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Elle était un peu en avance sur l'heure convenue, son masque de loup dans la main. Elle vérifiait l'heure sur son téléphone, adossée au saule, pied sur son tronc.

Elle se fichait de son apparence actuelle, ayant laissant tombé depuis longtemps le maquillage humain, tout comme les vestes manteaux et gilets de toute sorte. Elle ne cachait plus non plus ses blessures, préférant aller les bras découverts en toute saison, privilégiant les habits où il y avait peu de prises à laisser à un éventuel ennemi. Une nouvelle cicatrice ornait le dessous de son oeil gauche, lui permettant de tenir les curieux à distance. Personne n'aimait se confronter à quelqu'un respirant autant l'amabilité et la sympathie.

Elle observait le parc baigné par la clarté du soleil de soirée, donnant un éclat doré au paysage. Elle espérait que ce Douglass viendrait effectivement, et qu'elle ne s'était pas déplacé en vain alors qu'elle pourrait être en train de faire des ravages dans le quartier Sud.

Le ciel était légèrement rougeâtre, informant le trentenaire que la nuit n'allait pas tarder à tomber, alors qu'il se garait. Il sortit de son véhicule prenant avec lui les affaires qu'avait demandé la médium. Restait à savoir s'il s'agissait bien de Lenna. Il s'avança prudemment dans le parc, avec la sensation que chacun de ses pas produisait un fracas phénoménal. Son souffle devenait rapide, sa tension montait, pourtant, il était préparé.

Il était prêt à tout pour sauver Isabella, même renouer le contact avec son ancienne amie dont il avait forcé la séparation d'une manière des plus cruelles. Finalement à l'embranchement d'un chemin, il aperçut cette silhouette baignant dans la lumière du coucher de soleil. Il la reconnaissait entre mille. C'était Lenna. Il prit une grande respiration, puis s'avança, main en l'air, s'approchant de la jeune Seraph.

"Lenna..." Interpella-t-il finalement.

Il était probable que la jeune femme lui court dessus dés qu'elle le verrait. Pour ça, il devait lui faire comprendre rapidement qu'il avait une proposition à lui faire, qu'il n'était pas là en tant qu'ennemi.

"J'ai besoin de ton aide. Veux-tu m'écouter ?"

Cette question sonna comme stupide dans l'esprit du trentenaire, mais il ne savait pas comment démarrer ce dialogue autrement.

"Lenna..."

Elle sursauta, se redressant vivement, tendue telle un arc vers l'origine de cette voix. Elle savait qui en était l'auteur. Bordel de merde. Qu'est-ce qu'il foutait là, il venait pour l'achever ? Une feuille du saule tomba devant elle. Elle ne s'en préoccupa trop attachée à invoquer sa faux. La dernière fois elle avait bien failli crever et lui était indemne. La phrase suivante l'empêcha d'attaquer, alors qu'elle finit par remarquer les deux mains brandies vers le ciel, comme si elles voulaient se faire pardonner du mal qu'elles lui avaient faites.

"J'ai besoin de ton aide. Veux-tu m'écouter ?"

Shit. Etait-il saoul ? Elle s'avança vivement, plaquant sa faux à un centimètre de son cou. Elle reconnaissait chacun des traits de ce visage, et quelque chose qu'elle croyait enfoui au fond d'elle s'agita. Salopard. Tu n'aurais pas pu m'oublier.

C'est toi Douglass ?

Lâcha-t-elle d'un ton acerbe. Elle affermit sa prise sur le manche de l'arme, à s'en blanchir les phalanges, alors qu'elle sentait combien la tâche allait être rude.

T'as deux minutes pour me convaincre.

Bien entendu, la réaction de Lenna ne fut guère une surprise pour Russel. Ses mains toujours en l'air, le trentenaire ne bougea pas d'un cils tandis que la Seraph approchait avec son arme d'âme, collant sa faux au niveau de son cou. Il observait la jeune femme droit dans les yeux, répondant à sa question dans un premier temps.

"En effet, c'est moi."

