Pop Theatre:

Depuis la séance qu’il avait partagée avec Aleister, John avait envie de retourner voir un film. Pour autant, étant donné l’état de sa vie sociale – Nylian ne voulait plus le voir, Russel était renfermé, Ash timide et Alice trop hautaine pour accepter une invitation au cinéma – trouver un partenaire cinéphile s’avérait être relativement compliqué.
Alors, le choix s’était fait de lui-même : il allait s’y rendre seul. Suivant ce petit précepte, il se rendit un soir dans le quartier Est, à la recherche d’un quelconque cinéma ; ce n’était pas le film lui-même qui l’intéressait en fait, c’était simplement d’élargir sa culture très limitée. Incapable de retourner dans la salle où Aleister l’avait mené, il se résolut à pénétrer dans un petit cinéma un peu paumé.

Batman : The Dark Night – c’était le film à l’affiche ce soir-là. Achetant tranquillement sa place, le jeune homme se rendit aussitôt devant sa séance, un pot de pop-corn à la main pour accentuer le plaisir du moment.


Dire qu’il avait apprécié ce film était un euphémisme ; le terme correct pourrait être qu’il s’était trouvé un nouveau culte. Pour quantifier cette passion, on pourrait s’intéresser au pot qu’il tenait encore à la main : en dehors des quelques grains dégustés avant la projection, tout était intact.
Encore dans le hall, alors qu’il se dirigeait vers la sortie, il fixa les pop-corn qu’il tenait, puis pensa à voix haute.

« - Putain, quel génie ce Nolan. »

Un peu vulgaire, un peu trop sonore ; et sans faire attention aux autres personnes autour de lui, mais il se devait de le dire. Aux yeux de John cette œuvre était une merveille, et il fallait que son esprit encore vierge de cet art le crie au monde. Le côté blasé viendrait plus tard.

John fut tiré de sa petite idolâtrie quant au film par une voix basse qui semblait être en désaccord total avec ses pensées. Pourtant habitué à en savoir moins que les autres et à fuir les débat, afin de ne pas se décrédibiliser, le Nephil se fit violence et se dirigea tout droit vers l’inconnu, s’arrêtant pile devant, coupant sa marche vers la sortie.

Pas de violence ou quoi que ce soit de réprimandable, mais il avait envie de partir dans une petite discussion mouvementée appelant mauvaise foi et arguments vaseux, rhétorique intelligente et rires. Enfin, pour le dernier, ce n’était pas encore gagné ; mais il trouverait bien un moyen de voler un sourire à son futur interlocuteur. A moins qu’il ne se fasse salement ignorer, ce qui était aussi tout à fait envisageable.

« - Cliché ? J’ai pas souvenir que tous les milliardaires décident subitement de se vouer corps et âme à la protection de leur mégalopole. Et accompagné d’un vieux qui plus est. »

Prendre au second degré ce qui ne l’était pas été la technique d’Alice Nightray d’habitude, mais il avait décidé de commençait de cette manière afin de tester la réaction du critique d’un soir ; en quelque sorte, de façon à voir s’il avait de l’humour.
Si la discussion semblait partir de façon trop rébarbative, John comptait bien s’en aller vite fait bien fait, néanmoins.

John écarquilla les yeux et regarda le jeune homme d’un air un peu abruti. Il était habitué à voir des choses étranges, mais en général c’était lui qui avait de réactions absurdes ; le type venait de détruire son rôle de boute-en-train en l’espace de quelques instants. Reprenant un peu le dessus sur sa surprise, il avança le pot entre son interlocuteur et lui, de façon à presque l’amener sous la bouche de celui-ci.

« - Pop-corn ? »

Laissant planer un petit silence, John continua.

« - Pas que ça ne me plaise pas de me faire tripoter le visage par un inconnu, mais c’est assez … Peu habituel, on va dire. Mais à part ça, tu as quelque chose à avancer pour ta défense, vil critiqueur de chef d’œuvre ? »

En plus, l’inconnu le pensait, ce n’était même pas agréable ; vraiment, il fallait qu’il le lâche.
D’un autre côté, ce geste peu orthodoxe signifiait à John que le jeune homme n’allait pas l’ignorer royalement comme il l’avait envisagé. C’était une bonne chose, un échange sympathique pouvait donc naître – tant est que le type ne fut pas muet. Sinon, cela compliquerait un brin l’affaire.

