Fac:

« - Aleister parle trop, mais il sait tuer. ». Depuis que Lenna les avait prononcés, ces mots résonnaient chaque jour dans la tête de John. Le type avec qui il s’était lié dans un musée, qui avait accepté de passer quelques heures avec lui à la fac une après-midi et d’aller voir Star Wars 7 se révélait être son ennemi – et pas des moindres. Certes, vu de cette manière, leur relation semblait être des plus banales, voire ennuyeuse ; mais c’était une des rares personnes qui attachaient encore le Nephil à sa vie d’humain.
Après la découverte de la récente nature de Saskia, il avait dû se remettre en question et faire un choix définitif : chaque être qu’il rencontrerait, qu’il apprécierait, il leur ferait passer le test du kekkai. Et s’il s’avère positif, il s’enfuirait aussi vite que possible.

Obligé de voir chaque humain comme un potentiel ennemi, il allait peut-être sombrer peu à peu dans la paranoïa – et les récents malheurs de Russel et Leeroy quant à Aria n’arrangeait en rien l’affaire. Alors, il lui fallait vaincre ses espèces de démons du passé ; et la première personne avec qui il réglerait ses affaires serait la plus dangereuse : celui à la chevelure de la même couleur que les Enfers.

L’ex-détective avait parlé de lui comme d’un contractant puissant, et la curiosité mêlée la décision de John avait forcé celui-ci à agir. Aujourd’hui, il se mesurerait à l’étudiant, dans un duel qui n’aurait rien à voir avec celui qui l’avait opposé à Lenna.
Avec Russel ils s’étaient promis de gravir les échelons à tout prix ; et celui d’affronter Aleister jusqu’à une possible mort d’un des camps en faisait partie.

Cette décision, il l’avait déjà prise depuis quelques temps, mais il voulait être plus fort pour se mesurer à celui qui aurait pu être son ami ; et le moment était venu. Sa force était encore incertaine, mais à force de repousser l’inéluctable il allait finir par le regretter – peut-être même, allait-il changer d’avis.
Sauf qu’il devait garder sa parole. Néanmoins, un seul fait pour le faire parjurer : ce serait qu’Aleister soit aussi éveillé à cet endroit. Mais les chances étaient si faibles…


Un petit vent se levait, et rompait la température accueillante de ce début de printemps ; bien que le corps de plus en plus mystique du jeune homme ressentait moins les variations qu’avant.  Peu à peu une marée d’étudiants pressés de rentrer chez eux, d’aller à la bibliothèque ou encore de s’amuser se formait à la sorte de l’université. John était quant à lui appuyé contre un des murs de l’enceinte, spectateur de cette cohue qui n’avait de sens que le chaos qu’elle générait. Son visage était fermé, prêt à commettre quelque chose qu’il se reprocherait. Mais évoluer dans une hiérarchie avec un prix, et il devait le payer.

Finalement, une silhouette familière apparut dans ce désordre. Le moment était arrivé.
En tant que contractant, la discrétion était de mise quant aux kekkais et autres magies étranges, et au bout de ses quelques mois d’expérience, John avait saisi qu’il y avait trois situations pour ouvrir une dimension de combat. La première était celle que tous affectionnait au départ ; lorsque personne n’était présent, quand seul le silence et la tranquillité était spectateur des disparitions. La seconde était une lorsque l’on créait une diversion, détournant furtivement l’attention des personnes présentes pour procéder à la petite affaire.
Enfin, la dernière était lorsqu’il y avait, au contraire, un nombre de personnes incalculables. Entre deux épaules, deux coudes, personne ne pouvait juger de la disparition de son voisin : chaque dos se ressemblait, personne n’avait de visage ; ce n’était qu’une masse informe et vaguement humaine.

Alors, John déploya son Kekkai, n’isolant par chance qu’un seul contractant en dehors de lui : Aleister Chase. Se sachant à une assez grande distance de celui-ci pour exprimer quelques phrases avant que le combat ne s’engage directement – et si jamais il avait des armes de distance, une téléportation ferait l’affaire -, il prit la parole.

