Bar "A New Dawn":

  C'était un soir de Week-End. Diarmuid était sorti pour la soirée, profitant de l'argent gagné pendant la semaine aux chantiers. En réalité, on était plus proche de la fin de soirée que de la soirée tout court, et le Celte avait profité du quartier agité par les festivité pour faire un tour de différents bars. Et il se retrouvait maintenant devant celui qui sera le dernier de la nuit, les gens commençant à partir de tous les bars annonçaient l'heure de rentrer se restaurer.

  "A New Dawn". Il trouvait le nom bien trouvé pour terminé son tour du coin et sa nuit. Il avait croisé pas mal de gens et avait profité des ambiances de différents lieux. Ici, devant les clients qui partaient, il allait surement être en tête à tête avec le gérant... Ou la gérante.

  Enchaînant les pas comme il fallait malgré le taux d'alcool ingéré, il s’assit sur l'un des tabourets longeant le comptoir.

"Tavernier ! Je vais vous prendre une bière."

  Il avait vaguement remarqué que la personne derrière le comptoir était bien un homme, et avait utilisé un terme qu'on lui avait reproché à une autre soirée du genre, il y a quelques temps. Mais il n'avait pas vraiment fait attention, et espérait pouvoir se faire servir une dernière fois avant de prendre la route vers l'appartement de Samantha.

De mon point de vue, il est envisageable que la guerre inter factions s’arrête un jour, que le monde soit en paix ; que l’égalité gouverne les échanges ou encore que Bale renfile le costume. Mais que Carmilla soit absente une fin de service… Impossible. Tout simplement, je ne pensais pas jusqu’à maintenant qu’elle manque à un seul de nos rendez-vous, qu’elle décide de faire autre chose – ou que son travail la retienne ? Voilà un des fondements, que dis-je, la charpente même de mon bar qui s’échappe, qui s’effondre !

Alors, la tradition s’évapore une soirée. Je fais partir les derniers ivrognes de ce lieu, et commence à balayer le sol, lascivement. Ce n’est pas que j’apprécie particulièrement de faire ça les autres soirs, mais je sais qu’une discussion intéressante m’attend au tournant pour pimenter l’affaire.

Un bruit me tire de mon ennui naissant. Quelqu’un rentre, malgré la foule sortant ? Carmilla ? Non, la voix grave que je viens d’entendre me retire l’idée de la tête assez rapidement – à moins qu’elle ait subi une opération entre temps.
Finalement c’est un type, l’air déjà bien entamé qui s’est assis au bar pour commander. Est-ce que je le vire, ou est-ce que je tente de voir un peu où pourrait nous mener notre conversation ? Dans le doute, je me dirige d’abord vers l’entrée et tourne l’insigne pour inscrire que la place est close.

J’attrape un verre, le remplit et le fait glisser jusqu’au client supplémentaire, commençant à côté à nettoyer quelques récipients.

« - Vous voilà servi, sieur. Que me vaut votre passage à une heure si tardive ? »

S’il est vraiment ivre, je le sortirai vite fait bien fait ; même si sa carrure apparente devrait me compliquer un peu la tâche.

L'homme au bar le servit rapidement, ce qui permet au Celte de le regarder un peu, pour noter à quoi pouvait ressemble le tenancier de cet endroit. Un grand gars blond, c'est tout ce que ses yeux arrivaient à décrire dans l'état actuel des choses. Il commençait d'ailleurs à nettoyer le résultat de sa soirée de service, en demandant ce qui pouvait bien amener le chevalier ici. Goûtant le début de sa bière, il répondit rapidement.

"Disons que d'où je viens on à l'habitude de faire le tour des tavernes quand on peut, alors ce soir j'en ai profité et je suis arrivé ici pour la dernière halte !"

  C'était assez simple dans sa tête, c'était la seule raison valable d'arriver dans un nouveau lieu aussi tard d'ailleurs pour lui. Il se souvint rapidement de toutes les soirées qu'il avait pu passer avec ses amis de l'époque, et dévisagea son verre quelques secondes, la nostalgie dans les yeux. Avant de reprendre intérêt dans l'instant présent, et de regarder un peu plus précisément l'intérieur du bar.

"C'est vous le gérant ici ? Je pense que c'est le meilleur établissement de cette soirée."

  Il sourit après son compliment plutôt direct. Reprenant contact avec son verre et le descendant plus lentement que d'habitude, il s'était promit en rentrant ici que ce serait le dernier.

A son langage, c’est probablement un étudiant en histoire assez hédoniste sur les bords – personne n’emploie plus le mot taverne de nos jours. Ah, si, moi, mais pour charrier mamie ; sauf que ça ne compte pas. Toujours est-il que s’il n’est pas trop chargé pour ne plus avoir de discussion, cette dernière pourrait être assez intéressante, quoiqu’assez formelle. Enfin, cela avait bien démarré de cette manière avec Carmilla… Plus ou moins.

Vil flatteur qu’il est cet amateur d’antiquités, mais j’imagine qu’il dit ça à chacun de ses tenanciers. Ou alors, la déco a fini par faire des amateurs ; mon collègue aurait donc quelques talents cachés.

« - Plus ou moins, mais plus que moins on va dire. Et merci pour le compliment, c’est toujours agréable d’entendre ça. »

Je n’ai jamais été très doué pour réagir face à des compliments à vrai dire. Qu’importe de toute façon, il est là pour discuter et ça me va tout à fait.

