Un café brûlant passe dans ma gorge, alors que j'épluche un énième relevé de téléphone, notant les numéros les plus appelé. Encore un qui ne sait pas que les téléphone à usage immédiat et jetable existent. Enfin, c'est bon pour mon dossier.

Ma réflexion est arrêtée par la voix d'un homme qui ne bosse pas aux renseignements, trop grave.

Bonjour monsieur Wallace, êtes-vous occupé, j'aurai quelque chose de plutôt personnel à vous demander.

Mes yeux se lèvent de mon dossier et croisent ceux baissés de mon interlocuteur. Akiro Ivalis. Inspecteur prometteur, à peine plus âgé que moi mais plus grand, assez froid sûr de lui, en temps normal. Mignon, mais intouchable. Il n'en reste pas moins agréable à mater. Mais là, je le sens tout de suite gêné, comme embêté. Ce n'est pas nouveau pour moi. Rare sont les flics qui viennent à moi autrement que par obligation, à cause de mes préférences. Je l'écoute, attentif et lui souris.

Bonjour, Inspecteur. Rien qui soit urgent, ne vous en faites pas. Voulez-vous qu'on en parle dans la salle de réunion?

Je pointe du pouce une porte à quelques pas de mon bureau, lieu où nous faisons les brainstorming ou accueillons les consultants utiles à nos affaires. Les filles n'ont pas la langue pendue, mais la curiosité des renseignements est à la fois notre force et notre faiblesse. Je me lève et l'invite d'un sourire à me suivre.

J'écoute avec attention l'exposé de l'inspecteur, gardant le sérieux qu'impose la situation.

Bon n'y allons pas par quatre-chemins. Il y a 19 ans, une prostituée a était décapité et démembré a était retrouvé dans son appartement. Il n'y avait aucun suspect à ce meurtre et fut rapidement classé. Saviez-vous s'il y a eu des détails que les inspecteurs de l'époque avaient remarqués et signalés sans importance.

Un léger sourire apparait sur mon visage. Pour une affaire aussi ancienne, j'aurais forcément dû regardé les archives. Mais cette affaire en particulier avait resurgi d'elle même au service des renseignements il y a quelques années, et je me souviens encore des fameux détails dont me parle l'inspecteur.

Je présume que par ces "détails remarqués et signalés sans importance" vous ne faites pas référence au fils de cette victime qui a fini par rejoindre la police et est devenu inspecteur, ni au fait que l'inspecteur en chef lui-même lui a refusé l'accès au dossier ou la poursuite de l'enquête. Ne le prenez pas mal, mais en tant que membres des services de renseignement, j'en sais autant des hommes et des femmes qui travaillent à ce commissariat que des criminels après qui ils courent.  

Il est l'enfant de cette victime. A son arrivée, tout notre service a relu le dossier, en groupe ou en cachette. Il nous est apparu des suppositions, des suspicions, mais concrètement, l'affaire s'était déroulée au même moment qu'une série de crimes qui avait occupé les forces de police de l'époque, au détriment de cette affaire, presque vide d'informations. Je m'accoude, les bras posés sur la table qui nous sépare et une main l'une sur l'autre.

Un autre détail est que, puisque l'affaire a 19 ans, il sera impossible d'apporter de nouveaux éléments fiables : les traces et les indices ont disparus, et les témoignages ne seront plus que des souvenirs, et seront influencés par un recul ou une interprétation qu'auront fini par se faire les témoins.

Je lève les yeux vers ceux de l'inspecteur.

Si tant est que je vienne à accepter de ressortir le dossier, et donc à encourir une mise à pied pour insubordination, qu'espérez-vous trouver ou amener de plus à une affaire vieille de vingt ans? Vos états de services sont remarquables pour votre âge. Une sanction telle que pourrait vous infliger le commissaire en chef entacherait votre carrière à vie. Vous êtes prêt à pareil sacrifice pour un espoir de vérité, sans doute vain désormais?

Il semblerait que mon petit speech ait suffit à rendre la raison à l'inspecteur qui me rendit un sourire fin mais comme désabusé.

Merci quand même Mr Wallace, je comprends tout à fait cela, mais je n'ai absolument aucun nouveau élément pour faire avancer cette enquête. Et même si j'en avais, je ne voudrais pas mettre en péril la carrière d'un autre que la mienne.

Alors qu'il se levait, il jura, plié sur ses côtes, à propos des Ombres. J'émis un petit sourire avant de jouer.