« - Je suis désolé Aleister, mais je dois le faire. Tu es fiché comme un ennemi de ma faction puissant, et mon devoir est de t’éliminer. »

Il avait parlé le ton sec et froid, ne laissant paraître aucun signe des regrets, remords et autres sentiments négatifs qui l’habitaient à cet instant précis.

« - Avant ça, j’ai une dernière question. [J’aime le veau]. »

Il n’y avait qu’un maigre espoir que le Seraph ne comprenne, mais John se devait de le saisir ; et d’y croire. Même si c’était en vain, et il le savait.
Qu’importe la réponse de son désormais ennemi, il invoqua son arbalète dans sa main droite et un carreau dans la gauche, prêt à se battre.
Non, à tuer.

Tous les coups … ? Qu’entendait-il par-là ? De son point de vue, John avait été assez fair-play quant à ce combat : aucune attaque dans le dos, une phrase pour prévenir Aleister de sa présence ; le seul côté contestable pourrait être la distance de sécurité les séparant, mais cela était anecdotique.
Enfin il n’était plus temps de réfléchir à ça, le combat avait était entamé. Et contre un manieur de sabre – ce qui représentait étrangement un certain désavantage finalement. Certes la distance était un point non négligeable dans un combat, mais si jamais la téléportation de John l’épuisait trop et le forçait à arriver au corps à corps, alors c’en serait probablement terminé de lui ; son niveau à la flèche n’étant pas à la hauteur d’un véritable épéiste.

Le Seraph avait réagi vite, et intelligemment. Il se dirigeait droit vers John, acculant celui-ci contre un mur contre – il n’avait donc pas beaucoup de choix devant lui : soit il se réfugiait dans l’enceinte du bâtiment, au risque de considérablement réduire l’impact de ses capacités et de son énorme, soit il se téléportait derrière son adversaire, ouvrant son compteur fatigue. D’un autre côté, Chase était-il réellement au courant des pouvoirs du Nephil ? C’était un autre sujet discutable, étant donné que ce dernier n’avait pas souvenir avoir déjà été reconnu par un marque-bleu.

Se mordant légèrement la lèvre pour embrumer la culpabilité qui le hantait, il tira rapidement un trait  vers le guerrier, n’ayant que peu d’espoir de véritablement le toucher, puis commença sur sorte de rotation de son corps sur place, la tête toujours tourné vers son assaillant.
Prévoyant l’instant critique de l’impact, il se téléporta dans le dos d’Aleister, à une vingtaine de mètres de lui. Son mouvement servant à cela, il était déjà presque face à l’arrière de l’épéiste aussitôt transporté ; et décocha un carreau plus précis dirigé vers sur ce qu’il pouvait atteindre de son adversaire.

Si tout se passait correctement, il serait le premier à faire verser le sang. Mais malheureusement, il avait laissé le champ libre à Aleister pour s’engouffrer dans le bâtiment… Et si cela se déroulait ainsi, alors John serait obligé de pénétrer dans l’enceinte à son tour. Il était venu abattre – ou au moins, soumettre – l’étudiant, et ce n’est pas une fuite minuscule qui allait l’empêcher de traquer sa proie.
Cette dernière pensée le fit frémir. Il s’effrayait ; mais pour atteindre ses objectifs il devait réfléchir de cette manière, du moins pendant les combats. Abandonner sa pitié momentanément pour servir un but immense, tel était le sacrifice auquel il consentait.

Une acuité discutable, mais Aleister avait saigné – c’était déjà une petite victoire. Enfin, John ne devait pas trop s’en féliciter pour l’instant, car il avait laissé le Seraph se réfugier dans le bâtiment : ce qui entraverait fortement toutes tentatives du Nephil lorsqu’il y aura rejoint son adversaire.
Tandis qu’il se mettait en route vers l’intérieur du bâtiment, cherchant une fenêtre décalée pour ne pas passer par le chemin principal, son cerveau carburait pour trouver une solution à son petit souci. Et elle était simple, en fait.
Le principe était d’approcher l’étudiant pour pouvoir avoir un contact physique, même s’il n’était que léger, et enfin user de sa téléportation pour les emmener tous deux à une hauteur dont personne ne pouvait revenir indemne ; une fin de vie assez bâtarde, mais Aleister n’avait guère laissé de latitude à John pour organiser une mise à mort prestigieuse. Avec un peu de chance l’épéiste pourrait y survivre, et il pourrait être ainsi abattu droit dans les yeux.
Malgré ses tourments, John se refusait à fuir la fin de son adversaire du regard – il voulait assister à tout, purger son pêché en même temps qu’il le commettait. Et détruire l’once de pitié qui restait encore lui : il devait devenir un tueur, et aujourd’hui serait le jour de sa métamorphose.