« - Vous m’avez parlé de chez vous, d’où venez-vous exactement ? Une fac d’histoire, ou je suis à la ramasse ? »

Mes talents de détective n’ont jamais été spécialement reconnus par mes pairs, mais il y a un début à tout comme dirait l’autre. Voilà que je mets à parler comme un parent, triste influence de Carmilla qui me tient là.

Gérant donc, c'est ce que conclue le Celte en tout cas devant la phrase pleine de sous-entendu indescriptible avec cette charge d'alcool, ceci dit le compliment avait l'air d'être accepté malgré cela, alors tant mieux.

  Mais le parlé du brun semblait avoir attisé la curiosité du blond, qui s'empresse de demander d'où peut bien venir celui qui vient de rentrer en dernier dans le bâtiment. D'un autre côté, quand quelqu'un vous dit "d'où je viens", ça a tendance à attirer des questions sur ce "où". Alors, non sans mal, et sans avoir oublié la partie "Fac d"histoire" incompréhensible, il répondit.

"Irlande ! Et oui je viens de l'histoire."

  Oui la phrase venant de quelqu'un de sobre aurait pu être étrange, venir de l'histoire, c'est pas commun. Venant de quelqu'un qui avait passé sa soirée sur les comptoir, ça paraissait être une tournure presque bien faite. En tout cas c'est ce qu'aurait espéré le chevalier pour ne pas grillé son choix de rester incognito, et surtout de ne pas dévoiler au moindre humain qu'il se passait des choses contre-nature dans ce Monde.

"Une époque en particulier d'ailleurs. Vous vous y connaissez en mythologie Celtique ?"

  C'était peu commun comme culture, mais il avait bien rencontré cette gamine, qui connaissait sa propre légende, et qui savait même parler quelques mots dans sa langue de l'époque, alors pourquoi pas un gérant de taverne ?

Bingo ! Un point pour le barman, la déduction était juste ; quoique la formulation assez étrange. Un type tellement enivré par sa passion pour … et la boisson, pardon, pour se prendre pour une figure même de l’histoire ? Ça ne me semble pas si incohérent, en fait. Pas plus tard que la semaine dernière j’ai eu la Statue de la Liberté, et il y a un mois c’était Abraham Lincoln – pas les vrais, certes, mais ils étaient persuadés du contraire -, alors plus grand-chose ne m’étonne. J’ai moi-même eu quelques idées de ce genre lors de mon voyage…

Bref, revenons à sa question. La mythologie Celtique ? Je dois avouer n’y connaître absolument rien, à vrai dire.

« - Vraiment pas, désolé. »

Dit comme ça, il n’y a plus de discussions possibles. Peut-être devrais-je profiter de la venue de cet étudiant pour agrandir ma culture ? Même si cela s’avère être des élucubrations quand j’y ferai référence tôt ou tard, ça reste une perspective intéressante.

« - Mais pallier à ce manque me plairait bien, tiens. Pourriez-vous m’en parler un peu, afin d’atténuer mon hérésie ? »

De l’histoire contre de la bière, l’échange me semble tout à fait correct, non ? D’ailleurs, il doit bien me rester une bouteille de whisky ouverte ce soir et pas loin d’être terminée … Je pourrais lui offrir un verre s’il me conte bien cette mythologie.

Le brun fut déçu d'apprendre que sa propre mythologie était totalement inconnue de l'homme devant lui. Ceci dit, il semblait curieux d'en apprendre un peu, la chance allait lui permettre de profiter un peu plus de ce dernier bar alors. L'hérésie comme il le disait si bien, était facilement oubliable, maintenant que le chevalier était habitué au fait que son Monde était une relique du passé.

"Il sera difficile de parler de tout en une soirée, mais je pourrais conter quelques légendes oui."

  Laquelle en revanche ? Il pouvait bien entendu parler de sa propre légende, ou de celle de Finn, son chef qui a tant fait à son époque. Mais elles étaient assez personnelles et il aurait du mal à cacher son partie prit. Peut-être quelque chose qui était déjà une légende à son époque ? La légende de Cúchulainn en était surement la plus connue. Il était presque considéré comme un Dieu, et son arme était tout aussi appréciée des amateurs de récits.

"Avez-vous déjà entendu parler de Cúchulainn ? Un grand héros des premiers âges d'Irlande."

  Au moins il saurait par où commencer le récit exactement. Si le nom était totalement inconnu, autant commencer du début, voir même expliquer leur panthéon des Dieux. Puis plonger sur ce grand guerrier, modèle de nombreux autres qui l'ont suivi.

C’est amusant, dès que l’on commence à parler de cette mythologie il semble reprendre de la contenance. Un passionné ? Toujours est-il qu’il marque un point : aborder toute cette Histoire en une soirée me semble bien compliqué, à moins qu’on considère qu’une en équivaut une quarantaine – ce qui, je crois, est faux.

Aussitôt le nom du premier héros évoqué, je me contente d’hocher la tête, l’air faussement convaincu. Pitié qu’il ne me demande pas de répéter la dénomination de ce brave gaillard, car je risque de ne pas être en mesure de le répéter ; enfin, je sais qu’il commence par un ‘C’. C’est pas mal déjà, non ?

