Spoiler:

Elle savait pas trop ce qu'elle fichait là en réalité. Dans un café, elle qui était plutôt une adepte de bars et de martinis. Le dernier en date remontait à une certaine femme qui avait voulu la déguiser. Il y a plusieurs mois. Autant dire que le café ce n'était pas sa tasse de thé...
Elle n'avait fait qu'obéir à un sms de son supérieur. C'était vrai qu'il y avait aussi longtemps qu'elle ne s'était pas accoudée au bar du New Dawn pour discuter avec un Seraph après une partie d'ombres corsée.
Il passait son temps à lui sauver la vie en réalité.
Elle pouvait bien passer un peu de son temps à boire un café.

Mais merde quelle plaie.

Elle eut tôt fait de repérer la tête du Protecteur, et s'assit en face de lui, la mine toujours aussi inexpressive. Au moins était-elle propre, c'est à dire sans aucune trace d'un récent combat. Faut bien se présenter correcte avec des publics humains en fin d'après-midi.

Salut.

Elle commanda un café serré et replaça ses yeux sur le visage de son interlocuteur.

Je pensais que t'aurais préféré ton bar.

Un café bouillant entre les mains, un pull épais sur les épaules, n’importe quel autre client de ce café pourrait s’imaginer que je me suis terré ici en quête de quelque chaleur. Sauf que ce ne sont que des apparences – des reliquats d’une humanité que je recherche, après qu’on m’ait arraché la dernière ancre qui m’y attachait. Et comble du sort, c’est bien une part ce lien qui s’est retourné contre moi, brisant toute une charpente de faux-semblants et mensonges. Putain de Contrat, je pourrais dire.
Mais, après deux ans ici, est-ce que j’en suis encore à râler dessus, et à m’en plaindre ? Est-ce que, à sa place, je n’aurais pas fait pareil ? Evidemment que je connais les réponses à ces questions. Disons que ruminer une haine envers Luna est plus simple que de tourner à Kyu ; et que ça me crée une espèce de nouveau repère. Ou peut-être pas, je ne sais pas.

Dans le flot de silhouettes, en émerge une plus pâle, plus familière. Lenna. Pourquoi est-ce que je l’ai fait venir ici, abusant presque de mon autorité ? Pour discuter un peu, je crois. Lors de notre rencontre, je l’avais cru froide, désemparée, plongée toute entière dans le courant de la démence qui s’écoule de ce monde. Sauf que la vision qu’en a évoqué Marguerite m’a intrigué – une personne chaleureuse, agréable, accueillante. Humaine dirait certains, mais je ne crois pas vraiment que le terme demeure adapté à quiconque parmi nous.
Donc, sa condition ne serait pas irréversible ? Ses maux pas tout à fait absolus ? C’est ça, ce sujet, la raison de notre entrevue du jour. Au grand risque d’être indiscret, impoli, en-dehors de mes prérogatives, je veux en savoir plus sur elle. L’aider, peut-être, et à travers elle, moi à mon tour.
Ou simplement, parler. Tout décharger, espérant un retour de phrases. Je ne sais pas.

J’esquisse un sourire à son arrivée, et le taris à l’instant de sa réplique. Involontairement, elle vient presque de faire la pire des entrées – mais, elle ne pouvait pas savoir.

« - Salut, Lenna. J’aurais préféré, mais je ne peux plus vraiment y mettre les pieds. »

Eluder, c’est ça que je dois faire pour le moment. Si je veux jouer le pleurnichard et m’épancher sur ses épaules, il faudrait au moins évoquer quelques banalités auparavant.

« - Bref. Je t’ai faite venir pour discuter un peu, à vrai dire. Tu connais Marguerite ? »

Simplement, avoir son avis, au début. Lui dire de but en blanc qu’apparemment, elle peut aussi être gentille, serait plutôt malavisé. Au hasard, hein.

Elle ne s'attarda pas sur le sujet du bar. Elle aussi avait dû quitter son appartement. Quand on était repéré par l'ennemi, on devait tôt ou tard quitter notre dernière attache du monde des humains pour se plonger encore plus désespérément dans celui des humains.

Il voulait juste discuter ? Bon, au moins n'avait-elle pas commis une énième erreur. C'était toujours ça. Son café arriva sur ces entrefaites, et elle tint la tasse d'une main, attendant que le breuvage refroidisse pour le boire. Car même si elle ne percevait plus la chaleur, elle ne savait trop si son corps pouvait toujours brûler.

Marguerite ? Oui, elle dort dans ma chambre. Pourquoi ?

Une inquiétude brève mais visible passa sur ses traits.

Il lui est arrivé quelque chose?

Alors, Lenna tient vraiment à l’amie féline. Je crois que j’ai envie de laisser filer un sourire, mais je préfère le conserver pour un peu plus tard. En fait, là, à cet instant, je retrouve la bribe d’émotion que j’avais reconnu sur ses traits à l’infirmerie, et ça me réjouit. Définitivement, elle n’est pas le cadavre animé qu’elle prétend – alors, je peux tenter de l’aider.

« - Non, elle va bien, je te rassure. »

Parce que sinon, je t’aurais annoncé la nouvelle directement à la base, et non en t’invitant dans un café lambda de ce quartier. Mes pincettes ne s’étendent pas à ce point, je dois bien le concéder – et puis, qui s’en prendrait à un chat ? J’ai presque tendance à croire que c’était encore plus saint qu’un enfant.
Je prends une grande inspiration, en quête des termes que je m’apprête à utiliser. Mais je n’en trouve aucun de parfaitement à même de refléter l’ensemble de mes idées, sans les déformer, ou les rendre quelque peu désobligeants à son ouïe.

