Bon sang que je n’aime pas ça, de dépendre de l’argent des autres. Mais faut croire que cette connerie est obligatoire, tout Contractant que je suis, hmm ? Sans Bibi pour m’offrir des vêtements et quelques affaires après l’attaque, je serais toujours en train de porter les vieilles loques trouées de ce jour-là. Je vais finir par croire qu’il est mon bienfaiteur, en fait. Et étant donné que cet abruti est sur le point de m’offrir une voiture, c’est bien possible.
Reste que c’est une nécessité pour moi d’avoir une carcasse sur roues – tout Protecteur que je veux être, si je suis incapable d’aller chercher les miens quand ils ont des emmerdes, je ne vaux plus grand-chose. Alors si j’avais refusé sa proposition de m’en acheter une, ç’aurait de la fierté mal placée, qui plus est dangereuse pour la faction tout entière. Donc, nous y voilà.

Grossièrement, c’est un gros hangar. Un peu plus que ça quand même, étant donné qu’il y a le symbole du constructeur en gros sur la devanture, suivi d’une longue vitrine bien transparente dévoilant un étalage complet de jolies caisses, histoire de donner envie au consommateur. Un truc à des kilomètres de la veille récup’ où j’ai déniché mon ancien tacot – qui, d’ailleurs, erre je-ne-sais où depuis que je n’en ai plus les clés. D’un autre côté, ça ne m’étonnerait pas de retomber dessus par hasard, vu le peu d’intérêt qu’auront des opportunistes à le voler. De toute façon, ils n’arriveront probablement pas à la démarrer, alors elle est bonne pour finir en terrarium dans un futur post-apocalyptique.

« - Eh bien, déjà, merci beaucoup Bibi. »

J’imagine que c’est le moment pour arrêter mon choix, donc. Un truc pas très cher, assez sobre et passe-partout si possible ; et si possible, plutôt moche. Histoire de dégoûter des intéressés potentiels si jamais je la gare sans respect en plein quartier Sud quoi – parce qu’honnêtement, je n’ai pas forcément toujours le temps de la verrouiller totalement quand j’ai une urgence sur le feu.
Bref, assez réfléchi, c’est l’heure de faire le tour de la boutique. Même si j’admets rien n’y connaître en bagnole, et encore moins en Ford. Oui, s’il y a un dieu des ricains, qu’il soit miséricordieux avec moi.

Sérieusement, c’est quand même plus simple de dégotter une épave dans une casse que de visiter l’inventaire complet de ce genre de concessionnaire – il y a tellement de choix que c’en est vertigineux, tiens. Enfin, et c’est rien à côté de certains prix, qui me font remettre en question l’intégralité des salaires que j’ai perçu dans ma vie ; non, sans déconner, comment des personnes font pour amasser autant de fric ? C’est pas humain, cette connerie.
Et puis, au détour d’une allée, je finis par commencer à tomber sur des choses plus dans mes moyens. Pas forcément dans mes goûts d’ailleurs, mais étant donné que je cherche une voiture passe-partout et pratique, davantage pour la faction que pour mon usage personnel, je crois qu’on s’en fout un peu de si le bolide me plaît ou non. Et honnêtement, à côté de ce que je me tapais avant, tout paraît superbe.

Mentalement, je note les quelques noms qui jonchent les écriteaux, passant un regard bref sur le côté des occasions ; et puis je reviens du côté de Bibi, découvrant qu’il venait lui aussi à ma rencontre. Ah, bah parfait, au moins ça nous évitera de nous perdre dans ce dédale, tiens.
J’accueille sa question d’un air pensif, puis lui dresse la liste des voitures intéressantes que j’ai croisées.

« - Hmm, j’ai besoin de ton expertise. Je suis tombé sur une Ka pas mal, une Ka+ du même genre. Et puis, il y a aussi la nouvelle Fiesta et la version utilitaire qui sont intéressantes. Assez discrètes, avec un peu de place à l’arrière ; bref, elles ont l’air de plutôt correspondre. T’aurais une idée sur laquelle choisir ? »

Niveau prix, tout tourne environ au niveau des dix milles, quoique les deux premières voguent plus vers deux milles de moins. Objectivement, c’est très cher – mais on sait qu’on parle de voitures, ça a tout de suite moins de gueule. M’enfin, j’aurais bien aimé tapé dans plus bas si j’avais trouvé, mais faut croire que les vrais concessionnaires n’aiment pas vendre des modèles dans la tranche de mon vieux tacot.