« - J’aimerais, mais malheureusement je dois avouer mon manque de culture sur ce point. Je vous écoute alors, volontiers ! »

Mes dernières paroles se sont trouvées accompagnées d’un sourire amical et d’une pinte glissée jusqu’à lui, sous entendant clairement qu’elle lui était offerte. Il m’a l’air assez bien bâti pour tenir un verre de plus, alors je n’ai pas trop de remord à le faire davantage boire ; et le faire parler en restant de marbre serait irrespectueux.

Si on m’avait dit que ce boulot me permettrait de découvrir le passé Celtique, j’aurais ri – mais cette offre d’emploi s’avère être réellement une véritable pépite de surprises. Reste à voir ce que le futur de celui-ci me promet ; mais avant, il faut que je dirige toute mon attention vers les prochaines paroles de mon clients d’heures sup’ de ce soir.

Bel et bien un curieux donc. Même si il n'a jamais pu discuter de ce sujet apparemment, car Cúchulainn était le plus connu de tous les mythes Celtes. En tout cas à l'époque de Diarmuid, peut-être d'autres avaient été plus grand encore plus tard ? Cela semblait peu probable aux yeux du chevalier, mais pourquoi pas, les légendes naissent et meurent si rapidement. Alors par où commencer sur sa légende géante...

"C'est la plus grande légende de son temps. Il était connu comme un redoutable guerrier."

  Commencer par le commencement était surement le plus logique, et même avec les nombreuses bières ingurgités dans la soirée, celle que lui offrait désormais le barman l'intéressait tout autant que la première de la nuit. Se désaltérant avec quelques gorgés, il reposa ensuite la pinte, reprenant sur le nom du héros.

"Il est le fils du Dieu Lug, Dieu de la création et de Eithne, la mère des Dieux. Dans le monde humain il est le fils du roi Conchobar et de sa sœur Deichtire, lors d'une rencontre dans l'autre Monde."

  Il avait aussi été adopté après sa naissance, puis avait eu droit à un père nourricier, mais les noms de ceux-ci ne revenaient pas dans la tête du Celte, et ne seraient surement pas retenus par le blond, en admettant qu'il retienne déjà ceux-là. Il but une nouvelle fois, laissant la douce bière atteindre son estomac avant de reposer à nouveau la pinte. Pensif sur l'ordre qu'il devait utiliser pour la vraie partie de la légende.

Un homme fils de dieux, et fils d’humains à la fois ? C’est intéressant comme principe. Offrir une double parenté à des figures de la mythologie celtique permet donc qu’ils existent réellement, leur naissance divine étant probablement décidée après qu’ils aient effectué quelques actes glorieux. Enfin, j’imagine, sinon ça ne rimerait à rien d’avoir un paysan qui cultive des patates toute sa vie lié à un panthéon céleste.
Quoique ça rimerait à une sorte d’équité divine entre tous, un concept qui serait bien amusant.

Toujours est-il que ce ne sont que quelques remarques qui me traversent l’esprit alors que l’étudiant commence à me raconter sa passion, et il est vrai que cela me semble rudement intriguant et intéressant.

« - Lug et Eithne sont au sommet du Panthéon, c’est bien cela ? D’ailleurs, est-ce le bon terme ? »

Je préfère m’assurer bien comprendre l’ampleur de ce mythique guerrier avant d’aller plus loin ; car un raccourci peut très vite arriver et totalement erroner ma compréhension de toute cette affaire.
Le laissant reprendre la parole, je cherche de la main la fameuse bouteille de whisky et la lève d’un étage, encore cachée du regard de mon camarade de discussion. Gardons la surprise pour un peu plus tard, ce serait dommage de trop l’enivrer alors qu’il n’est qu’au commencement de ce qu’il a à me raconter.

Le blond hésitait quand à l'appellation des Dieux dans leur intégralité, et le Celte ne pouvait l'en blâmer. Après tout il avait finit par apprendre qu'ici, il n'existait qu'un Dieu unique, sans nom. Il prit donc le temps de récupérer là-dessus.

"Ils les appelaient simplement les Dieux, mais de nos jours parler de Panthéon me parait juste. Lug est en effet le Dieu suprême, il est à la tête de tous. Eithne, bien que la mère des Dieux, n'a pas une aussi grande place."

  Elle était la Déesse de la féminité, en soit elle servait aux naissance et aux sages-femmes, mais peu la priait souvent. Elle restait néanmoins une déesse Celtique, fêtée comme toutes les autres. Ceci dit, le fait que Cúchulainn ait été enfanté par le sommet du panthéon, et la mère des Dieux, laissait sous-entendre une grande destinée.

"Pour notre guerrier, il s’appelait avant Setanta. Mais il fut renommer Cúchulainn à ses cinq ans, car il a tué le molosse du forgeron Culann. Cúchulainn signifie en fait "Chien de Culann". Tuer un chien parait peu glorieux, mais il était décrit comme un véritable molosse, une véritable masse."

  En soit cette partie sonnait le début de l’épopée, bien que parfois détourné comme un affrontement avec un grand danger, il avait tué un monstre à seulement cinq ans. Ceci dit, c'était la suite qui était plus légendaire. Ce qui a fait de lui un surhomme, son arme, et son exploit à la guerre.

Je ris doucement en écoutant son explication du couple suprême – alors, celle qui est à l’origine de tout le reste du Panthéon, n’a pas une place si importante ? C’est réducteur de ne considérer son rôle que d’une manière si peu importante, mais ce n’est pas moi qui vais pouvoir changer cela… Surtout quand c’est une mythologie à laquelle plus personne ne croit depuis plus d’un millénaire.

