Trop de manèges à perte de vue. Lequel tester en premier ?
Des années que Saskia n'avait pu mettre les pieds dans une fête foraine, tout la tentait mais le peu d'argent qu'elle avait en poche la rappela à la dure réalité. Sacrément limitée niveau budget, la Russe.

Une musique vint bercer ses tympans. Des gamins chantaient-ils sous l'eau ? Des bateaux circulaient, Saskia se hissa sur la pointe de ses pieds pour tenter d'apercevoir la fin de la foule. De longues minutes d'attente en perspective. Du temps gâché, souillé, perdu à jamais. Tout ça pour satisfaire sa curiosité maladive.

La mélodie lui rentrait déjà dans la tête, à peine venait-elle de se glisser au milieu des bambins et parents. Il était encore temps de faire demi-tour.
Au moins pourrait-elle plonger sa main dans l'eau pour se rafraichir et faire de même pour éclabousser les malheureux qui devraient l'accompagner dans un bateau. C'était toujours ça de pris. Pas juste une balade maritime avec du karaoké, voici qu'en prime la brune tenterait de noyer ses compagnons d'infortune. Youpi.

Finalement, la queue n'aura pas été si longue que cela. Bientôt son tour.
Saskia observa les environs, détaillant les personnes devant ou derrière elle, de potentielles personnes susceptibles de l'accompagner durant ce tour en barque musical. Une demoiselle aux cheveux mauves lui souriait, la Russe ne se fit pas prier pour lui rendre son sourire. Et non loin d'elle, Naoto qu'elle reconnut, en pleine conversation avec un jeune homme. Oh chic, cela faisait longtemps ! Elle fit quelques pas dans sa direction, passant devant les pauvres âmes qui attendaient leur tour. Tant pis pour eux.

– Naoto ! l'appela-t-elle sans se soucier du fait que la demoiselle était peut-être en pleine conversation privée, tu te souviens de moi ?

Comment l'oublier ? La dernière fois, la brune s'était faite tirer dessus par un fou furieux. Plus qu'à espérer qu'un schéma similaire ne se répète pas ici.

– T'as vu ma jambe ? Plus aucune trace de la dernière fois !

Toute fière, la Kochka. Elle pouvait à nouveau marcher normalement.
Son regard d'ambre se posa alors sur le garçon aux côtés de la flic. Venait-elle de commettre une gaffe en les interrompant tous les deux ? Oups.
Plus qu'à prendre place et se faire oublier.

Pfiou, Naoto ne l'avait pas oubliée, Saskia n'était pas si transparente que cela ! En avait-elle douté un seul instant ?
La parlotte serait pour plus tard ; à leur tour d'embarquer !

La brune prit place dans l'embarcation, en tête parmi Naoto, le jeune homme qui l'accompagnait et la mystérieuse demoiselle aux cheveux mauves. Premier virage, première vague, première tentative de noyade du manège. Les pieds de la Russe baignaient dans l'eau, ce qui n'était pas déplaisant vu la chaleur qui régnait.
Saskia se lova contre son siège, tournant la tête tantôt à gauche, tantôt à droite pour mieux observer les poupées mécaniques qui s'éveillaient à leur passage pendant que la même musique, plus forte et entêtante, retentissait alors que la traversée ne venait que de commencer. Des pays différents... Y compris la Russie ? Nul doute que la Moscovite allait ouvrir l’œil pour reconnaître son pays qu'elle avait quitté.

Oh son pays natal illustré par les poupées et ponctué par les voix enfantines ! Pour un peu, elle se sentirait presque chez soi. Presque. À son tour elle se mit à chanter, gueuler serait plus exact, les paroles répétitives de sa langue d'origine. Plus simple à chanter que la version anglaise, bien évidemment !

– En vrai la Russie c'est plus jolie que cette imitation de reconstitution !

Et elle continuait de chanter. Après, elle ne pourrait plus et ce serait tant mieux pour les oreilles de ses voisins tout en se balançant de gauche à droite sans se soucier de ceux qui l'entouraient, assise sur la banquette humide.

