Ruelle Le passage:

Jason venait de terminer une journée de travail plutôt ennuyante, comme à l’habitude. Des clients avaient encore décidé de lui faire passer une mauvaise journée. Entre les dégâts et les insultes de clients mécontents, Jason n’avait pas eu beaucoup de temps pour lui. Il avait profité de sa courte pause pour acheter de la peinture en aérosol. En se rendant à son travail ce matin-là il avait remarqué que sa signature, sa flèche, avait était effacée dans la ruelle qu’il empruntait régulièrement. Il avait bien l’intention de repeindre sa marque. Certes, ce n’était pas grand-chose, mais pour Jason voir son symbole un peu partout dans la ville lui faisait vraiment plaisir. Après avoir posé son symbole, Jason avait toujours l’impression que cette partie de la ville lui appartenait désormais. Il était vu et par le fait même, il était vivant.

Jason quitta l’enceinte de son lieu de travail avec son sac à bandoulière qui contenait une canette de peinture et il s’aventura dans la rue commerçante pour retourner chez lui. Il était fatigué. Sa journée l’avait vraiment vidé de son énergie. Le vandale avait déjà hâte de retrouver son lit et de dormir. Il se laissait porter par le son des voitures en ayant qu’une chose en tête : signer le mur. Remettre son symbole exactement là où il était avant d’être nettoyé. S’il peinturait à nouveau le même mur à chaque fois qu’il était nettoyé, éventuellement les propriétaires allaient abandonner et le mur afficherait fièrement la flèche pour toujours. Ce n’était pas dans les habitudes de Jason de faire ses graffitis en fin de soirée, mais il était tellement fatigué qu’il savait qu’il n’y retournerait pas cette nuit. Il n’avait alors pas d’autres choix que d’agir avant de retourner chez lui.

Le vandale arriva à l’entrée du passage. Il s’y enfonça tranquillement jusqu’à ce qu’il atteigne l’endroit attendu. Le mur de briques sur lequel était inscrite son œuvre n’était désormais qu’un mur de briques. Pas question que ça reste comme ça ! Jason ne regarda devant lui, personne. Il se retourna et un couple entrait dans la ruelle. Le vandale s’appuya alors sur le mur parallèle à sa future toile et il sortit son téléphone de sa poche. S’arrêter en plein milieu de la ruelle sans faire quelque chose pourrait attirer l’attention. Il déposa son sac par terre et il fit semblant de répondre à un texto avec son téléphone. Une fois le couple passé, il regarda de nouveau de chaque côté de la ruelle. Cette fois, la voie était libre.

Jason n’attendit pas une seconde, il se pencha et il empoigna la peinture en aérosol dans son sac et il secoua la canette vigoureusement. Le visage du vandale s’illumina. Ce son lui faisait toujours plaisir. Jason avait le sentiment que rien de mal ne pouvait lui arriver.

Jason sursauta aux premières paroles de l’enfant. Il ne s’attendait pas à ce qu’on s’adresse à lui. Il trébucha presque tellement il était surpris. Il regarda autour de lui. C’était une fille, non, une fillette qui lui avait posé la question. Une fillette bien normale, à part le fait qu’elle avait un renard sur l’épaule. D’habitude les gens de son âge ont des chiots, mais bon, elle peut bien avoir l’animal qu’elle désire. Jason lança un regard rapide vers les deux autres personnes présentes dans la ruelle, deux garçons. Ils semblaient accompagner la petite fille. Ils ne ressemblaient pas à ses parents, sûrement deux amis.

