Pont:

Fidèle à son habitude, John avait été en retard. D’abord vis-à-vis de Leeroy et leur rendez-vous, puis à nouveau quand il a été question de rejoindre Nylian. Une sombre histoire de montre à l’envers, qui avait tout à fait déréglé le jeune homme dans l’ordre de sa journée. Car oui, celui-ci avait fait l’effort d’acheter une montre, et vraiment, acheter une montre. Cinq dollars au vendeur à la sauvette au coin de sa rue, mais néanmoins ce fut un achat. Et défectueuse, par-dessus le marché – évidemment, même à l’endroit l’heure n’aurait pas été la bonne, mais c’est une autre histoire.
Une fois en compagnie du petit Seraph, John mit tout en œuvre pour camoufler la douleur qui l’habitait toujours, croyant réellement à son succès. En fait, il n’avait pas encore tout à fait récupéré du rude combat qui avait opposé les deux gaillards à une robuste ombre quelques jours auparavant, et il éprouvait depuis quelques difficultés à invoquer son arme ; quoique cela s’arrangeait au fil des essais, sans toutefois signifier une totale guérison. D’autre part, ses douleurs physiques s’étaient évaporées, et sa blessure à la côte était déjà en belle voie de rémission, alors se concentrait pour paraître sain n’était pas d’une si grande difficulté. Seuls quelques légers écarts dans sa marche auraient pu laisser présumer de l’affaire, et ce n’était pas sûr que Leeroy ait pu les remarquer.

Le chemin fut calme, la discussion plutôt banale. John gardait toutes les vraies nouvelles pour quand ils auraient rejoint la jeune femme, alors il ne faisait que rassurer son ami sur son état de santé ; et il se vanta même un peu pour le persuader de cette idée. En réalité, il ferait beaucoup moins le malin en situation de combat. Pas au point de se mettre en position fœtal à la première ombre croisée, mais plus du genre à supporter son camarade loin ; des cris d’encouragements, ça pourrait aider, non ?

Désormais, il apercevait le pont au loin, discernant une forme qui lui semblait familière. En s’approchant plus il confirma son idée que c’était bien Nylian, qui semblait s’agiter. Elle rangeait quelque chose, sans que John puisse discerner ce que c’était. Tant pis, il lui poserait la question plus tard ; pour le moment, il avait plus intéressant à faire. Déjà, il fallait écouter ce que la jeune femme avait à lui dire au sujet de Georges, puis il fallait amener l’histoire de Bey. D’ailleurs, il se demandait comment le Solitaire allait réagir à l’évocation de ce petit chat : déjà, ce n’était pas Kyu, donc c’était le cas le plus favorable. Enfin, le Nephil découvrirait cela le temps venu, quand le sujet serait –enfin- amené sur la table.

La jeune fille les aborda avant même qu’ils ne puissent le faire, citant même le vrai prénom de John. Si Leeroy n’avait pas autant été quelqu’un de confiance, John aurait esquissé un visage renfrogné quant à cette erreur. Néanmoins, ce n’était plus pour les mêmes raisons qu’auparavant : le jeune homme ne craignait plus d’être reconnu, mais détester désormais tout simplement son ancienne identité. Ce qui l’étonna d’avantage, c’était le faux nom de son amie. Pourquoi faire ? Pensait-elle que Leeroy présentait un quelconque danger ? C’était bien précautionneux de sa part, mais le jeune homme ne pouvait le lui reprocher : après tout, elle avait maintenant touché à l’illégal.

« - Bonjour ! Ça veut dire quoi, ça, « seme » ? J’te parlerai de la gonflette tout à l’heure, chaque chose en son temps. Et tu peux faire confiance à Leeroy, il m'a sauvé la peau assez de fois pour le mériter. »

John sourit pour convaincre sa partenaire, puis fut pris un instant de remords. C’était court, comme retrouvailles. Peut-être fallait-il qu’il fasse quelque chose pour s’excuser ? Offrir quelque chose à la jeune femme ? C’était une idée, et il comptait y réfléchir. Enfin, une fois que toute cette discussion sera terminée.

L'habitude première de John n'avait pas du tout changer. Un jour, il devra penser à arriver un peu plus en retard pour être sûr d'arriver en même temps que lui. De plus, Leeroy était le genre de personne à arriver en avance, alors avec un retardataire, cela faisait beaucoup de temps à attendre. Dire qu'il s'était arrêté en plein dans son activité pour venir le rejoindre, il aurait bien pu continuer un petit moment sans que son ami ne s'aperçoive de son retard à lui aussi. La prochaine fois, il fera très certainement cela. Le jour où John arrivera avant lui, ce qui n'arrivera peut-être jamais, il avait la bonne excuse puisqu'il avait attendu John à chaque fois pendant trop longtemps. Les faits en étaient qu'il ne pouvait pas dire le contraire.