Son regard ferme et résolu ne quittait pas les yeux de son ancienne amie tandis qu'elle demandait des explications. Il avait deux minutes ? C'était largement suffisant.

"J'ai besoin de ton aide afin de sauver une personne. C'est une mission dangereuse. Et selon les informations que j'ai reçu, qui va à l'encontre des contracteurs. Je sais que je n'ai pas le droit de te demander de l'aide après ce que je t'ai fait subir." Avoua-t-il, fermant les paupières.

Il reprit, rouvrant les yeux.

"C'est pour cela que je te propose un marché. En échange de ton aide et de ton soutien pour cette mission, tu seras libre de faire ce que tu veux de moi après l'accomplissent de cette dernière, me torturer, me tuer, peu importe."

Lenna devait le savoir, à l'heure actuelle, elle ne pouvait pas le vaincre. Cette chance que lui donnait le Nephil de se venger était une occasion en or. Et c'était son principal argument pour qu'elle l'aide. Si elle refusait l'offre, le contractant serait incapable de la convaincre autrement.

Maintenant derrière chaque client potentiel, elle verrait la menace Nephil. De quoi la rendre drastiquement plus prudente. Ce monde ne cessait de la rattraper, partout, tout le temps. Cela commençait sérieusement à la fatiguer. Elle n'avait plus de repos. Même si elle n'en cherchait pas vraiment, le fait qu'on lui ôte cette possibilité la chagrinait. Elle plissa le front, continuant à tenir fermement son arme.

Elle allait dire qu'elle se fichait bien des personnes qu'il voulait sauver quand il énonça sa proposition. Son marché.

Qu'est-ce qui me dit que tu te laisseras faire une fois que je t'aurai aidé ?

Non ce n'était pas bon. Pourquoi dialogues-tu avec cette ordure ? Tue-le, tue-le, mais tue-le ! Elle se débectait. Mais Russel était quasiment impossible à éliminer. Tout le monde possédait des regrets. Ce qu'il lui proposait là valait de l'or. Sa faction saurait apprécier son effort. Elle oubliait simplement qu'Adonis lui avait dit ne pas vouloir le tuer tout de suite. Peu importe. Peu importe ce qu'il demandait en échange, voir sa vengeance assouvie était trop beau pour laisser passer l'occasion. Mais cela pouvait être un piège. Encore un de plus.

Un carnet ? Non, mais il se fichait d'elle là ? Un carnet en gage de bonne foi ! Cela ne valait rien du tout. Il semblait pourtant y tenir. Et puis elle se dit que c'était peut être rempli d'informations utiles pour sa faction.
Au pire elle aurait au moins gagner ça, même si elle n'arrivait pas à le tuer. Elle se méfiait, mais ramena la lame de la faux vers elle, avant de prendre le carnet dans l'autre main, et de vérifier qu'il n'était pas vierge.

Elle fit tout cela sans lui adresser un mot, évitant son regard qu'elle haïssait tant. Elle referma l'ouvrage d'une main et redressa la tête.

Très bien. Je le déposerai dans un endroit sûr et tu ne le récupéras qu'à la fin.

Elle mentionnerait l'info à un Seraph, qui pourrait l'avoir au cas où elle viendrait à disparaitre. Au moins, sa vie aura était utile. Maudite famille. Tu me forces à faire des choses contre nature. Discuter avec cet être, alors même que je n'aspire qu'à le voir disparaître. Éternellement.

Dis m'en plus.

Lenna était sympathique, elle avait l'intention de lui redonner le carnet qu'à la fin. Alors qu'il échangeait sa vie. En soi, il n'avait plus besoin de ce carnet puisque lorsqu'elle devra lui rendre, ce serait en même temps qu'elle devra le tuer. Elle voulait également en savoir plus. A propos de quoi, Russel n'en était pas sûre, mais à priori c'était au sujet de cette faveur qu'il lui demandait.