Tout va bien? Auriez-vous fait une course-poursuite mouvementée? Ou une chasse un peu trop active? Il faut dire qu'avec la nuit de bonne heure, tout nous paraît obscur.

J'aime jouer sur ce double-sens mêlant l'argot policier à celui qu'utiliserait un contractant. En me levant, je l'aide à simplement se redresser, mais devine où est la blessure qui le fait tant souffrir, et malgré moi, j'en viens à le déshabiller du regard. Mes yeux croise les sien, et mon air faussement réprobateur ne cache pas mon amusement.

Vous n'êtes pas sans savoir qu'en tant que membres des forces de l'ordre, nous nous devons de garder un corps entraîné et prêt à nous défendre au mieux, sinon, il est préférable de nous arrêter quelques jours pour guérir des blessures que nous avons subies en service.

Je souris à l'inspecteur, un sourire carnassier.

A moins que ça ne soit pas des blessures dues à votre service? Une altercation en dehors du travail, Inspecteur? Qui a bien pu blesser autant un homme de loi tel que vous hors de son travail?

Je profite de notre proximité et qu'il se serve de mon corps pour soutenir le sien afin de sentir son puissant torse mais aussi les bandages qui le couvrent. Il est vraiment mignon, ce jeune inspecteur.  

Je sais déjà ça, je suis un homme de terrain. Mon docteur m'a proposé des jours de congé que j'ai refusés. Même si mes côtes me gênent énormément, je me sens toujours capable de protéger les civils.

Simplement, quelqu'un d'ombreux.

Ouh, il se la joue viril! Enfin presque.

C'est amusant, au lieu de vos déboires avec votre médecin, j'aurais pensé que vous sortiriez une excuse, comme les autres. Vous vous êtes fait griffé par un chat un peu trop joueur ou quelque chose de ce genre. Salement griffé! Enfin, restez assis le temps que votre médicament fasse effet.

Il n'a rien le temps d'ajouter que je le réinstalle sur la chaise qu'il a quitté plus tôt. Mes doigts malgré moi restent un instant de trop sur la chemise d'Ivalis. J'ai un self control, pas une camisole, normal donc que je cède parfois à si douce et ferme tentation.

Je peux vous demander quelques détails sur l'affaire dont nous parlions? Sans curiosité déplacée, peut-être qu'en parler un peu vous ferait du bien. Pas comme un témoignage qu'on vous a sûrement demandé plus jeune, mais juste une discussion, un moyen d'extérioriser cette histoire et de refaire le point dessus, sans contrainte, maintenant que vous êtes adulte et policier.

Ma voix n'est plus catégorique, mais douce et invite à la confidence. Je me rassois aussi, montrant que je suis prêt à prendre le temps pour parler.

Je sais quel choc cela peut faire de retrouver sa mère décédée, mais je ne peux sans doute pas imaginer ce que cela fait de la voir assassinée. Néanmoins, je peux tenter de comprendre, si vous le voulez.

Ses mots sont durs et froids, mais il ne peut cacher une colère sourde qui crispe son visage. Je ne suis pas vraiment inquiet de sa réaction, un homme qui ne parvient pas à gérer ses émotions ne devient pas inspecteur.

S'il vous a fait peur, vous devez l'avoir en mémoire. C'est juste que vous ne le trouvez plus. Peut-être qu'une séance d'hypnose... Pardon. Je suis désolé pour votre mère.

Je réfléchis.

Mais si je puis me permettre, sans entrer dans les détails, il semblerait que votre homme respecte un procédé, un mode opératoire. Un... rituel, presque. Il serait possible de rechercher d'autres victimes avec la même mise en scène. Nous n'aurions ainsi pas à sortir le dossier qui vous est défendu, mais cela pourrait amener à sa résolution par effet boule de neige, non?

Je ne souris plus mais mes doigts effleurent mon menton et mes lèvres alors que j'expose le fruit de ma réflexion. Subrepticement, je peux sentir le parfum de l'Inspecteur Ivalis, marquant faiblement ma main. Une eau de Cologne? Un parfum? Je l'ignore, mais l'odeur m'est agréable.

Après tout, si vous l'avez vu avec le sourire, étant donné ce qu'il s'apprêtait à faire, il doit sans doute être mu par des pulsions, et il les aura satisfaites avec d'autres meurtres.

Je lance un regard interrogateur à mon interlocuteur.