Enfin, avant de réfléchir à tous les détails de la fin d’une bataille, il fallait la vivre ; mais le Nephil ignorait la position exacte de son ennemi. Il l’avait perdu de vue en focalisant son regard sur la fenêtre. Une erreur de débutant, mais la lutte intérieure du jeune homme l’empêchait d’être aussi rigoureux qui se l’imaginait.

N’étant plus qu’à quelques mètres de la fameuse fenêtre, il se téléporta à travers et atterrit au sol par une roulade joliment exécutée – voilà que les deux lurons étaient à égalité pour le titre de gymnaste accompli -, balayant aussitôt son regard sur la zone qu’il venait d’atteindre.
Un grand hall vide, pas excessivement large mais néanmoins offrant une liberté appréciable pour des combattants corps à corps, ainsi que des rangées de portes sur les murs portant sur des salles de cours, probablement. Et au début de ça, Aleister.

Sachant qu’il n’avait pas grande d’autre à faire,  John décocha un nouveau carreau en direction de l’épaule gauche d’Aleister – toujours dans une certaine précipitation gênée – afin de réduire l’aisance de celui-ci ; se mettant à courir l'instant suivant, flèche dans une main et baïonnette pointée de l’autre, vers son ennemi pour l’affronter de plus près.
Il suffisait d’un seul contact, et la vie de l’étudiant pouvait se terminer là-dessus. C’était effrayant à quel point des choses aussi importantes ne tenaient parfois qu’à un fil.

Le carreau avait touché, c’était parfait. L’indécis avait fait mouche, et Aleister se trouvait réduit ; c’était le moment idéal pour forcer un simple échange entre leurs armes et signer ainsi une mort prochaine au Seraph. Tout ceci semblait si simple dans la tête de John, mais il ne voyait pas ce qui pourrait l’empêcher de remporter ce combat. Une téléportation ? Non, ce serait trop rare. En fait, à part des talents martiaux exceptionnels ou un passe-douleur, le jeune homme ne voyait pas vraiment quel genre de pouvoir pourrait lui faire perdre son avantage.

Trois mètres, deux mètres. Encore un peu plus. Davantage. La victoire était à une portée de main, mais l’hypothèse que n’avait pas envisagée John se produisit ; un filtre vert enveloppa les alentours du contractant. Et pire encore, il se rendit compte subitement que son corps ne lui répondait plus.
Ou plutôt, lui répondait en retard, comme s’il était presque paralysé, ou que ses membres étaient entravés par des liens invisibles. Et ses yeux tournés vers Aleister virent une épée dont la fluidité qui semblait irréaliste dans cette enveloppe colorée.

Dans un réflexe de survie, une téléportation sorti in-extremis le jeune homme de l’entaille mortelle qui lui était destinée. Il arriva deux mètres derrière son adversaire, son corps soudain libéré de ses menottes s’étalant contre le mur. Ses mouvements étaient à nouveaux normaux, mais il venait de voir la mort, purement et simplement. Il se retourna rapidement pour faire de nouveau face au Seraph, les yeux grands ouverts ; incapable de cacher la stupeur qui venait de l’envahir.

C'était quoi ça bon sang !?

Il lui était donc impossible de vaincre Chase au corps à corps, mais il ne pouvait pas non plus rester ici à lui tirer dessus. Comme si ce n’était pas assez, il venait déjà d’user de son pouvoir trois fois, et sa limite approchait : il lui fallait suspendre ce duel, ou alors l’abréger.
Malheureusement, c’était une guerre que se livraient les deux camps, et seule la seconde option était envisageable.

La seule technique qu’il retenu était une qu’il avait déjà employé contre Lenna – plus par chance qu’autre chose, mais quand même -, mais elle lui paraissait correcte.
Il plaça son carreau devant son cœur pour parer une épée trop baladeuse de ce côté, et son arbalète au niveau de son cou dans le même objectif, puis se lança, s’étant légèrement déplacé latéralement,  vers Aleister, bien décidé à le piéger en le forçant à lui porter un coup. Evidemment, son regard se portait vers une fenêtre derrière son adversaire.