« Pourquoi je dessine juste une flèche ? »

Jason ne savait pas trop comment répondre à cette question pour une enfant. Elle avait l’air si gentille et innocente, pas besoin de lui raconter une longue histoire ! Déjà qu’il ne voulait pas trainer dans le coin trop longtemps…

« Je dessine une Flèche parce que c’est ma signature d’artiste ! »

Et c’était vrai. Chaque tag qu’il laissait quelque part portait sa signature. Parfois il laissait des phrases provocantes visant une réaction du public, d’autres fois il laissait seulement sa signature pour dire qu’il avait passé là et, plus rarement, il laissait aller son imagination et il faisait une œuvre. La seule chose qui unissait toutes ses créations était sa signature, cette flèche. Jason souriait, ça faisait du bien de voir quelqu’un s’intéresser à ce qu’il faisait, surtout après cette journée au boulot…

Le vandale eut cependant un petit moment d’hésitation lorsque la fillette lui demanda si elle pouvait essayer. Jason voulait dire non. Il ne voulait pas rester dans cette ruelle plus longtemps, au cas où quelqu’un appellerait la police. Mais d’un autre côté, Jason ne voulait pas briser le cœur de cette petite fille. Il lança un autre regard vers les deux extrémités de la ruelle. Personne n’arrivait. Il avait le temps de lui montrer comment ça fonctionne.

« Ouais d’accord. »

Jason s’agenouilla et il secoua la canette de peinture.

« Ça, c’est la première étape quand on veut peinturer. On secoue la canette et ça fait de la musique pour réveiller la peinture. Sinon, la peinture ne voudra pas sortir. »

Jason fut surpris de sa propre explication, quelle façon simple d’expliquer pourquoi il faut secouer le contenant. Jason pointa ensuite le bout de plastique blanc sur le dessus de la canette.

« Ensuite on appuie ici. La peinture sort de ce côté. Allez tiens. »

Jason tendit la peinture vers Nelytsa. Il pointa ensuite le mur où il avait fait sa flèche.

« Tu peux l’essayer juste ici. Fais attention pour ne pas te salir ! »

Jason était plutôt impressionné par le dessin de l’enfant. Jamais il n’avait vu un enfant dessiner aussi bien que ça. D’habitude, les enfants de l’âge de Nelytsa dessinent deux cercles et ils disent « Regardez maman et papa, je viens de vous dessiner ! » Les parents se sentent alors forcés d’encourager les efforts de leur enfant. Ils vont complimenter le dessin et même l’accrocher sur le réfrigérateur. Tout ça, pour que leur enfant se sente bien. Jason n’était pas du tout dans la même situation que les parents. Il pensait vraiment que le dessin de Nelytsa était beau. Il répondit sincèrement.

« Wow, je suis impressionné ! C’est vraiment beau ! Tu as beaucoup de talent ! »

Jason remarqua alors les mains de Nelytsa. Elle avait les doigts tout noirs à cause de la peinture. Le vandale fouilla dans son sac pour en retirer un morceau de tissu. Il faut enlever la peinture pendant qu’elle est encore fraiche, sinon, c’est vraiment difficile à enlever. Jason regarda le petit renard sur l’épaule de Nelytsa, il semblait plutôt farouche, du moins, hostile à son égard.

« Prête-moi tes mains, je vais te nettoyer ça… »

Jason avait les yeux fixés sur le renard, il n’avait pas trop aimé la réaction de ce dernier lorsqu’il a tendu la cannette à Nelytsa précédemment. Jason prit la cannette de peinture des mains de l’enfant et il la tendit vers l’un des deux garçons, celui qui semblait être intéressé par le dessin.

« Tiens si tu veux essayer. »

Jason commença à nettoyer les mains de la petite. Il frottait assez fort pour faire disparaître une partie de la peinture, mais elle avait déjà commencé à sécher. Enlever le reste allait être plutôt difficile.

« Ça fait longtemps que tu dessines comme ça ? Parce que je crois qu’un jour tu vas devenir une grande artiste. Tu as beaucoup de potent… »

Jason s’arrêta là. Est-ce qu’elle comprendrait le mot « potentiel » à cet âge ? Probablement pas.

« En tout cas, tu dessines très bien ! C’est ta maman qui t’a montré comment faire ? Ou bien c’est à l’école ? »

Après tout, avec les deux autres jeunes derrière elle, c’était sûrement de là qu’elle venait. Elle était surement en route de l’école vers chez elle.