Précision HRP :

Appartement de Peter et Marysa:

Marco terminait tout juste son sandwich qu’il reçut un coup de fil de son frère. Une fuite d’eau urgente apparemment dans le quartier est. Le devis avait été fait très grossièrement, il lui resterait à finaliser le reste sur place après l'intervention. Les doigts à peine essuyés de la mayonnaise qui baignait le jambon, le plombier nota l’adresse et démarra la camionnette. La route ne fut pas bien longue. Il était déjà presque à côté, ayant passé la matinée à diagnostiquer une panne de courant chez une septuagénaire qui avait la main un peu lourde sur les installations électriques.

L’appartement en question était charmant. Plutôt bien situé avec une exposition décente, un bon petit cocon rénové il y a peu. Marco ajusta sa casquette, délogea un bout de salade coincé dans ses gencives, emporta sa boite à outil et grimpa au troisième. Il toqua à la porte et se présenta avec le sourire.

-Bonjour ! Marco Hayes de Hayes associés. On m’a dit que vous aviez un problème de pataugeoire non désirée ?

Un peu d’humour, ça ne faisait pas de mal.

-Chouette décoration, glissa Marco au propriétaire alors qu’ils traversaient le salon.

C’était sobre mais efficace. Quelques touches asiatiques à droite à gauche mais rien qui jure avec l’ambiance générale de la pièce. La cuisine n’avait rien à lui envier avec ses plaques en vitrocéramique et son attirail digne d’un chef étoilé. Vraiment l’endroit respirait le neuf. La salle de bain en revanche tenait plus de la piscine olympique. Sitôt la porte franchie que Marco barbotait dans l’eau.

-Eh ben. Heureusement que c’est carrelé sinon je vous explique pas l’état du sol. La baignoire aurait pu se retrouver chez vos voisins !

C’était un chouïa exagéré vu l’état général de l’appartement mais il ricana tout de même à cette idée avant de se mettre au travail. Il ouvrit la trappe de visite et jeta un coup d’œil à l’aide d’une lampe torche.

-Houlà oui. Y’a un joint au niveau de la bonde qui est complètement sorti de son emplacement. Vous avez eu un tremblement de terre récemment ?

Le trait d’humour résonna autour de lui comme un écho à son échec retentissant. Marco replaça en partie le joint mais à en juger par les gouttes qui continuaient de suinter il devait être percé. Au moins la salle de bain ne risquait plus de terminer en aquarium. Le plombier se redressa et frotta l’eau qui avait trempé ses genoux.

-C’est pas bien méchant cela dit. Y’a un joint qui était complètement de travers, je sais pas trop comment. Vu qu’il est surement troué je vais le changer et vérifier le reste pour pas que vous ayez de mauvaises surprises. Ah oui je vais aussi avoir besoin que vous coupiez l’arrivée d’eau. C’est la première fois que ça vous arrive ?

Un sourire amusé étira la moustache de Marco quand il apprit que M. Jensen avait tenté une réparation de lui-même. Il ne pouvait pas lui en vouloir. Combien de fois avait-il débarqué chez des personnes qui, pour économiser un peu d’argent, avaient salopé le travail au point de se retrouver avec une facture deux fois plus salés que s’ils n’avaient touché à rien ? C’était naturel de vouloir résoudre ses problèmes seuls avant de faire appel à un professionnel, mais la plupart du temps cela se terminait pas compliquer d’avantage la tache dudit professionnel. Ici toutefois la casse était minime. Que le joint ait été percé, démanché ou autre avant l’intervention n’avait pas grande importance. Au final il fallait le changer.

Perdu dans ses réflexions, Marco en avait oublié un instant la raison de sa présence ici. Il s’apprêtait à fouiller sa boite à outil à la recherche du joint adéquat quand une voix retint son attention. Un joli petit bout de femme se tenait dans l’encadrement de la porte pour prendre des nouvelles. Brune, bien coiffée, deux gouttes d’océan en guise d’yeux et une petite tache de graisse discrète sur le pantalon.

-Oh oui tout roule par ici, pas d’inquiétude. Tout baigne même ! Votre mari est juste parti couper l’eau.

Réalisant sa bourde, Marco se frotta la casquette.

-Enfin mari ou compagnon. Ou frère pour ce que j’en sais, ha ! Hem… C’est un joli petit morceau d’appartement que vous avez là. Votre… Monsieur Jensen. Peter donc. Il m’a dit que vous aviez emménagé il y a peu ? Palema vous plait jusqu’ici ?