En attendant, il était perché sur un muret, son fessier dessus et regardait les passants un à un. Il avait les mains dans les poches, l'un touchant son portable pour pouvoir, sentir le vibrer au cas où il enverrait un message d'annulation de cette sortie où il était sensé lui présenter son acolyte du moment. Il n'était pas enjoué de savoir qu'il avait en plus de cela une personne avec qui volé, ce n'était pas la meilleure activité qui soit. Leeroy ne comptait pas les balancer, en revanche, s'ils venaient à se faire prendre, il fera semblant de ne pas les connaître. C'était le deal conclu avec John après tout.

Finalement, au bout d'un certain temps, John montra le bout de son nez. Il lui fit une légère pichenette sur le front pour montrer que son retard n'était pas vraiment le bienvenu et descendit de son muret en sautant. Leeroy laissa le voleur entamer la marche et il n'avait plus qu'à le suivre. Sur le chemin, c'était le blanc complet, aucun des deux côtés n'avaient de mots à dire. Depuis le temps, il n'avait pas vraiment de nouvelles à raconter, excepté le fait qu'il ai vraiment commencé à donner des informations aux Nephils, mais tout cela n'avait pas sa place dans le genre de sortie qu'il allait faire. Cette rencontre était surtout faite pour voir un peu plus la vie de John.

Arrivé là-bas, il reconnu légèrement cet endroit. Né à Palema, il connaissait bien tous les recoins et celui-ci lui faisait juste penser à un bout de son enfance. Il se souvenait d'être allé sur ce pont avec sa mère pour une discussion des plus sérieuses. Elle essayait de lui montrer le calme et la beauté du paysage pour calmer les nerfs agressifs du petit garçon qu'il était. Il avait bien changé, maintenant, il restait posé et était quasi-inexpressif du visage. Il valait mieux cela plutôt qu'un gamin qui se mettait à taper une personne parce qu'il n'était pas content. Leeroy était ce genre de gosse un peu désobéissant. Heureusement, sa mère avait réussi à régler pas mal de problème vis-à-vis de ce comportement, et ce grâce à un paysage et la voix douce et chaleureuse de sa mère.

Un peu trop perdu dans ses pensées, il soupira légèrement et rejoignit les deux autres alors qu'il était resté un peu derrière un moment.

- Enchanté, je suis Leeroy, disait-il simplement.

Il n'avait pas douté de l'exactitude du nom de la jeune femme. En même temps, vrai nom ou pas, il s'en fichait totalement. Savoir comment appeler une personne et qu'elle se reconnaisse était déjà bien pour un début. Contrairement à John, Leeroy savait très bien ce que voulait dire le terme « seme », s'il était quelqu'un d'un peu plus expressif, il aurait très certainement éclaté de rire devant son ami, se moquant de lui.

Quand sa comparse s’approcha pour attraper son bras, le jeune homme fut quelque peu décontenancé. Après tout, c’était la première fois qu’elle touchait directement. Lui faisait-il moins peur désormais ? Avait-elle commis une erreur ? Ou simplement pour faire penser des choses à Leeroy ? Enfin, ces quelques idées saugrenues disparurent bien vite quand elle continua son mouvement. Les cicatrices des combats que John avait mené contre des ombres étaient encore visibles, et c’était probablement la raison de l’intrusion de la demoiselle.
Nylian était toujours en train d’observer son avant-bras, et John avait même presque l’impression qu’elle s’inquiétait pour lui. Au regard que la jeune fille avait lancé à Leeroy, il n’y avait en fait même de plus de doute ; et le Nephil était surpris. Finalement, l’attachement semblait être réciproque, et ce n’était pas pour le déplaire. Il attrapa la main de Nylian et la repoussa, remettant sa manche comme avant. Il lui adressa un sourire empli de sympathie, puis se décida enfin à parler.

« - J’ai fait une rencontre. Il était poilu, moi attaché, ça faisait très SM gay en fait. Mais en vrai, c’était un animal et j’étais habillé, alors pas du tout… »

Conscient de l’absurdité totale de ses propos, il hésita avant de tourner son regard vers le Seraph, mais n’en fit rien. Celui-ci était peut-être absolu contre toute révélation quant aux contractants, alors John préférait avoir un débat stérile après avoir agi qu’avant, et il continua sa phrase.

