Appartement de Nicolas:

Noël allait se faire poignarder en plein cœur. D'une lame bancale oscillant entre l'inox et le carton, incertaine. Tout cela pour rentrer dans le moule des traditions habituelles de Noël. Un acte placé sous le signe de la neige, des pétales blancs flottaient dans les airs et venaient se perdre dans la chevelure brune de la demoiselle. Elle frissonna. Non pas de froid mais suite à ce qu'elle allait faire. Elle appréhendait pareille irruption chez autrui. Ce n'était pas dans ses habitudes de procéder de la sorte. Mais Noël n'attendait pas, Noël exigeait toujours plus : un tribut qu'elle n'était pas en mesure d'offrir. Pourtant, la demoiselle souhaitait faire plaisir plis que tout, même si pour cela cadeau devait rimer avec vol. Comment offrir quoi que ce soit à qui que ce soit sans le budget nécessaire ? Voilà une question à laquelle la junkie n'avait aucune réponse.

Comment choisir sa victime ? Elle errait dans le quartier Nord depuis une heure au moins déjà et ne savait ni où ni comment procéder. Voler dans une épicerie était bien plus simple bien que toujours risqué. Malheureusement, hormis des chocolats, les présents se manifestaient par leur absence dans ce type de lieu. Alors quoi ? Rentrer dans le quartier Sud complètement bredouille pour ne pas avoir réussi à lever la tête et à emprunter à tous ces gens qui n'avaient que trop un soupçon de cette plus-value ? Non. Cela non plus, elle ne pouvait pas. Elle souhaitait plus que tout remercier Howard pour tout ce qu'il avait fait pour elle en une année. Et puis peut-être aussi trouver quelque chose pour Hadence. Quoi, elle ne savait pas encore. Elle improviserait. Comme toujours. Sa vie n'était qu'une énorme farce qu'elle s'efforçait de rendre crédible au jour le jour. Parfois, il y avait des ratés. Peut-être comme aujourd'hui.

Un immeuble attira son regard. Était-ce une bonne idée de choisir un appartement plutôt qu'une grande maison ? Dans tous les cas, elle jouait gros. Quelle idée de venir dans le quartier Nord, sûrement aurait-elle moins risqué dans le quartier Est. Et puis, d'un quartier à l'autre, tout se ressemblait, ou presque, du moins au niveau des bibelots collectionnés. Aux yeux de la Russe, tout était incroyablement similaire. Sa conception de l'art ne volait pas bien haut, quand certains s’extasiaient pour une cruche en terre cuite, elle n'y voyait qu'un simple récipient tout juste bon à y recevoir de l'eau. Et encore.

Un digicode lui bloquait tout accès. Un signe pour reculer ? Certaines connaissances lui avaient affirmé que les vols les plus réussis avaient lieu lorsque les propriétaires étaient présents. Ils se faisaient complices de leur propre dépouillement. Cette pensée la fit sourire. Était-ce seulement possible ? Elle verrait bien aujourd'hui. Bien sûr, elle ne connaissait pas le code d'entrée et allait être obligée de se présenter dans l'espoir qu'un inconnu daigne lui ouvrir la porte de sa demeure. Ses mains étaient moites et tremblaient légèrement. Sous son bras, une boîte emballée furtivement avec du papier quelque peu déchiré par endroits, sobre, tenait à illustrer son mensonge. Saskia transformée en lutin de Noël s'apprêtant à cambrioler une demeure. Hadence et Howard approuveraient-ils ? Non, bien sûr que non. S'ils apprenaient la provenance de leurs cadeaux, ils lui hurleraient dessus à lui en crever les tympans.
Elle prit une profonde inspiration et sonna. Un moment qui lui parut aussi long que cette tempête de neige amorcée qui n'en finissait pas. Pourtant, les flocons commençaient déjà à s'espacer. Mais pour la Moscovite, les perles de nacre continuaient de se succéder, ballons miniatures la narguant pour mieux lui rappeler son pays natal. Profond soupir alors que le grésillement se tut enfin.

– Bonjour heu... Vous êtes l'heureux nouveau propriétaire d'un... heu... Paquet spécial Noël.

