Le Contre Goliath:

Ordre:

Spoiler:

Duncan avait une sérieuse gueule de bois. Une nouvelle soirée à écumer les bars à ambiance l’avait laissé dans un état lamentable la veille. Il avait ouvert les yeux sous un abribus quand un contrôleur lui avait vertement reproché d’empêcher de futurs passagers de s’assoir entre deux navettes. Il se rappelait à peine ce qu’il avait consommé, mais une chose était sûre, il n’y avait pas que de l’alcool. Depuis ce réveil tout en douceur, il trainait du pied dans le quartier sud à la recherche de son appartement.

Dans une ruelle quelconque, son regard s’accrocha sur une boutique. Le Contre Goliath. D’extérieur, impossible de voir ce qu’on y vendait et pourtant Duncan y entra quand même. Sans plan pour la journée, il déambulait le temps de décuver. L’esprit embrumé, il grogna un bonjour général et oublia de jeter sa cigarette tout juste entamée avant de parcourir du regard l’intérieur soigné de la boutique. De l’épée au pistolet en passant par le fusil de chasse, c’était un véritable paradis pour un fou de la gâchette.

Il s’apprêtait à consulter d’un peu plus près les étals à arme blanche quand il remarqua que devant lui, quelqu’un se tenait, long manteau noir, rigide, les doigts tendus sur une paire de faucilles à l'aspect peu engageant. Il fixait ce qui semblait être le propriétaire derrière son comptoir. Un homme brun, yeux verts, cigarette au bec. Il y avait aussi une blonde en robe de poupée devant lui. Tous plus jeunes que lui d’au moins une décennie.

-Vous répétez une pièce de théâtre ou il y a un problème ?

Samuel:

Duncan se dirigea vers le comptoir pour s’y accouder. Il n’avait pas vraiment d’idée précise sur ce qu’il attendait de ce genre de magasin. Après tout, la seule arme dont il n’ait jamais eu besoin était son propre corps et cela ne l’avait jusqu’à lors pas desservi. Ceci étant, il n’était pas idiot au point de négliger un véritable moyen de défense, surtout dans les milieux qu’il fréquentait avec une certaine assiduité malsaine.

-J’ai un vieux modèle de CZ 85 qui ne fonctionne plus très bien. A force de le bidouiller j’ai dû abimer la culasse ou quelque chose comme ça. Vous faites des réparations ici ?

Question stupide, mais au moins ça lançait la conversation. Les armes blanches disposées un peu plus loin attiraient plus son attention mais il préféra ne pas se disperser pour l’instant. Il jeta un regard en arrière vers le type au long manteau noir. Deux faucilles, le visage masqué et pourtant il ne se passait rien ? Autant prétendre que la fée des dents n’était pas un conte pour enfant.

-Sinon, votre ami là, il vous pose un problème ? Je peux toujours le faire partir si vous voulez.

Duncan renifla un coup.

-Bon. Je vous l'apporterai un autre jour. Plutôt sympa votre piaule. Je garde l'adresse en tête.

Il s'éloigna du comptoir et zyeuta les étals sans trop y prêter attention. L'esprit encore embrumé, il flottait dans le magasin sans véritablement enregistrer ce qu'il voyait. Un coup arrivé à côté du type au manteau sombre, il s'attarda sur les faucilles posées là. Des armes dangereuses, pas pour le décorum. De toute évidence, il se passait quelque chose entre les personnes présentes ici. Certes, les affaires des autres ne le concernaient pas, mais de là à fermer les yeux en feignant de rien avoir vu, il y avait un monde.

-Elles sont jolies tes armes. Tu comptais t'en servir ici ?

Duncan avait suffisamment d'expérience pour déterminer quand quelqu'un avait l'intention de se battre ou non et dans ce cas précis, il doutait de se tromper. Que son arrivée fortuite ait désamorcé la situation ne permettait en aucun cas de garantir que s'il repartait, les choses en en resteraient là. Aussi il cala sa cigarette en coin de bec et croisa les bras en attendant une once d'explication.

Duncan rigola un bon coup.

-Si j’avais voulu me battre, tu aurais pris mon poing sur la figure avant d’entendre le son de ma voix.

Il patina son visage bouffi de fatigue par une main lasse.

-Et puis franchement « tu n’as pas envie de te battre ». Tu t’es pris pour un jedi ou quoi ?

Il rit une seconde fois. Ce genre de phrase, il en avait tellement entendu qu’aujourd’hui elle lui faisait autant d’effet qu’une chaussette enfilée à l’envers. Il était vanné, aussi la situation ne put que provoquer chez lui que le rire, mais il ne comptait pas lâcher l’affaire avant d’être sûr qu’il n’y avait vraiment aucun danger.

-Tu ne me feras pas croire que tu étais ici pour le plaisir. Un type masqué et armé dans une boutique d’arme, désolé si j’y vois un problème. Alors c’est quoi ? Un braquage à la médiévale ? Règlement de compte avec le patron ? Ou c’est la gamine qui t’intéresse ?

Il tira sur sa cigarette et haussa ses épaules massives.

-En tout cas, je n’ai effectivement pas envie de me battre pour l’instant, mais c’est plutôt dû à mon système nerveux embourbé dans l’alcool que par manque de volonté. Mais si tu es là pour chercher des crosses, je pourrais toujours m’arranger.

Duncan se passa une main sur le visage. La scène le faisait véritablement douter sur son état de sobriété. Était-il encore sous l’abribus à imaginer tout ceci alors que son foie tentait de filtrer l’alcool de son sang ? D’abord, une situation digne d’une pièce de théâtre et maintenant, un jeteur de cartes.

-C’est surement une caméra caché ou une connerie du genre.

Vraiment, il ne voyait que ça. On se payait sa tête et il allait bientôt passer à la télé pour devenir la risée devant quelques-uns l’espace d’une dizaine de minutes. Après tout, ils semblaient tous ce connaître à leur façon de s’adresser la parole. Et considérant l’apparence des protagonistes, il se croyait de plus en plus transporté dans une sorte de blague dont il était le dindon de la farce. A bout d’énergie mentale, il tira sur sa cigarette et se détourna de l’homme masqué.

-Bon, bon, d’accord. Pas d’embrouilles. Je reste là à faire le meuble dans un coin.

Et c’est ce qu’il fit, le temps que le peu de neurones en état de fonctionner dans son crâne ne mettent un peu d'ordre dans ce fatras d'incohérences.

Duncan papillonnait un temps devant un vieux modèle de sabre japonais quand la voix du type en manteau sombre lui chatouilla les oreilles. Il n’y a pas à dire, dans le genre théâtral, avec le claquage de porte et cette phrase digne d’une série Z, il se posait là. Et avec des menaces à peine voilées, il y avait fort à parier qu’il avait un grief envers le gérant de la boutique.

Duncan s’approcha de ce dernier et s’accouda au comptoir, cigarette en coin de lèvre. Maintenant que l’autre était parti, il y avait peut-être de quoi dérouiller le vendeur.

-J’ai pas envie de faire chier, mais franchement, il vous veut quoi ce type ? Une embrouille avec des malfrats ou une connerie du genre ?

Duncan se gratta la joue.

-Des clans, hein. Je vois.

Le quartier sud, en somme. Des menaces, des types en manteaux sombres, ce genre de chose. Le gérant semblait confiant, il devait donc être un habitué. Après, à savoir s'il n'était qu'un marchand d'armes pris dans l'engrenage des gangs ou un participant plus actif de leurs magouilles, allez savoir.

De réputation, le Contre Goliath était fiable dans son domaine, même si on murmurait à droite à gauche qu'il servait de point de chute pour des choses un peu moins honorables. Mais l'argent n'avait plus vraiment d'odeur pour Duncan.

-Si jamais il vient à nouveau vous chercher des crosses, je peux toujours vous filer un coup de main pour votre magasin. Duncan Thorsson. Je traine dans le coin et j'ai une certaine habitude avec ce genre de type. C'est vous qui voyez.