« - C’était un chat noir, il m’a proposé une sorte de contrat chelou et m’a donné des super pouvoirs. Depuis je combats des sortes de monstres-ombres dans la rue, j’me fais maraver la gueule et je leur rends bien les coups. Voilà. »

C’était encore plus ridicule. Tout droit sortie d’une mauvaise série ou d’un livre pour tout petit, lui-même avait du mal à croire à ce qu’il disait, et pourtant c’était la vérité. Vraiment, il aurait dû avoir plus de tact, donner un peu de mystère à la chose, la rendre plus réaliste ; mais non, lui avait préféré tout balancer sans vergogne, ne laissant pas même le temps à la jeune fille de digérer chacune de ses révélations.

« - Je pourrai te faire une démo’ quand on sera un peu isolé si tu veux. Et si tu me crois fou... Bah t’as un peu raison, en fait. Mais en tous cas, je dis la vérité. »

Enfin, il daigna tourner sa tête pour guetter la réaction de son ami. Pas de regard froid, c’en était étonnant ; et John se demanda même un instant si finalement le Solitaire n’était pas favorable à ce genre de choses. Quoique ça n’aurait pas de sens, car si Nylian devenait Seraph cela ferait un adversaire de plus à Leeroy – et si elle était Nephil, potentiellement de même. En fait, John avait presque l’impression de jouer sa future discussion avec l’étudiant avant l’heure, et ce n’était pas très agréable. Trouver soi-même les arguments pour contrer les siens n’était, avouons-le, pas la chose que l’on faisait fréquemment dans une discussion.
Et puis, il fallait vite enterrer ce sujet : Nylian avait des choses à lui dire sur son père et Thomas qui semblaient bien intéressantes, et le jeune homme avait hâte de les découvrir. Alors, il espérait, probablement en vain, qu’elle le croit sans hésiter que Leeroy soit tout à fait d’accord. Douces illusions qu’étaient ces idées, et John en était évidemment conscient. Mais, l’espoir ne tue pas après tout, surtout quand il n’y a pas d’ombres de vous.

Leeroy était déjà bien au courant pour les blessures que John avait sur le corps. C'était lui-même qui passait son temps à le soigner après des combats qu'ils avaient faits tous les deux contre des ombres. Il avait même pu apercevoir les blessures que son père lui avait faites lorsqu'il l'avait capturé puis torturé. Il avait d'ailleurs senti ce regard assez dérangeant de la part de Nylian envers sa personne. Il ne l'appréciait effectivement pas trop. Pourquoi avait-elle l'air d'accusé les gens sans preuve ? Ne pensait-elle pas que c'était stupide de la part de John s'il ramenait la personne qui lui avait fait tant de mal ? À cette réflexion, il lâcha un petit soupir. Décidément, il n'allait pas apprécier cette jeune femme, bien qu'elle s’inquiétait pour lui, ce qui était normal, mais tout de même, Leeroy n'aimait pas son attitude.

Son attitude n'aidait pas non plus à se faire apprécier du premier regard : il était quasi-inexpressif, avait les mains dans les poches et avait très peu parler. Il n'avait pas vraiment mis la bonne ambiance. Enfin, il comptait passer outre tout cela et de cette jeune femme. Rare était les personnes que Leeroy appréciait réciproquement. D'après lui, il n'y avait que John et Louise, pas grand monde.

Cette Luna prêtait tout de même de l'attention à John, et voulait savoir comment John avait pu se faire toutes ces horribles blessures qui lui parcouraient le corps entier. Ce n'était pas simple à expliquer. De toute façon, Leeroy s'attendait à ce qu'il donne une fausse excuse, il avait été chez son père. Il pouvait s'en servir facilement comme excuse. Néanmoins, il commença à parler du chat noir. Leeroy réussissait à rester aussi inexpressif que d'habitude, pourtant l'envie de lui lancer un regard de mort ne lui manquait pas. Ce genre de chose, on en parlait pas aux humains. C'était peut-être avantageux pour le groupe de John, mais pas pour Leeroy. Cette jeune femme pourrait devenir une ennemie potentielle.

D'un calme un peu désespéré, montrant que ce n'était pas la première fois que John racontait ses sottises, il finit par répondre à tout cela.

- Arrêtes donc ces sottises. Comment veux-tu que ce genre de choses existent ? Si je ne te connaissais pas comme ami, je t'aurais très probablement fui tellement tu es dingue.

Évidemment, un message pour John était caché pour lui. Leeroy voulait simplement lui faire remarquer qu'il ne voulait pas que cette demoiselle soit au courant pour toute cette histoire et qu'il ferait mieux de trouver autre chose, une fausse excuse. Il n'accepterait jamais qu'une autre personne rentre dans cette guerre qu'il trouvait déjà stupide de base, et là, il se demandait bien pourquoi John voulait l'entraîner dans tout ce danger, alors qu'il y avait déjà mis les pieds ? N'avait-il pas peur que son amie se blesse, ou ne meurt dans le pire des cas possible ? Le Solitaire l'avait pourtant déjà mis au courant de cette fameuse guerre et de tous ses dangers en plus des ombres. Il n'était pas sûr de réussir à faire passer John pour un fou si elle était une réelle amie, mais au moins il se permettait d'essayer.