"C'est une mission dangereuse, nous risquons plus que nos vies. Et apparemment, elle irait à l'encontre des deux contracteurs. Kyu et Bey compris.  La personne que nous devons sauvé se prénomme Isabella, je pense que c'est une contractante, mais pour tout avouer j'ignore sa nature. Pour finir, je ne sais pas non plus où l'on va et comment on va s'y prendre pour la sauver, néanmoins, quelqu'un pourrait nous y emmener..."

Cela résumait à peu près les connaissances au niveau de cette mission pour laquelle il voulait employer Lenna. Pour ce qui était de la raison pour laquelle ce carnet était important pour lui, il devrait expliquer sa malédiction. Il décida de jouer carte sur table.

"Pour ce qui est de ce carnet, j'ai de temps à autres, des pertes de mémoire. Lorsque mon corps subit une blessure, en échange de sa guérison, je perds mes souvenirs du moment, pouvant remonter jusqu'à trois jours dans le passé. Cela n'arrive qu'une fois par jour."

Ce n'était pas tout à fait vrai, puisque son corps présent était remplacé par un corps passé qui pouvait très bien être blessé également. Mais l'expliquer rendrait les choses compliquées.

"Acceptes tu de m'aider à sauver Isabella ?" Demanda-t-il finalement, après avoir dévoilé en totalité sa malédiction.

La réponse de la Seraph était d'une importance capitale pour la suite de ses recherches et de sa prise de contact avec John afin de trouver des potentiels alliés. Si Lenna refusait, ce qui était fort probable, Russel devrait trouver une autre piste pour employer des personnes susceptibles de trahir les contracteurs pour sauver la belle de l'Ange Déchu.

L'aider ? Non mais il était sérieux là? L'aider ? Aider un Nephil à sauver quelqu'un qu'elle ne connaissait même pas ? Aider un Nephil au péril de sa propre vie ? Aider un Nephil alors même que cela pouvait lui mettre Kyu à dos ? Lenna ne retint plus la grossierté de la situation et un éclat de rire fut sa première réponse. Un éclat qui n'avait rien de drôle, mais qui était plutôt inquiétant à vrai dire. Surtout pour les passants du parc qui se demandèrent ce qui leur tombait dessus.

Tu te fous de moi ? T'as bu combien de bouteilles avant de venir me parler ?

L'attitude de Lenna était passablement logique. Elle le menaçait. Acceptait de l'écouter. Prenait son carnet. Et le menaçait à nouveau.

Pourquoi t'veux sauver cette fille ? Alors que tu risques de crever ? Depuis quand t'aides ton prochain ?

Oui, si on creusait bien profondément dans le coeur de Lenna on pouvait percevoir une pointe de jalousie. Enfouie très loin sous la couche de haine qui le recouvrait.

Qu'est-ce que tu lui trouves, au point que t'en viennes à te trainer devant moi pour quémander mon aide?

Elle le trouvait méprisable. Et surtout, elle ne le comprenait pas. Et elle voulait comprendre ce qui avait pu provoqué un tel revirement. Comprendre comment un Nephil pouvait demander l'aide de son ennemi. C'était invresemblable. Il n'y avait que Samantha pour croire à pareil scénario. Quelque chose ne tournait pas rond. Et ce quelque chose l'empêchait de lui jeter le carnet à la tête et de lui crier Hors de question !
Ce quelque chose renvoyait à ses propres interrogations. Pourquoi donc les contracteurs ne voulaient pas sauver l'amie de Russel ? Pourquoi donc cela les contrariaient ? Et Lenna avait la cruelle envie morbide de les contrarier. Rien que pour savoir.
La jeune femme n'était pas quelque de rationnel. Elle l'avait bien assez prouvé. Seules ses émotions la guidaient. La haine en particulier. Et sa haine envers un voeu détraqué la conduisait à vouloir contrarier Kyu comme lui l'avait contrarié.
Une Seraph plus logique y aurait vu un autre intérêt. Trouver les faiblesses d'un Nephil. Connaitre ses alliés pour mieux les éliminer. C'est ce qu'elle saurait sortir quand on l'accuserait de l'aider. Pas ce qui la motivait. La motivation était bien plus obscure et contraire aux principes qu'elle affichait à la surface. Tordue. Tout cela était aussi tordue qu'elle. Et cela lui plaisait.