« - En fait, elle m’a parlé de toi. Elle t’a décrite comme une personne chaleureuse, gentille attentionnée. Alors, je me demandais … Qu’est-ce qu’il t’est arrivé avec les humains pour prendre autant de distance ? »

Tellement intrusive, comme approche. Mais faut croire qu’il est nécessaire de laisser s’effondre ce mur de politesse derrière lequel j’apprécie de m’abriter, et d’aller droit là où est l’intéressant, l’inquiétant peut-être. Et s’il le faut, accélérer son effondrement en muant mes questions en marteaux.
Va savoir ce qu’elle va me répondre. Elle pourrait se lever, rentrer au QG, et je ne lui en tiendrai pas rigueur. Je m’aventure sur un terrain qui ne me voit aucun droit, alors il est des siens que de s’échapper à mes interrogations ; et de mes obligations que de me plier à son choix.

Bon alors si ce n'est rien, pas de mission, personne à sauver, cela lui allait bien. Elle prit l'anse de la tasse entre ses deux doigts insensibles et commença à la porte à ses lèvres tandis que le blondinet reprenait le dialogue. Elle ne voyait pas vraiment où il voulait en venir à lui parler d'un chat. Alors sa question la prit quelque peu au dépourvu.

Sa tasse n'arriva jamais à ses lèvres et retomba un peu trop précipitamment sur sa soucoupe, laissant échapper quelques gouttes de café sur la table du salon, et sur ses doigts qui ne réagirent pas au liquide chaud.

C'est pourtant évident non ? Un humain peut se changer en Nephil à tout instant.

Mais détournons le sujet vers quelque chose de moins sensible.

Qu'est-ce qui te dit que je prends mes distances ? Je fais mon job, c'est tout. Je te parle bien, pourtant t'es pas un chat.

La réaction est celle que j’espérais. Son agacement est palpable, mais elle reste là, ne tourne pas les talons à ma question – évidemment que je ne m’attendais pas à ce qu’elle déballe tout à la première interrogation.
Maintenant, ce qu’il faut, c’est de trouver un moyen d’en savoir davantage. Ce qui ne va pas être aisé, j’en suis bien conscient.

Donc, son problème est qu’elle voit en un humain, un Nephil potentiel. Mais quid des Seraphs, alors ? Devenir Solitaire n’est pas si brusque, et fratricide encore moins ; alors, que craint-elle à se lier plus à nous autres, ses camarades ? la peine de nous perdre ? Sur ce point, je ne peux pas nier l’exactitude des propos. Mais si l’on s’impose ce genre de limitations, alors autant vivre reclus sur soi-même, en esquivant tout contact.
Ce qu’elle fait, non ?

« - Pas les Seraphs. Tu m’as dit que tu voulais bien être une machine, si ça pouvait aider. Pourquoi est-ce que tu t’engages autant, que tu méprises à ce point tout le reste ? Tu n’as jamais envie de prendre, parfois, du temps pour toi, tranquille ? »

Je sais que l’on vit dans une guerre permanente, mais parfois, il est possible de s’octroyer un peu de repos. Se terrer une journée au QG, simplement pour ne plus réfléchir qu’à soi. Réfléchir à de courts congés, aussi. Elle n’a pas de responsabilités à la faction, alors qu’elle profite de cette liberté avant qu’on ne lui en impose – pas que ce soit un mal, mais plus l’on est important, et plus l’on doit errer proche de là où sont nos alliés.
Et puis, même avec mon grade, j’ai bien réussi à m’épanouir dans ma vie humaine. Jusqu’à ce que le dogme de Lenna se dévoile vrai, et m’arrache tout ça. Mais mes petits malheurs, je vais les garder encore un peu pour moi, hein ?

Un rictus à peine amusé étira ses lèvres, alors même que la tasse fut abandonnée à son sort, et les gouttes de café coulant lentement le long d'une rainure dans la table.

Tranquille ? Du temps pour moi ?

Elle secoua la tête, songeant qu'il était bien loin de la dure réalité quand on était un Seraph.

Tu es bien naïf.

Elle s'accouda, essayant de comprendre pourquoi toutes ces questions déboulaient maintenant, alors qu'il ne les avait jamais posé ces fois où elle était venue boire un verre le long de son bar.

Dans une guerre, il n'y a pas de place pour de la paix et de la tranquillité. Je m'étonne que tu ne l'ai pas encore compris.

N'était-ce pas lui qui vivait dans ce monde depuis plus longtemps qu'elle ? Il était à un grade plus élevé, comment ne pouvait-il pas en avoir conscience. Il faut dire que tout le monde n'avait pas la chance de démarrer son contrat menacée par un Nephil, en assistant à un meurtre.

C'est trop dangereux.

Ajouta-t-elle plus faiblement, alors qu'elle prenait sa tasse dans ses mains et buvait une gorgée pour ne pas se mettre à penser à des bribes de souvenirs qu'elle souhaitait oublier au plus profond de son être.

Voilà, c’est là qu’elle se fourvoie ; je m’y attendais, faut dire. Sa vision est celle d’humains transformés en machines, et qui luttent sans répit. Et je suis intimement persuadé que, même si Kyu doit apprécier cette idée, les choses n’ont pas été conçues pour aller de cette façon.
Sinon, rien ne fonctionnerait. Sans hobbies, temps libre, pauses, je serais déjà devenu un Solitaire depuis bien longtemps. Oh, ouais.

