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J’avais pensé que ce serait une bonne idée. Lui faire se changer les idées. Sortir de l’appartement tous les deux. Aller boire un verre, puis ensuite l’emmener dans son restaurant préféré. Au début, ça avait plutôt bien démarré, bras dessous, bras dessus, coquette, la plus belle des princesses à mes côtés. J’avais l’impression d’être revenu à notre premier rendez-vous. On était entré, un cocktail pour elle, une bière pour moi.

Mais tout ça n’était qu’un masque qu’elle s’était efforcé de maintenir. Il avait cédé quand elle avait vu cette futur maman. Merci le destin. Tu n’aurais pas pu choisir un autre moment ? J’avais eu la maladresse de voir la détresse dans son regard et de lui dire de ne pas y penser. J’aurais mieux de l’ignorer.

Elle s’était mise à pleurer, en me demandant pourquoi je disais des choses pareilles, alors même que je devrais y penser constamment.

Et me voilà, seul, accoudé au bar, plus morose que jamais, pendant que ma femme se vide de son eau dans les toilettes.

Pour être honnête, sortir dans des bar devenait une habitude pour Diarmuid le soir. Il appréciait de plus en plus la liberté qu'il avait, pas de serment à un chef entouré d'adversaire belliqueux, simplement le vie qui se profile. Travail, temps libre, sommeil de moins en moins. Ce qui lui permettait de passer beaucoup plus de temps dans ces fameuses boîtes de nuit que lui avait fait découvrir ce Fox.

  Aujourd'hui il était passé dans un de ses bars habituels, le Sunk'n Norvegian. Il avait pu assister à une scène plutôt intrigante, si ce n'est gênante pour certains. Un couple visiblement, qui passait une assez mauvaise soirée, le femme partant vider ses larmes salées aux toilettes, tandis que l'homme restait accoudé, visiblement perdu.

  Le Celte aurait pu continuer à boire tranquillement, et aller discuter avec n'importe qui si il ne s'était pas retrouvé à seulement deux sièges de l'homme. Il prit donc l'initiative d'aller ne serait-ce qu'engager une petite discussion, tâter le moral et l'ouverture. Passant tranquillement ses deux tabourets, il s'assit donc de l'autre côté de l'homme.

"Vous allez-bien ? Non pas que je pense que ce soit le cas, mais peut-être qu'un remontant aiderait à gérer la mauvaise passe ?"

  Le chevalier fit signe au barman de prendre une commande pour l'homme. Bien sur ce serait sur son compte, sinon ce ne serait pas vraiment une invitation. Il espérait simplement ne pas avoir affaire à un sang-chaud qui pourrait déjà enterrer sa soirée dans ce bar. Il venait à peine d'arriver, et n'avait pas spécialement envie d'aller chercher un autre lieu ou passer sa soirée.

Alors pourquoi tu poses la question, dugenou ? Je maugréai vaguement une réponse, mais pris un ton plus gentil en voyant le verre offert gracieusement par l'inconnu.

Merci. Même si je suis pas sur que ce soit suffisant.

Je n'avais toujours pas tourné la tête vers lui, fixant le verre d'un air sombre. Rien n'allait, le bateau prenait l'eau de tous les côtés.

Alors, quel point de ridicule on a atteint avec ma femme ?

Il devait forcément avoir tout entendu, non ? Sinon, il ne serait pas empressé de venir jouer le chevalier servant.

L'homme était plutôt sombre, d'un autre côté le Celte comprenait parfaitement que ce genre de situation avec une femme était souvent la cause d'un tel repli. Il accepta néanmoins le verre, ajoutant que ce ne sera probablement pas suffisant d'un autre côté. Il restait obnubilé par son verre et la tête baissée vers celui-ci et le comptoir, il posait une simple question, admettant donc que ce qui venait de se passer avec sa femme avait été entendu de tous.

  Quel point de ridicule ? Bonne question. Disons que pour quelqu'un qui trouverait cette situation ridicule, ce serait en effet assez haut dans la liste. Mais le chevalier avait aussi eu son passé avec sa propre femme... Une longue fuite de 7 ans, même si elle appartenait à une vie précédente. Bien sur parler de ça à un humain était impossible, il allait devoir discuter d'une autre manière.