Un sourire en demi-teinte naquit sur ses lèvres, alors qu'elle venait à cette conclusion, attendant de voir jusqu'où le Nephil serait prêt à argumenter.

Ah. La balle lui était retourné de plein fouet. T'as voulu jouer ma petite, t'as reçu l'argument en pleine poire. Son sourire s'effaça alors qu'elle observait Russel plus intensément. Il était sérieux. Vraiment sérieux. Si sa mission tournait mal, elle pourrait de toute le prendre par surprise et le tuer à ce moment là.

Il ne se rendait pas compte de ce qu'il lui proposait. Sa vie en échange de son aide. Il devait être désespéré. Il savait tout à fait ce qu'il faisait. Le courage que le Nephil n'avait jamais montré en sa présence acheva la décision de Lenna qui était déjà prise. Elle coupa court à ses larmoyantes demandes :

Je t'aiderai.

Et ensuite, je te tuerai. Sans l'ombre d'un état d'âme.

Par où on commence ?

Elle ne savait pas vraiment dans quoi elle s'embarquait. Elle ne voyait que le but final : la mort d'un Nephil, des informations, et creuser sous l'ignorance que laissait planer Kyu. Tout cela serait bien utile à sa faction. Encore faudrait-il qu'elle survive. Donc rassembler plus d'alliés était quelque chose qu'elle approuvait.

J'suis plus à ça près.

Elle prit le mouchoir et s'installa en tailleur dans l'herbe, révoquant sa faux. Il avait besoin d'elle, non? Pourquoi la tuerait-il ? Son masque vint s'appliquer sur ses yeux, au cas où un passant s'interrogerait de cette lueur étrange.

Tes questions sont prêtes ? Il me faut son nom et prénom.

Elle était prête à activer son pouvoir.

Bien.

Lenna ouvrit son esprit et se concentra sur le nom et prénom que lui donnait Russel.
Sa marque s'alluma, dissimulée par son masque.

Assieds toi aussi, ça fait bizarre, là.

Le fantôme était là.

Théodore Brun. Quelqu'un a des questions à te poser.

Elle releva la tête vers Russel.

Il est là.

Où suis-je ? Tout est trop vide, trop calme. Je ne vois plus que du noir, à moins que ça ne soit du blanc ? J’ai sommeil, mais je n’arrive pas à m’endormir. Je crois que … Je flotte, dans le vide.
Ce n’est pas un rêve. Cette fois-ci, je n’ai plus de corps, et tout est trop simple pour que ce soit mon imagination ; même si je n’ai plus mal. Je ne me souviens plus de rien.

Soudainement, tout s’emballe. On m’arrache une seconde fois à cette enveloppe charnelle que je pensais disparue, et je voyage. Vers le haut, le bas, sur place aussi. Des couleurs flambent de part et d’autre, mais à mesure qu’on me transporte, ma vision se floute de plus en plus. Quoique, a-t-elle déjà été correcte ? Je ne sais pas. Je ne sais rien. Mais je commence à me souvenir de bribes.

Le chemin continue, de plus en plus rapide, à chaque seconde plus lent. Finalement, je m’arrête quelque part, un lieu que je ne reconnais pas. Tout est vert, sauf deux silhouettes proches qui se détachent du reste. Une certitude m’apparaît : je les connais, sans que je puisse pour autant leur donner une identité, ou une histoire.

Et puis, quelqu’un parle. Un nom perce mon ouïe brisée, m’invoque. J’écarquille des yeux que je n’ai plus, me cambrant sous le poids des pensées qui fluctuent dans mon esprit. Ça y est, je sais.

Je m’appelle Théodore Brun, et je suis mort.

Muet, je dodeline mon ectoplasme de tête en observant la forme qui me parle. Sa voix, je la reconnais, et lui sait qui je suis. Les mots m’arrivent quasiment tous entiers, dans le désordre ; mais la magie de mon appel me permet d’offrir un sens à ses phrases.