Quand il sentirait une lame trancher sa chair, il téléporterait aussitôt son adversaire et lui aussi loin que possible – à près de cinquante mètre de hauteur. Ainsi, à la fois il arrêterait le coup possiblement mortel, et mettrait le Seraph dans une situation fâcheuse. De son côté, il n’aurait qu’à profiter de la surprise pour se séparer de son celui-ci et d’empêcher tout dégât tierces en se transportant à nouveau à quelques centimètres du sol.
Un tel enchaînement serait tel pour son endurance que celle-ci serait presque vidée, et un nouvel usage le laisserait aux portes de l’inconscience – voire pire.

Même s’il avait prévu la douleur qu’il allait subir, il n’empêche qu’il dû serrer les dents lorsque la lame sa planta légèrement dans son abdomen. Aussitôt, il déclencha sa téléportation, imposant à son corps une soudaine fatigue gargantuesque, qui faillit le forcer à fermer les yeux quelques instants.

Pourtant, il devait agir. L’incompréhension visible d’Aleister jouait en la faveur du Nephil – surtout que, fort heureusement, la zone de ralentissement paraissait ne pas avoir suivi le mouvement -, et ce dernier parvint à repousser la lame de son adversaire d’un coup rapide de carreau ; avec une précipitation qui eut pour prix de lui fêler une côte. Ce n’était pas agréable, mais cela était largement plus souhaitable qu’un cœur transpercé.

Les deux corps étaient séparés, et pendant sa chute John tourna les yeux vers le sol, se téléportant une quatrième fois pour éviter toute nouvelle blessure. Il était allongé par terre, épuisé. Le combat avait été rapide mais son overdose de sauts avait largement vidé sa stamina ; heureusement qu’il avait gagné. Il n’avait plus qu’à achever l’étudiant et c’en serait terminé ; son sacrifice avait été consommé.

Il se releva lentement du sol, passant sa main sur son torse ensanglanté – bien, rien de trop grave pour le moment, une simple douleur gênante lorsqu’il respirait. Il balaya du regard l’endroit où le Seraph aurait dû atterrir, mais un vide accueillit sa vision. Personne. Soudain ses yeux s’écarquillèrent, son cœur s’accéléra à nouveau et tout son ses sens se mirent à chercher le roux autour de lui.
Pourtant, personne n’était sur le toit sur lequel il avait chuté… Comme s’il savait ce qu’il allait y trouver, il leva les yeux au ciel, vers ce qui produisait une ombre sur le sol ; celle d’un aigle gigantesque. Aleister Chase était là-haut, paré d’ailes.

Sur l’instant, le jeune homme faillit lâcher son arme – autant d’effort pour… rien ? Il inspira un grand coup, puis pointa lentement son arbalète en direction du Seraph. Le combat se devait de continuer, il était à mort ; et les déplacements de l’étudiant étaient étrangement lents et maladroits.
Peut-être qu’au travers de cet échec se situait une occasion en or qu’il fallait saisir, ou définitivement abandonner. Il ferma les yeux de simples secondes, puis visualisa l’endroit qu’il visait. La tête. Non. Le torse ; le cœur même, ou les poumons.
Il décocha.

Il n’avait que rarement senti vraiment la fatigue qu’accompagnait un tir, mais cette fois-ci c’était d’une violence inouïe, le forçant à relâcher le carreau qu’il tenait de la main gauche. Et, en même temps, il se sentait incapable d’en invoquer un nouveau pour tirer une seconde fois ; il y avait à fort à parier qu’une nouvelle téléportation serait quasiment fatale pour lui, qu’elle l’amènerait au bord de l’inconscience.