A moins que vous ayez déjà cherché dans ce sens et n'ayez rien trouvé.

Malgré sa grimace désapprobatrice en ce qui concerne l'hypnose, il semblerait que j'ai réussi à convaincre l'inspecteur sur les autres points de mes conseils.

Lors de mes soirées à lire les archives, pour mon plaisir personnel d'élucider des affaires non classées, il y a eu une série de meurtres qui s'est produite il y a 20 ans, sept exactement. Tous ont été tués différemment, aucun lien entre eux, les sept victimes ne se sont jamais rencontrées. Et elles ont toutes eu une façon différente d'être tuées, avec une semaine d'intervalle entre chaque mort. Ma théorie personnelle, c'est que ces meurtres sont liés, pour deux raisons, premièrement, l'arme du crime qui avait une façon étrange de couper et secondement, une représentation d'un des sept péchés capitaux pour chaque victime. Ce n'est qu'une simple théorie, ridicule, mais plausible.

J'acquiesce, un petit sourire aux lèvres.

Personnellement je ne me permettrais pas de juger du ridicule ou de la plausibilité d'une théorie. Les criminels ne s'attardent pas sur ces détails pour commettre leurs meurtres, n'est-ce pas? Je pense cependant que ces dossiers vous sont accessibles.

Je m'apprête à noter.

Auriez-vous les noms des dossiers et leurs dates? Je me ferais un plaisir de vous les retrouver, ainsi que toutes les pièces qui y sont rattachés.

Je me penche un peu en avant, mauvaise manie quand j'écris à la main, mais aussi dans le but de mieux entendre la voix du jeune homme. Sept dossiers, cela aura de quoi l'occuper et le détourner de son but premier. Ce qui me laissera le champs libre pour faire quelques petites recherches de mon côté. Je ne suis après tout pas interdit de lire le dossier de la mère d'Akiro, moi. En tout cas pas si je le lis seul.

Je note consciencieusement les noms et les péchés associés sur mes notes. Comme les dossiers datent d'avant mon arrivée, et qu'on ne les a pas ressortis depuis, je ne les connais pas.

Voici les septs noms de victime, j'espère que ça vous aidera.

Mon sourire ne disparaît pas, immuable.

C'est moi qui dois vous aider, Inspecteur. Je retrouverai les six dossiers qui vous sont autorisés. A vous de trouver les liens entre eux et avec le septième dossier pour qu'on puisse l'utiliser à son tour. De mon côté, je suis prêt à faire les recherches nécessaires pour vous faciliter la tâche.

Je relève le stylo pour porter le bout à mes lèvres. Si l'inspecteur a déjà dû mal à évoquer le nom de sa mère, l'enquête n'avancera pas de façon optimale.

Mais j'insiste sur le fait que votre efficacité dépend de votre investissement... Professionnel. Alors prouvez-moi aussi de vous êtes pleinement capable de mener ce travail comme toutes les enquêtes qui vous ont valu votre poste. A vaincre sans péril on triomphe sans gloire, mais je ne risquerai pas ma place ni je gaspillerai mes efforts pour des dossiers qui n'avancent pas.

Mon sourire est plus ironique, mon regard jugeant celui incertain d'Akiro. S'il n'affronte pas la réalité, il n'affrontera pas la vérité. Est-ce parce qu'il a confiance en moi qu'il se montre si indécis? Il ne doit pas. Je suis loin d'être un allié de confiance. Il ne peut faire confiance qu'en mon talent et mon professionnalisme. Ma compassion ou ma pitié ne lui serviront même pas si ses supérieurs lui tombent dessus.

Le visage de l'inspecteur reprend son sérieux et son assurance. A la bonne heure. Il se relève, plus précautionneusement de la dernière fois et se redresse, à nouveau sûr de lui.  

C'est normal. Je vous remercie de votre franchise et de votre aide. Transmettez-moi les dossiers dès que vous les aurez. Au revoir, Agent Wallace.

Et il s'en va, avec un dernier sourire, charmeur. Non Fox, pas toucher... Même pas la poche de jean dans laquelle il passe sa main pour récupérer son portable, et qui épouse désormais bien mieux son... Fox, pas toucher.

Bonne journée, Inspecteur.

Je finis de noter quelques détails avant de sortir à mon tour. Les filles me lancent des regards appréciateurs et curieux, et je me maudis parfois de m'être imposé la règle du "Pas toucher". Je n'en aurais pas goûte un seul morceau....