« - Russel … »

Cet unique mot me raccroche brutalement à la réalité. Je balance mon regard partout, respire les données qui me sont offertes. Je sais tout maintenant. Même d’elle, d’Isabella, je me souviens. Il tient à elle, et s’il en vient à me tirer de mon trépas pour en conjurer mon aide, c’est qu’elle a de sérieux problèmes… Et je n’ai pas envie de savoir lesquels. Ça ne me sert plus de savoir, de toute manière.

En dehors de ce mystère, je me demande aussi pourquoi il m’appelle par mon vieux prénom. L’anonymat peut-être ? Enfin, cela n’a pas d’importance. Si Russel recherche des contractants prêts à aller à l’encontre de Kyu et Bey, je connais une personne qui pourrait l’aider. Reste à voir si leur passif ne l’en dissuadera pas.

« - Alors, finalement tu prends le chemin des Solitaires … Soit. Je ne suis plus là pour toi, de toute façon. Si tu veux un nom, j’ai celui de Leeroy Stone… Son adresse, la voilà. »

Balancer le nom de quelqu’un à qui j’avais promis la sécurité au prix de ma vie, résonne presque comme de la trahison. Mais j’ai déjà payé l’ultime sacrifice, alors il y a-t-il encore une pire punition qui m’attend ? Je ne crois pas aux enfers, ni au paradis. Je crois juste que je suis mort en fait.

D’outre-tombe, ma curiosité me lance une dernière supplique, à laquelle je consens de répondre. Je tourne le regard vers l’autre silhouette, familière elle aussi ; et je l’interroge, d’une voix presque sépulcrale.

« - Qui es-tu ? »

C'était quoi ce lapsus que venait de faire Russel ? Elle ne put s'attarder sur lui, concentrée sur la question posée et la réponse qui devrait se faire.
Ah donc c'était Isabelle sa nouvelle dulcinée ? Quelle triste nouvelle. Elle espérait la faire souffrir quand Russel mourrait de ses mains. Hmm, il la considérait aussi comme suffisamment puissante. Pourquoi ne l'avait-il pas tué quand il avait eu l'occasion?

Non Russel ne prenait pas le chemin des Solitaires, mais celui des futurs décédés et esprits. Elle s'abstint de le mentionner, traduisant ce que voulait le Nephil.

Il dit que tu vas finir solitaire. Leeroy Stone pourrait t'aider.

Elle nota l'adresse que lui communiquait Théodore, et tendit le papier à Russel. L'esprit s'interrogeait maintenant sur son identité.

Tu ne me connais pas. J'aide Russel.

Elle reposa son regard sur l'homme qui lui faisait face.

Tu as d'autres questions?

Russel laissa un sourire s'inscrire sur son visage en écoutant la première réplique que transmettait Lenna. Même mort, son collègue s'inquiétait pour lui. Néanmoins, sa décision était déjà prise et quand bien même si la voie qu'il prenait, le menait vers la solitude, au final, l'accord qu'il avait avec la Seraph, mettrait un terme à tout ceci. En somme, il rejoindrait John bien assez tôt.

*Alice...*

La jeune femme allait être seule, mais elle était forte. Nul doute, qu'elle s'en sortirait éventuellement. Quant au nom qu'évoqua Lenna, bien entendu, le trentenaire le connaissait. Leeroy Stone... Il avait des antécédents avec ce jeune homme. Un passif relativement grave qui rendrait son recrutement des plus difficiles. Russel prit le papier que lui tendit Lenna, l'inspecta rapidement avant de le mettre dans sa poche. Puis il posa une autre question.

"Est-ce qu'il y a quelque chose qui me permettrait de recruter Leeroy plus facilement ? As-tu quelqu'un d'autre à me conseiller ?"

Mon visage éthéré se crispe. Tu m’invoques, m’arraches de ce repos que j’ai mérité ; tu me tourmentes par ma seule présence ici et tu refuses quand même de me dévoiler ton simple nom ? Malgré ma mise à nue sous tes yeux mystiques, tu me caches l’information la plus primaire à ton sujet ? Je te connais, ma mémoire se souvient de ton apparence, de ta voix … Mais mon cerveau est encore incapable d’y coller ton identité.

