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Nooon ! Tu m’y attraperas pas !

Des éclats de rire et des bruits de course envahissaient le couloir. Curse percuta un tableau accroché au mur dans le virage, et dérapa sur le parquet tout en maitrise. Ses chaussettes lui permettaient de glisser facilement et il en profitait pour échapper au grand dont il avait malmené le lit. Un joli crapaud à l’intérieur ainsi que des coques de marrons… voilà de quoi produire une farce très efficace.

Il fuyait sa victime enragée, en direction du bureau des gardiennes, quand il tomba en plein dans les jambes de Véronique. Le choc le fit atterrir sur les fesses et il leva le nez sur la femme qui affichait un air plus que mécontent.

C’est toi qui as coupé les cheveux de Kaitlyn ?

Oups… La sale peste était allée rapporter. Le morveux prit un air contrit, le sourire envolé de sa face.

Si Abygail se montre aujourd’hui, tu ne pourras pas la voir !

La carotte ne fonctionnait plus. Elle n’était pas venue. Elle ne viendrait jamais. Curse se releva en hurlant sa colère.

Elle y viendra jamais toute façon !

Il fit demi-tour pour la fuir, mais celle-ci l’empoigna fermement avant qu’il s’échappe.

Olaa ! Tu n’échapperas pas à ta punition ainsi.

Le morveux se mit à faire sa crise, pleurant toutes les larmes de comédiens qu’il avait en réserve, en plein devant le hall des visiteurs. Véronique ne se démonta pas et le força à se placer au coin, tête vers le mur.
Curse n’osa pas s’enfuir comme il le faisait au début, mais se tourna dans l’autre sens, dans un esprit de provocation mal placé. De la main droite il grattait le papier peint pour la faire réagir et enrager à nouveau. Il ne faudrait pas qu’elle l’ignore trop longtemps…

La femme expliqua les dernières bêtises en date du petit Curse à sa visiteuse, et qu’effectivement cela allait être compliqué de pouvoir le voir aujourd’hui.

Trop occupé à marquer un bonhomme de ses ongles dans le papier peint, Curse n’entendit même pas que le manoir avait un visiteur. Ce son de cloche ne provoquait aucune émotion : jamais personne ne venait pour lui. C’était toujours pour quelqu’un d’autre. Comme disait Kaitlyn personne ne voudrait jamais l’adopter parce qu’il était trop nul. Elle ne risquait pas de répéter une chose pareille maintenant. Une voix le fait cependant tendre l’oreille.

C’est Aby ?

Véronique s’excusa auprès de sa visiteuse un instant pour se diriger dans la pièce adjacente.

Oui, mais tu n’as pas été sage. Je ne sais pas si tu as le droit de la voir.
Siiiii ! SUIS sage !

Il fit tomber les mèches de cheveux volées au sol et prit un air tout à fait innocent. Voyant qu’il y avait peu de chance qu’elle cède, Curse ajouta sa petite comédie à l’ambiance générale.

C’pas juste. MOI j’peux jamais voir personne !

Il croisa les bras dans une attitude provocatrice, des larmes commençant à perler à ses paupières. Elles n’étaient pas vraiment volontaire, mais si cela pouvait aider le mélodrame qu’elles viennent.

Véronique acquiesça aux paroles avec un soulagement bien visible.

Très bien, mais s’il fait la moindre bêtise en votre présence…

Elle se tourna vers le môme qui rayonnait jusqu’aux oreilles en entendant qu’il allait pouvoir s’échapper un peu avec la jolie fille au ruban rose.

Une seule bêtise, une seule avec elle, et elle ne reviendra plus jamais. Tu m’as bien comprise ?

Curse se hâta d’hocher de la tête vigoureusement, sautillant à moitié sur place. Le regard de Véronique tomba à ce moment sur la tapisserie écorchée par des petits ongles. Un profond soupir lui échappa, tandis qu’elle se détournait, préférant ignorer le mal maintenant qu’il serait un peu éloigné d’elle quelques instants. Elle adressa quelques mots à Aby, et les laissa seuls, ayant une autre ribambelle d’enfants à s’occuper. La journée serait plus calme sans Curse pour faire monter la mayonnaise.