Il est vrai que certains chiens peuvent être assez impressionnants ; mais peu sont réellement dangereux si l’on se tient bien et que nous n’en faisons pas des machines de guerre. Qu’une épopée débute par le meurtre d’un tel molosse à un âge si bas est tout de même remarquable, car du haut de mes vingt-et-un ans je doute bien de ma capacité à vaincre un tel adversaire avec des armes de l’époque. Toujours est-il que je me demande bien pour quel grief il l’a affronté – et un autre détail attire mon attention, son histoire de mondes.

« - Tu m’as parlé du monde humain, et de l’autre monde. Cet affrontement, dans lequel aurait-il eu lieu ? Et aussi, pour que ce combat soit reconnu comme héroïque, Culann était-il pourchassé par les hommes ? »

Je continue de poser des questions pointilleuses, mais ma curiosité initiale pointe désormais vers un intérêt réel. Décidemment, cet étudiant historien méritera bien son whisky tout à l’heure, car il a réussi à élever cette conversation plus haut que le niveau d’un simple blabla pour passer le temps. Comme quoi, accepter un type déjà ivre à l’heure de fermeture peut ne pas être une si mauvaise idée.

Le blond se met à rigoler lors des quelques précisions sur les Dieux majeurs. Honnêtement, le Celte était trop alcoolisé pour comprendre ce qui l'avait fait rire exactement dans l'explication, alors il sourit également et n'en pris pas du tout ombrage. La différence de culture est là, alors difficile de voir ce qui pouvait faire rire.

  Ses questions en revanche font beaucoup rire le brun, qui se rend compte qu'expliquer quelque chose dont l'interlocuteur ne connait rien était décidément plus compliqué que prévu. Notamment avec quelques grammes d'alcool. Il envisagea néanmoins de répondre à ses interrogations.

"Bien que né des Dieux, il reste un humain, alors toutes ses épopées se déroulent dans notre Monde. Nous avons peu de détail cela dit sur le pourquoi de l'affrontement, le chien aurait agressé Setanta, mais pour rembourser la perte de la bête, il s'était engagé en tant qu'apprenti tant qu'un nouveau chien n'était pas dressé."

  Apprenti bénévole bien sur, sinon ce ne serait pas vraiment le remboursement d'une dette puisqu'un apprenti pouvait coûter aussi cher qu'il rapporte parfois. La suite était une légende comme celle de Diarmuid, il y avait l'apparition de magie, et notamment d'un pacte, ou contrat.

"En grandissant il devient un excellent combattant, il était élevé dans la noblesse malgré ses obligations d'apprenti forgeron. Mais un jour après un combat, les Dieux lui proposent un choix, une longue vie, ou la renom."

  Une nouvelle grande gorgée vient arrêter le récit, laissant un regard interrogateur passer au dessus de la chope. La réponse était assez simple, sinon il n'y aurait pas de légende, mais peut-être que d'autres questions allaient s'y glisser.

Remplacer un chien par un apprenti était quelque chose de peu usuel. En fait, je ne saurais dire si c’est flatteur pour l’animal, rabaissant pour l’homme – ou au contraire, prônant une égalité entre les êtres vivants bien en avance sur son temps. Je vais miser sur le fait qu’un élève peut faire le travail d’un canidé tout en étant productif, bien que plus onéreux.

Ce serait presque un mythe typiquement self made man américain si le type en question était parti de forgeron pour ensuite devenir noble ; mais ce n’était pas tout à fait son histoire. Quant au fameux choix que cet étudiant me laisse en suspense, il n’est pas très compliqué. Ou alors, le système d’épopée héroïque des celtes est assez tordu. Oui, encensons celui qui a vécu une vie tranquille et prospère, qui n’a jamais levé la main sur un quelconque être vivant – excepté une fois à la forge ! Vu de cette manière, on dirait presque de la propagande pour les socialistes, tiens. Pas que ce soit un mal en soit, mais c’est quand même bien moins épique qu’un bon vieux mythe grec.

Finalement, je craque et sers deux verres du whisky que j’entrepose depuis quelques minutes devant moi. Puis, avec un petit regard complice je m’adresse au passionné.

« - Evidemment, c’est une mise en contexte ; et officiellement, je ne vous ai pas offert ce verre, bien entendu. »

Entamant un peu le dessus de ce beau breuvage, je reprends.

« - Sinon, je dirais avec tout ma clairvoyance et réflexion que c’est… Voyons voir… Le renom ! Et donc, c’est à ce moment que sa véritable épopée commence, avec des affrontements divins à foison ? »

Je dis ça, mais je n’en sais rien. Il y a bien des façons de devenir un héros dans l’Histoire, et celle de faire tomber les dieux n’en est qu’une parmi tant d’autres.

Avant de fournir une réponse aux deux propositions du Celte, le blond lui envoie un verre de whisky, en prenant un pour lui également. Visiblement censé rester dans le secret, le brun posa un doigt sur ses lèvres, motus et bouche cousue comme disait les gens de cette époque. Et finalement, il devine sans problème le choix du héros, une renommé dépassant la majorité.

"En effet, sa légende commence grandement à partir d'ici. Mais la plupart des pactes divins, ou de la sorcellerie de l'époque marchait avec des contreparties."

  La propre légende de Diarmuid comportait l'un de ses sorts. Bien sur il n'a jamais existé, en tout cas pas qu'il sache, mais dans la version romancée, c'était sa bien aimée qui le forçait à s'enfuir avec elle contre sa volonté.

  Celui de Cúchulainn était bien plus spécial.

"Nous appelons ça un "Geis", une obligation. Le sien est de ne jamais passer devant un foyer sans en goûter la nourriture, accompagné d'une interdiction de manger du chien. Et la prophétie s'accompagne ensuite de ce qui lui est annoncé comme son dernier jour. Les Dieux lui ont annoncé que comme son premier exploit, son dernier serait le meurtre d'un chien."

  C'était une prophétie en plus du Geis, mais ceux qui connaissent la légende, connaissent aussi la fin du héros, avec une vie courte, comme lui était proposé le pacte. C'est à cet époque là qu'il fut entraîné et instruit par de nombreuses personnes.

"Il apprit ensuite le combat auprès de deux guerrières. Aifa et Skatha. Et auprès d'elle il développa une furie sanguinaire, lorsqu'il combattait il ne faisait plus attention à qui était son allié et qui son ennemi."

  Certaines histoires racontaient qu'il avait tué son premier fils, obtenu de Skatha, à cause de cette même furie. Mais c'était un ajout à sa légende, rien ne prouve qu'un tel fils ait existé, ni qu'il ait été tué de la sorte.

  Après avoir présenté toute cette partie, le Celte goûta enfin son fameux whisky. Une légère gorgé pour ne pas aller trop vite, c'était une excellente bouteille que le barman avait sortie en tout cas. Raconter de vieilles histoires était un bon moyen de s'attirer des sympathies, même à cette époque. Et des histoires, le chevalier en avait à déballer.

Un pacte divin avec des contreparties ? Comme c’est étrange, j’ai comme une impression de déjà-vu … Ce serait bien amusant que nos amis Kyu et Bey aient un rôle réel dans les différentes mythologies à travers les âges – eh bien, ils n’ont pas de date d’apparition dûment posée, donc on peut se laisser aller à quelques frasques d’imagination. Enfin, les contrats celtes, les Geis, semblent être nettement moins bénéfiques que les nôtres : alors que nous obtenons la réalisation d’un vœu, eux sont confrontés à l’obligation de suivre un ordre bien précis ; bien que dans le cas Cùchulainn elle soit assez amusante, compte tenu du fait qu’il soit un héros légendaire.

« - Et donc, sa légende se terminerait comme elle a commencé… C’est assez philosophique tout ça, en fait. Enfin, j’imagine que ce n’est pas vraiment le moment de s’éparpiller là-dessus. »

Non, même en pensées, il y a un instant pour tout – et je crains que toutes les bouteilles qu’il a prises, additionnées aux verres que nous allons partager, ne troublent un peu le sens d’un quelconque débat intelligent.

« - Une furie de ce genre ne posait pas des soucis auprès de son peuple ? Je veux dire, n’a-t-il jamais été rejeté pour son manque de… euh… Clairvoyance ? Ou sa puissance contrebalançait correctement ? »

Finalement, si cet homme était incapable de différencier alliés d’ennemis sur le champ de bataille, les pertes devaient être considérables dans les deux camps – d’un autre côté, cela explique la fameuse prophétie quant à la relative courte durée de son épopée. Peut-être qu’à force d’affronter tout le monde, tout le monde l’a affronté ?
Je pose vraiment trop de questions.

Philosophique ? On peut voir ça comme ça. Pour le chevalier ce n'était que la volonté des Dieux, et rien de plus. Certaines autres apparitions ne se soldaient pas du tout par une fin qui s'apparente au commencement. Néanmoins c'était le cas pour Cúchulainn.

  Pour ce qui est de la furie, oui il y a eu des problèmes, mais sa puissance les forçait à le garder dans les rangs. Ou la peur qu'ils en avaient. Aussi Celte soit-il, Cúchulainn effrayait de par sa force, certains pensaient que si il avait voulu le trône, 24h lui aurait suffit pour tuer ceux qui s'y opposaient, et convaincre le reste de ne pas le forcer à tuer les autres.

"Sa force les en dissuadaient. Peur, admiration, nécessité, c'était un atout dans n'importe quelle bataille. On le lâchait avec le minimum d'alliés, et il faisait un massacre dans les rangs ennemis. Un autre de ses surnoms était le chien fou, pour cette raison, et en gardant l'origine de son second nom."

  Le chien fou... Pas réellement un nom gentil, et ce n'était pas le but. Il décrivait sa partie sombre (ila 1 pasé sombr lel), et surtout sa plus dangereuse. Mais c'est ce qui a permis sa plus grande légende. Ou son plus gros exploit. Ça et son arme.

"Entre temps, pendant un voyage en Ecosse, une magicienne lui confit une arme légendaire. La Gae Bolga. Le javelot-Foudre. Elle aurait été forgée avec les os d'un monstre marin. La légende dit qu'il devait la ré-invoquer au combat, faisant tomber la foudre dans sa main, qui matérialisait l'arme."

  Mais la malédiction de l'arme est bel et bien présente. Et connaissant déjà la base de fureur de Cúchulainn, ce n'était pas une bonne chose dans la tête de certains.