« - Non. Tu crois que l’on doit se battre en permanence, ne s’octroyer aucun temps personnel ? Même dans des guerres moins discrètes, il y avait des relais, des trêves. Alors pourquoi ça serait différent pour nous ? »

Surtout que nous ne nous battons sur bien moins de fronts, et contre des ennemis avec des armes moins massives. Qu’on dise ce que l’on veut, une bombe nucléaire m’effraie davantage qu’un Contractant puissant.

« - On dort peu, plus. Pour continuer la bataille, tu penses ? Nan, c’est pas mon avis. C’est là pour qu’on passe plus de temps à la tâche, mais que l’on puisse aussi vivre à côté, à des heures où les soldats normaux dorment. Contractant le jour, humain la nuit ; l’inverse, un mixte, ce que tu veux. Mais si tu t’abandonnes tout à fait à la faction, tu vas devenir pire que folle, Lenna. Il faut un équilibre, et même s’il n’est pas absolu, il est nécessaire au moins qu’on tente de le faire exister. »

Je balade des doigts autour de ma tasse, et refuse de la porter à ma bouche. Je commence à m’énerver, et je risque de la renverser quelque peu.

« - Tu sais. Je viens de perdre ma vie humaine. Et j’ai pas l’intention de combler tout ce vide par la guerre et le sang. Je vais chercher une nouvelle petite ancre, parce que j’en ai besoin. Et ça peut sembler mégalo d’imaginer que toi aussi, mais c’est bien mon avis. »

Je suis en train de lui dire ce qu’elle doit faire ? Putain, je déteste cette manière de s’adresser à quelqu’un ; mais j’ai la vive impression que je dois le faire.

Elle se prit les paroles d'Howard comme si elle recevait des coups. Son visage se crispa alors qu'il remettait en question la seule chose qui la faisait continuer de vivre.
C'est différent, parce que je ne le mérite pas. C'est différent d'être quelque chose d'autre dans ce monde tellement humain.

Son équilibre résidait dans la bataille à corps perdu. Si elle s'arrêtait, elle tomberait, et de ça au moins était-elle consciente. Elle avait cessé de martyriser son corps, elle avait rejeté cette douleur dans les coups portés à l'ennemi. L'accusateur de tous les maux.

Je n'ai pas dis que je n'en avais pas besoin.

Elle détourna la tête, observant l'extérieur pour ne pas lui laisser voir son trouble qui avait gagné ses yeux, un instant bien vite refoulé au fond d'elle.

Juste que je n'ai plus...

Elle haussa les épaules, sans achever sa phrase, et reprit la conversation en main.

Qu'est-ce qu'il s'est passé?

Elle sentait une colère sous-jacente toute cette animation, une révolte qui ne demandait qu'à s'exprimer. Avait-il vu aussi mourir sa fiancée ? S'était-il fait trahir ?

D’un revers de la main, je repousse ma soucoupe, et je pose mon coude à sa place. Quelques doigts se lèvent, et accueillent mon front qui s’y mêle, tandis que mes yeux ne parviennent plus à s’échapper de ceux de Lenna.
Je veux en savoir plus. J’ai mis la main sur un de ses démons, si ce n’est le plus grand, et désormais je ne pense plus qu’à finir de profaner sa sépulture mémorielle. Je sais qu’il m’en coûtera d’insister encore davantage, mais je crains que si je laisse filer l’affaire aujourd’hui, je ne retrouverai plus jamais la pelle.

Alors, pour qu’elle se confie, il faut que je le fasse avant. Et j’en ai envie, à vrai dire ; peut-être pas de cracher ma bile, mais au moins de m’exprimer. Donner son nom ? Je sais pas. Et pourtant, le mien est connu désormais.
Sauf que j’arrive pas à me faire à l’idée de la pourchasser en tant qu’ennemie. Ça nous rend con d’être amoureux, hein ? Même quand elle fait tout pour être détestée, faut croire.
Je pousse un soupir, et sans un clignement, je prends la parole.

« - Il y a… Non. Luna, la fille qui t’a ramassée dans la ruelle, après ton combat contre Rekor. Eh bien, elle est repassée dans mon bar pour prendre de tes nouvelles, et … Ça s’est bien passé, on peut dire. Et plus d’un soir, même, une relation quoi. Je l’ai aimée. Et puis, il y a même pas dix jours, elle m’a quitté. Salement, prétextant qu’en gros j’étais son amant plan cul. »

Ça y est. Une identité est fixée sur elle, mais ça m’a échappé. Putain, pourquoi je me tairais ? Pourquoi est-ce que je m’en veux de cette mégarde ? C’est mon devoir, de la livrer.

« - Un rien après, j’ai reçu une lettre, de sa part. Elle m’a avouée être Nephil, savoir pour ma nature depuis le début, et m’a donné un ultimatum : trahir la faction, ou tout perdre. »

Mes bras se lèvent, et je hausse des épaules, sans la bribe d’un sourire. Il n’est plus de mise, je crois.

« - Donc. Elle a vendu mon bar, mon nom, et tout ce qu’elle a pu glaner, j’imagine. »

Je laisse lourdement retomber mes paumes sur la table, renversant ma tasse par la même. J’avais pas soif, de toute façon.