"Disons que loin d'être ridicule, c'était plutôt gênant et pathétique. Mais on passe tous par ce genre d'étapes dans nos vies."

  Tranchant ? Violent ? Oui c'est vrai, mais c'est l'honnêteté qui parle. Et le fait qu'il soit dénué de ton moqueur voulait bien dire qu'il croyait en ce qu'il disait. On est tous passé par là, ou on y passera tous un jour.

"Maintenant la question serait plutôt de savoir ce qui vous met tous les deux dans cet état, et de travailler dessus. M'enfin, c'est l'avis d'un inconnu dans un bar."

  Il avait vaguement interprété une forme de détresse quand la femme était partie au toilette juste après le passage d'une femme enceinte. Peut-être un problème avec un enfant ? Ou bien des tentatives ratées ? Cela arrivait déjà à l'époque, des couples qui n'arrivaient pas à enfanter. Pourtant cette fameuse science dont il apprend tous les bienfaits depuis son arrivée ici devrait bien avoir trouvé une solution à ce sujet ? Peut-être ?

Celui-là ne se gênait pas. J'avais l'impression de m'enfoncer encore plus après ses paroles, sans doute parce qu'elles étaient totalement justes.

J'ai l'impression que cette étape n'en finit plus.

Plus ça allait et plus la vie me semblait sombre, tombant dans un circuit vicieux dont je ne voulais pas.

Vous êtes psy à vos heures perdues ?

M'amusai-je à moitié, cherchant à orienter la conversation sur un autre terrain.

Niel

Ajoutai-je ensuite en tendant la main pour me présenter.

Psy ? Le chevalier n'avait aucune idée de ce que ça pouvait être. Un métier ? Ou bien une activité générale ? Dans le doute il allait de toute façon ne pas acquiescer, mais sans pour autant demander ce dont il s'agissait, pas besoin de passer pour un ignorant après avoir parlé aussi directement des problèmes du bougre qui se tenait devant lui.

"Pas vraiment non, disons un bon samaritain ?"

  Il avait apprit cette expression lors de l'une de ses escapades au quartier Sud. Quelques poings bien placés et une discussion avec un type en détresse, et il l'avait appelé comme ça lorsqu'il avait refusé une quelconque récompense. Il avait bien sur accepté qu'il lui paye un verre dans un bar si ils venaient à se recroiser, mais il y avait peu de chance qu'il revoit ce type de toute façon.

  Toutefois celui qui avait l'air aussi sombre devant lui se présentait maintenant, proposant une poignée de main même. Que le chevalier se devait bien sur d'accepter.

"Diarmuid"

  Il n'avait pas spécialement détecté la tentative de changement de sujet, alors il reprenait donc sur ce qui avait engagé cette discussion. Maintenant que les présentations étaient faites, il avait prit ça pour une façon d'accepter de parler de ses problèmes de la part du fameux Niel.

"Alors, qu'est-ce qui peut mettre votre dame dans cette état ? Et vous aussi par la même occasion."

  C'était en grande partie une simple curiosité. Après tout il voyait peu souvent ce genre de scène dans le bar. De temps en temps des bagarres ou des insultes. Dans le pire des cas un homme qui ne se tenait plus et giflait une femme avant de se faire maîtriser par le reste de la salle. Mais une scène de ménage ici, c'était pas courant, ou alors elle se terminait vite à l'extérieur ou dans la voiture.

Disons ça alors. Et qu'est-ce qu'un bon samaritain vient faire dans un bar ?

Il jouait à la rhétorique avec moi. Non pas que ça me posait problème, cela permettrait peut-être d'occuper mon esprit. Je jetais un regard inquiet vers la direction qu'avait emprunté Sue, me résignant à l'attendre sur mon siège. Dieu sait combien de temps elle mettrait à se calmer là dedans, et elle avait justement choisi un espace qu'elle me savait interdit. C'était calculé à mon avis.

Un tas de choses... La vie de couple vous savez.