Le gamin, visiblement ravi se retourna vers Aby.

Pou’quoi tu viendais pas ?

Un mince sourire de malice étira les yeux du coquin qui trouva une bonne idée pour lui pardonner.

J’t’y pardonnes que si t’m’y fais un bisou !

Oui, c’était plutôt facile non ? De quoi faire une pierre deux coups, puisque de toute façon le gamin lui avait déjà pardonné. Elle était là. Elle était là. Elle n’allait pas s’envoler. Le pardon est quelque chose de facile à donner à cet âge là. Des doigts vinrent le décoiffer.

Hééé ! T’y décoiffes !

Il prit garde à replacer l’épi dans le bon sens, faisant attention à sa tenue, monsieur, je vous prie. Il avait toujours l’air aussi en pétard, mais tant que c’était sa forme à lui cela était considérée comme une coupe coiffée et belle.

T’y veux voir ma chambre ?

Une petite idée de vengeance s’alluma dans son esprit.

Pis après t’y montras à Kaitlyn, pasqu’elle y croit pas !

Le moulin à paroles laissa à peine quelques secondes de répit avant de poser la question fatidique.

Dis t’y marié mitenant ?

Le mioche était totalement ravi. Il rayonnait de joie. Après un bisou offert gracieusement, et un compliment sur sa beauté – toute naturelle – il était complètement sous l’emprise d’Aby, et prêt à faire tout ce qu’il pouvait pour lui faire plaisir. Il ne lui en fallait pas beaucoup en réalité, et cette attention particulière qu’il recevait lui plaisait énormément.

Vi c’est elle. Mais l’a mérité ! Pasque l’y es méchante !

Non il ne s’excusait pas. Papa disait qu’il fallait toujours se défendre et ne jamais pardonner aux méchants. Sinon après on était faible comme les filles.

Pasque si t’y marie, et ben t’y sais, ci pour les enfants. Ton namoureux y veut pas ? T’y vas faire comment pour avoir des enfants ‘près ?

Tout en discutant et expliquant la vie selon le point de vue de Curse, le mioche l’entraina dans le dédale des couloirs, suivi d’un escalier qui les mena au premier étage. Là, le dortoir n’était plus qu’à quelques pas devant eux.

J'y dors là bas !

Ah, pas d’amoureux. Toujours pas trouvé ? C’est qu’il ne l’avait pas vu pendant longtemps après tout. Elle aurait eu tout le temps pour se marier depuis.

Quand j’y sera grand, j’y sera ton namoureux si t’y veux.

Quelle gentillesse intéressée. Le môme poussa la porte du dortoir, vide en ce moment puisque l’accès était logiquement interdit durant la journée, sauf le soir et pour ceux souhaitant faire la sieste. Cela afin d’éviter les bagarres intestines dans les chambres. 3 lits superposés occupaient l’espace, Curse pointa du doigt le sien, collé dans le coin près de la fenêtre. Il désigna celui en haut, ravi de lui présenter son endroit.

Moi j’y dors là.

Aucune peluche n’était posée sur le lit, mais Curse n’en avait pas besoin. Il avait déjà Toudou. Personne ne pouvait lui enlever. Personne ne pouvait lui confisquer. Les dames de l’orphelinat avaient déjà tenté, mais ne l’avaient jamais trouvé au moment de le punir. Elles le soupçonnaient de le cacher, mais étaient bien loin de la vérité. Le mioche ouvrit son tiroir réservé.

Tout ça ci à moi !

Il n’y avait pas grand-chose là-dedans. Quelques cartes de pokémon, des mouchoirs remplis de crotte de nez, un ou deux cailloux particuliers, ainsi qu’un vieux lance-pierre fait de bout de bois et de caoutchous.