Ah, on y était. Une histoire d'amour. Une rupture quoi c'était tout ? Elle se tait, attendant de savoir ce qui pouvait bien lui valoir de perdre une vie humaine pour une simple liaison humaine. Une relation entre deux êtres qu'elle s'interdisait de toutes ses forces.

Son silence sait déjà ce qui va suivre. Ce qu'elle redoute à chaque coin de rue. Derrière le sourire le plus aimant peut se cacher n'importe quel poignard prêt à vous foudroyer sur place.

Elle ne réagit qu'à peine à la mention du mot Nephil, plus vraiment surprise, plus vraiment étonnée que la vie continue de choisir la souffrance à chaque instant plutôt que la facilité.

Ce sont eux les traîtres.

Elle serre ses mâchoires, observant d'un air morne la tasse d'Howard déverser tout son contenu alors que le visage de Russel s'impose à elle.

Ils attendent qu'on soit sous leur emprise pour nous arracher ensuite.

Ses doigts se crispent sur son propre récipient. Sous la force de ses phalanges blanchies, une félure traverse la tasse la laissant aussi fragile qu'elle même.

Je te comprends.

Elle savait ce que c'était que de se faire trahir par la personne en qui on pensait avoir le plus confiance. Elle savait ce que c'était que de tout perdre. Sauf qu'elle n'avait pas eu la force de reconstruire quoi que ce soit, préférant foncer tête baissée dans une vie mécanique.

Alors, elle sait ce que ça fait. Ça ne me surprend même pas, à vrai dire. Oh, pas que j’imagine qu’elle ait eu des histoires d’amour à chaque coin de rue, mais plutôt que si elle se refuse autant à vivre, c’est bien parce que quelque chose – ou plutôt, quelqu’un – l’en a dégoûtée. Je réduis mon regard, toise un instant le liquide noirâtre qui complote sa cascade silencieusement, et l’éponge de ma serviette tandis que je le ramène vers le centre, barrant son chemin de ma soucoupe retournée.

« - Alors. Toi aussi ? »

Ma question est simple. Je ne fais que rebondir sur ses sous-entendus, continuer à fouiller dans ses problèmes. Sauf que désormais, nous sommes dans la même galère, non ?
Mais si j’ai vu juste, je me refuse à sombrer comme elle ; non, je veux à tout prix construire une nouvelle charpente, plus solide, plus définitive. Une non pas basée sur mes désirs, mais sur des certitudes. Le genre qui ne me filera pas entre les doigts en me trahissant – un véritable havre, en somme. Reste à trouver où, et comment le créer. Mais ça, à la limite, je pense que je me débrouillerai.

Peut-être que je pourrais retourner dans le sud, dans mon vieux squat. Continuer quelques travaux là-bas, faire du forcing auprès de la mairie pour améliorer leur quotidien ; et, surtout, éradiquer la moindre trace d’Ombre dans le coin. Sans personne pour leur saper le moral, il se pourrait bien qu’ils arrivent à sortir de là.

Ouais. J’ai envie de faire ça. Comme ça, je m’oublierai quelques heures, je redeviendrai la raison de mon vœu. Merde. Voilà que j’ai presque envie de sourire, en fait.
Si l’envie de cracher ma haine n’était pas plus importante.
Connasse.

Oui.

Un simple mot qui suffit à partager leur douleur. Cette douleur ajoutée aux autres qui n'a fait que l'enfoncer plus profondément dans le miasme où elle évoluait déjà avant tout ceci. Elle sent qu'il attend la suite, et lui doit bien.

Je l'ai connu, je n'étais qu'humaine.

J'étais encore humaine, je ressentais encore le froid, le chaud. Mon coeur battait dans ma poitrine. Heureux les ignorants. Mais Kyu ne laisse pas le choix.

Puis j'ai fait mon voeu et j'ai compris très vite ce qu'ils étaient.

Il était facile de deviner de qui elle parlait, sa haine transparaissait ses mots. Rien n'était plus capable de l'arrêter.

J'ai alors eu besoin de faux papiers, il m'a suivi jusque chez moi et...

Comment détailler l'horreur d'un évènement qu'elle s'efforçait à garder flou dans sa mémoire, pour ne pas sombrer plus loin dans la culpabilité, dans sa lâcheté, dans le portrait de Julien qu'elle ne voulait pas percevoir.

J'ai fini par ouvrir un kekkaï. On aurait encore pu... Mais il a...

Sa voix se brise, incapable de poursuivre et décrire ce qui a suivi, ce qu'elle même a fait, a accepté.

Il ne sort pas de ma vie !

Elle se leva brusquement, trop prise par ce flot d'émotions qu'elle peinait à contenir. Pourquoi revenait-il sans cesse, encore et encore dans le seul but de la faire souffrir.

Je le hais !

Elle envoya valser sa tasse d'un revers de main, alors que le silence se faisait autour d'eux. Les clients surpris la dévisageaient alors qu'elle se figeait fixant l'homme qui l'avait forcé à exprimer ces souvenirs qu'elle ne souhaitait qu'oublier à travers le sang et la mort.

Mon dos vient épouser l’armature du dossier, et mon menton se lève plus que je l’aurais imaginé. Mais tout du long, je ne perds pas le regard de Lenna. Je sais que là-bas, une tasse gît probablement, et que tout autour des badauds me toisent ; mais je n’en ai rien à faire.
Parce que maintenant, elle a parlé. Je sais d’où vient la machine, pourquoi elle s’interdit à la moindre charpente de plaisir. Simplement, comme si c’était la putain de tradition, celle-ci a décidé de se détruire. Et d’entraîner cette jeune femme par la même. Connard.

Je ne sais pas ce qu’il a fait, en détails. Et je ne sais pas si j’ai envie de le savoir, ça – j’en sais assez, probablement. Ou peut-être qu’il me manque une seule information.

Je me lève, dépose un billet sur la table, et avance vers ma camarade, non sans jamais offrir l’honneur d’un coup d’œil aux yeux insistants qui nous entourent.

« - On marche un peu ? »

Je fais un pas de plus, et force mes muscles pour agrémenter ma réplique d’un sourire. Je ne pose pas une main sur son épaule. Je me contente de fourrer me fourrer les poignets dans les poches, et je déplace de nouveau ma jambe, parvenant cette fois à son niveau. Je me tourne pour lui faire face, et tandis que tous dans mes gestes l’invitent à me suivre, ma bouche joue contre mon corps.

« - Qui ça ? »

Je ne me targue pas de traquer des Nephils, et de les éliminer de bon cœur. Mais celui-là, je ne le laisserai pas filer tranquillement.
Parce que je comprends ce qu’elle me dit. On a vécu des choses semblables, et cette sensation de trahison, de haine, je la connais aussi. Moins qu’elle sûrement. Mais je n’en suis qu’au germe, j’imagine.

Le tranquille manque de réaction d'Howard réussit à desserrer un poil l'étreinte de colère qui venait de prendre son coeur, et par là même ses poings. Elle hocha la tête, muette, pas vraiment avide d'en dire plus, comme si elle avait déjà dit l'essentiel alors qu'elle n'avait fait qu'évoquer des souvenirs enfouis.

Elle se retourna et prit le chemin de la sortie, entendant la question d'Howard posée à demi-mot dans son dos. Elle ne répondit pas tout de suite, haussant les épaules. Elle attendit que la porte du café se referme, et avec elle le feu de sa colère remisée à nouveau à l'état de braise.

Blake.

Elle soupira.

Je n'arrive pas à le vaincre. Adonis me l'a même interdit.

Pas comme si elle l'avait vraiment écouté, enfin...

Russel Blake. Lui, toujours-lui. D’abord, il s’en est pris à Lenna. Puis il m’a humilié lors d’un concours absurde de boisson pour impressionner Isabella. Et, il était là, ce soir-là. L’instant où je l’ai haï, où j’ai voulu vider mon chargeur sur sa gueule, percer de balles celui qui devait être à l’origine de ma séparation. Heureux que je n’aie rien fait, car il m’aurait donc tué sans problème – je ne suis pas idiot, je sais que des deux Seraphs ici présents, je suis le plus faible.
Alors, même s’il est inconnu à la faction pour de grands faits d’armes, il est l’artisan du malheur de quelques-uns des nôtres. Aussi, il a créé la prison de Lenna. Connard.

« - Il était là, lorsque Luna m’a quitté. J’ai cru que c’était son amant. J’ai voulu le buter, mais j’ai pas eu le courage de le faire. »

Mais, pourquoi Aeson veut sa survie ? Qu’est-ce qui pourrait pousser un Élu à protéger un Nephil qui ne cherche qu’à parsemer la destruction et le malheur ? Est-ce que Blake est un agent double, un traître à sa cause ? Si c’est le cas, il le cache rudement bien. Parce que, moi qui suis tant réticent à faire couler le sang, ne me gênerais pas pour tâcher mes munitions du sien. Malheureusement, je suis loin d’avoir le niveau pour ça ; et j’imagine que je n’ai pas le droit, non plus. Fait chier.

« - Qu’est-ce qu’il a de si précieux, pour qu’Aeson donne cet ordre ? »

Bordel. J’ai peut-être pas envie qu’on m’intime de buter Luna, mais j’ai encore moins envie qu’on m’interdise de toucher le moindre de ses cheveux. Je la tue si j’en ai envie, c’est tout. Et c’est pas négociable, putain.

Donc, simplement, je marche dans la rue, aux côtés de ma comparse. Il ne fait pas froid, ni chaud. Et j'ai pas l'humeur pour imaginer la température.

Son... amant ?

Tss, il n'arrêtera jamais de profaner les coeurs cet imbécile. Je le hais. Ainsi il était également la cause du malheur d'Howard, en partie du moins. Cela raffermit sa décision d'en finir avec lui un jour prochain. Il ne méritait pas de respirer sur cette terre.

D'autres projets...

Elle haussa les épaules, elle ne pouvait pas savoir ce qui se tramait dans la tête de son Elu. Même si elle était décidait à ne pas l'écouter si elle en avait un jour l'occasion.

Mais il a raison en partie, je ne peux le vaincre seule. Ni même par chantage.

Son pied envoya valser un caillou sur son chemin, comme elle aimerait envoyer valser dans l'au-delà l'âme qui ne cessait de la torturer.

A chaque petit rebond du caillou, mes yeux font un petit saut, pour ne pas perdre sa course de vue. Doucement, le bout de roche s’épuise, et j’extirpe une clope de ma poche pour l’allumer, la coinçant entre mes lèvres. Lenna m’en tiendra pas rigueur je pense, à chacun son moyen de lutter contre la colère.
Donc, ce type est si fort que ça. Tellement qu’Aeson a bien des projets à son égard, et que celui de le maintenir en vie n’est là que pour éviter de perdre trop de Seraphs en l’éliminant. Grand seigneur que voilà, je suis impressionné. Mais s’il voulait vraiment le tuer, monter une équipe puissante et expéditive aurait été du domaine de l’envisageable.
J’expire lourdement, et me perd un instant dans la buée qui se dessine sous mon nez. Oh, il fait froid, c’est vrai. Je tire une taffe, comme si je voulais me réchauffer, et j’incline le menton vers ma camarade. De faction, et d’emmerdes, apparemment.