Eh bien, si en voulant une Fiesta je suis déjà Jo l’clodo, alors je n’imagine pas la vision qu’il aurait de moi si jamais il faisait vraiment attention à la vieille caisse que je me tapais avant. Mais assez disserté sur celle-ci, parce qu’elle me manquera pas – déjà que je ne suis pas un gros amateur de voitures, je suis encore sentimental de ces choses-là.
Donc, une Crown Victoria ? S’il en dit tant de bien, pourquoi pas. Qui plus est, le côté voiture de flics m’a l’air plutôt pas con, en fait. Si jamais ça peut empêcher des abrutis de me la voler quand je la laisse dans un coin ; qui plus est, il y a un autre argument de choix, là. Celui de pouvoir flanquer un gyrophare si j’ai besoin de faire vraiment vite, et ce sans me choper un millier de regards suspicieux. Et si un jour les autorités me prennent le choux pour ça, ben je me démerderai bien pour me sortir de ce bourbier.

« - Va pour elle, tu m’as convaincu. Je pense qu’elle fera très bien la taf vu comment tu m’en as parlée, pas de doute. »

Bref, mon affaire réglée par la main de maître de Bibi, on en est donc à la sienne. J’imagine que pour le coup le cahier des charges sera un poil plus long – parce qu’il en cherche une personnelle, dont l’esthétique compte probablement. Ce qui est la norme d’ailleurs, juste que je que je suis un petit hérétique qui s’en fout de l’apparence des objets, voilà tout. M’enfin, tout ça dit, reste que ça peut être intéressant de le suivre dans sa traversée plus lente de la gamme, ne serait-ce que pour agrandir un peu ma culture du milieu grâce à ses remarques plus profondes que les miennes.

« - Pas de souci, je te suis. »

De toute façon, même si ça me posait un souci, je pourrais pas vraiment me défiler. Ce serait quand même sacrément incorrect ; et autant que je ne cherche pas à être particulièrement poli avec les gens, ça me ferait mal de faire ça à un pote.

Le regard se baladant d’une voiture à l’autre, je fais une petite moue de temps à autre, quand une voiture m’impressionne davantage qu’une autre – mais dans le fond, j’ai plus l’impression de le faire par réflexe que par goût. Ouais, parce que bon, mater des bagnoles c’est marrant deux secondes, mais ce n’est pas non plus ma passion, quoi. Un festival de cocktails inventifs, voilà ce que j’aimerais visiter sur l’instant ; mais, je sais que ce n’est pas franchement le moment.
Et puis, au bout d’un moment, je remarque que mon camarade n’avance plus. Je tourne une tête ornée d’un sourcil interrogateur, pour le découvrir toisant profondément ce qui est probablement l’objet de tout ses désirs. Ou même davantage vu la tronche qu’il tire, en fait.

M’enfin, il veut du feu. Sûrement pour faire passer l’émotion de la découverte j’imagine, ou un truc du genre – bref, quoi que ce soit, ça se justifie totalement vu l’état impeccable de ses poumons. Tranquillement, je passe mes doigts dans ma poche intérieure et viens attraper mon fidèle Zippo, rare reliquat de mes anciennes affaires. Je le sors et l’allume sous la clope de Bibi, rougissant assez la feuille pour qu’elle s’embrase doucement.
Ceci fait, je range le précieux dans les méandres des tissus de ma veste et rends mon attention envers mon ami, un sourire aux lèvres.

« - Alors, c’est celle-ci ? C’est vrai qu’elle est pas mal ? »

Non, en vrai, elle est jolie. Pas de quoi me laisser bouche-bée, mais quand même assez pour je laisse échapper un coup d’œil en la croisant. Oh, et tiens, je vais m’en griller une aussi, j’ai quand même un nouveau véhicule à fêter. Sauf que j’avais oublié que je m’étais toujours pas racheté un paquet. Merde, va falloir faire un détour en rentrant, je crois.

Eh bien, il a l’air passionnée par ce modèle, vraiment. Jamais été mon trip d’écouter le bruit d’une voiture ou quoi que ce soit du genre ; tant que ça roule, et que c’est pas trop moche, ça me va. J’esquisse un sourire en attrapant le paquet de clope qu’il me jette, et m’en grille une tandis qu’un type se pointe vers nous, l’air visiblement bien gêné.

«  - Hey ! C'est interdit de fumer ici ! »

Pas faux. Mais reste que je n’ai pas la franche impression que Bibi en ai quelque chose à foutre, et je concède que toutes ces emmerdes humaines ne sont plus vraiment dans mes priorités. Tout au plus, j’arrête une taffe tandis que mon collègue s’occupe de gérer les ennuis. Et il le fait plutôt bien, même si la méthode n’est pas tout à fait de mon goût – j’ai toujours préféré la discussion aux menaces, mais reste que je ne vais pas aller glisser mon grain de sel dans cette affaire. Il s’en sort tout à fait honorablement, qu’importe la manière.
Toujours occupé à savourer la cigarette coincée entre mes lèvres, je remarque du coin de l’œil que la cavalerie arrive. Le manager, déjà ? Eh bien, comme ça y va, ici.

