Lieu:

L’eau était chaude, la soirée tranquille. John prenait rarement des bains, mais ce soir il en avait besoin ; il lui fallait évacuer tout ce stress. Il hésitait encore à ce qu’il allait faire, sur le bienfondé de la démarche… Mais, inlassablement, l’évidence s’imposait à lui : il devait le faire. Alors, il ferma les yeux, s’enfonçant un peu plus dans cet agréable liquide, et tenta de se vider un peu la tête. Il pensait à des choses agréables, à des séries amusantes, à de la nourriture – tout, n’importa quoi, mais pas à au crime qu’il allait commettre.
Demain, il allait tuer Aleister Chase.

Quand son refuge finit par devenir trop froid pour être appréciable, il en sortit et se rhabilla, lentement. Cette pièce était une sorte d’havre de paix qui l’éloignait de ses devoirs, qui le protéger… Mais bientôt il allait être obligé de le quitter, ou Cassandra allait le sermonner sur le temps absurde qu’il passait dans ce lieu, sans raison valable.
Lentement, il tourna la poignée, et fit en sorte que le trajet jusqu’à sa chambre soit le plus court possible. Une fois arrivé, il se laissa chuter sur son lit, fermant les yeux pour dormir le plus vite et longtemps qu’il pouvait ; à défaut d’être en mesure d’oublier l’acte monstrueux, il allait faire en sorte d’écourter son temps de pensée.

Une heure, deux heures, davantage. Rien n’y faisait, son corps refusait de se laisser porter dans un sommeil profond. Un petit bruit résonna dans la pièce et le força à rouvrir les paupières, guettant le filet de lumière criminel. Sa main atteignit son portable, et le nom qui s’y afficha le surprit.
Nylian, à cette heure-ci ? Non, plutôt, Nylian, qui prenait de son précieux temps pour l’appeler ? Elle devait avoir de sacrés soucis pour en venir à l’appeler lui, mais il s’en voudrait de ne pas décrocher.

« - Oui ? »

Ses yeux s’ouvrirent presque entièrement quand elle lui demanda des nouvelles de son bras : elle … s’inquiétait de son état ? Ou était-ce de simples formalités ? Quoiqu’il en soit, il se devait de lui répondre ; et de toute manière, elle était déjà rompue aux secrets terribles des chatons déifiés.

« - Comme neuf. Mais… Tu as bu combien de verres pour m’appeler ? »

Ce n’était pas l’accueil le plus charmant qu’il pouvait faire à cette demoiselle, mais ses nerfs encore à vifs pouvaient expliquer cela. Ou son étonnement. Ou un mélange des deux, peut-être.
Quoiqu’il en soit, Nylian n’était pas dans son état habituel – trois phrases, et aucun sarcasme, quelque chose n’allait pas.

L’aveu de Nylian le laissa sans voix. C’était le genre de chose qu’il pensait ne jamais entendre de la part de la jeune femme, même un sous la contrainte de la torture. L’alcool la rendait… Gentille ? Non, il l’avait déjà vue ivre, et elle n’avait pas été tendre pour autant. Alors quelque chose devait l’agiter, la pousser à parler de la sorte ; une mauvaise blague ? Du genre, elle tournait la conversation pour amener John à partager ce genre de phrases, et après elle retournait sa veste, expliquant que c’était assez amusant.
Ou un service à demander … ? Non, elle était cynique, indépendante et socialement compliquée, mais pas vénale. Si elle voulait quelque de lui, elle lui aurait demandé cash, sans détour pour enjoliver la chose.

« - Euh… Merci. Ça me touche, mais ne dis pas que tu es ingrate, c’est faux ; une personne qui dit trop aux gens qu’elle tient à eux ment… Alors, c’est mieux de ne le dire que rarement. »

Que devait-il dire maintenant ? Lui faire à son tour une déclaration de sympathie, ou laisser couler, au risque de la vexer. Décidemment, il n’avait pas le tact inné.

« - Je… T’apprécie aussi. Ouais, je suis pas doué avec les mots, mais sache que ce que tu dis est réciproque. Totalement, et absolument.»

Il marqua une petite pause, afin de réfléchir un peu à ses prochaines phrases, puis reprit.