« - Je comprends pas où il veut en venir. Si tu ne peux pas t’en occuper seule, pourquoi est-ce qu’il ne te fiche pas une escouade pour te soutenir ? Tu penses qu’il lui sert à autre chose ? »

Des idées se bousculent dans mon crâne, mais la trame qui s’y file m’effraie. Je ne suis pas sérieusement en train de songer à ça ?

« - Est-ce que tu penses qu’il est là pour détruire nos vies, nous forcer à nous concentrer sur la faction ? A chaque fois qu’on aime l’autre camp, il est là … Alors, est-ce que c’est ça qu’Aeson attend de lui ? »

C’est ridicule. C’est de la trahison que d’imaginer ça. Mais, on ne tombe pas sur un Contractant si facilement, hein ? Et pas deux fois le même, pour la même chose, si facilement, hmm ?
Ça, ce concept, cette pensée. Elle est simple, arrangeante. Et excuserait presque Luna, elle ne serait plus qu’un pion de ce connard. Mais je me trompe, pas vrai ?

Lenna ne lui en tiendrait pas rigueur non. Elle-même utilisait plutôt le martini à cet exutoire. Mais elle était bien loin de ce genre de pensée, et elle ne percuta même pas sur l'odeur de la cigarette, aussi absente de son environnement que la température alentour.

Sûrement. Mais il finira bien par crever.

Sa mâchoire se serra en y pensant, tout en espérant que ce serait avant elle. Ce serait la seule satisfaction d'avoir continué à vivre dans ce monde pourri et cauchemardesque.

Elle s'arrêta net en entendant la réflexion des plus farfelues d'Howard, et manqua rire de nervosité. Pour ne pas vexer son compagnon, elle se contenta de se mordre les lèvres.

Non, il est foncièrement mauvais, pas besoin d'aide de la part de notre Elu. Et le grand manipulateur dans l'histoire, c'est Kyu. Personne d'autre.

Si elle ne vouait pas une aussi forte haine aux Nephils, elle aurait déjà rejeté cette vie en bloc.

On choisit pas de passer un voeu. Ni même de le...

Conserver. Mais sa voix se brisa à nouveau, et elle ne put poursuivre, recommençant à avancer pour rompre ce silence qui lui collait à la peau.

Je ne savais pas que le silence pouvait être si significatif, parfois. Oh, si, je l’ai déjà vu être plus violent que n’importe quel mot, ou bien si effrayant que le moindre bruit serait salvateur ; mais jamais je ne l’avais entendu mieux articuler qu’une voix. Assez puissant pour briser le fil de mes réflexions, et m’ôter un instant l’idée de Blake.
Mais, les choses reprennent leur cours. Je pousse un soupir, comme si c’était devenu un tic, et je tourne le regard vers celui de Lenna. Kyu, toujours Kyu – le grand horloger, manipulateur, destructeur non pas des mondes, mais des vies. Ça fait bien longtemps que j’ai cessé de lui porter allégeance, du moins en dehors des apparences ; et je pense bien ne pas être le seul. Qui, parmi nous, demeure pour servir ses plans, et non pas quant à la faction elle-même ? Oh, je conçois qu’Aeson ne soit pas le plus charismatique des leaders, loin s’en faut, mais nous ne sommes pas qu’une seule personne.

« - Kyu ne nous laisse pas choisir grand-chose. Même, il détourne nos vœux, mais … On ne peut pas aller à contresens de tout ça, hmm ? Alors, j’imagine qu’il faut faire avec, maintenant. »

C’est terrible comme idée, comme pensée. Je ne cherche même pas à lutter, j’invite simplement à abandonner et à jouer le jeu, comme dans un Stockholm parfait. C’est d’un ridicule.

« - Ouais, ça sonne faux, je sais. Mais je me bats pas pour mon vœu, ni pour mon Contrat. Et toi ? »

Sauver des humains, tuer des Nephils, se venger de Russel ? Quelque chose dans cette veine, j’imagine. Mais certainement pas pour ce qu’elle a demandé, ce jour-là. Je n’ai pas besoin de savoir ce que c’est, pour deviner que ça lui a pourri la vie.

Non, nous sommes obligés de suivre le courant, bien implacable, contre notre gré ou de notre gré, nous devons nous laisser porter, à nous d'en choisir la cadence, d'éviter les rochers ou de se les prendre en pleine face. La vie.

Elle haussa les épaules à nouveau, engonçant ses mains dans ses poches.

Sans doute.

Pourquoi elle se battait ? La raison était des plus complexes car à moitié inavouée. Mais il y avait bien un début de réponse qu'elle pouvait donner.

C'est la seule... Disons que y'a que comme ça... T'sais, je...

Elle ressortit ses mains de ses poches pour les soulever brièvement paumes vers le haut comme si elles tenaient tous ses mots avant de les relaisser tomber le long de son corps.

Mieux vaut le combat que ça.

Elle souleva une manche d'un de ses bras pour lui montrer les cicatrices de scarification qu'elle s'était infligée de nombreuses fois.

Peut-être pour vérifier un souvenir incertain, mes doigts s’esquivent de leur cachette et viennent effleurer la paume levée de Lenna, découvrant un peu plus loin les stigmates qui recouvrent ses avant-bras. Des coupures archaïques, aléatoires, profondes et à la fois minces ; comme si quelqu’un avait tenté d’être létal, et avait changé d’avis. Ou simplement, n’était pas parvenu à inciser davantage l’épiderme gelé et froid qui s’offrait à sa lame.
Pas une Ombre. Et pas non une éraflure de bataille, car elles sont tournées vers l’intérieur, mais pas assez destinées vers son cœur. Une idée me traverse l’esprit, mais je la garde, sans oser l’émettre.
Alors, je resserre mon étreinte sur sa main, tentant vainement d’y donner un peu de chaleur. Mais rien n’y fait, son corps la refuse, pire, l’annule et me force à subir ce gel qui se propage le long de mes nerfs, alors que l’hiver ne me fait plus d’effet.

« - Jusqu’à … Jusqu’à quel point ton corps s’est-il transformé ? Qu’as-tu perdu ? »

Beaucoup de choses, j’imagine. Son teint est livide, à la limite de l’effrayant – et sa peau n’appelle qu’à repousser quelques aventurer qui voudrait y mêler la leur. Ressent-elle encore simplement des choses, ou était-elle condamnée à ne plus qu’être un esprit dans une corps de glace, de silhouette féminine ?
A cet instant, et plus que jamais, je plains Lenna. Je n’ai pas conscience de l’étendue de la souffrance que son vœu doit lui apporter, mais la simple idée de la jauger m’emplie d’une empathie sincère pour elle.
Je comprends pourquoi elle se bat. Ses pouvoirs détruisent sa vie, et ne se montrent bénéfique que lorsque quelqu’un lui porte un coup ; donc, elle y a trouvé un refuge. Et pourtant, j’aimerais l’aider. Mais encore et toujours, je ne sais pas comment faire.

Toute mon humanité.

Elle a perdu tout ce qui faisait d'elle une humaine. Son coeur avait cessé de battre. Il ne diffusait plus de sang chaud dans son corps. Elle ne ressentait plus la chaleur d'un corps, ni la fraicheur d'une brise d'été. Seul le vent s'amusait encore dans ses cheveux, et la faisait se sentir réelle et tangible. La prise sur son arme et la douleur des coups la rappelait encore dans ce monde.

Mon coeur est comme absent.

Et c'était la stricte vérité. Pas tant que sur le point physique, ses émotions semblaient lui provenir assourdies, à peine perceptibles. Il n'y avait que la haine et l'adrénaline qui réussissait à se manifester franchement en elle.

Alors tu vois, je ne peux pas faire semblant d'être humaine. Je ne le suis plus. Je n'ai que la vie de Seraph, parce que c'est ce que je suis devenue. Entièrement.

Et tout ça pour un voeu assassiné par un Nephil. Triste ironie du sort.

En appelant à toute ma bonne volonté, je réprime mes muscles faciaux pour que mes sourcils demeurent de marbre après l’aveu de Lenna. Son humanité toute entière, vraiment ? Mes doigts rebroussent un peu chemin, et viennent appuyer sur l’épiderme solide de ma camarade, cherchant son pouls.
Rien. Pas le moindre battement. Je force un peu plus, mais aucun influx sanguin ne vient répondre à ma pression. Alors, ma main retombe et je recule d’un simple pas, plongeant mes yeux dans ceux de Lenna d’une mine triste. Je comprends un peu mieux maintenant, pourquoi tu fais tout ça, pourquoi tu n’as plus de vie humaine. Parce que toi, plus que n’importe qui d’autre, ne te considère plus comme telle.
Et pourtant, tu l’es toujours, l’amie. C’est pas parce qu’un légiste maladroit te définirait de la mauvaise manière que tu dois le croire. T’es ce que tu veux, et ça s’arrête là.

« - Je sais que tout ça est irréversible. Mais, si tu décides d’être toujours humaine, tu le seras, je t’assure. On est des contractants, s’arrêter à des détails du genre n’est plus de nos habitudes, je me trompe ? »

Graduellement, un sourire né sur mes lèvres, et j’écarte mes paumes venant les poser sur les épaules de la jeune femme, arrachant toute la bonne humeur de mon esprit pour venir la réverbérer dans mes prochains mots.

« - Alors, Lenna Halo, tu es libre. Libre d’être un peu moins Seraph et plus humaine, ou bien l’inverse. Mais tu as le droit de choisir. »

C’est protocolaire, simpliste comme phrase. Mais, j’espère au moins faire comprendre Lenna, qu’à défaut d’être ce qu’elle aimerait vraiment être, au moins elle n’est pas seule. Que je la comprends. Ou du moins, fais tout pour que ce soit le cas.
Tiens, je serais presque tenté de lui faire un câlin. Il faut juste que je m’assure qu’elle ne me plantera pas pour ce crime.

Elle observa la réaction de son comparse qui se traduisait facilement sur son visage. Au moins n'avait-elle pas droit à l'effroi habituel, il se contenta de débiter de nouvelles inepties.
Comment un cadavre pouvait être humain ? Par la seule force de sa volonté ? Elle n'y croyait pas, et n'avait aucun interêt à s'engager dans cette voie, à part celle de souffrir à nouveau. La Seraph ne ressentait rien, et donc ne souffrait pas. C'était tout ce qu'elle souhaitait. Ne plus être humaine pour ne plus souffrir.