La petite pique quant au choix de pop-corn de John : fait. Partir sur ce genre de débat serait un peu fade, alors le jeune homme patienta un peu jusqu’à ce le sujet intéressant soit lancé. Il n’avait rien dit quand il l’inconnu avait plongé sa tête dans son pot ; mais il esquissa une mine de surprise quand il comprit que désormais il était filmé.
Un personnage haut en couleur, donc. Si ses paroles étaient aussi poignantes que ses actes, cela pouvait s’avérer être un moment comique.

Quoiqu’il en soit, le premier round venait d’être relancé, et c’était au tour du Nephil d’attaquer. Le jeune homme s’était attaqué à l’invraisemblance du film, ce qui fit doucement sourire John : après avoir côtoyé quelques mois le quotidien des contractants, jouer dans ce domaine relevait quasiment de l’impossible désormais.

« - Pas de super pouvoirs, que de l’argent ; si les riches utilisaient leur argent pour aider les gens au lieu d’uniquement s’enrichir et pourrir les pauvres, le monde s’en porterait mieux. C’est ça le message pour moi. Quand à pouvoir s’endormir devant… Bah… Le Joker, quoi, merde ! Un génie ce Led-truc ! »

Bizarrement, le message qu’en avait tiré du film John concordait tout à fait à ses croyances. Très étonnant, comme s’il était subjectif ; quelle idée saugrenue.

Daignant enfin s’intéresser à la caméra – et parce que le faire tout de suite aurait été trop mainstream -, John abaissa un peu sa tête fit un petit signe de la main, comme pour saluer les futurs spectateurs de cet enregistrement. Bloquant sur un sourire quelques secondes, il prit finalement la parole.

« - J’suis John Fallen. Big up à la mi-fa ! Et si tu me vois papa, sache que je t’emmerde cordialement. Des bisous ! »

Son petit tour terminé, il se remit droit et tourna son regard vers le caméraman improvisé. Ce type semblait être encore moins doué que John en terme de contacts humains ; ce qui était une sacrée performance, en fait.

« - Et toi, t’es qui, Camboy ? Pour en revenir à nos moutons, ce que tu dis est bien joli, mais on a jamais dit qu’un message ne pouvait pas être utopique. Regarde, dans Naruto, il veut devenir Hokage : ça veut bien dire que le plus grand des abrutis peut devenir quelqu’un d’important… D’ailleurs, il réussit, à la fin ? J’ai arrêté la série après le premier épisode en fait. »

Plus exactement, on l’avait sommé de sortir de la boutique dans laquelle il squattait la télévision. Mais ce petit détail, il préférait le taire : parler de son adolescence pauvre n’était peut-être pas la meilleure des accroches.

Décidemment, Danny semblait sauter du coq à l’âne à l’aide roquettes ; mais ce n’était pas si dérangeant. Après tout, John cherchait simplement une discussion sympathique – et s’il apercevait une occasion de ne pas se ridiculiser en avançant des connaissances qu’il n’avait pas, ce n’en était que mieux finalement.

En revanche, la question que le type lui posa ensuite était presque au-delà de la portée du jeune homme. Il avait cité Naruto comme exemple absurde, mais il n’y connaissait pas grand-chose non plus à vrai dire. Un épisode de vu, et quelques enfants qui lui en avait parlé ; mais en dehors de cela, rien de très concret.

« - Eeeuh, j’connais pas trop en fait. Un blond punk ninja qui veut devenir le ninja le plus badass, tout en se tapant la pouffe aux cheveux rose. J’ai retenu ça à peu près, mais ça commence à faire longtemps, en fait… Mais, si tu connais pas ça alors que même moi, qui n’ait pourtant aucune culture connait, tu sors d’où ? Je veux dire, toi aussi t’as vécu dans une grotte ces dix dernières années ? »

Il exagérait à peine : il fallait avouer que l’habitat de Mary n’était pas exceptionnellement moderne. Mais douillé, c’est bien vrai.