« - Et de la part d’un socialement inapte, c’est pas rien, crois-moi. »

A cet instant, il avait envie de partir immédiatement chez elle pour voir ce qui lui posait problème, mais il ne pouvait pas. S’il parlait longtemps avec elle, il finirait par lui avouer ce qu’il comptait faire ; et cela détruirait probablement l’image qu’elle avait de lui. Alors, il devait se contenter d’une voix déformée par le combiné pour faire en sorte d’aider son amie.

« - Quelque chose ne va pas Nyl’ ? »

Rajouter davantage de mots serait futile, et déboucherait probablement en un vice de correction.

Etant donné le comportement renfermé de la jeune femme, ses belles paroles ressemblaient presque à un discours. Ou une déclaration, mais c’était très improbable. Il y avait fort à parier qu’elle était dans une mauvaise passe – ou qu’elle en sortait -, et il était évident qu’elle cachait quelque chose.
Sauf que la questionner davantage sur les raisons de son appel finirait bien par l’énerver, voire pire encore… Comme… La rendre plus gentille ? Cette idée provoqua un frisson chez John. On pouvait juger les problèmes de Nylian grâce à son taux de cynisme : s’il était trop élevé, elle allait mal. Et s’il était inexistant, elle allait très mal.

« - Je comprends que tu aies mal réagi, tu sais. Tu semblais avoir rencontré un chat alien peu de temps avant, et ce genre de truc a le chic pour vous retourner l’esprit … Et Alice n’est pas vraiment le genre de femme à être particulièrement agréable les quarante premières heures. Après, ça passe, mais … J’ai eu aussi du mal au début, je t’assure. Pour Russel, c’est jamais agréable d’avoir une arme pointée vers soit. »

La suite était plus délicate, en fait. Il est vrai que Nylian avait lâché John sans vraiment plus de cérémonie après son aveu quant à ses capacités surnaturelles, et cela lui avait fait un choc – assez important pour qu’il oublie les preuves contre son père. Mais hormis quand l’on en vient à ce dernier, le jeune homme n’est pas particulièrement rancunier, et il avait vite tourné la page. Pas celle de son amie, mais il avait enterré sa rancœur profondément, ne conservant que son affection pour elle.

« - Tu n’as pas à t’excuser. C’était un bon choix pour toi, pour t’éloigner de tout ça. Peut-être que si on était resté très proche, des gens auraient pu chercher à te faire du mal pour t’atteindre… Donc un éloignement clair comme celui-ci était le intelligent pour ta sécurité. Et donc, le meilleur pour notre amitié : regarde, on est bien au téléphone ce soir. »

Il essayait de la réconforter, c’était évident ; mais il pensait tout ce qu’il disait.

Bien sûr qu’il était obligé se justifier les écarts de Nylian, car, comme elle disait très bien, elle ne le faisait pas elle-même. Il détestait blâmer les gens sans qu’ils se défendent – hormis les riches trop pourris, évidemment -, surtout si c’était une de ses amis ; alors, il lui trouverait des excuses. Et plus encore, il croirait à ce qu’il dirait.
L’honnêteté avait toujours était importante dans leur relation, et ce n’était pas ce soir qu’elle allait disparaître.

La dernière phrase de la jeune femme glaça John. C’était plus que des remerciements, c’était des adieux. Clairement, elle lui annonçait quelque chose qu’il n’avait pas envie d’entendre, pas envie de croire. Il espérait se tromper, mais il était déjà trop plongé dans la mort qu’il allait devoir provoquer le lendemain pour que ce soit une simple coïncidence.
L’espoir qu’il avait été qu’elle ait simplement décidé de quitter la ville pour un plus vert pâturage – et surtout, moins sombre. Enfin, il va sans dire qu’il ne croyait pas à son hypothèse.

Il avait envie de quitter sur le champ sa chambre et d’aller directement chez elle, mais il ne ferait qu’amener la Mort chez elle. Il fallait qu’elle attende un peu, qu’elle lui offre un léger délai – il serait bientôt là pour elle, pour lui parler de longues heures. Un tout petit peu de patience, c’est tout ce qu’il demandait.