Un dingue socialement inapte ? En fait, c’était peut-être une excellente description du jeune homme. Enfin, quoiqu’en dise les deux lurons, John avait réussir à obtenir ce qu’il cherchait sans pour autant trop se mouiller ; Nylian ne comprendrait probablement en quoi il avait été fin, mais de toute manière John n’avait jamais cherché à se faire passer pour moins imbécile qu’elle se l’imaginait. C’était bien plus comique de la surprendre avec quelques belles actions, que de parfois la décevoir en agissant stupidement.
Bref, revenons-en à ce qu’avait obtenu John : à la fois la confiance de la jeune femme sur ses paroles, et le point de vue de Leeroy sur la question. Donc, il était plus judicieux d’immerger le sujet quelques temps, jusqu’à ce que l’étudiant souhaite partir en tout cas – Nylian allait probablement toujours vouloir cette démonstration même après tout ce temps. Et ce car le Nephil ne souhaitait pas se disputer avec Leeroy aujourd’hui, la dernière embrouille ayant finalement été arrangée uniquement car John s’était retrouvé dans de véritables problèmes.
Après tout, il était compréhensible qu’un Seraph – même Solitaire-, ne souhaite pas de tout son cœur qu’un Nephil apparaisse. En soit, c’était potentiellement quelqu’un qui souhaiterait sa mort, et John savait à quel point Leeroy tenait à sa vie ; alors il allait respecter son avis. Du moins, en sa présence.
Il était évident que le jeune homme avait pris depuis longtemps la résolution d’empêcher toute attaque contre l’étudiant. Que l’assaillant soit un inconnu, ou non.

« - Eh bien, que de réactions ! Patience Luna Kayne, tu auras droit à une petite démo’ plus tard. Enfin, je t’ai tout dit donc à ton tour maintenant… Qu’est-ce que tu as trouvé sur Georges ? »

Même si on le croyait absolument franc et sans aucun tact, John était capable de faire preuve de plus de finesse parfois ; quoiqu’il ne se donne jamais réellement la peine d’y mettre tous ses efforts. Après tout, ce ne serait pas lui sinon.
Il tourna la tête vers le Seraph, profitant que Nylian ne puisse pas voir ses yeux pour loucher comme un abruti envers son collègue. C’était peut-être imbécile d’essayer à chaque fois d’arracher un sourire des lèvres impassibles de son ami, mais ce petit jeu lui plaisait drôlement.

« - Peut-être le whisky d’hier qui me fait tourner la tête, qui sait ? »

En fait, il aurait aimé en dire un peu plus. Lui dire qu’il comprenait son avis et le respectait, qu’il ne parlerait pas de son implication ni de son camp à Nylian, mais dire tout cela aurait été compromettre ces mêmes paroles. Alors il tut tout ceci, s’en remettant au silence comme messager. Après tout, avec toutes ces récentes coïncidences, peut-être que Leeroy comprendrait cette parole inaudible ? A trop y penser John en devenait presque poète, ce qui n’était pas vraiment dans ses habitudes.

John était assez curieux de la manière dont le Solitaire allait répondre quant à ses blessures : allait-il nier connaître leur provenance ? Inventer des théories farfelues et sexuelles ? Mettre cela sur le dos de Georges, ou des activités illégales du jeune homme ? Vraisemblablement, il allait probablement utiliser la dernière idée, mais le Nephil n’en restait pas moins curieux. Après tout, l’étudiant savait être étonnant.

Cette petite démonstration, il allait faire en sorte qu'il ne la fasse jamais. John avait pourtant vu à quoi ressemblait le nouveau monde qu'il avait rejoint, et même après lui avoir fait passer un message sur le fait qu'il ne voulait pas qu'il la fasse entrer dans tout cela décida de lui en faire une démonstration. Cette décision avait en tout cas l'air d'énerver encore un peu plus Leeroy. Dans tous les cas, qu'elle rejoigne les Nephils ou les Seraphs, cette jeune femme deviendra un ennemi de plus pour lui, rien de positif. De plus, elle sera exposée à un danger presque constant entre les contractants et les ombres. Ce n'était pas une vie de toute rose.