Comment la Russe devait-elle prendre la  remarque de la demoiselle à la chevelure mauve ? Après tout, elle aimait les tenues traditionnelles des poupées alors la brune hocha la tête et ne cessait pas de sourire, se penchant un peu plus pour ne pas  avoir à se tordre le cou et que ses yeux puissent profiter au maximum.

– Maintenant, tout ce qui est resté des costumes traditionnels russes, c'est la chapka, mais ça c'est devenu courant, même à Palema on doit pouvoir en trouver, répondit-elle à l'intention de celle qui avait complimenté les costumes des poupées.

Elle cessa aussitôt de chanter alors que le son venait de grimper au volume et se lova à nouveau contre le banc, mettant ses mains sur ses oreilles pour limiter les dégâts. Les secondes parurent s'éterniser pour Saskia mais finalement tout redevint bien vite normal. Elle tourna la tête vers Naoto, la seule qu'elle connaissait e toute la rangée.

– C'est toujours aussi fort, ici ? Je comprends mieux pourquoi tout le monde crie à la fête foraine ; c'est parce que les gens sortent tous de cette attraction.

C'est que les clients devaient perdre leurs oreilles à la fin du parcours si tout le trajet était ponctué de soubresauts sonores.
Déjà, Saskia était prête à passer à autre chose et à découvrir un nouveau pays à l'aide de ces poupées. Dommage que le passage près de la Russie arrivait à son terme, la demoiselle aurait bien aimé chanter encore un peu dans sa langue natale en symbiose avec la musique préenregistrée de l'attraction.

Saskia observait le nouveau pays. À la vue des kangourous en papier mâché qui se promenaient de manière automatique, nul doute que l'Australie était leur nouvelle destination. Dommage, la Russe serait bien restée un peu plus longtemps auprès de la reconstitution de son pays natal. Elle poussa un long soupir mais commençait déjà observer les décors qui se dessinaient, toujours ponctués par la musique, dont les paroles étaient à nouveau en anglais.

La demoiselle observa les costumes du pays exotique. De drôles de costumes traditionnels. Après tout, le climat n'était pas le même là-bas et chez elle. Elle poussa un profond soupir. Peut-être aurait-elle dû s'embarquer dans une attraction un poil plus rapide ? Les sensations fortes laissaient à désirer ici.

Une marionnette chuta pour venir atterrir dans leur embarcation, plus précisément sur le crâne de la jeune femme à la chevelure mauve. Saskia marqua un mouvement de recul par pur réflexe et leva les yeux du côté de la représentation de l'Australie, pour s'assurer que d'autres poupées ne viendraient pas les saluer. Mais c'était sans compter sur un kangourou venant sauter à son tour sur Naoto.

– Vous êtes pas blessées ? demanda la Russe aux deux demoiselles, c'est pas bien entretenu ici.

Déjà Saskia commençait à regretter son choix d'attraction. Elle qui pestait en silence tout à l'heure contre le manque d'animation, la voici servie !
Elle ramena ses jambes sur le rebord du banc et enserra ses genoux de ses bras, recluse sur elle même.

– C'est encore long, le parcours ?

Pour savoir combien de temps elle devait survivre. Entre l'eau qui leur avait trempé les pieds au tout début, le son qui se déglinguait et le décor qui leur tombait sur la tête… Difficile de ne pas ressortir d'ici sans séquelles. Pour le moment, elle avait eu de la chance.

Si Naoto disait que ça allai,t inutile de lui poser deux fois la même question de suite. C'est qu'il avait l'air pas très futé, son copain. Un poil étouffant aussi.
Toujours est-il que Saskia s'extirpa de l'embarcation. Retour sur la terre ferme. En vie, qui plus est. Si cela n'était pas magnifique, ça ! Aucune ecchymose, aucune blessure, rien de rien ! Elle avait survécu ! C'était bien joli tout ça mais elle avait d'autres choses à  faire que de ruminer contre une attraction en mauvais état.

– Dîtes, y a quoi de bien comme attractions à faire par ici ? Et sans danger, de préférence, pas envie de revivre la même chose que là.

La musique lui tournait encore dans le crâne. Aucune blessure corporelle mais cette charmante mélodie en cadeau ! C'était trop, vraiment, il ne fallait pas.