Trop de questions. John n’en savait rien de tout cela, il venait de lui dire ; et Danny continuait sur ce sujet. Un personnage bien étrange que voici, mais le jeune homme avait envie de pousser un peu plus loin le cameraman, pour voir ce qui allait advenir.
Après la Russie de Saskia, voilà l’Europe Centrale – décidemment, il commençait à voyager au fur et à mesure de ses rencontres. La voix froide qui accompagne cette révélation tonitruante fit doucement sourire John, épaté par le talent qu’avait Danny pour changer de ton plus vite qu’il ne dégainait sa caméra.

« - Le ton froid, c’est pour rappeler la fraicheur de cet endroit, ou aucun rapport ? Par contre, pour Naruto, j’en sais rien en fait… C’est p’tête cool, à voir. »

Il fallait relancer un sujet, car continuer d’avantage sur ce manga allait amener à court d’argument le Nephil. Une idée simple, mais néanmoins correcte germa dans son esprit ; et il s’empressa d’en faire part.

« - Toi, t’apprécies des séries ? »

John n’en regardait jamais – se servir de sa télévision pourrait être utile désormais. C’était d’ailleurs peut-être ce qu’il allait faire en rentrant chez lui.

Voilà bien une série que John ne connaissait pas : jamais le moindre des enfants qu’il avait aidé ne l’avait cité devant lui, et il n’avait pas non plus souvenir d’être tombée dessus par hasard lors d’une se de ses errances dans des boutiques.
Qui plus est, amener ce sujet semblait fortement enjouer l’humeur de Danny ; c’était donc une raison de plus de s’intéresser à ce nouveau titre.

« - Ah, c’est bien bio alors ! »

Il se coupa net dans sa phrase. Cette blague était définitivement, complétement, absolument, nulle.

« - … Ouais, j’ai honte. Même pour moi, c’est naze là. Bref, je connais pas ton Docteur truc, ça parle de quoi ? »

Malheureusement, la scène était filmée, ainsi sa petite blague vaseuse avait été enregistrée et était donc impossible à faire oublier de la mémoire de l’Européen – John allait peut-être obtenir une catégorisation d’humoriste raté dans le cerveau du jeune homme. Un titre peu honorable pour quelqu’un qui mettait un point d’honneur à s’amuser, mais amplement mérité étant donné la médiocrité de son jeu de mot. Et encore, pire pouvait encore arriver, il fallait simplement que Danny ne pense pas à ce que redoutait John.

Comme si une fois n’était pas coutume – ni deux -, John fut à nouveau stupéfait par la réponse de son interlocuteur. S’imaginant cela pourtant inenvisageable, il devait accepter la terrible vérité et se prosterner mentalement : quelqu’un avait un humour encore pire que le sien ; probablement une incarnation du Démon.
Enfin, il reprit consistance et s’intéressa davantage à l’explication de la fameuse série. Quoi qu’explication fut un grand mot, car Danny n’avait finalement rien expliqué de la série – mis à part son genre et son côté loufoque. Néanmoins, l’attitude soudain sérieuse et presque concentrée du jeune homme confirma le Nephil sur ses idées, et l’appuya vraiment sur le fait que ce gars de l’Est était passionné par cette série.

Soit dit en passant, c’était bien le genre de choses que John pouvait presque envier aux autres : une passion. Sa vie pouvait se résumer en trois mots, différence – vengeance – découverte ; mais pas par passion. Alors, peut-être serait-il intéressant pour son développement personnel qu’il se mette à exploiter des pistes culturelles plus variées que celles qu’il suit déjà, accélérant son espèce de quête de normalité qu’il avait entreprit depuis son contrat. Objectif qu’il savait impossible étant donné sa vie relativement liée aux Ombres et à des chatons transgéniques désormais – mais il avait le droit de rêver.
Il esquissa un petit sourire pour montrer sa gratitude, puis reprit la parole.

« - Hmm, j’imagine un peu… En gros, le topo ce serait quoi ? Le nom me ferait penser à un type en quête d’identité, mais c’est assez vague en fait. »

Les devinettes, il adorait ça ; preuve en est son petit jeu avec Aleister au musée. Mais lancer quelqu’un là-dessus nécessite que ce dernier soit lui aussi inculte dans le domaine – et surtout, partant.