque part et l'encourageait à être méfiant. Sauf qu'au final, il n'avait probablement pas grand chose à perdre à tenter l'aventure. Tout au plus, si cela finissait par échouer, sa réputation. Sauf que ce n'était pas lui qui finançait l'aventure, pas lui qui résolvait les énigmes. Donc pas lui qui investissait des biens matériels là-dedans et avait plutôt intérêt à ce que cela se passe bien. Se rendre compte de cela le rassura, et il continua à parler.

« - Par contre, je n’y connais rien du tout. Détective, c’est un métier que je ne connais qu’à travers la représentation édulcorée qu’en donnent les médias. »

 Les verres arrivant, il s'arrêta un instant avant d'accepter le sien, puis le porta à ses lèvres, buvant un fin filet de whisky avant de reprendre. Et d'aborder le dernier point qui l'intéressait vraiment avant qu'il ne puisse donner son accord. Puisqu'il avait résolu l'affaire du nom en s'apercevant qu'il n'était pas dans l'intérêt de son potentiel futur collègue que l'agence dont ses revenus dépendraient - et sa consommation d'alcool - n'arrive pas à démarrer ni à se faire une réputation correcte, il ne lui restait plus qu'à vérifier que son manque d'expérience ne gêne pas.

« - Vous avez de l'expérience dans le domaine, c'est ça ? Vous êtes sûr que mon manque d'expérience ne posera pas de problèmes pour la réputation de l'agence lorsque les gens s'en rendront compte ? »

 Devenir une sorte de secrétaire pour une agence de détectives ne le gênait pas plus que cela, mais le fait qu'elle soit à son nom pouvait poser problème. Après tout, les clients allaient le voir comme le propriétaire - ce qui était le cas - et leur opinion de l'agence serait sans doute rapidement liée au fait qu'un étudiant comme lui n'y connaissait rien. Ce qu'ils allaient sans doute voir facilement en discutant avec lui pour présenter leurs requêtes. Afin de préciser ce qu'il pensait, il rajouta une explication rapide.

« - Vu qu'ils vont forcément se poser des questions si je n'y connais rien quand ils présentent leurs requêtes. »

Plus il pensait à la proposition qu’on venait de lui faire, et plus Gamaliel se sentait prêt à accepter. Son futur était incertain : la voie qu’il avait suivi n’était pas de celles qui avaient des débouchés tout tracés, et il s’était déjà résolu d’accepter ce qu’il trouverait sans se montrer trop gourmand. Alors, bien évidemment, en voyant que l’inconnu avait de l’expérience dans le domaine, du fait de la carte de visite – visiblement un peu vielle, et probablement plus à jour vu son état – qu’il lui lui tendait, l’étudiant se disait qu’il se sentait de tenter l’aventure. Au diable puisse être la raison qui conduise l’homme à ce que l’agence ne soit pas en son nom.

 L’ancien – ou peut-être pas ? - détective n’avait plus vraiment cet air effrayant qu’il lui avait imaginé au début. Les préjugés qu’il avait pu avoir face à la réaction violente – il ne pouvait pas ignorer la réalité – qui avait accompagné la destruction des bouteilles de whisky s’envolaient petit à petit, vu que le discours de celui-ci lui donnait une bonne impression. Il fallait dire que, s’il n’était pas trop étoffé, il répondait sans problème à ses questions et lui apprenait ce qu’il avait besoin de savoir pour accepter. Parce que Gamaliel n’aurait jamais accepté un emploi sans décider de donner le meilleur de lui-même dans celui-ci – et donc sans avoir une chance d’arriver à quelque chose.

 Il but un peu plus de whisky, avant de s’arrêter sur sa réponse définitive. Ce qu’on lui avait expliqué lui convenait, et il s’estimait même chanceux de se retrouver dans une telle position. Tel que l’emploi était décris, il lui semblait également possible de réfléchir à son mémoire soit pendant les heures creuses, soit pendant que l’agence était fermé – il avait de toute manière récolté la bibliographie qui lui était nécessaire le semestre dernier, ce qui ne lui laissait plus que le travail de rédaction. Et d’ici juin, il pouvait tout écrire même en ne travaillant que les week-ends – du moins, c’est ce qu’il supposait.

« - Dans ce cas, j’accepte. Monsieur... »

 Il s’aperçut qu’il ne connaissait pas encore son futur collègue – puisque ça allait se traduire par ce genre de relations, quelques soient les rapports hiérarchiques concrets. Il devinait que l’inconnu s’appelait Monsieur Blake mais ce n’était là que la moitié de son nom. Et lui-même n’était pas plus avancé au sujet de l’étudiant. Il décida donc de se présenter et lui tendit la main par dessus la table – après tout, il n’avait plus de raison d’essayer de cacher qui il était puisqu’il n’allait pas s’enfuir ou lui faire faux bon.

« - Gamaliel Collins, enchanté. »

Scellant de manière informelle l’accord de Gamaliel quant à la proposition de celui qui, il y avait quelques instants encore, n’était qu’un inconnu pour lui, leurs mains se serrèrent et l’étudiant appris finalement le nom de son interlocuteur – nom qui n’avait jusqu’alors pas présenté grand intérêt à ses yeux. Comme il l’avait pensé, ce nom était Blake. Ce qui voulait dire qu’il allait sans doute devoir réfléchir à la manière de s’adresser à lui. Prénom ou nom. Forme de politesse ou non. Des détails qu’il pourrait tout à fait envisager plus tard, maintenant qu’il y réfléchissait. Il pourrait toujours continuer à le vouvoyer – comme il l’avait fait juste maintenant pour être sûr de ne pas l’énerver encore du fait d’une erreur de langage – s’il ne trouvait pas ce qui convenait le mieux.