Heureusement qu'elle avait bien répété son numéro pour éviter tout traque. Mais franchement, qui croirait à un numéro aussi mal préparé ? Même elle avait envie de crier au scandale ! Quelle massacre que cette pitoyable mascarade. Un paquet spécial Noël ? Et puis quoi encore ? Qui serait assez crétin pour croire ça ? Et sans aucune sommation ! Cela n'allait pas, pas du tout !

– C'est... la magie de Noël qui sonne à votre porte.

Elle faillit s'étrangler tant ça allait de pire en pire. Se décomposer sur place. Il était encore temps de partir en courant, là, maintenant. De laisser là son cadeau sans histoires qui n'avait aucune valeur face à ce qu'elle avait l'intention de dérober chez ce parfait inconnu. Partir, là, maintenant, sans histoires. Elle pouvait compter à trois, oui c'était bien, à trois. Et puis, à trois et seulement à trois, elle laisserait là cette mauvaise histoire et se contenterait de chocolats pour Howard et Hadence. C'était une bonne idée.
Un.
De Noël, il n'y aurait pas pour elle cette année.
Deux.
La magie, ou la plus grande blague de ce siècle dernier.
Deux et demie.

Bien sûr que non qu'il ne le possédait pas étant donné que Saskia l'avait en mains propres pour le lui remettre en guise de cadeau de Noël. Ces riches, toujours aussi méfiants ! Voilà qu'ils ne laissaient pas même laisser rentrer chez eux de parfaits inconnus avec des intentions louables ! Saskia, la mine penaude, haussa les épaules, prête à faire demi-tour, réfléchissant déjà à un nouveau moyen de mettre la main sur de potentiels objets qu'elle pourrait offrir aux personnes qui comptaient pour elle. Puis la grille s'ouvrit. Elle manqua de lâcher son paquet emballé sobrement dans un papier loin d'être de qualité, dépourvu même de ruban, mais se ressaisit bien vite pour faire un pas en avant dans l'antre de l'homme. Du moins dans son couloir avant d'atteindre son appartement au sens propre.

L'entrée atteinte, l'homme était déjà là. C'était maintenant qu'elle allait devoir assurer pour voir l'appartement à sa portée. Pour le moment, elle en était bien loin encore. Son cœur battait la chamade. Etait-ce raisonnable ce qu'elle faisait là ? Non, bien sûr que non. Elle tendit maladroitement son cadeau, bras tendus en direction de l'individu. Elle avait eu le temps de voir son nom pendant qu'elle poireautait et patientait. Nicolas Ilion.

– Vous n'avez pas compris je crois, ça, c'est pour vous.

N'était-ce pas étrange qu'une personne comme Saskia remette un présent à un parfait inconnu ? Oui sans aucun doute. Comment lui en vouloir d'être méfiant ? Saskia nicha ensuite son visage contre son écharpe qu'elle conservait depuis la Russie, ayant vécu et vu mille climats différents. Ainsi que des paysages ne pouvant se confondre l'un avec l'autre.

– C'est un cadeau. De moi à vous.

Oui, mieux valait préciser. Celui-là n'avait pas l'air très futé et très réactif. S'était-elle mal exprimée la première fois pour qu'un quiproquo naisse entre eux ? Elle n'en savait trop rien. Son anglais était parfois approximatif, c'était pire encore lorsqu'elle paniquait ou était stressée, comme en ce moment. Plus qu'à espérer que ce Nicolas gobe le tout.

Saskia observa l'individu avec une tête de poisson rouge. La tête à Saskia ressemblait à celle d'un poisson rouge et non celle de l'homme, mieux vaut recadrer afin d'éviter tout quiproquo. Elle n'était pas sûre d'avoir tout saisi. C'est que celui-là avait des manières bien à lui de s'exprimer, à mille lieues de l'idiolecte des résidents du quartier Sud ! Déjà que l'anglais n'est pas sa langue natale, si en plus elle devait faire un effort de compréhension vis à vis d'un anglais ancien, ce n'était pas gagné ! Elle avait saisi malgré tout certains mots et des phrases qui, chez elle, faisaient plus ou moins sens, au contraire de l'homme à qui elle destinait un cadeau. Ces riches ! Il fallait qu'ils se méfient de tout à tout instant ! Certes, la méfiance était justifiée dans ce cas.

– C'est dans la tradition de mon pays d'offrir un cadeau à quelqu'un au hasard pour Noël. C'est tombé sur vous comme ça aurait pu être n'importe qui d'autre.