Et pourtant, il faut que je fasse fi de ça. Je n’ai pas envie de m’énerver maintenant, je n’aurai de toute façon pas le loisir de mettre à profit cette colère – bientôt je sombrerai à nouveau dans ce sommeil éternel qui m’attire tant. La seule chose qui doit compter à mes yeux, c’est d’aider Russel. Je lui dois bien ça, tant est que je suis encore capable d'utiliser ce genre d’expressions.

« - Peut-être que lui dire que je te l’ai conseillé pourrait aider, je ne sais pas. Si Leeroy n’a pas envie de t’aider, le forcer t’handicapera plus qu’autre chose… Et je ne connais personne d’autre, désolé. »

Je t’interdis de mêler Alice à ça, mon ami. Ne la pousse pas à être bannie des siens, car c’est probablement son refuge désormais, et de même pour Saskia. Alors, je te souhaite bien du courage dans ta quête audacieuse, qu’une partie de moi aurait bien aimé vivre.

Malheureusement, le reste a encore plus envie de quitter ce monde définitivement. J’ai fait mon temps de contractant, maintenant qu’on me laisse tranquille.

Lenna haussa les épaules. Il n'avait qu'à promettre à Leeroy qu'il mourrait ? Non, personne ne voulait autant sa mort que Lenna, cela ne fonctionnerait pas.

Il dit qu'il ne connait personne d'autre, et que peut-être en parlant de lui ça aiderait. Il a pas l'air très convaincu.

Dans quoi c'était-elle encore embarquée ? Tout ça pour la mort d'un Nephil. Mais ça valait le coup. Forcément. Une fois sa vengeance assouvie, elle ne pourrait que se sentir mieux et passer à autre chose. Il lui suffisait de considérer Russel comme son client. Tout serait plus simple.

T'as encore le temps de poser quelques questions.

Elle jeta un coup d'oeil à sa montre. 5 min s'était écoulé.

Lentement, je balade mes yeux sur mon corps spectral, puis les lève au ciel. Je ne sais pas quel pouvoir m’a attiré ici, mais j’ai pour certitude que c’est en rien un sceau permanent – ma désincarnation est lente, mais bien réelle. Mes mains ne sont déjà plus là, et mes lambeaux de pieds flottent déjà trop haut pour qu’une illusion de marche soit possible. Alors, combien de temps me reste-il ? Difficile à dire, tant ce genre de sorcelleries échappe à la logique classique. Mais dans le doute, je dirais : pas longtemps.

« - Dis-lui de prendre tout son temps pour me rejoindre. La vie ici-bas est bien plus palpitante, et je suis sûr qu’il lui reste des tas de choses à ressentir … »

Est-ce si ennuyeux d’être mort ? Je dois avouer ne plus me souvenir de ce que j’ai fait depuis que l’on m’a réveillé. Si l’on me demandait si cela fait trois jours ou deux années que je suis parti, je ne pourrai pas répondre. Enfin, je commence à avoir de l’habitude de tout ignorer, après tout. Donc, je résumerai le trépas au meilleur sommier que j’ai connu, surclassant de très loin le lit hors de prix de la chambre d’Alice.

« - Et aussi, dis-lui de passer à autre chose. Je suis mort, je ne reviendrai pas, alors … Je ne veux pas qu’elle se prenne la tête davantage à cause de moi. Fais-en sorte qu’elle soit heureuse Russel, s’il te plaît. »

Merde, je vais finir par passer pour un sentimental. Au pire, je m’en fiche ; tant que je suis honnête.

Qui était cette princesse dont parlait Russel ? Lenna se borna à faire son rôle de récepteur, sachant bien que la communication allait couper d'un instant à l'autre.

Il dit que la vie est plus intéressant que la mort, et qu'il lui reste des tas de choses à faire. Aussi, qu'il faut passer à autre chose, et que tu dois faire en sorte qu'elle soit heureuse.