Je n'allais pas entrer dans le détail avec un inconnu. Celui du bureau de poste m'avait déjà suffit.

De quelle origine est votre nom? Ce n'est pas très courant.

Un bon samaritain dans un bar ? Honnêtement il ne voyait pas pourquoi il ne serait pas dans un bar à cette heure, alors il répondit le plus simplement du monde.

"Boire, majoritairement."

  Il sourit et avala une bonne partie de son verre en parlant de ça. Il était plutôt venu pour se détendre et voir du beau monde comme on dit, mais la situation l'avait intrigué, alors il avait engagé cette conversation. Il aurait très bien pu être dans un tout autre bar, et rien de tout cela ne se serait passé.

  Quand à sa question, le type en face était clairement vague, mais il comprenait la difficulté de discuter avec un étranger. Il se contenterait donc d'une conversation plus classique, en espérant que ça puisse détendre ce fameux Niel. Il répondit donc à sa question à lui, sans reparler de sa femme ou de ses problèmes.

"Irlandais, mais même en Irlande ce n'est pas très commun. Un nom tiré d'une vieille légende."

  Il pouvait toujours faire croire que cela venait de là. Rien de bien original de donner un nom connu à son enfant, c'était plutôt crédible en y repensant.

"Et vous ? Ça vient de quelque part en particulier ?"

  Il ne connaissait pas assez les noms américains pour savoir si "Niel" venait d'un autre pays. Dans le pire des cas l'homme lui dirait que non, et pourrait peut-être lui raconter d'où il vient ou si il a grandit ici. Quitte à se présenter, autant en savoir plus sur son interlocuteur.

J'attirai l'attention du barman, souriant devant la réplique de l'irlandais. C'était on ne peut plus logique en même temps.

Un verre pour le samaritain.

J'essayais de reléguer au second plan la présence de Sue pleurant dans les toilettes, mais j'avais bien du mal. Cherchons à me divertir l'esprit.

Non, moi c'est purement classique. Et quelle est cette légende ?

Visiblement l'homme n'était plus autant réfractaire à cette discussion. Il offrait même un verre au Celte, le nommant samaritain à qui voulait bien l'entendre dans ce bar. Pourtant Diarmuid fut un peu déçu d'apprendre que le nom était classique, il appréciait d'apprendre des petites histoires sur l'origine de certains noms. Lui bien sur avait une grosse histoire avec le sien, et il allait à nouveau la raconter.

"Un chevalier qui avait séduit involontairement la future femme de son chef et qui avait été obligé de fuir son clan alors qu'il n'avait même pas de sentiment pour elle.
Mais il en développa pendant leurs sept années de fuite, durant lesquelles il ne tua jamais un seul de ses ancien compagnons envoyés à leur poursuite. Si bien qu'après tout cela son chef accepta de le gracier et de le réintégrer, les laissant se marier."

  C'était la version la plus résumée qu'il avait réussi à faire depuis son arrivée. Il avait mis de côté la malédiction et le côté manipulateur de Graïnne, se contentant de garder les mêmes valeurs que la légende était censée apporter. Le Celte pointa son grain de beauté sous l’œil.

"Il était censé avoir ce grain sous l’œil, sacré coïncidence."

  Oui, étrange qu'il ressemble tant au chevalier de la légende... Diarmuid ne savait toujours pas les raisons des pleures de la femme du brun, mais il aurait probablement trouvé ça ironique d'apprendre qu'il s'agissait d'une histoire d'enfant, chose qu'il n'a jamais eu le temps d'offrir à Graïnne, à son plus grand regret. Le bougre aurait pu finir par le rendre nostalgique.

Oh, une histoire d'amour comme on en fait plus.

Entre moi qui me faisait houspiller dessus à la moindre occasion, et Peter qui avat carrément perdue celle qu'il aimait... L'époque moderne faisait mal à l'amour originel, avec tous ces divorces et ruptures, tellement plus courantes.

C'est à cause de ce grain de beauté que vos parents vous ont nommé ainsi ?