Tandis que son regard s'était assombri lorsqu'il regardait John, lorsque la jeune femme, lui posa une question, il tourna son regard pour la regarder plutôt normalement. Évidemment, il ne comptait pas lui dire la vérité, Leeroy connaissait presque toutes les blessures qui étaient présentes sur le corps de John. Il avait été là pour soigner celle que lui avaient causée son père et celles infligés par les ombres qu'il avait affrontées. Rare était les blessures qu'il n'avait pas vues sur le corps de John. Mais pourquoi lui dire la vérité alors qu'un simple mensonge pouvait paraître si vrai avec la triste réalité de la vie de John ?

- Je le connais depuis un bout de temps maintenant et je sais que c'est son père qui lui a fait ce que tu viens de constater.

Deux solutions, soit John ne lui avaient jamais parlé de son père, et elle ne comprendrait vraiment pas, soit c'était déjà le cas, et le mensonge pourrait poser le doute chez elle. Comme il connaissait déjà son ami, il savait qu'il n'aimerait pas que Leeroy avoue cela si elle n'était pas au courant, alors pour s'assurer de la suite, son regard doré se posa sur le jeune homme pour observer sa réaction. Cette situation finira peut-être comme celle qu'il avait eue avec Ash à la fac, il y avait maintenant un petit bout de temps.

Maintenant qu'il y pense, il n'avait jamais eu de vrais rapports sur la situation entre ses deux-là, s'il avait réussi ou non à arranger les choses avec son ancien ami qui venait de revenir à Palema.

D’ordinaire, John aurait balayé du regard les deux jeunes, l’air abruti. Mais aujourd’hui, il avait la flemme.
C’était comme si les pensées de ces deux êtes – qui pourtant semblaient se détester dès le premier regard- s’étaient jointe dans un but commun, qui n’était autre que ruiner la journée du Nephil. Il regarda las Nylian commencer à tourner les talons, réfléchissant à ce qu’il devait faire. S’il la rattrapait et lui avouait tout, Leeroy lui en voudrait. S’il la laissait partir, il la perdrait à jamais. L’un était moins pire que l’autre, mais aucun des deux n’étaient vraiment appréciable.

Alors il se décida à faire quelque chose qui était quelque part entre les deux, mais qui pouvait presque s’apparenter à un acte habile. Presque.
Il s’élança pour rattraper la demoiselle, et il la fit pivoter aussitôt pour la serrer dans ses bras. Il ne dit presque rien, murmurant qu’un faible « Désolé ». Cela ne voulait rien dire, et John ne savait pas vraiment ce qu’il voulait lui faire comprendre ; mais il fallait qu’elle en tire quelque chose. N’importe quoi, mais quelque chose… Et puis il la relâcha aussi vite qu’il avait attrapé, et tourna les talons. En fait, l’éclair de ruse qui avait traversé son esprit ne s’était pas arrêté en chemin, le laissant commencer un acte sans le finir.

Ne prêtant plus un regard envers la jeune femme, il se rapprocha de Leeroy, le regardant d’un air un peu vide. Il ne voulait pas lui hurler dessus, mais il ne pouvait pas lui sourire non plus ; vraiment rien ne s’était passé comme prévu.

« - Bien joué, voilà que j’ai perdu une amie… Déjà que j’en avais pas beaucoup. »

Ash, Leeroy, Nylian. Peut-être un embryon de camaraderie avec Saskia, mais rien de plus ; vraiment, il n’était pas le mieux loti à ce niveau-là. Et perdre Leeroy était hors de question, il s’y était trop attaché.

« - Enfin… Tu veux faire quoi maintenant ? »

Le but de la journée avait été quelque peu corrompu par cette rapide querelle, alors il ne savait plus vraiment quoi faire pour l’occuper. Retourner boire ? Et pourquoi pas ?
Ou alors allait se farcir une ombre comme ils le faisaient souvent, ça lui changerait les idées.
Enfin, de toute manière, John comptait bien rendre une petite visite à Nylian d’ici peu pour s’expliquer avec elle, seul à seule.

La situation tournait légèrement pour satisfaire Leeroy, pourtant, il n'était pas non plus heureux que la jeune femme boude ainsi, bien qu'il comprenait les raisons qui l'avaient vexée. Elle avait largement perçu qu'ils n'étaient pas honnêtes envers eux, en même temps, il ne pouvait pas la laisser se mêler de ces affaires-là. Elles étaient dangereuses, et il ne voulait un ennemi supplémentaire. En la voyant s'éloigner, il se disait pouvoir résonner un peu mieux John, qui à sa grande surprise, l'avait serré dans ses bras. Enfin, qu'elle soit son amie ou sa copine, cela ne changeait pas pour Leeroy, il s'en contre fichait, en revanche, cela lui donnait une raison en plus pour ne pas qu'il l'entraîne dans tout cela. Il attendit que John revienne et que la jeune femme soit suffisamment éloignée pour qu'il entame la conversation sérieuse.