Sa respiration se ralentit peu à peu, puis John posa un genou à terre. L’aile du Seraph avait bloqué le carreau, au prix de quelques gouttes de sang – d’ailleurs, le sang total du corps était-il réparti dans ces nouveaux membres, ou alors du fluide était-il créé ? -, mais entraînant aussi une perte de contrôle directe des extrémités plumeuses. Regardant son adversaire procéder à une sorte de vol plané chorégraphie chaos, il espérait que quelque tourne mal.
Quand Aleister s’écrase au sol, non loin de lui, un sourire s’esquissa presque sur son visage : peut-être s’était-il blessé ? Non, ça serait trop simple. Le combat avait assez duré, il fallait y mettre un terme maintenant ; le Nephil se releva lentement, jouant du petit délai que la chute de son adversaire lui avait accordé. Il avait ramassé dans sa main gauche son carreau tombé, et avançait difficilement vers l’étudiant.

Un tir de plus lui empêcherait probablement une ultime téléportation, alors il se devait d’affronter l’épéiste directement sur son terrain – en priant pour que celui-ci ne puisse plus utiliser son pouvoir. Chacun avait des limites sur ses pouvoirs, alors un temps mort était peut-être une de celle du roux ? Quoiqu’il en soit, John n’avait plus d’autres options, hormis la fuite. Mais tant qu’il était capable de se battre, il se refusait à reculer ; et s’il devait mourir à l’issu de cet intense duel, il l’accepterait les bras ouverts.
S’il était incapable de survivre à un véritable affrontement, alors ses objectifs étaient décidemment trop ambitieux pour lui… Ce serait à Russel d’assumer la lourde tâche, seul.

Un pied devant l’autre. Encore. Plus vite. Rapidement. Il courait. Aleister était proche, et John releva son bras droit, pour pointer sa lame directement sur le cœur du jeune homme ; son carreau servant à nouveau pour protéger le sien. Ce coup était peut-être inutile, ou alors mettrait un terme à la vie du disciple de Kyu… Nul ne le savait encore, mais comme pour s’en persuader, John hurla en même temps qu’il poussait davantage sa lame, toujours plus proche de sa cible.

Chacune de ses actions se ressemblaient : se rapprocher, encore et toujours. Mais il n’était plus lui-même, chaque centimètre qu’il franchissait vers le cœur d’Aleister le rendait un peu plus fou, plus effrayé par lui-même. Lui qui aimait rire, aider les gens ; lui qui avait des rêves de protection de tous, voilà qu’il hurlait pour mettre fin aux jours d’un homme qu’il avait apprécié. L’enjeu était bien plus grand, il le savait – et même s’il l’avait accepté avant, maintenant qu’il n’avait plus le choix il regrettait.
Sa pointe fut déviée. Ce n’était plus la poitrine de Seraph qu’il visait, mais son épaule, voire même simplement un pli de ses vêtements ; mais ce n’était pas l’épée qui provoqué cela, ce n’était que la main de l’étudiant. John sourit, puis baissa les yeux, observant la course de l’arme de son adversaire. Le temps paraissait comme ralenti dans son esprit – peut-être était-ce parce que sa fatigue l’embrumait tellement qu’il ne voyait plus que par à-coups -, mais il discerna clairement que ce quelque chose allait bloquer la pointe.

Soudain, une sensation de froid envahit son poignet gauche. Peut-être était-ce seulement une illusion, peut-être était-ce véritable – mais quelle importance ? Il comprenait ce qui était en train d’arriver, ferma les yeux et lança son corps sur la droite, sans chercher à conserver un quelconque équilibre. Pendant qu’il chutait, son bras passa dans sa vision, incomplet. Quelque chose tombait là où il se tenait auparavant, quelque chose de facilement discernable… C’était sa main. L’épée l’avait séparée de son corps, et en faisant cela l’avait retiré à une mort certaine ; une parade simple qui lui avait sauvé la vie.
Ses yeux s’écarquillèrent, et la douleur se dévoila dans cerveau. Elle était immense, indescriptible – comparable à celle qu’il avait subi ce soir-là. Le combat était terminé, Aleister avait gagné.

Mais quelque chose empêchait le jeune homme de laisser son dernier souffle à cet instant. Il devait vivre encore un peu, même si c’était lâche ; il devait prévenir Russel de la force de son adversaire, il devait lui expliquer comment le vaincre. Il devait dire à Manori la tâche de Russel, l’importance qu’elle revetait ; il avait à dévoiler toutes les informations qu’il savait au sujet des Seraphs.
Alors que sa tête venait d’heurter le sol, il la fit tourner de l’autre côté, apercevant à travers sa vision floutée par la douleur une porte de sortie. Une pièce, à quelques dizaines de mètres, à côté de l’entrée du bâtiment d’économie… S’il ne s’y transportait pas maintenant, il y avait fort à parier qu’il n’en aurait plus jamais l’occasion.