"Il paraîtrait que lorsqu'il combattait au front avec cette arme, le champ de bataille était constamment recouvert d'un épais orage, et que les éclairs décimaient autant d'ennemis que d'alliés. Mais ce n'est pas sa malédiction. Sa malédiction est que pour la révoquer, et couper la folie guerrière dont était pris son possesseur, elle devait être trempé dans trois bains de sang."

  Différent, c'était sous-entendu. La plupart des grand artefacts Celtes avaient des contre-parties telles que celles là. Même les armes de Diarmuid avaient leur propre histoire dans sa légende.

  Il continua le whisky, doucement, avec plaisir. Il arrivait à la partie la plus intéressant du mythe. L'arme étant déjà une partie que le brun appréciait particulièrement. Il aimait les armes de ce genre, il aimait rêver à en posséder de telles, mais chacun de ces artefacts disparaissait étrangement avec son possesseur, étrange chose que les légendes.

Un homme capable d’exploits au combat, de folie sanguinaires inexplicables, de pouvoirs sensiblement surnaturelles, et pour couronner le tout d’une arme invocable, ça me dit vaguement quelque chose. Très légèrement bien sûr, sans aucun rapport avec de quelconques félins divins en mesure de quelques prouesses défiants les lois de la physique – mais ce genre de remarque n’est malheureusement pas possible à partager avec mon interlocuteur de cette nuit, le doute sur son humanité oblige.

Si mes hypothèses sont vraies, je me demande bien si les légendes ont exagéré sa force ou si un tel contractant existait par le passé ; ce qui est finalement envisageable. Kyu et Bey ont probablement dû faire des essais avant de poser les bases des pactes actuels, une sorte de petit équilibrage. Tout bien réfléchi, les contrats sont des espèces de Geis 2.0, non ?

« - Très intéressant comme guerrier, quelles capacités ! C’est une période conquérante qu’a dû connaitre son peuple lors de son épopée, non ? »

Avec un tel individu au front, les guerres ne pouvaient n’être que remportées ; alors les Celtes purent probablement  augmenter de manière sensible leurs frontières. Dans le cas contraire, éviter que l’inverse se produise ? Même si j’ai de l’imagination, j’avoue ne pas être un grand maître stratège antique, et encore moins expert dans la gestion des types aussi puissants que des dieux.
Définitivement, je ne préfère pas penser à ce qu’il pouvait advenir si jamais tous les ennemis étaient occis avant que les trois bains de sang soient prêts – et j’espère que ce n’était pas essentiellement étiquetée ‘vierges’ la provenance, car cela serait bien trop cliché.

Oui, intéressant c'était ce qu'en pensait le Celte, et surtout puissant. Un modèle en quelque sorte, surtout quand on sait qu'à la fin il était considéré comme un Dieu par certains. Et ce n'était pas seulement dû à son arme, contrairement à certaines autres légendes.

  Pour ce qui est la période conquérante, ce n'était pas vraiment le cas. C'était plutôt une grande période de rivalité entre les différentes nations Celtes, et donc un période durant laquelle Cúchulainn avait surtout repousser des envahisseur, que lui-même envahi les autres. On en venait d'ailleurs à sa plus grande bataille.

"il s'est surtout concentré sur la défense de son royaume à vrai dire. Et c'est ce qui l'a mené à la Razzia de Cooley. La reine Medb voulait voler le bétail, et notamment le plus gros taureau, du clan auquel appartenait Cúchulainn. Mais un puissant sortilège rendait les guerriers de son clan extrêmement faible pendant 5 jours par ans. Et c'est à ce moment que Medb avait décidé de lancer l'attaque."

  Quel manque d'honneur. Les Celtes n'ont jamais été sexistes, au contraire les femmes se battaient autant que les hommes, et elles étaient respectées comme des égales, mais pour ce qui était de Medb, elle représentait ce que les Hommes détestait. Perfidie, honte, malhonnêteté, trahison. Mais elle avait eu ce qu'elle méritait pendant cette bataille.

"Cúchulainn était le seul à résister au sort grâce à ses attributs semi-divin. Il se plaça donc en haut d'une colline, et repoussa à lui seul l'armée de Medb, laissant sa rage atteindre son paroxysme, pas d'alliés à épargner près de lui. Pendant ce combat les bardes racontaient que sa rage et son arme avaient fusionner avec son sang divin, le faisant changer de forme, devenir un avatar du combat. Ses cheveux se seraient mis en pics, laissant des gouttes de sang perler à leur sommet, tandis que de la foudre sortait de sa bouche lorsqu'il hurlait."

  C'était tout simplement le plus grand combat de Cúchulainn, et l'un des plus grand, si ce n'est LE plus grand, de l'histoire Celte. Et sa morale arrivait après.

"Après un jour de combat, Medb décide d'envoyer Ferdia, le frère d'arme de Cúchulainn l'affronté en combat singulier. Il s'étaient entraîné toutes leur vie ensemble, mais ils avaient prêté allégeance à deux clans différents. Leur combat dura trois jours, mais Ferdia finit par être fatalement blessé, avant d'être emporté par Cúchulainn Pour être enterré. Ce qui sonne la fin de cette bataille."

  En réalité avant de mourir Ferdia avait embrassé Cúchulainn, puisque le libertarianisme et l'homosexualité n'était pas un problème. Et les liens de frères d'armes étaient forts, alors devant l'obligation de se combattre de par leurs allégeances opposés avait créé cette petite aparté. Mais elle n'était pas réellement importante pour la plupart des gens de cette époque, alors il l'avait ellipsé.