D'une voix assez énervée, il se mit à lui expliquer les raisons pour lesquelles il ne devait lui faire ni démonstration et devait se passer pour fou. Leeroy parlait quand même assez bas, pour éviter que la jeune femme ne puisse entendre, même si elle marchait dans une direction qui les éloignait d'eux. Et même si elle avait décidé de revenir, Leeroy pouvait arrêter de parler de ce sujet-là à tous moment. Qu'elle soit dos à lui ou non, il pouvait savoir dans quel sens cette jeune femme marchait.

- Crois-tu vraiment que c'est une bonne idée de lui faire découvrir ce monde où tu as failli crever plusieurs fois ? Si tu es son ami, ou son petit copain, tu ne devrais pas l'embarquer dans ce genre d'histoire même si ça a l'air cool, parce que cela ne l'est pas du tout. Je pensais que tu l'avais compris que le taux de mortalité était élevé et que ce monde n'avait rien de marrant.

L'envie de l'attraper par le col pour resserrer l'intimidation ne lui manquait pas, mais il ne le fit pas. Il n'avait pas non plus envie d'en venir à la violence, même si son ton était déjà suffisamment dans le grave pour lui montrer qu'il n'aimait pas que ce John s'apprêtait à faire.

- Tu n'as aucune raison de lui attirer les mêmes problèmes que tu as en ce moment. Et pense bien, qu'un contractant de plus, me fait un ennemi en plus et une victime en plus. N'en parles à aucun humain. Protège-les. Kyu et Bey font déjà des ravages en recrutant des humains trouvé par eux-mêmes, n'en rajoute pas.

Leeroy avait été clair, et pourtant, il n'avait aucun ordre à John, ce n'était ni son fils, ni son animal de compagnie. Mais dans ce genre de situation où un contrat avait la possibilité d'être effectué, il ne pouvait pas non plus rester calme et laisser couler. Empêcher le plus de contrats possible était l'un de ses moyens pour arriver à son but.

John regardait Leeroy s’énervait sur lui l’air un peu vide. Cette situation ne lui plaisait vraiment pas, et il ne s’arrêtait pas de penser à ce qu’il venait de se passer avec Nylian. Il ne voulait pas qu’elle parte définitivement, et il allait devoir s’expliquer avec elle.
Et étant donné ce qu’il se passait actuellement avec le Seraph, tout expliquer en omettant les contractants. C’est-à-dire l’essentiel.
L’étudiant le traitait comme un enfant, un faible à qui on devait tout expliquer ; ce qui était en partie le cas. Certes, John était moins fort que Leeroy, mais il était son ainé, et avait vécu beaucoup de choses qui restaient inconnues aux yeux du Solitaire. Enfin, il n'était pas temps de prendre de haut le jeune homme.

« - Ce monde mortel comme tu dis, m’a sauvé la vie. Deux êtres m’ont sauvé ce soir-là, dans l’ordre : Bey, et toi. Je vous suis à tout deux entièrement redevable, et jamais je ne chercherai à te porter préjudice. Mais de même pour l’autre. Alors sache déjà qui si un jour je suis amené à devoir te tuer, j’irai devant toi et je te laisserai m’ôter la vie. Tant que je serai vivant, jamais une mission ne te visera. »

Cette parole était puissante, importante. Il ne disait pas de simples paroles en l’air, il était sérieux. Ce n’étaient pas que des mots, mais des promesses qu’il venait de prononcer, et il comptait bien sur son ami pour en déceler la vrai nature.

« - On ne tient pas tous autant à la vie que toi. Ce contrat m’a permis de me rapprocher d’avantage de toi alors qu’on était brouillés ; de rencontrer de nouvelles personnes. D’avancer, de changer. Evidemment, tu y as aussi une grande part là-dedans, mais je crois que je suis prêt à risquer ma vie pour ça. Et si elle, en connaissance de tout, l’était aussi, alors son contrat ne poserait aucun état d’âme. »

Le but des contractants n’était pas la destruction du monde, c’était celle des ombres. En soit, c’était les gentils.

« - Oublie pas que ton contrat sert avant tout à combattre des ombres et à les éradiquer. Il se peut que sans nous l’humanité se détruise à cause de ces monstres… Et alors, Kyu et Bey auront été les héros que personne n’aura écoutés. Les classer comme méchant destructeurs est un peu rapide. Seule la guerre entre Nephils et Seraphs est une absurdité sans nom. »

Voilà, il lui avait dit tout son avis sur la question, sans pour autant réellement répondre à ses agressions. Maintenant restait à voir si Leeroy était buté.

Pendant ce temps, John sentit son téléphone vibrer dans sa poche, mais il décida de ne pas en tenir rigueur pour le moment.