Cette téléportation serait de trop, et il savait bien – il n’avait jamais encore expérimenté les effets d’une telle fatigue sur son corps, blessé qui plus est -, mais il le fit. Il disparut du toit sur lequel reposait encore un de ses membres, et se retrouva à un mètre de hauteur dans la fameuse salle, et chuta lourdement.

Belotte, re : sa téléportation avait été mal visée, et il senti une douleur forte dans son dos lorsqu’il atteint le sol. Il laissa son corps s’étaler sur le sol, la tête contre le sol et la bouche ouverte. Ses yeux se fermaient peu à peu, l’envoyant dans un monde peut-être un peu plus doux. Une petite sensation le parcourut, lui faisant comprendre que son Kekkai s’était dissipé.

Et maintenant, quoi ? Il agonisait là, et par miracle personne n’était présent pour le regarder se vider de son sang… Il ne savait même plus où était son arme – si elle était encore invoquée -, mais sa main tâtonnant le sol à sa recherche heurta quelque chose de solide. Son portable était sorti de sa poche, et presque inconsciemment il le saisit, le ramenant difficilement au-dessus de ses yeux.
Il n’avait plus la force de bouger la tête, et même un battement de paupières l’épuisait ; pourtant, il réussit à déverrouiller l’appareil. Dans sa maigre liste de contacts, un nom apparut comme presque salvateur, et arracha presque un sourire sur son visage désormais figé : Rekor Veroth. Ce dernier avait parlé d’un merveilleux élixir, et travaillait dans cette faculté.
Il l’appela.

Cela sonnait, mais personne ne décrochait pour le moment. Cela faisait peut-être une demi-seconde qu’il avait appuyé sur le bouton, peut-être dix – ou alors, il pouvait ne pas l’avoir fait. Après ce qu’il lui sembla une éternité, une voix masculine décrocha. Alors, avec une voix faible et défaillante, John pompa dans ses dernières réservés d’énergie pour prononcer quelques mots à son sauveur.

« - Première salle droite… fac eco … urgence… on va me … tuer… »

Il aurait voulu dire plus, mais l’appareil lui échappa des mains et ses yeux se fermèrent.

Tout était plus calme, peu à peu il ne sentait plus la douleur de ce membre manquant ; mais il avait froid. Comme s’il était nu en plein hiver, comme si l’on l’avait mis dans une chambre froide… Puis il perdit conscience, se laissant aller à une mort qui se voulait proche.

Rien. Le calme plat, une étendue de noir sans fin… Etait-ce cela la mort ? Ce serait si … décevant. Même s’il était foncièrement athée, il s’était imaginé quelque chose de plus grandiose, contre toutes ses croyances – et mieux encore, cela aurait pu avoir un lien avec Bey. C’est un dieu après tout, ou presque.

Un son vint briser le silence presque religieux qui dévorait John. C’était son nom, et des secousses agitaient le décor pourtant immuable ; quelque chose se passait, quelqu’un le rappelait. Avec toutes les peines du monde il ouvrit un œil, et un visage commença à se dessiner à travers le flou de sa vision.

« - Ree… »

Un mot de plus, et il repartait dans cet étrange monde, probablement sans retour possible cette fois-ci. Il se demandait s’il était réellement vivant, ou s’il n’avait fait que continuer son parcours vers un autre monde… Si c’était ce que certains appelaient le paradis, les standards avaient pas mal baissé : pas que Rekor soit moche, mais il n’était pas vraiment au goût du jeune homme. Alice, Lenna, Cassandre, ou même… Fox… Voilà des gens qu’il aurait préférés apercevoir à son réveil si c’était pour passer avec eux le reste de sa mort.
Non, il était vivant. Sinon, cela n’aurait aucun sens ; le Nephil avait répondu à son coup de téléphone et était venu le sauver, avec son fameux élixir.