Un amour sans doute ? Julien n'aurait certainement pas pensé cela, au vu de la façon dont il avait fini par l'accueillir. Son don coupa, les 10 minutes étaient écoulées. Il n'y avait plus de pièce dans la cabine. Fin de la transmission. Elle ôta son masque et jeta un regard froid à Russel. Qu'il ne s'imagine pas une seconde qu'elle changerait d'avis concernant leur marché, même si elle devait d'abord l'aider pour cela.

C'est terminé.

Elle ne s’embarrassait pas non plus de détail, et ôta son masque.

"Le message sera transmis." Conclut Russel envers l'esprit de John avant de retourner son attention vers Lenna qui disait la communication terminée.

Le trentenaire posa un soupir, prenant une roulée depuis le paquet d'une poche intérieur de son manteau. Les choses allaient se compliquer. Il se surprenait à devoir convaincre les personnes qui le haïssaient le plus à l'aider. Mais avant d'aller convaincre Leeroy de l'aider, il devait accomplir une dernière formalité avec la Seraph. Il sortit un bout de papier, vestige d'une page arrachée à son carnet de note avant de noter avec un stylo, l'heure ainsi que l'adresse du point de rencontre. Ceci fait, il le tendit vers la Seraph.


"Tiens prends ça. Dessus, il y a le point de rendez vous. Dit moi si tu comprends ce qu'il y'a d'écrit."

Il était important de savoir si Lenna pouvait lire l'adresse sur ce papier. Dans le cas contraire, il en parlerait à ce Kratos pour changer légèrement de point de rendez-vous. Quoique difficile de savoir si l'homme serait prêt à faire cela. Ceci fait, il n'aurait plus qu'à rendre visite à ce Leeroy. Mais avant, faire quelques préparatifs pourraient s'avérer nécessaire. Ne serait-ce que se préparer à l'éventualité d'un combat entre lui et le jeune homme.

J’aime bien cette aquarelle. A la même vitesse que les formes étaient apparues, je vois à nouveau leurs couleurs se mêler, ne formant plus qu’un ramassis abstrait et magnifique. Je sais que Russel a parlé, mais je ne comprends pas le sens de ses mots, ils vibrent bien trop lentement pour atteindre mes tympans déjà partis ; pourtant, je les devine. Très terre-à-terre, comme toujours, mais respectueux. Je lui fais confiance pour accomplir ses paroles.

Tandis que le néant m’entoure peu à peu, je me laisse aller à quelques nostalgies quant à ma vie. Enfin, celle depuis Bey du moins, la seule qui compte véritablement à mes yeux – et, elle me manquerait presque. Le dernier mot est peut-être de trop, je ne sais pas. Mes souvenirs s’effacent peu à peu, mais un sourire se dresse sur mon visage, immortel. Probablement que j’aurais dû remercier mon collègue pour ces quelques mois.
Sauf qu’il est trop tard désormais. A moins que l’on me rappelle un jour, qui sait ?

Continuant son Big Bang inverse, mes pensées se ralentissent de plus en plus, gelant le cours de mes réflexions. La fatigue me rattrape, se déchaîne dans mon métabolisme éthéré bien plus que lors de mon réveil, et je sens, à travers mon âme, mes paupières se clore une dernière fois, une ultime je pense.
Bonne nuit Russel. Bonne nuit, Alice.

Lenna prit le message, observant Russel avec suspicion. Elle lut l'adresse, un lieu qu'elle ne connaissait et se mit à se demander s'il n'allait pas encore tenter de lui raconter des anneries, comme la fois où il avait des prétendues informations à lui livrer.

Pourquoi j'comprendrai pas ?

Elle haussa les épaules en plissant le front, l'air de penser sérieusement qu'il était taré.

Bon, à plus, alors.

Elle n'allait pas s'éterniser ici, avec un Nephil, en public qui plus est, qui se prénommait Russel. Elle fit quelques pas en arrière, avant de se retourner.