-C’est sûr, Palema c’est une jolie petite ville. J'espère que vous y resterez cette fois. Pour élever des enfants on peut pas faire mieux ! Bon, y’a bien le quartier sud qui craint un peu, mais une ville sans magouilles c’est un peu comme une soupe sans sel, ha !

Bien que par moment la soupe puisse se montrer suffisamment chargée pour dessécher le corps dans son intégralité, elle restait dans l’ensemble assez appréciable.

Quand Marysa, ainsi qu’elle s’était présentée, proposa à Marco de prendre le thé il accepta volontiers. Rien de tel pour terminer la journée qu’une bonne infusion avant de filer au lit. Le mari annonça ensuite qu’il avait coupé l’eau ce qui permit au plombier de se mettre enfin au travail.

-Bien ! Maintenant laissez faire l’artiste !

Un petit coup de brosse personnel dans le sens du poil pour se donner de l’allant et il commençait.  Son coup d’œil rapide lui avait déjà permis de déterminer la taille du joint qu’il lui faudrait pour combler la fuite aussi ne perdit-il pas de temps à en chercher une dans sa boite à outils. De retour sous la baignoire la manipulation ne lui prit que quelques minutes. Dévissage rapide, changement du joint en prenant bien garde à ne pas démancher complètement la bonde, vissage à nouveau et c’était terminé. L’intervention était un grand classique de plomberie au point que ce fut la première chose que Marco eut appris à faire avec son frère. Par acquis de conscience il passa quelques points de silicone où la tuyauterie semblait en avoir besoin, vérifia l’étanchéité globale de la baignoire, épongea les flaques d’eau et passa même un petit coup de clé sur la poire qui commençait à avoir du jeu avant de fermer la trappe de visite pour de bon.

-Et voilà le coupable messieurs les jurés, lança-t-il en brandissant le joint troué, Vous pouvez le garder dans un bocal comme souvenir si vous voulez.

Il ricana et rengaina sa clé.

-Bon. Je ne dirais pas non au thé après cet effort colossal !

Marco se retrouva bien embêté quand M. Jensen le planta pour rétablir le circuit d’eau. Presque autant qu’en entendant l’énigme prononcée par la présentatrice piégée dans le poste de télévision. Dispersés entre essayer de tirer quelque chose de ce fatras incompréhensible et la réaction de son client, ses neurones n’envoyaient plus aucun signal à ses jambes. Résultat il était là, pantois, le temps que Marysa ne vienne le tirer de son bourbier en lui proposant de la rejoindre dans la salle à manger.

-Sûr que ça motive, lui répondit-il, C’est toujours bienvenue après une bonne journée !

Plus encore quand ledit thé était accompagné de chocolats. Mme Jensen n’avait pas menti. Ils étaient effectivement délicieux ! Le plombier se rabattit principalement sur le chocolat noir par pur élitisme gustatif et se laissa même aller à un élan de gourmandise en en avalant un deuxième. Puis en prenant garde de salir le moins possible sa chaise il se posa en soufflant. Il fallait croire que la journée lui tapait dans les jambes au final.

-Dites… Je veux pas avoir l’air de me mêler de ce qui me regarde pas mais… Votre mari. J’ai dit quelque chose de mal ? J’ai l’impression de l’avoir contrarié.

Les boutades du plombier passaient généralement bien auprès de sa clientèle mais il lui arrivait parfois par mégarde de franchir une ligne qui pouvait froisser. Il espérait juste que sa femme ne lui en tiendrait pas trop rigueur.

-Bon, bon, tant mieux alors !

Marco souffla intérieurement. C’était peut-être peu prétentieux de sa part de penser qu’il était la seule cause de la morosité de M. Jensen. Au moins maintenant il était fixé et il pouvait prendre son thé l’esprit tranquille.

-Fameuse cette infusion. Vous savez y faire, y’a pas à dire. Dommage que ce soit autre chose pour la baignoire, ha !

Le plombier rigola un bon coup et posa sa tasse. Restait encore la partie la moins passionnante : les papiers.

-Maintenant, il va falloir revenir au sujet qui fâche, si vous permettez. Que je regarde ça…

Marco attrapa un crayon et la feuille que lui avait laissée son frère. Les informations générales comme l’adresse, noms prénoms et numéro de téléphone étaient déjà indiquées, de même qu’une petite note avec l’estimation de la facture faite au moment de l’appel.

-Eh ben il a la main lourde le frangin, ne put s’empêcher de commenter Marco.