Très fier de lui montrer tout cela, Curse lui répondit avec application, désignant le lit de son doigt en nommant chaque camarade.

Là y’a Kevin dessous moi. Mais y fait rin que pleurer. Là ci Castor, et là Anderson. Et là y’a James pis Mohammed. Castor l'y vraiment bête, bête, t'y sais.

Il profita d’être dans la chambre pour ouvrir un tiroir qui n’était pas à lui pour récupérer la carte qu’on lui avait volé. Papa disait toujours qu’il fallait se débrouiller tout seul et que la police ou les autres fallait pas leur faire confiance. Il appliquait les conseils à la lettre. La carte vint rejoindre son propre tiroir qu’il noua avec un bout de ficelle.

Faut tu t’y tournes et vais t’y montrer Toudou !

C’était lui le vrai trésor. Mais pas question qu’elle sache d’où il sortait. Peut-être qu’elle pourrait lui confisquer comme disait les dames. Elles disaient que si elles le trouvaient un jour, gare à lui… Autant qu’elles ne sachent pas d’où il venait alors.

C’pour pas t’y vois la cachette ! Pis après j'y t'y montre. Promisse de scout !

Il attendit qu’elle s’exécute, sourire également aux lèvres. Ce petit jeu l’amusait. Elle se déclara prête, mais Curse vérifia qu’elle ne regardait pas dans sa direction. C’était bon.
D’un œil soupçonneux toujours fixé sur Aby, il matérialisa son ours en peluche, le serrant dans ses bras un instant parce qu’il lui avait manqué, tout de même, reniflant son odeur qu'il appréciait tant.

Il trottina ensuite jusque devant elle, et lui présenta la peluche, bras tendu.

Ci Toudon ! C’mon copain ! T’y sa copine ‘ssi, t’y sais.

Il pencha légèrement la tête pour l’observer. Elle avait toujours son flot dans les cheveux aujourd’hui, mais elle avait l’air fatiguée quand même.

L'y très très gentil.

Le mioche l’observa toucher son ours. Il n’avait pas tout à fait confiance en l’adulte, et se méfiait d’un coup tordu. On lui avait déjà volé ses doudous, et il les avait toujours retrouvé dans un sale état, ou pas du tout. Quand elle eut fini de le caresser, c’est donc avec un soulagement évident qu’il serra à nouveau la peluche contre lui.

T’y connais Bey ? Li gentil.

Il se gratta la croute qu’il avait sur son coude tout en continuant de raconter sa petite vie d’enfant déjà bien rempli.

Pu personne y m’attrape maintinant !

Mine de rien c’était quelque chose de capital. Son esprit avait déjà fait le tri dans les horreurs qu’il avait pu voir à ce moment-là, et il se souvenait simplement que son père était mort parce qu’il s’était fait attrapé. Le raccourci était rapide et efficace.

Commi ça, pu personne y l’ira au ciel.

Sans aucune conscience de la gravité de ce que ses mots pouvaient dissimulaient, le môme qui observait toujours Aby, changea de sujet radicalement et brusquement pour un adulte qui était habitué à un fil plutôt conducteur dans la conversation.

Pou’quoi t’y mets pas des rubans jaunes ‘ssi ?

Le mioche hocha la tête, tout en laissant Toudou trainer les jambes au sol, maintenant que les présentations étaient faites.

Oui, le jaune ci la couleur du soleil de la vie !

Expliqua-t-il en faisant un grand cercle de ses mains.

Ouiii ! T’y magicien ?

Alors ça il voulait bien voir. Est-ce que c’était aussi rigolo que la magie de Pipo le clown ou bien est-e que c’était de la vraie magie ? Mais attendez… il y a un truc qui cloche.

Li où ta baguette et ton chapeau ?

Détail crucial pour un magicien. Sinon ce n’était pas un vrai magicien. Comme les détectives et les loupes. Question de logique et de principe. Curse ne se proclamait pas policier sans pistolet, en bois, mais avec un pistolet quand même.

Le mioche hocha vigoureusement de la tête pour entendre son secret. Ce qu’il apprit alla bien au-delà de ce qu’il aurait pu attendre ou espérer. Un ange ? Pour de vrai ? Il n’eut pas le temps de poser la question que des plumes apparurent comme par magie au-dessus des épaules de Aby. Le morveux était bouche bée. Pas un son ne sortait de sa bouche. Toudou fut lâché au sol pendant la contemplation silencieuse des 4 jolies plumes qui volaient. Il pencha la tête d’un côté, puis de l’autre pour s’assurer que tout cela était bien réel.

J’y peux toucher ?

La curiosité reprenait le dessus sur l’émerveillement, même si on pouvait voir très clairement des étincelles qui brillaient dans ses yeux et qui mettraient longtemps avant de s’éteindre.

Si t’y un ange, t’y vois mon papa ?

Il ne quittait pas les plumes des yeux, très intrigué et admiratif du phénomène. Wouah, ça alors quand même.

Le garçon prit délicatement la petite plume entre deux doigts et l’approcha de son visage pour mieux l’observer. Il était très calme et silencieux, tout à sa tâche. Un profond respect se dégageait de lui : rendez-vous compte il tenait la plume d’un ange entre ses mains, une plume magique qui était apparue comme ça ! Et c’était une belle vraie plume. Elle était là pour de vrai. Si, si.

Ci beaaaauuu…

Il reposa la plume par terre, et se recula d’un pas, comme si elle allait se mettre à scintiller, à faire un feu d’artifice, ou que sais-je d’autre.

Ta maman et ton papa y sont au ciel ?

Les bras du gamin serrèrent instinctivement la peluche, avant de rire aux éclats quand une plume vint lui chatouiller le bout du nez. Il frotta son visage avec sa main pour chasser la démangeaison.


Vi, mon pied et ben, t’y sais, y fait d’la lumière rouge. Toudou l’y là.

Des choses spéciales ? Il ne fait rien de spécial. Il était normal. Tout ce qu’il faisait était normal, selon son point de vue. A part que son pied brille de rouge.


Rigarde.


Il s’assit par terre, et ôta sa basket, suivi de sa chaussette pour lui montrer son pied gauche qui luisait légèrement.

Il jeta un coup d’œil vers la porte, suivant le regard d’Aby. Oui, si quelqu’un venait… il allait vouloir lui piquer Toudou. Il révoqua la peluche dans la foulée, inquiet à cette idée. C’était sa grande peur.

Vi ! S’appelle Bey ! L’i magique t’y sais. Y fait les vœux. Ci un génie sans lampe.

Le sens du détail de Curse : tout le monde était quelque chose mais il leur manquait toujours un truc. Franchement, les grands de nos jours n'étaient vraiment pas logique. Il se gratta le nez tout en réfléchissant à ce qu’elle venait de dire.

Et à Coco Brian ?

Oui le prêtre était censé venir aussi. Un jour peut-être. Il lui avait promis. Promis, promis. Il lui avait aussi dit qu’après il aurait sa chambre à lui tout seul s’il allait à l’orphelinat. Mais c’était pas vrai ça. Il devait cacher ses trésors pour pas se les faire voler.

Li gentil t’y sais. Y fait bin les pâtes.

C’était même rudement bon. Son estomac anciennement affamé en avait gardé un chaud souvenir.

"- Oui, c’est un peu ça, en effet. Un génie qui n'exauce qu'un seul vœu aussi. Tu veux bien me raconter le tien, ou c'est un trop grand secret pour mes oreilles d'ange? "

J’y veux bien t’y dire, si t’y dis rin du tout ! Ci secret hein.

Il s’approcha d’elle, et grimpant sur la pointe des pieds, main devant la bouche lui murmura, enfin tenta de faire un murmure de conspirateur, plutôt. La discrétion ce n’était pas vraiment son truc.

J’y demanda d’y pu m’faire attraper, pu jamais !

Même que ça avait rudement bien marché. Il avait échappé à tous les êtres humains du quartier Sud sans problème et avait certainement une chance monstre pour ne pas attirer d’ombres.

