Place Roosevelt:

Selon les habitudes de John, il était relativement tôt. En fait, il devait être dans les 18 heures, c’est-à-dire peu avant la vraie ouverture et des bars, mais pas encore assez tard pour qu’il fasse nuit noire – et les lampadaires éclairaient assez bien la ville. Sauf que le Nephil avait pour habitude de se lancer à la chasse aux ombres seulement minuit passé ; mais ce jour était une exception. Il avait prévu d’occuper sa nuit à rendre visite à quelques pourris, mais avait tenu néanmoins à faire son quota d’ombres pour la journée : voilà donc pourquoi il s’était retrouvé à partir en chasse avant ses heures habituelles.

La ville était vaste, les contractants nombreux. Et malgré cela, les ombres pullulaient elles aussi, laissant finalement un large choix à John. Au sommet de quelques hautes maisons du quartier Est – il fallait bien qu’il lâche son cher quartier Sud de temps à autres-, le Nephil scrutait les environs, en quête d’une ombre pas trop massive, pour l’abattre. Après de longues minutes de recherches infructueuses, il remarqua une forme sombre s’agitait au loin. La prenant en filature, il comprit qu’elle s’était accrochée à un homme et que celui-ci semblait déjà fort triste, signe que l’ombre en avait fait sa cible depuis déjà un certain moment. Une habitude bien triste aux yeux de John d’ailleurs : il aurait préféré qu’elles se contentent de se battre contre les contractants. Même si cela aurait été absurde, cela rendrait le combat plus équitable ; c’était lâche de son point de vue que ces monstres s’en prennent aux gens normaux. Après tout, ces derniers étaient incapables de s’en débarrasser… Ils n’avaient pas même conscience de ce qui leur arrivait.

Attendant que l’endroit soit plus propice pour y livrer un combat, John continua à marcher derrière la victime, l’air tranquille ; et ils finirent par arriver sur une petite place caustique, mais assez spacieuse pour laisser à John la place de se battre. Alors il recula un peu pour qu’aucun regard ne puisse se poser sur lui, et il déploya son Kekkai. Une forme assez basique, un cube tout à fait normal – il n’avait pas encore entraîné sa maîtrise de la Kekkai-morphie il faut dire.
Une fois l’ombre arrachée à son amant, elle tomba à terre, hébétée. John se mit en position, prêt au combat, alors qu’une dizaine de mètre plus loin l’ombre était en train de se relever.

Ce que le jeune homme n’avait pas remarqué, c’était qu’un inconnu avait été pris lui aussi dans ce zone guerrière.

Aussitôt, le combat démarra. L’ombre se rua sur le jeune homme, qui lui se téléporta derrière elle invoquant son arme dans la foulée. Il tira rapidement un premier carreau qui alla se dans le dos de la créature qui avait du mal à arrêter sa course ; et il profita de cet instant pour tirer un troisième carreau qui heurta l’ombre sur ce qui pouvait s’apparenter à sa cuisse. Ce n’était pas suffisant pour la blesser réellement, mais largement pour ralentir sa course qu’elle venait d’ailleurs de rediriger : pivotant sur sa jambe saine et couru à toute vitesse de nouveau dans la direction de son adversaire.

Puisqu’une fois n’était pas coutume, John esquiva la bête tel un toréro tricheur, se retrouvant l’instant suivant presque au dos de l’ombre, sautant et plantant de la main gauche un carreau dans une épaule de son ennemie, et de l’autre la lame de son arbalète dans l’opposée. Malheureusement pour lui, la vitesse de l’ombre couplée à son saut les fit tomber tous deux, elle en avant et lui sur le côté ; à la différence près que la cinétique du monstre le força à rouler sur un mètre de plus.

Se relevant prestement, il chercha de l’œil un nouveau coin où se téléporter. Ce serait la troisième, et il savait très bien qu’après celle-ci il aurait à se calmer un peu sur l’usage de ses pouvoirs s’il ne voulait pas finir lessiver ; mais son regard s’arrêta brutalement sur quelque chose. Quelqu’un plutôt, apparemment un autre humain était dans le Kekkai. Ne se souciant pas de sa nature dans un premier temps – et surtout car l’ombre s’était relevée avant lui et se précipitait toutes griffes en avant sur son cou-, il se téléporta aux côtés de son nouveau camarade, se relevant prestement.

« - Yo ! J’suis John, ça te dit une ombre ? Genre… Maintenant ? »

Il y avait des moments pour les bonjours en bonnes et dues formes, mais ce n’en était pas un. Une fois l’affaire terminée, il aviserait.

Face à la réponse de son pas-si-allié surprise, John demeura quelques secondes abasourdi, la bouche ouverte. Le type venait bel et bien de le planter au beau milieu d’un combat contre une ombre, simplement parce qu’il n’en avait pas envie. Et dire qu’il venait de gâcher une téléportation – pas tout à fait inutile, certes – pour lui parler… Plus qu’une seule avant de jouer sur ses réserves, donc.
Le Nephil soupira, secoua sa tête et reprit sa concentration, comprenant au bruit que l’ombre le charger. Serrant davantage son arbalète, il releva un peu son corps, posant ses membres en position pour un retournement violent, rapide et puissant.

Trois, deux, un. Action. Dans un mouvement redoutable la baïonnette frappa de plein fouet la pseudo joue de l’ombre, déviant violemment sa course tandis que John pivotait pour diriger son ennemie, lui faisant un croche patte et la propulsant ainsi au sol, quelques mètres plus loin.
Et, aussitôt, John se mit à courir en direction inverse, de façon à prendre de la distance et à pouvoir se battre dans le domaine qui lui seyait : le tir.

Encore un peu troublé par la réaction surprenante du jeune homme, ses deux premiers carreaux loupèrent leur cible ; tandis que celle-ci se rapprochait dangereusement de lui. Comme dans un déjà-vu, le nouveau carreau heurta l’ombre en plein torse, ce qui ralentit un peu son allure.

Alors, décidé à en finir, John courut droit vers son ennemie, baïonnette en avant à droite, la main gauche prête à agripper le carreau déjà planté.
Le choc finit par se produire, et la lame vint se planter dans le cou de la bête, tandis que le contractant forçait sur sa prise pour déchirer autant que possible son torse. Evidemment, en même temps, l’ombre planta ses griffes dans le dos du jeune homme, lui infligeant de belles traces.
Alors que les deux étaient rouges à force de jouer de leurs muscles, un vainqueur finit par se faire connaître : l’arbalète traversa entièrement le corps de l’ombre et provoqua la disparition de celle-ci ; amenant par ailleurs le jeune homme à chuter lourdement sur les pavés, face contre le sol.

Il était fatigué. Son dos l’élançait ; il avait envie de dormir. Et pourtant, il se releva avec peine, avança lentement vers un coin sombre de la place. Ses vêtements étaient fichus – encore. Finalement, il allait devoir rentrer chez lui au lieu de continuer sa chasse ce soir, car ses capacités étaient pour le moment très limitées.

Ôtant son Kekkai, John soupira, puis se mit tranquillement en route vers sa maison, rêvant déjà des bandages et du désinfectant qu’il allait pouvoir appliquer sur ses plaies. Cela pouvait paraître stupide, mais son pécher mignon était le repos après l’effort ; et s’il arrivait en avance, ce n’en était que plus agréable.