La moue hochant et qui dévoilait mon ressenti sur l’histoire de ce Celte – un peu trop visiblement d’ailleurs, peut-être la faute à ce verre un peu trop vite bu. En plus d’être assez puissant pour décimer des armées entières en comité réduit, il pouvait désormais le faire seul ; et en se transformant en une espèce de croisement entre Zeus et un Super Sayan. Il n’y a pas à dire, cet homme respire la puissance à l’état pure.
Et l’honneur aussi, car il est capable de pardonner à son ami qui l’avait finalement trahi, quoique je ne connaisse pas les mœurs de l’époque.

Pour autant, Ferdia semble aussi être un guerrier redoutable pour avoir retenu aussi longtemps Son Zeuku, sa mort en est presque vraiment dommage, sa victoire aurait pu être préférable – quoi de mieux de finir une épopée que part une défaite face aux prémices d’une encore plus grande ? Enfin, le rôle est déjà réservé à un fier canidé, qui me semble donc tout à fait à la hauteur de la tâche. Ou pas.

« - Ça part à peine dans l’excès, mais ça corrobore tout à fait avec l’idée de semi-divin que tu me communiquais au début… Ferdia était de cette trempe lui aussi, ou Cùchulainn s’est retenu à cause de leur lien ? »

Au diable le vouvoiement, le whisky rapproche assez pour que l’on soit davantage familier ; surtout qu’avec le nombre de verres qu’il a ingérés, il ne m’en tiendra pas rigueur… Tant est qu’il se souvienne de tout cela déjà. Sa faculté à conserver une fluidité et une logique dans ses contes est d’ailleurs assez exceptionnelle, comme si la passion surpassait l’alcool. Une idée qui me plaît, en fait.
En passant, je me demande bien dans quel sang s’est baigné le héros Celte pour calmer sa furie.

L'excès ? Mais c'était exactement ça les mythes Celtes ! Mais c'est dans ces histoires de grandes puissances qu'on apprend parfois les plus grandes leçons de modestie. Et puis en effet. C'était un Dieu. De part sa naissance, et après son mythe il fut relayé au grade de quazi-Dieu, siégeant à la même table que ces derniers une fois le Sidh traversé.

"Ferdia était de la même trempe. Ils se sont entrainés une longue partie de leur vie ensemble. Certains pensent que la seule chose qui à fait pencher la balance était l'arme de Cùchulainn. Mais ce qui intéresse le plus les gens dans ce combat, c'est le conflit entre les liens du coeurs, et les serments d'allégeance à son seigneur."

  Et dans la majorité des cas c'est bien le seigneur qui l'emporte, au détriment d'un frère, un ami, voir un frère d'arme. Il y avait bien suffisament de clans en Irlande pour que ce genre de situation soit "commune". Il suffisait d'un combat entre clan, et on était presque sur d'avoir un proche en face.

  Pour ce qui est de la conversation actuelle, une petite gorgée de plus du whisky, et le tutoiement est parfaitement adopté. D'ailleurs le chevalier se demanderait même si ils s'étaient vouvoyés au début, si il était en état de se demander quelque chose. De toute façon le récit touchait à sa fin.

"C'était donc la fin de la bataille. Chacun rentrait chez soi, certains plus meurtris que d'autres. La paix dura quelques années, mais Medb décida finalement qu'il était temps de se venger de ce guerrier qui lui avait tenu tête seul, contre toute attente, et l'humiliant, elle et son armée, aux yeux de nombreux clans. Et certaines sorcières connaissaient son pacte avec les Dieux.
  Elle engagea donc trois sorcières, et déplacea ses armées pour une ultime bataille. Mais la veille du combat les sorcières se métamorphosèrent en simple villageoise et font ensuite rôtir un chien dans leur foyer. Malgré son interdiction de manger un jour cette bête, Cùchulainn était tout de même obligé de s'arrêter pour gouter ce qui s'y faisait.
  Il gouta donc un simple morceau, mais ses pouvoirs commencèrent déjà à diminuer, si bien que la bataille du lendemain, le Grand Carnage, en rapport aux restes des forces de Medb qui se font décimer, Cùchulainn arrive tout de même à être mortellement blessé. Il se traine à la fin de la bataille jusqu'à une rivière, pour nettoyer sa blessure, et voit au bord de l'eau teinté de son sang un petit chien d'eau, qui meurt rapidement après avoir gouté à son sang. Et le guerrier s'éteint finalement, allongé au bord de la rive."

  Une fin bien plus calme que le reste de son mythe. Certains disent que ce calme lui avait permis de communiquer une dernière fois avec les Dieux en tant qu'humain, et une première fois en tant que Dieux dans la tête des humains à qui il voulait laisser un dernier message. Notamment ceux qui souhaitait croire qu'il était épris de Skatha.

  Diarmuid finit son verre en finissant son récit. Envoyant une pensée sourde à son ancêtre, qu'il avait respecter dans sa première vie, et qu'il respectait encore maintenant.