Ben ci Brian ! Y vit dans l’église ! Là où y’a d’l’eau !

Eau bénite qu’il s’était empressé de boire à son entrée dans le monument sacré, d’ailleurs.

Pis j’y mangé une pomme !

Ouais, on se passera de commentaires aussi banal mon p’tit chou.

Ouais. J’y donné mon navion ! Pasque l’es gentil.

Il n’avait d’ailleurs pas réussi à fabriquer un avion en papier qui volait aussi bien, et des boulettes de papier ratées s’amoncelaient sous son lit dans ses tests infructueux.

"- Et sinon, pour en revenir à toi, tu n'as jamais croisé de grandes ombres noires, avec des yeux jaunes? Tu sais, ce sont des sortes de cauchemars, il ne faut surtout pas que tu t'en approches. Moi, je suis là pour te protéger d'elles. "

Une ombre noire ? Avec des yeux jaunes ?

Un monstre ?

Il hocha la tête en pensant à tous les monstres qu’il croisait.

Y’en pa’tout t’y sais. Dans le placard, sous le lit, pis même dans les toilettes !

Un grand sourire plein de malice illumina alors son visage tourné vers elle.

Sauf di fois, ci moi l’monstre.

Il ne put s’empêcher de pouffer.

Même Véro j’y fais peur.

L’es déjà méchante.

Dit-il en se renfrognant un peu. L’ours disparut de la pièce sur cette remarque.

Elle veut m’y prendre Toudou. Ci vrai hein. Mais j’ly cache moi.

Il s’assura que le tiroir était soigneusement fermé comme il le voulait avant de se diriger vers le couloir.

Vais t’y montrer où j’y fais pipi !

Un sourire étira à nouveau ses lèvres, alors qu’il tendait la main pour prendre la sienne.

On prend l’escalier là-bas !

C’était totalement à l’opposé de la direction des sanitaires, mais c’était son chemin préféré pour descendre. Il allait lui montrer pourquoi. Sautillant à moitié sur place, il attendit qu’elle se décide à la suivre, plein d’entrain. Jamais fatigué ce monstre-là.

Ils arrivaient juste devant le couloir de la mort. Curse s’arrêta pour lui expliquer la marche à suivre. Il ne fallait pas réveiller le dragon qui sommeillait.

Faut marcher que sur le blanc ! Les autres ci des pièges.

Il commença l’exploration du tunnel avec précaution, prenant garde à ne poser son pied qu’uniquement sur les carreaux dallés de blanc. Ses jambes étaient parfois un peu courtes, mais quelques petits bonds bien placés suffisaient à réussir son défi personnel. Il jouait déjà à ce jeu chez Papa. Sauf qu’il devait éviter ce qui trainait par terre plutôt que des carreaux noirs ou blancs. Ici c’était trop bien rangé, trop bien ordonné alors il avait dû adapter le jeu aux circonstances.

Arrivé au bout du couloir, les cheveux ébouriffés après ses sauts, il désigna l’escalier du doigt.

Si t’y veux pas faire comme moi, pasque t’es une fille, t’y peux marcher là où y’a pas le tapis.

Comme lui quoi ? Pas le temps de s’interroger que le mioche grimpait sur la balustrade et dans une technique bien rodée, signe que ce n’était pas la première fois qu’il le faisait, il se laissa glisser jusqu’en bas avec un plaisir bien évident. Un plaisir casse-cou. Quand un des grands lui avait montré, il s'était empressé de le copier, et après quelques tentatives désastreuses où il avait manquer dévaler les escaliers tête la première, il s'en sortait maintenant plutôt bien. Le danger qu’il courait en faisant ce genre de chose ne lui effleurait pas même l’esprit, cherchant toujours les limites de l’amusement dans le manoir.

Curse afficha une bouche bée en la voyant descendre comme lui. Ca il ne l’aurait pas parié ! Il la regarda un instant, plissant un coin de son sourire.