J'ai déjà choisi.

Le fait qu'il la tenait par les épaules ainsi, la mettait un peu mal à l'aise. Si la chaleur était absente, le toucher ne l'était pas, et plus personne ne s'abaissait à le faire, par peur ou un coup de faux sans doute. Elle dut se contenir pour ne pas repousser Howard violemment, et se dégagea doucement de ses mains en faisant un pas en arrière.

Je préfère être Seraph entièrement, plutôt qu'humaine à moitié.

Pas de part des choses. Elle fonçait tête baissée dans ce qui la gardait humaine. Paradoxalement, c'était en étant Seraph et en combattant qu'elle se sentait la plus vivante.

C'est comme ça que je me sens le plus vivante.

J’imagine que je ne peux plus lutter, maintenant. Elle a fait son choix apparemment, et elle se dégage de ma pseudo-étreinte – m’intimant avec qu’un câlin m’aurait véritablement coûté la vie. Je pondère quelques instants, la toisant, puis laisse une moue concernée se tracer sur mes lèvres, toujours muet.
Tranquillement, je hausse les épaules, tout en glissant une main dans une poche intérieure de ma veste, tâtant l’objet cherché du bout de mes doigts.

« - Alors, si c’est ce que tu veux … Fais donc. Mais n’oublie, tu as toujours le droit de changer d’avis. »

Mes mots se ponctuent d’eux même par un visage chaleureux, et je sors lentement le fameux trésor, contenant ma soudaine perte de sérieux. Ouais, j’avais prévu de lui filer ça, même en sachant le ton qu’allait avoir notre discussion – après tout, c’est moi qui ait amené le sujet.
Une petite boule, avec une clochette. Un jouet pour chat, en somme ; en fait, pour Marguerite, il faut le dire. Elle n’avait pas vraiment osé m’en faire la demande la dernière fois, mais je suis persuadé qu’un instinct au fond d’elle ne demande qu’à recevoir des cadeaux du genre. Et j’imagine que, terrée dans le chambre de son amie, elle n’aura pas honte des regards indiscrets.
Je tends la main pour venir présenter la sphère, et je tente de garder ma contenance.

« - Voilà. C’est pour Marguerite. Est-ce que tu pourras lui donner, s’il te plaît ? Je me suis dit que ça pourrait lui plaire, qui sait ? »

Soit elle adore, soit ce sont ses griffes qui vont adhérer à ma face. On verra ça à notre prochaine entrevue j’imagine ; une véritable mission, peut-être. D’ici là, je vais me cacher, au cas où elle parte dans une croisade vengeresse à mon encontre.

Trop de malheurs, trop de morts avaient été causée par sa faute. Elle ne pouvait plus revenir en arrière et s'accorder le pardon, ni même le droit de vivre plus que ce qu'elle s'était accordée. Cela la détruirait plus surement que la lame de ses ennemis.

Je ne le mérite pas, ce droit.

Elle referma la coquille qu'elle avait brièvement ouverte, et son visage redevint lisse et sans émotion apparente. Elle tendit la main pour y recevoir la clochette et la glissa avec précaution dans sa propre poche.

Je lui donnerai. Merci pour elle.

Le sujet avait été changé, mais Lenna se devait de rajouter une dernière recommendation. Une erreur à ne pas reproduire.

Une dernière chose, un Nephil ne change jamais. Ne donne pas de deuxième chance. Et t'as mon numéro.

Elle lui tapota une fois l'épaule et reprit son chemin en sens inverse vers son combat et sa route qu'elle s'acharnait à poursuivre.

Merde. A l’instant où sa main s’esquive de mon épaule, je laisse un soupir filer, ruminant doucement. Evidemment, il a fallu que ses derniers mots soient pessimistes, à la fois sur elle et sur les Nephils. Même si je ne peux pas vraiment la contredire sur le deuxième fait, j’imagine qu’une nouvelle discussion ne sera pas de refus. Pour en savoir plus sur ses ennuis, pour l’écouter davantage, pour continuer à la comprendre. Et puis, surtout, pour qu’elle se rentre dans la caboche que rien, ni personne, ne peut lui ôter le droit de décider de sa vie. Ni ses actes, ni Kyu, ni les termes de son Contrat, ni la faction. Si elle désire être humaine, elle le peut. Et elle le mérite – elle a déjà tant donné pour nous, bon sang.

Je l’écoute s’éloigner, tirant de nouvelles taffes. Je ne vais pas la rattraper, ce serait comme débarquer pied au plancher dans une impasse. Une autre fois, dans quelques semaines, mois.
Avec un autre jouet pour Marguerite, aussi. Ça allège l’ambiance ; et j’espère que ça lui plaira. Qu’elle ne se mette pas en tête que je ne respecte pas son humanité, mais ça pourrait l’amuser, un peu. On verra.

Une main dans la poche, la démarche tranquille, je m’éloigne du point d’au revoir. Apaisé, en fait. J’ai lâché ce que j’avais sur le cœur, et je me sens simplement mieux. Pour combien de temps, à quel point ? Va savoir. Mais déjà, à cet instant, au moins. J’aviserai plus tard pour le reste, je n’ai pour ordre que de profiter pour le moment. A défaut d’être heureux, je ne suis plus triste – ce qui est tout de même un bon commencement.
Alors je marche, et je souris, sans songer.