Le paquet était toujours entre ses mains. Il n'y avait qu'elle pour savoir ce que dissimulait le fin papier manquant de se déchirer au moindre effort. L'ouvrirait-il ou ne l'ouvrirait-il pas ? S'imaginait-il avoir à faire à un colis piégé ? Non, juste à une apprentie voleuse prise de remords. Voler, ce n'était pas dans la tradition de Noël, après tout. Voler pour d'autres ? D'ordinaire, elle ne volait que lorsque cela s'avérait nécessaire, essentiellement pour elle et uniquement de la nourriture. Alors détrousser un pauvre – ironie – individu d'un de ses biens, là cela posait problème. Elle aurait presque des remords d'avoir songé ne serait-ce qu'à tenter de voler cet homme trop méfiant pour elle. Après tout, il était du quartier Nord et avait des manières bien à lui de vivre et d'être. Tout cela passait à travers son argent qui empestait tout son corps, une odeur presque aussi pestilentielle que lorsque Saskia vivait dans les rues. Il n'y avait qu'elle pour renifler la senteur du liquide. Mais au moins les précieux billets verts permettaient-ils à ce Nicolas de vivre aisément, ce qui était loin d'être le cas pour la Russe.

– Il va pas vous mordre, vous savez. Et si vous en voulez pas, je le laisserai devant le pas de votre porte quand même.

Parce que oui, elle n'allait pas s'encombrer de cette vieillerie qu'elle connaissait déjà par cœur ou presque. Là, elle exagérait à peine.

Et pour sauver son âme d'un vol, elle s'engouffrait dans le mensonge. Personne n'avait jamais offert des cadeaux aux inconnus lorsque venait Noël.  Et puis, que signifiait Noël pour la demoiselle ? Pour elle qui était orthodoxe, pas de Noël le 25 décembre mais plutôt le 7 janvier, comme d'autres dans son pays, bien qu'ils étaient de moins en moins nombreux désormais.

– Ça s'fait pas, de refuser un cadeau.

Ou comment glisser un moyen de pression psychologique pour qu'il daigne enfin lui prendre ce présent des mains ! Non ce n'était pas lourd, ni même très encombrant, c'était même tout le souci. Plus vite tout cela serait fini, plus vite elle oublierait qu'aujourd'hui était le jour où elle avait presque cambriolé quelqu'un pour reculer finalement au dernier moment.

Normal que cet illustre inconnu ne soit pas au courant de toutes ces histoires de traditions ; elle venait de tout inventer. Mais cela, elle ne lui dirait pas. Inutile de se lancer dans de longues et compliquées discussions basées sur un mensonge. Saskia n'avait absolument aucune envie de pénétrer dans l'appartement de cet homme. Elle qui de prime souhaitait le voler avait changé d'avis et la narguer ainsi, avec tous ces objets de valeur sous ses yeux, ne feraient qu'attirer sa convoitise. En somme, c'était une mauvaise idée.

– Non, merci, je vais rentrer.

Une réponse quelque peu sèche mais elle ne voyait pas quoi rajouter et n'avait aucune envie de s'attarder sur un quelconque motif d'absence. Après tout, elle restait libre de ses choix et pouvait refuser une invitation.

Le cadeau avait changé de main. N'aurait-elle pas l'air trop stupide avec son vieux cadeau ? D'autant plus que pour un riche tel que Nicolas, cela ne devait pas être grand-chose. L'intention qui compte, hein ? De toute façon, elle ne voyait pas comment elle pourrait être amenée à revoir cet homme. Il est vrai que cette ville avait su lui prouver que le hasard faisait bien les choses et que les coïncidences étaient souvent plus présentes que ce qu'elle croyait.

– N'oubliez pas d'ouvrir le cadeau.

Il lui apparaissait comme vaguement tête en l'air, elle l'imaginait bien capable de poser le présent dans un coin pour s'en détourner aussitôt. Après tout, peu lui importait qu'il l'ouvre ou non, à la base toute cette mascarade n'était là que pour lui permettre de s'introduire dans ce riche appartement et y dérober quelques objets pour faire plaisir à son entourage. Plan qu'elle avait laissé tomber.

Sur ces quelques mots, Saskia tourna les talons. Elle laissa ainsi l'homme seul avec son présent de Noël.