Il est évident qu’avec une arme pareille, la balance penche en la faveur de son possesseur – mais c’est étonnant que Cùchulainn ait connu de son vivant un adversaire à hauteur, et j’imagine qu’il ne pouvait être autre que son camarade et ennemi. Si jamais ils avaient combattu ensembles, comme un seul homme, je ne doute pas que cette période aurait été davantage faste, ne se limitant plus uniquement à la défense. Enfin, pour faire qu’une légende naisse, il lui faut de véritables adversaires ; sinon, l’histoire ne retiendra jamais son nom.

La bouche ouverte, je me retiens de rire ou de sourire en entendant le récit de la mort du héros Celte. Logiquement, la prophétie avait vu juste, mais j’imaginais une fin plus… Sanglante. Avec un chien d’engeance divine peut-être, ou lié à un être d’une puissance démesurée, mais rien. Le Geis de Cùchulainn, et sa contrainte, ont eu raison de lui – et statistiquement, que Medb force le destin ou non, cela devait finir par arriver : tôt ou tard, le guerrier allait bien finir par tomber sur une demeure qui était en pleine dégustation d’un chien. Bien que je ne connaisse pas vraiment les mœurs canines de l’époque, cela reste un remède contre la faim.

A vrai dire, le côté épique demeure quand même. Après tout, Cùchulainn résiste à cette malédiction et livre une ultime bataille, qui lui vaut son ticket pour l’autre monde. Une mort guerrière, tout à son honneur j’imagine.

« - Eh bien, c’est plus … Calme, comme mort. Mais, même avec cette fin moins héroïque, c’est une belle épopée ! Elle n’a rien à envier aux grecques, les Celtes savaient comment rendre leurs guerriers divins à travers l’Histoire. Mais je le dis, merci beaucoup de m'avoir raconté tout ça, c'était très intéressant. »

Nul doute que la vérité est différente, mais un peu de magique ne m’étonnerait pas. Désormais, je suis un peu rodé à tout ce qui échappe aux lois de la physique, alors je suis prêt à faire une exception pour cela aussi.

J’approche ma bouteille presque vide du verre de l’étudiant, puis m’arrête.

« - Un dernier verre ? »

Non pas que je veuille le mettre à la porte, mais je sens que s’il boit davantage il va finir par faire un coma sur ma chaise. Et bon, déplacer un type aussi musculeux que les héros dont il parle ne me semble pas être la tâche la plus aisée qui soit.

Calme, oui c'est une bonne façon de le décrire aussi pensait le Celte. Une fin qui l'emmenait tranquillement jusqu'au royaume des Dieux, où il pourrait reprendre en quelque sorte sa place.

  En tout cas le blond semblait avoir apprécié le récit, et c'était un plaisir pour Diarmuid d'avoir pu initier quelqu'un aux récits de son peuple et de son passé. Pour ce qui est des Grecs le chevalier ne savait trop qu'en penser, il n'en avait jamais entendu parler, mais avec l'étendu du Monde qu'il venait de découvrir, c'était plutôt logique.

"Merci à vous pour l'oreille tendue et la discussion surtout, et puis pour le verre."

  Il sourait à l'idée qu'on lui ait offert ce verre simplement pour raconter une histoire que tout le monde connaissait déjà à l'époque de sa première vie. Il comprenait un peu mieux pourquoi le vieil historien avait voulu le ramener à la vie. Si ces légendes avaient été autant perdues avec le temps, il semblait plus facile de ramener ceux qui les ont vécus ou conter de leurs temps pour les entendre de leurs bouches.

  Mais devant la proposition d'un ultime verre, Diarmuid comprit que c'était plutôt le moment de rentrer. Il était déjà tard lorsqu'il était rentré dans ce bar, et raconter cette légende lui avait fait perdre la notion du temps.

"Non merci, je pense plutôt qu'il est temps de rentrer, même si le chemin va s'avérer un peu plus ardu que prévu."

  Il se levait du tabouret du comptoir. Testant légèrement son équilibre et découvrant que ses jambes avaient tendances à avancer avec difficulté. Mais il pouvait tout de même marcher, c'était une bonne nouvelle. Il releva donc les yeux vers le barman.

"Bonne nuit en tout cas, et encore merci pour le verre."

  Se retournant, il commença donc le chemin vers la sortie, titubant légèrement, et apportant un maximum d'attention à ses jambes hésitantes. Le chemin allait être long jusqu'à l'appartement.

Je souris, amusé. Il me remercie de l’avoir écouter ? Allons, ce n’est pas ainsi que les choses sont, il vient de me raconter un mythe très intéressant, et je ne tire aucun crédit de tout cela ; c’est à lui seul que revient la gratitude. Pour les verres, c’est différent, mais il a entièrement remboursé son ardoise on dira.

« - Merci à toi surtout, c’était vraiment très instructif. »

Face à son refus du dernier verre et son départ induit, je range tranquillement ma bouteille et ramène les verres, tandis que je le vois s’éloigner vers la porte.

« - Bonne nuit à toi aussi, merci. Je peux te raccompagner si tu veux. »

A son regard sympathique mais ferme, je comprends bien rapidement qu’il préfère se débrouiller seul. Bien, avec sa carrure je serais étonné de voir que quelqu’un lui a cherché des ennuis pendant la nuit ; et surtout, je pense qu’il est encore en mesure de répliquer.

La porte finalement fermée, je me dirige vers elle pour passer un petit tour de clé, puis retourne vaquer à mes différentes tâches ménagères d’après service.
Une soirée véritablement enrichissante, j’insiste.