T’es forte en fait !

Ah parce que tu en doutais encore ? Peut-être qu’il s’attendait à ce que les anges volent plutôt que glissent.

Là-bas !

S’empressa-t-il de désigner. Le couloir était composé de parquet, et le jeu constituait cette fois-ci à suivre chaque latte du début à la fin sans tomber dans la rivière des crocodiles comme il la décrit à Aby.

Sinan, y t’croque comme des poulets.

Un petit rire lui échappa quand il sauta à pieds joints sur les carreaux des sanitaires.

Là j’y lave et j’y fais pipi. Viens-voir, y’a un truc.

Il s’agenouilla sous un évier barré de fil rouge et blanc, et dévissa le siphon avec application.

Un trésor c’en était un. C’était plus que ça. C’était ce pour quoi il faisait des échanges de cartes, récoltaient les crottes de nez et filait son dessert en contrepartie. Il jeta un œil à l’intérieur plein de plaisir, et sortit un des objets du siphon avec une grande précaution.

Faut t’y fasses attention !

Un avion miniature tout bleu. La grande passion de Curse. Plus tard il serait pilote et avion. Si, si. Il suivit du regard son avion, main posé sur le siphon pour ne pas laisser échapper les autres.

Quand j’y sera grand, j’en aurai un vrai de vrai de vrai !

Il n’aimait pas trop que quelqu’un d’autre ait en mains ses trésors.

Faut l’y ranger maintinant.

Il tint le récipient vers elle pour qu’elle y glisse le petit objet.

Curse revissa avec application sont trésor bien gardé sous le lavabo, s’assurant qu’il tenait bien avant de se relever.

"- Et si tu me présentais un eu à tes camarades? Tu pourras ainsi prouver à cette demoiselle qui se moquait de toi que je suis belle et bien venue. Qu'en dis-tu?"

T’es belle ci vrai. Ouais ! Viens !

Il détala vers l’extérieur, comme font les jeunes chiots à courir vers leur maitre, puis à courir vers l’avant, jusqu’à ce qu’ils atteignent le jardin de l’orphelinat. Ou plutôt la grande pelouse verte grillagée. Un endroit dont il n’était pas près de s’échapper. Les barres étaient trop glissantes et trop longues.

La petite main du garnement se tendit vers Aby, alors qu’une jeune pimbêche s’approchait d’eux. On voyait significativement un trou dans ses cheveux, endroit où le ciseau vengeur avait coupé.

Kaitlyn ! Ci Aby ! T’as vu l’es belle et viendue.

Tout sourire, fier comme un paon, il apprécia le sourire qui se tordit sur le visage de la sale petite peste. Elle était jalouse. Il se pâmait de joie. Trois autres petits garçons, à peine plus vieux que Curse vinrent le voir, ballon sous le bras. Kevin, Castor et Anderson, ses compagnons de chambrée.

-C’est qui ? C’est ta copine ?

Ouais c’est Aby !

A quoi jouiez-vous? C’était la question à poser pour s’attirer des francs sourires chez les garnements. Pour une fois qu’on s’intéressait un peu à eux.

- Au foot !

Un quatrième vint rejoindre la petite bande en râlant à moitié.

- Castoor ! Faut t’y lâches la balle pour jouer !

Le dit nommé, un rouquin à l’allure maladroite fit tomber au sol le ballon que s’empressa de récupérer le garçon pour remettre en jeu la partie. Curse frétillait d’impatience. Il avait bien envie de jouer, lui aussi.

T’y joues ‘vec nous ?

S’adressa-t-il à Aby, un regard plein d’espoir. Si elle jouait en plus, il pourrait se vanter pendant une semaine au moins que ses visiteurs à lui ils savaient jouer ! Et toc ! Les trois garçons la regardaient aussi. Ils comprenaient maintenant pourquoi Curse avait demandé après elle pendant des semaines. Elle avait l'air gentille, et elle était belle en plus.

- Oui, viens !