 Naturellement, il n’avait rien contre le fait de communiquer de quoi le contacter à Russel. Au contraire même, puisque s’il ne le faisait pas toute la chance sur laquelle il était tombée n’aurait servie à rien – puisqu’il s’estimait chanceux de la façon dont s’étaient déroulées les choses. Il n’y avait pas accordé plus de réflexion pour cela, mais il était conscient que trouver un emploi pouvait s’avérer chose compliqué – même avec un peu d’expérience. L’emploi était un problème pour la plupart des jeunes d’après ce qu’il avait observé, mais il venait de s’assurer quelque chose à court terme – si tout fonctionnait comme prévu. Mais vu que Russel savait vraisemblablement ce qu’il faisait puisqu’il avait déjà monté un agence, Gamaliel pouvait considérer qu’il y avait de fortes chances que l’entreprise marche. Il lui faudrait vérifier ce qui était inscrit sur les documents qu’il aurait à signer – sinon il pourrait tomber sur de mauvaises surprises.

« - Très bien, je vous donne mon numéro. Puis-je avoir le votre également ? »

 Il allait l’avoir dans tous les cas s’il recevait le message qu’on venait de lui promettre, mais il n’y avait aucun mal à demander. Sur ce, il fouilla un peu ses poches pour en sortir un morceau de papier. Il devait bien y en avoir un qui traînait quelque part ainsi qu’un stylo, vu qu’il avait pris la peine de prendre un petit bloc-note histoire avec lui lorsqu’il sortait, histoire d’être sûr d’inscrire les idées qu’il pouvait avoir dessus – mais il ne s’en servait jamais.

 L’ayant finalement retrouvé, Gamaliel inscrit son numéro sur une des pages du bloc-note, y ajouta son nom au cas où, et donna le papier à Russel avant de reporter son attention sur son verre pour le vider. La conversation qu’il avait eu jusque là n’allait sans doute pas tarder à se terminer vu que les verres étaient vides – et payés –  et que le sujet arrivait à sa fin. Elle se poursuivrait sans doute la semaine prochaine – à moins qu’un problème ne survienne, auquel cas Gamaliel aviserait.

L'affaire était donc conclue. Espérons que cette dernière soit fructueuse. En soi, il n'y avait aucune raison pour que cela ne marche pas. Leur agence aurait un prix relativement bas, dans un Quartier à problème. Le boulot ne devrait pas être trop difficile à trouver. Maintenant, il fallait espérer que la future Agence Collins se ferait connaître relativement rapidement pour avoir accès à des dossiers dont la paie sera bonne. Gamaliel lui donna son numéro, tout en demandant le sien, plutôt que de s'embêter à marquer le numéro sur un bout de papier, l'ivrogne prit son portable et envoya directement un message vers le numéro que lui avait donné le jeune étudiant.

Avec ceci, l'étudiant avait le numéro du trentenaire. Les boissons finis, tout présageait que leur conversation allait se terminer. Russel avait certainement perdu gros aujourd'hui, mais il avait la possibilité de gagner plus gros maintenant, et ceci, sans qu'on ne le gêne.

Avec le salaire qu'il avait reçu chez Alice, il avait prit soin de racheter le bâtiment qui lui avait servit de point de départ à Palema. Il avait gardé le mince espoir de pouvoir ré-emménager à l'intérieur une fois que tout ceci serait terminé.

"Ça devrait être bon. Je te recontacterai d'ici peu." Dit-il, mettant définitivement un terme à cette première rencontre avec Gamaliel.

Le jeune étudiant avait même payé les consommations, un faible dédommagement, mais qui sert de preuve à la bonne volonté de celui-ci. Il ne restait plus qu'à établir tout ce qui était nécessaire afin de relancer son agence. Sur ces mots, Russel quitta le petit café du centre commercial. Il reverrait bien assez tôt Gamaliel.

Son téléphone émit un petit bip sonore lui signalant l’arrivée du message que Russel venait de lui envoyer en réponse à sa question et, comme il l’avait pensé, la conversation se termina sur une promesse de le recontacter avant que son interlocuteur ne quitte la table et le café. Gamaliel ne doutait pas vraiment de ce que lui réservait le futur vu qu’il n’était pas celui qui avait fait cette proposition et que l’amateur de whisky gagnerait visiblement de quoi rattraper la casse du jour. Ce développement était plutôt intéressant pour l’étudiant qui s’estimait vraiment heureux de s’en être sorti comme ça d’un accident dont il n’était même pas responsable.

 Russel reparti, Gamaliel interpella rapidement le serveur pour le prévenir que l’argent qu’ils devaient payer pour leurs commissions était déjà disponible sur la table puis se leva, quittant le café à son tour. Une fois qu’il serait rentré, il se renseignerait un peu plus sur le métier de détective. La réalité n’avait généralement rien de mirobolante, mais il valait mieux arriver en y connaissant déjà quelque chose avant de rencontrer le moindre client – même s’il n’avait pas à résoudre le moindre problème en tant que secrétaire. Et puis, après, il pourrait peut-être reporter son attention sur la peinture qu’il avait prévu de faire aujourd’hui, même s’il n’avait pas pu acheter de couleurs intéressantes. Un travail raté restait un travail raté avec ou sans couleurs potables.