En écoutant les explications de John, il se rendit compte qu'il avait sa propre façon de penser, un peu trop pur à son goût. Même sa déclaration avait fini par le gêner et diriger son regard un peu sur le côté, réaction assez inhabituelle pour lui. C'était sûrement la première fois que quelqu'un lui avait dit cela, ou alors cela faisait vraiment longtemps. En même temps, un ami, depuis combien de temps n'en n'avait-il pas eu un seul ? John avait du bon, et du tort. Pour la première fois, il ressentit aussi la honte lorsque John lui avait avoué qu'il serait près à se laisser tuer par le solitaire s'il devait venir à le tuer, alors que Leeroy accepterait de le tuer sans avoir à y réfléchir. Ce genre d'attitude, sorti d'un cliché de manga héroïque.

- Sur certains points, tu n'as pas tort. Tu vois peut-être Kyu ou Bey comme des sauveurs contre les ombres. Mais les ombres sont des créatures nées des humains, c'est un sort qu'ils méritent pour avoir trop d'émotion négative. Personnellement, gâché ma vie à avoir des maux de tête, d'entendre ou de voir des choses dérangeantes m'horripile grandement .Tout ça en devant protéger ma propre vie des ombres et des contractants qui essaient de me tuer, je n'appelle pas ça une vie.

John avait la chance de ne pas avoir un pouvoir qui entravait ses journées. Il n'avait pas besoin d'ingurgiter des tonnes de médicament en espérant qu'une douleur presque permanente s'en aille. Il ne trouvait pas que faire un vœu, réalisable par soi-même et ses propres moyens soient rentable à en risquer sa vie à ce point. C'était un trouillard, effectivement, la mort, il n'en voulait pas.

La différence était que le vœu de Leeroy n'avait rien à voir avec sa mort ou sa vie. Il n'en avait pas besoin pour rester en vie, contrairement à John. C'était donc normal que leur ressentiment soit différent à l'égard des deux chats et de ces vœux. Leeroy avait simplement une vie meilleure avant qu'il ne fasse ce contrat, alors que John en avait une meilleure après.

- Content pour toi, que tu puisses apprécier ta vie post-contrat, mais ce n'est pas le cas de tout le monde. Il se peut très bien que cette fille, même en étant d'accord au début, puisse détester sa vie ensuite. Ton vœu t'a peut-être sauvé, mais pas le mien.

Au final, tout revenait à lui. C'était sa propre faute et ne pouvait s'en vouloir qu'à lui-même pour avoir fait un vœu qu'il trouvait inutile, même s'il allait lui servir peut-être dans le futur, mais jusqu'à présent, c'était un vrai calvaire. Dans cette conversation, il allait l'impression de devenir presque fou à force de penser à tout cela. Il n'avait pas vraiment haussé le ton, il ne faisait que discuter avec lui. Pourtant, pourquoi détestait-il autant les pensées si positives de John ? Il était tout le contraire de lui et il l'appréciait. C'était déraisonnable et il ne comprenait pas comment c'était autant possible que deux contraires puissent se lier d'amitié. Il auraient dû devenir deux personnes en train de se quereller sans cesse, et il était presque sûr qu'en temps normal, quelqu'un aurait traité Leeroy de salop pour que ce qu'il avait dit plus haut, comme s'il se fichait du sort des humains et qu'il le méritait. C'était une sorte de réponse sortie tout droit d'un fataliste.

C’était un débat sans fin, une opposition où tous deux avaient raison. Leeroy tenait un discours que John avait maintes et maintes fois entendu, et de toutes bouches : que ce soit des riches ou des moins riches, beaucoup portait ces paroles dans leur cœur. Quantifier ses efforts, les comparer aux biens publics et en conclure que ceux-ci ne compensent pas ses sacrifices. C’était humain, compréhensible ; mais à l’antithèse des idées bien-pensantes du Nephil.

Lui pensait justement tout l’inverse, qu’il était capable de détruire tout ce qu’il avait construit, acquis ; tout ce qu’on lui avait donné. Et tout cela dans le but d’améliorer la vie des gens, de tous. Ses pensées manichéennes s’étaient nuancées au fil des mois, et il préférait sauver trop de monde que pas assez. Les impunis peuvent le devenir, mais les condamnés innocents ne verront jamais leur peine inversée.

« - Chacun son avis là-dessus. La mienne est à l’inverse de toi, et j’ai déjà montré que donner ma vie ne me faisait pas peur. Mais je comprends ton point de vue, on ne peut forcer personne à se sacrifier pour les autres ; si tu estimes qu’ils ne le méritent pas, nul ne peut te convaincre du contraire. J’ai entendu assez de gens pour être rodé à tous discours, et le tien ne me dérange pas plus que ça. »

En fait, les idées de Leeroy lui rappelaient celles de son père, mais ce détail John préféra le taire. S’il osait prononcer cette anecdote, ce serait une des pires insultes qu’il pourrait faire à un être humain. Et ce n’était pas vraiment le but de la démarche, alors il n’en fit rien.