"- J'arrive alors. Dans quelle équipe dois-je me mettre? Mais soyez gentils avec moi, je suis une grande donc je ne sais pas bien jouer, moi."

Les enfants se répartirent de chaque côté du terrain. Curse choisit un côté, alors que le plus grand de la bande s’avançait, ballon dans les mains.

- Avec nous !

Finit-il par dire à l’intention d’Aby. Un sourire énorme était collé sur la face des gamins en voyant la grande s’avancer, celui de Curse surpassait tout le monde.

T’y vas perdre !

Cela l’amusait grandement de se mesurer à elle, et il était impatient que le ballon soit lâché. Dès que ce fut fait les enfants se ruèrent dessus dans un joyeux vacarme, sans véritable stratégie, si ce n’est celle de pousser le ballon vers l’autre but. Les passes n’avaient pas le temps de se faire que déjà la balle changeait de camp, jusqu’à ce que par hasard un pied envoie le ballon dans le but.

Ouaaaaais !

Le mioche trouvait qu’elle se débrouillait plutôt bien Aby tout de même. Pour une fille en plus ! La balle est à lui, enfin ! Le but est proche ! Il court, il esquive, il s’apprête à tirer…

"- Oh! Un avion pokémon!"

Surpris dans son élan, il leva le nez dans la direction indiquée par Aby. Bien fait pour lui. Quand il rebaissa les yeux, la balle avait disparu et Aby également.

Tu triches !

Il rit et lui courut après comme le reste de la bande. Mais trop tard, le but était fait.

Naaaaan !

Il allait désormais la surveiller de très près cette roublarde. Il fit le geste que faisait son père quand il surveillait un autre monsieur. Les deux doigts sous les yeux, puis vers la jeune femme, dans une imitation toute copiée.

J’t’y surveille ! T’y vas perdre !

Un large sourire sur le visage du gamin montrait que sa volonté était toute enfantine, ancrée dans le jeu, loin des pensées qu’aurait pu avoir son père en faisant ce geste.

Il est toujours difficile de tirer quand tout le monde est regroupé autour d’un pauvre petit ballon et que les jambes ne tapent pas toujours dans la balle, mais au bout d’un ou deux but de mis, Curse finit par sortir du jeu pour s’asseoir diligemment à côté d’Aby.

Moi ‘ssi, suis fatigué.

Il avait les joues rosies par l’activité et le froid, et le bout du nez près à dégouliner. Il n’eut pas le temps de se remettre à raconter sa petite vie que Véro interrompit tout ce joli monde, en sortant du bâtiment en frappant dans les mains.

Les garçons à la douche !

Elle s’approcha d’Aby et de lui, sourire sur les lèvres.

L’heure des visites est finie aussi. Je vous laisse vous dire au revoir. Curse je t’attends aux sanitaires.

Oooh. Mais j’suis propre !

A la douche Curse !

Grommelant, surtout pour retarder le moment de quitter Aby, il finit par accepter sous la menace d’être privé de dessert de se présenter sous l’eau maléfique. Son bout de nez se leva vers la jeune femme.

T’y reviens quand ?

Mercredi !

C’est bientôt mercredi ? C’est quel jour mercredi ? Il allait enfin se passionner à reconnaitre les jours à l’école. Très important le mercredi désormais.

Promis, hein tu viens, et promis j’y suis sage.

Le deal était on ne peut plus clair. Dommage que Aaron ne se contentait pas de promesse, et voulait voir la couleur de ses cartes avant même de marchander. Logiquement, demain, il devrait avoir récolté assez de crotte de nez pour convaincre James de lui en filer une, tout en acceptant d’être gardien de but. Toute à sa réflexion, il avait commencé à avancer vers la porte, mais il s’arrêta net. Il avait oublié de dire au revoir. Il se retourna en courant et serra les jambes d’Aby de ses bras brièvement.

A Mercredi Aby !

Un petit salut de la main, et toujours à toute allure, rapide pour son âge, il faut l’avouer, il fila vers la douche fatidique.

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