« - Ecoute, demain soir je passe chez toi, on se fait une bouffe et des trucs du genre ? On a jamais vraiment passé de soirées ensembles, alors c’est l’heure de commencer, ha ha. Et c’est non négociable, tu connais mes talents de stalker. »

C’était presque subtilement dit. Presque. Pour les standards de John, c’était exceptionnel en fait. Il avait fini par faire quelques progrès, et elle avait sa place là-dedans.
Merde, il était sentimental.

L’acceptation avait été rapide – et même, il avait été invité par Nylian Hunt, que d’honneur -, mais il n’avait aucune crainte quant à la fiabilité de leur rendez-vous. Elle était cynique, blagueuse et parfois étrange, mais elle était honnête et ne lui poserait pas de lapin. A moins qu’elle prenne sa proposition pour un plan drague foireux, mais elle savait très bien que ce n’était pas le cas.

« - Super ! Je t’envoie un message demain dès que j’ai fini le taf’ pour qu’on voit l’heure, ça te va ? »

C’est-à-dire, une fois qu’il aurait tué Aleister et purgé un peu de la mort de conscience provoquée. En songeant à ce qui l’attendait, une moue horrible se traça sur son visage, mais la jeune femme ne pouvait pas la voir, heureusement.
Ce qui était important, c’était que la personne au bout du fil semblait presque enjouée à l’idée de ce repas. Attendait-elle cela, simplement pour se revoir ? Ou cela revêtait-il un aspect plus sombre, une sorte de dernière belle journée avant une triste fin ? Non, John s’interdisait d’envisager cette hypothèse. Tant qu’il serait là, il ferait tout pour empêcher son amie d’en arriver à de pareils extrêmes.

« - Mais c’est normal, et c’est à moi de te remercier, vu que tu m’invites ! »

Il comptait payer, mais ça il lui dirait en face, une fois qu’il se serait éclipsé soit disant aux cabinets pour régler l’intégralité de l’addition ; s’attirant à coup sûr le courroux de la demoiselle. Mais il n’en avait que faire de ce dernier détail, car il savait qu’il serait plus de situation et de manière que réel : il avait un salaire très agréable et elle beaucoup moins, alors il serait incorrect de la laisser s’appauvrir pour lui.
Et puis, en général, quand quelqu’un réconforte un de ses amis, ce n’est pas aux frais du dernier.

« A demain, Nyl’ ! »

Et elle raccrocha.

John posa son téléphone sur sa table de nuit, puis se dirigea vers la salle de bain pour s’asperger le visage. Il avait envie de se laver un peu de ce qui allait le souiller le lendemain, et il voulait avoir la force d’affronter deux épreuves importantes. Pourquoi ne décalait-il pas l’exécution de quelques jours ? La réponse était simple, il voulait faire face à Nylian demain en assumant ce qu’il avait fait, et non pas en craignant ses actes futurs.
Comment soutenir quelqu’un si l’on était soit même dans un puissant doute, un stress inouï ? De son point de vue, ce serait de l’hypocrisie pure et simple, et il n’en voulait pas dans cette relation.

Il contempla quelques secondes sa mine bouffée par l’angoisse, puis retourna s’effondrer sur son lit, les yeux fermés. Vite, il fallait que le sommeil l’extirpe de ses craintes, de ses peurs. Il pensait à cette jeune femme, en était presque à prier un dieu dans lequel il ne croyait pas pour qu’elle tienne sa parole, il voulait la revoir le lendemain. Certes, elle dinerait avec un assassin, mais ce serait aussi et avant tout un ami.
Il voulait la sortir des malheurs qui paraissaient l’accabler, l’entendre à nouveau être cynique et naturelle. Une Nylian gentille était agréable, mais était tourmentée ; une Nylian sarcastique était une véritable épreuve pour les nerfs, mais demeurait indubitablement plus amusante.

Finalement, après une heure de lutte acharnée en plus, il réussit à s’endormir, à s’évader quelque peu. Etrangement, son rêve était serein et reposant ; le calme avant la tempête comme racontait le cliché.
Désormais, il devait éviter de penser à Nylian jusqu’à ce son forfait soit expié, sinon il serait incapable de le mener correctement à terme. Et la pire chose qu’il pouvait lui offrir, c’était son absence.