Ce serait logique. La porte des toilettes venait de s'ouvrir. Je regardais vivement d'un air inquiet, pour savoir si c'était Sue qui en sortait. Non. Pas encore. La belle se faisait désirer. Je grimaçais, coupable de me sentir aussi lié et coupable de ses pleurs. Je soupirai.

Une histoire d'amour oui... On peut dire ça, c'est ce qu'il était après tout, une histoire du passé. Pour la majorité des humains en tout cas, et une grande partie de contractants qui ne le connaissaient pas également. Mais il avait l'habitude de se considérer lui-même comme une relique maintenant, un chant ou une légende, c'était fait pour être raconté, pas vécu.

  La question sur le grain de beauté intrigua le Celte. Comment mentir ? A vrai dire il ne s'y connaissait pas vraiment en dermatologie.

"Je ne suis pas vraiment sur. Les grains de beautés ne sont pas forcément là à la naissance ? Donc c'est soi un choix délibéré, soit un sacré hasard."

  L'homme s'était retourné vers les toilettes à la seconde où la porte s'était ouverte. Malheureusement ce n'était pas sa belle qui en sortait. Son soupir en disait long sur la façon qu'il avait de se languir d'elle. Que pouvait dire le vieil Irlandais dont la femme ne faisait même pas parti de cette époque ?

A vrai dire je n'en avais pas vraiment l'intérêt, c'était simplement pour faire une conversation polie. Je m'agitais sur mon siège pensant à Sue qui devait pleurer toutes les larmes de son corps dans un cabinet, volontairement mise à l'écart de la seule personne que je pensais apte à la réconforter, autrement dit moi.

En tout cas, c'est original.

Je n'y tenais plus.

Excusez-moi je reviens.

Je me levais du tabouret pour me diriger vers les toilettes des dames, laissant tomber la bienséance. Cela faisait trop longtemps qu'elle était là-dedans, je m'inquiétais. J'ouvrais la porte pour la voir face au miroir, les yeux rougis de larmes.

Sue ? ça va ?

Je me trouvais stupide à prononcer ces mots. Bien sûr que non ça ne va pas.

Laisse-moi - me rétorqua-t-elle assez séchement avant de se radoucir en voyant ma mine - J'arrive.

Je refermai la porte, et revint vers l'homme au bar.

Elle arrive.

Comme si cela pouvait l'intéresser, mais c'était toute ma pensée.

Original, c'était ce que pensaient beaucoup de gens de cette époque. Amusant quand lui connaissait la vraie origine de son nom, c'est à dire lui-même. Mais avant qu'il ne puisse retourner le compliment, le Celte observa l'homme partir vers les toilettes, où sa femme devait encore vider un peu de son eau, ou bien se refaire une beauté après les pleurs.

  Diarmuid observait la petite discussion plus loin, sans pouvoir entendre avec la distance et surtout le brouhaha du bar. Jusqu'à ce que l'homme revienne s’asseoir à côté. Visiblement sa femme était sur le chemin du retour. Le chevalier se releva donc, son verre finit, avant de tendre sa main vers son interlocuteur.

"Alors je vais vous laisser à deux, j’espère que tout s'arrangera pour vous."

  Il lui souriait, honnête comme il l'était toujours. Il ne savait pas vraiment ce qu'il allait faire maintenant. Probablement changer de bar pour voir du beau monde, et chercher quelqu'un avec qui passer la soirée.

Bonne soirée à vous.

Je saluai Diarmuid d'un signe de tête, et attendit bien gentimment que la femme de ma vie sorte de l'endroit où elle s'était terré pour ne pas affronter nos problèmes.
Je la pris contre moi, un bras passé par dessus son épaule, baisant son front.

Je t'aime Sue.

Elle hocha la tête mais ne me répondit pas, pinçant mon coeur qui ne vivait que pour elle. J'essuyais une larme restant sur sa joue et l'entrainait loin de la foule, vers notre voiture familiale qui remuait un peu plus le couteau dans la plaie. Je ne prononçais pas un mot jusqu'au retour, quittant parfois la route pour la regarder alors qu'elle avait les yeux résolument fixés droit devant elle.