« - Elixiii… »

Sa paupière se baissa de moitié, mais il luttait. Il n’avait pas la moindre idée de la quantité de sang qu’il avait déjà perdu, ou du temps qu’il s’était écoulé – mais une chose demeurait certaine, c’était qu’il était aux portes de la mort. Alors, cela l’arrangerait si le remède miracle du scientifique marche aussi bien qu’il l’avait prétendu.

John se sentait bien. Le liquide qui coulait dans sa gorge était chaud, ou peut-être froid ; quelque chose en tout cas, mais cela satisfaisait presque la soif gargantuesque due à sa fatigue. Quelque chose obstrua sa bouche, et il ne comprit pas pourquoi – Rekor avait-il peur qu’il recrache le précieux liquide ? Ou alors, un traître ? Non, ce n’était pas possible…

Son corps se cabra soudain, et ses yeux il y a quelques instants presque définitivement clos s’écarquillèrent plus grands qu’ils ne le pouvaient. Il avait mal, très mal, beaucoup trop mal. Il revivait la privation de sa main à chaque instant, et cela empirait pour chaque répétition – de la même manière de son saut, mais en bien plus douloureux.
Il mordait la ceinture de toutes ses forces, presque en se découpant la langue au passage, et bougeait ses jambes dans un désordre absolu. Des sons parvenaient à ses oreilles, mais ils se noyaient dans le bruit qu’il émettait lui-même, un croisement difforme entre un râle de mourant et un cri de rage. Il en voulait au monde, aux humains, aux contractants ; à lui. Il était venu affronter quelqu’un de trop fort pour lui, et en subissait les contrecoups : il ne mourrait pas, mais il souffrirait.

« - Garggglgl »

Ce qu’il disait n’avait aucun sens, sa fatigue et la douleur se mixait en un mélange effroyable, une sorte de folie consciente. Ses pensées n’avaient plus d’ordre, il voulait tout simplement que cela s’arrête. Il souhaitait plus que tout que l’on le laisse s’évanouir, qu’on le laisse mourir. Si c’était cela la vie, il n’en voulait plus ; cet élixir miracle était une malédiction.
Son unique main battait l’air pour attraper quelque chose de contendant, en vain. Alors, presque désespéré, il rabattit ses doigts sur sa gorge pour tenter de mettre fin lui-même à son calvaire.

L’air se raréfiait dans ses poumons, et la sensation de froid le reprenait. La douleur baissait, et son corps commençait à se calmer. Mais une main attrapa la sienne, et rouvrit la valve à respiration ; relâchant la souffrance dans tous son corps. Les membres de Rekor – si c’était bien lui – étaient puissants, et John se sentait comme cloué au sol, incapable d’exprimer la rage qui le contrôlait.

Sa raison tenta une percée, arrêtant soudain son corps dans son élan, et cherchant à apaiser son esprit. Il ferma ses yeux, relâcha ce qu’il tenait entre les dents, et desserra les poings.

C’était inutile. Aussitôt cette seconde de tranquillité passée, il laissa à nouveau libre court à son être, le libérant de tout contrôle. Ses membres tentaient d’échapper aux entraves de Rekor, de se balancer dans tous les sens, d’être libres ; la mort du détenteur viendrait plus tard.

Il parvenait encore à bouger sa tête, et commença à la secouer de haut en bas, cherchant à se l’amocher, à se faire mal, du bien, quelque chose, n’importe quoi. Il allait de plus en plus vite, et finit par une égalité.
Oui, la dalle sous son crâne s’était fissurée, et lui s’était soudainement arrêté. Ses membres retombèrent sur le sol, ses yeux tournèrent et sa bouche demeura ouverte. Il avait heurté tellement fort le sol qu’il s’était assommé – et probablement fissuré le crâne. Il n’était pas mort, mais avait réussi à se soustraire à la douleur quelques instants, peut-être assez pour rétabli ; ou non, c’était impossible.

Voilà dans quel état était John après son combat. Perdant, allongé sur le sol, les yeux révulsés et les lèvres béantes ; une main manquante et le corps dans une position qui n’avait rien de naturelle. Un triste spectacle, assez pour faire peut-être perdre à Rekor toute l’estime qu’il avait pour le jeune homme, mais celui-ci n’avait pas eu le choix.