Néanmoins, il y a un point sur lequel le Seraph avait raison, et John devait l’avouer. Vivre son contrat dépendait fortement de l’individu, et rien ne lui disait que Nylian allait bien s’en sortir ; alors il ne devait rien présumer. Faire marche arrière était impossible – vraiment ?-, c’était donc un choix sérieux.

« - Quant à bien vivre ou non son contrat… »

Il haussa les épaules, laissant apparaître un semblant de sourire sur son visage.

« - T’as raison. »

Il passa la main devant lui, comme pour balayer quelque chose. Visuellement, c’était du vide, mais pour lui cela représentait autre chose.

« - Arrêtons ce débat stérile ici. Peut-être que je dévoilerai tout à cette demoiselle, peut-être pas. Mais tu as gagné aujourd’hui, j’y réfléchirai beaucoup plus profondément si la situation se représente. Mais ce sera ma décision. »

Il n’avait vraiment aucune envie de partir dans de longs discours inutiles, dont aucun des deux bornés ne sortirait vrai vainqueur.

John avait compris, mais Leeroy n'était pas convaincu sur ses paroles. Il pouvait très bien lui dire qu'il était d'accord pour arrêter la conversation, et il en avait l'impression. Il ne comptait pas non plus discuter sur ce sujet plus longtemps si son ami ne le souhaitait. En revanche, au lieu de soupirer, il lui lança alors un sourire plutôt amical.

- Merci au moins, d'y réfléchir.

Ne voulant pas relancer le sujet, il ne disait simplement rien d'autre après cela. Il se contenta de remettre ses mains dans les poches et de réfléchir à la situation. Il était bien conscient que John venait très probablement de perdre quelqu'un peut-être par sa faute. Au vu de la réaction de la jeune femme, cela allait être dur de la récupérer. Leeroy soupira un peu, se disant que ce n'était pas vraiment de sa faute. Cette jeune femme ne le connaissait pas, pourquoi s'énerverait-elle contre John pour un inconnu qui lui balançait des mensonges ? Si c'était le cas, elle était bien stupide.

- Allez. Je t'invite à manger chez moi.

Leeroy commença à marcher d'abord lentement pour attendre que John le suivre. Évidemment, il n'avait pas le droit de refuser cette invitation tout comme il n'avait pas pu refuser ce verre gratuit qu'il lui avait promis il y a d'ailleurs quelque temps. En même temps, la veille, il n'avait pas besoin de se faire avoir plus de verre vu dans l'état dans lequel ils étaient.

- Au fait, tu n'as pas le droit de refuser. Tu m'as bien obligé à accepter ce verre, que je n'ai d'ailleurs toujours pas eu.

Il lança cette phrase dans un ton qui se voulait reprochant, mais dans un petit élan d'humour. Il ne tenait pas tant que cela à son verre de la part de John, cependant, lui faire remarquer qu'il n'avait pas fait ce qu'il avait dit était d'autant plus amusant.

John serra les dents en souriant à son ami. Il avait lâché l’affaire ; c’était très bien. Mais la petite pique quant au verre était tout à fait vraie : John avait complétement oublié ce détail. Il pourrait même s’en vouloir si Leeroy n’avait pas fait fuir Nylian quelques instants auparavant – alors, il ne dit rien à ce propos. Il lui offrirait bien, dans pas longtemps… Dès qu’il aurait un travail, il inviterait l’étudiant dans un restaurant. Ce sera sympathique, et suffisant pour excuser son retard. De toute manière, John était toujours en retard.

Par contre, par rapport à l’invitation à souper, il n’avait aucune intention de refuser. Leeroy allait devoir se rattraper, alors il était hors de question de laisser filer une opportunité pareil ; et la bonne nourriture manquait quelque peu à John. Depuis son petit boulot chez Naoto, il n’avait que très peu mangé à vrai dire.

« - Avec plaisir l’ami, je te suis ! »

Et il emboita le pas du Seraph, portant sa main à sa poche. Il sorti son téléphone et afficha le message de Nylian. Il n’y comprit rien, mais il y avait sûrement un sens derrière ça ; pour autant, il ne répondit rien. Plus tard : il avait dans l’idée d’aller lui rendre visite avec un cadeau pour se faire pardonner. Et lui expliquer la vérité ; enfin, lui annoncer que la vérité est qu’il ne peut pas lui dire la vérité.