Toujours distraitement, je comprends vaguement que le type est échauffé par le langage  indécent de mon pote, prêt à appeler ses chiens de garde pour qu’ils en viennent aux mains. Fais pas le con l’ami, ça m’étonnerait que tes garçons aient une chance contre nous – en toute humilité, bien sûr. Un petit sourire en coin, j’observe Bibi ouvrir sa mallette pleine sous les yeux du belligérant, pariant sur son côté très ronronnant face à autant d’argent. Tellement simple de manipuler les humains, c’en est presque triste.

Bah, tiens, jouons le jeu. J’avance un peu vers l’action, avant de croiser les bras sur ma poitrine et de serre un peu le bout de ma clope, l’air pas très accueillant. Quoi ? Dans le fond, je suis quand même pas vraiment un gringalet, alors si ça peut accentuer le côté menaçant de la chose, autant foncer.

Eh bien, il sait se faire comprendre, le garçon. De l’argent, un regard vénère, un peu de gueule et un flingue qui dépasse, et voilà que le responsable flanche vers un accord à l’amiable, abandonnant sur le coup toute trace de son éthique. Toujours dans ma position tout à fait réfléchie, je regarde le type s’éloigner la queue entre les jambes, puis je ramène mes iris vers un Bibi hilare qui me toise gentiment.
Honnêtement, c’était marrant. Pas mon trip d’aller à l’encontre des lois et autres conneries du genre, mais jouer au gros bras une fois de temps à autre, surtout pour au final ne rien vraiment transgresser de concret. A la limite, les bonnes manières, mais on s’en branle de ça – après tout, des connards viennent d’exterminer la majorité des nôtres, alors on peut un peu s’en battre les testicules de la politesse, non ?

« - Quand tu veux, ça me rappelle quelques souvenirs de bar, tiens. L’époque où j’ai commencé à dégager les trop violents pour faire de la place, et qu’ensuite bizarrement toute la bâtisse s’est tenue correctement pour l’année suivante. A croire que toutes nos affaires nous sculptent un peu, tiens. »

Dire que j’avais récupéré le taf dans une taverne au bord de la faillite, et majoritairement occupée par des loubards bagarreurs. Je ne vais pas aller jusqu’à dire que j’ai empêcher la barque de chavirer – parce que sans déconner, mes collègues ont fait du taf de génie une fois la situation un peu apaisée -, mais ça tombait rudement bien que je sois déjà Seraph à ce moment-là. Ça m’a permis de mettre à profit la gonflette que j’avais travaillée durant mes petites escapades à travers le continent ; puis surtout, de me forger davantage.
Et si on m’accuse d’avoir fait de la musculation à l’époque pour uniquement pécho, je répondrais simplement qu’il fallait bien que je dorme quelque part. Aussi, je rajouterais que je ne regrette rien.

Eh bien, et avec un peu d’avance, l’affaire se conclut bien. L’argent est filé, les clés échangées, les portes … Ouvertes. Oui, ça ne rime pas, mais je n’avais pas mieux dans mon chapeau magique des mots. Oui, aussi, juste des mots. Un dictionnaire qu’on appelle ça dans le jargon, sinon faudrait au moins un sombrero. Quoiqu’un haut-de-forme puisse peut-être faire l’affaire.
Mais bref, je m’égare. Le trousseau en main, je salue Bibi en même temps que je le remercie une nouvelle fois – je sais que ça le gonfle, mais j’y peux rien, c’est mon truc de montrer ma gratitude. Surtout qu’offrir une bagnole, c’est quand même pas la même chose que de m’avancer une trottinette. J’espère qu’il ne pas entendu, sinon cet abruti serait fichu de me ramener la version petite princesse, tiens.

« - Ouep’, à tout à l’heure ! »

Hop, je fais volte-face et viens m’engouffrer dans mon bolide flambant neuf, prenant un petit moment pour m’habituer au tableau de bord et régler mon assise. Va falloir que je change mes habitudes avec cette caisse-là, et bon sang que ça va me faire bizarre de ne pas caler inexplicablement quatorze fois d’affilée à un feu rouge.
Ou peut-être que ça va me permettre de reposer un peu mes nerfs, qui sait. M’enfin, le chemin dégagé, j’enclenche le moteur et m’en vais tranquillement, circulant aléatoirement dans le quartier une bonne dizaine de minutes pour m’imprégner de l’affaire.

Ouais, définitivement, ça va être cool, ce truc. J’espère juste que le délire d’Ethan avec l’électricité ne va pas empirer, ce serait con qu’à cause de son pouvoir de mes deux je sois obligé de  renouer contacts avec les emmerdes habituelles de l’autre épave. Boh, au pire, il prendra sur lui et se fatiguera à charger en même temps, histoire de faire l’offre et la demande à la fois.