Il remplit sa partie, cocha quelques croix et calcula mentalement le coût total de l’intervention. Appel d’urgence oblige il n’avait pas le choix d’appliquer un tarif plus salé qu’il ne l’aurait voulu. Le joint ne coutant rien il ne le décompta pas de même que les quelques vérifications qu’il avait effectuées. Après tout ses clients n’avaient rien demandé de ce côté-là. Il l’avait seulement fait par acquis de conscience. Un arrondi avantageux pour le thé, pas très légal mais c’était l’avantage d’être son propre patron, déplacement, main d’œuvre et temps d’intervention avec le barème habituel et il inscrivit les derniers chiffres en bas de la page.

-Et voilà. Pas de devis vu que l’intervention était en extrême urgence, comme on dit. Et puis maintenant que j’ai fini, ça servirait pas à grand-chose ! Manque plus qu’une signature et le tour est joué.

Spoiler:

-Nom de nom !

Marco sauta de sa chaise et se précipita vers Marysa. Celle-là il était loin de l’avoir vue venir. En temps normal il aurait plaisanté sur l’effet détonnant que sa facture venait de provoquer mais le contexte ne se prêtait plus aux traits d’humour.

-Marysa ? Marysa vous m’entendez ?

Pas de réponse. Marco lui tâta le pouls, vérifia sa respiration et souffla ostensiblement. Inconsciente mais toujours en vie.

-Monsieur Jensen ! Peter ! Venez vite !

Rapidement il effectua les premiers gestes de secours. Position latérale, les trois C, bouche entrouverte, de quoi la maintenir en place le temps d’appeler les renforts. Maintenant il hésitait. Attendre ou décrocher son téléphone pour appeler une ambulance ? Dans le doute il se laissa cinq secondes. Pas une de plus.

Marco garda un œil inquiet sur Marysa qui gisait sur le côté. Pas la première fois ? Il fallait un cœur solide pour encaisser ce genre de chose à répétitions. Tant chez la victime que chez ceux qui assistaient à la scène. Et hormis une sorte de maladie il ne voyait aucune explication au phénomène. Hormis peut-être le simple fait de voir des factures, auquel cas les fins de mois devaient se transformer en véritable marathon hospitalier.

Le plombier ne voulait pas se mêler de la vie de ses clients aussi garda-t-il une sorte de silence respectueux le temps que M. Jensen ne compose le numéro des urgences. Il rangea son propre portable après avoir envoyé un bref sms à son frère pour l’informer de son retard, le tout sans entrer dans les détails.

Puis il attendit. C’était bien la seule chose qu’il pouvait faire.

Marco se tamponna le front et acquiesça mollement.

-Oui. Oui bien sûr je reste.

Tout juste avait-il prêté attention à la signature apposée au bas de la facture. A dire vrai sa vision était devenue un unique tunnel rivé sur Marysa. Le terme « intervention d’urgence » avait pris une toute autre dimension en l’espace de quelques instants. Mais au moins maintenant il savait que des secours étaient en route.

Le plombier enroulait nerveusement un doigt autour de sa moustache à l’affut du moindre signe de conscience de la part de sa cliente. Hormis un sifflet de respiration, rien. Au moins elle ne s’était pas heurtée la tête trop violemment en tombant. Il ouvrit la bouche mais ravala sa question. Encore une fois ce n’était pas ses affaires. Surtout dans ce genre de situation qui avait la fâcheuse tendance de mettre les nerfs à vif.

Et puis après ce qui sembla une éternité on toqua à la porte. Frapper fut peut-être plus exact. Une voix s’éleva de l’extérieur, demanda avec insistance si quelqu’un était présent.

-Vous pouvez aller ouvrir si vous voulez. Je reste ici.

Après tout M. Jensen serait plus à même de leur expliquer la situation que lui.

HRP :

En suivant les ambulanciers Marco manqua de récupérer la facture. Il s’excusa un instant, récupéra le bout de papier et sortit de l’appartement.

-Bien, c’est normal. Bon courage pour la suite.

Il tendit le bras pour une brève poignée de main. En temps normal il aurait lancé une dernière plaisanterie en quittant son client. Voyant Marysa partir ainsi, la seule chose qui sortit de sa bouche fut un son étouffé. Il se sentait sincèrement triste de voir sa journée se terminer comme ça. Avec le numéro de M. Jensen dans son dossier il se promit de lui téléphoner pour rendre des nouvelles de sa compagne.

Rendu dans sa camionnette il joua avec les touches de son clavier sans arriver à composer de numéro. Cinq minutes passèrent, il souffla et appela finalement.

-Salut Paulo, c’est moi… Oui c’est terminé... Y'a eu quelques complications, je te raconterai... Dis, tu voudrais pas qu’on se fasse un petit bar ce soir ? J’ai envie de décompresser un peu...

Spoiler: