Description du lieu:

-Oui promis. Gros bisous ma chérie. Je t’aime.

Marco pressa la touche rouge de son téléphone avec une pointe de remord. L’écran affichait une heure, trente-deux minutes et cinquante-quatre secondes précisément. Le temps de prendre des nouvelles d’Anna et lui annoncer qu’il ne serait pas avec elle pour la soirée. C’était le genre de chose qui laissait la petite en pleurs et le père piteux pour une journée entière. Difficile de concilier travail, famille et loisirs quand on est seul pour élever une enfant de presque six ans. Marco espérait simplement que ça ne deviendrait pas une habitude.

Avec un soupir il quitta le siège de sa camionnette pour se diriger vers le Sunk’n Norvegian. Il ne trainait plus dans ce genre d’endroit depuis longtemps maintenant. Autant par manque de temps que pour éviter de sombrer dans un vice qui n’attendait qu’un faux pas pour l’entrainer dans sa chute. Il se savait capable de surmonter ses démons mais mieux ne valait pas tenter le diable. Et puis cette fois-ci était différente. Il devait un coup à quelqu’un qui lui avait quand même sauvé la mise. Ça méritait au moins une petite détente sans prétention.

Il avait proposé vingt et une heure. Théoriquement après le repas et juste avant le début des « hostilités », diraient les habitués. L’heure parfaite en somme. Marco rangea ses mains dans les poches de sa salopette et patienta. Dix minutes en avance il avait donc encore le temps de s’en vouloir un peu.

-Salut ! En fait je viens juste d’arriver.

Marco sourit en serrant la poigne solide de Diarmuid.

-Oui ça va beaucoup mieux. Une nuit un peu agitée comme celle-là ça fouette le sang, ha. J’ai eu un peu de mal à m’endormir après ça.

Et ce pendant quelques jours se retint-il d’ajouter. Ce genre d’expérience, très peu pour lui.

-La voisine l’avait un peu de travers que je vienne chercher sa fille aussi tard mais je lui ai promis que ce serait la dernière. En espérant que ce soit vraiment le cas !

A mentionner sa fille que cela, le cœur de Marco se serra le temps d’entrer dans le bar. Que Diarmuid se rappelle d’un détail aussi insignifiant témoignait qu’il prenait non seulement garde physiquement des autres, mais aussi de ce qu’il racontait. Un don bien rare ces temps-ci. A l’intérieur ils dégotèrent un coin tranquille dans un coin avec banquette en prime. Le temps que le serveur ne vienne prendre commande, Marco s’accouda sur la table.

-Alors ça vous arrive souvent d’aider des gens comme ça ? Non pas que je m’en plaigne mais je suis un peu curieux, vous voyez.

Marco ne fut pas surpris de l’explication de Diarmuid. A en juger par la façon dont il avait chassé les voyous l’autre soir il n’en était pas à son coup d’essai. Et s’il trainait dans le quartier sud il semblait avoir d’autres affaires que le racket, le vol ou d’autres activités aussi peu recommandables. Après peut-être que le sauvetage d’étranger n’était que la surface de ce qu’il faisait vraiment mais Marco n’osa pas en demander plus. Ça ne le regardait pas.

-En fait oui j’opère un peu partout en ville. Mon frère et moi on a établi notre boite à la lisière du quartier est et du quartier nord mais ça nous arrive d’aller ailleurs.

Marco ajuste sa casquette avant de continuer.

-Bon généralement on évite les devis du quartier sud. Les interventions sont assez risquées vu l’état des installations et ils sont généralement pas très réglos quand il s’agit de payer. Là c’était une urgence. Fuite de gaz et tout. Du coup on voulait pas vraiment laisser ça à des amateurs.

Il ricana.

-Mais avec ce qu’il s’est passé l’autre soir, sûr qu’on m’y reverra pas de sitôt !

Le barman arriva finalement, tout sourire malgré les quelques gouttes de transpirations qui passaient à côté de ses sourcils.

-Pour ces messieurs ce sera ?

-Beamish si vous avez.

Le serveur acquiesça avant de se tourner avec Diarumuid.

-Prenez ce que vous voulez, lui fit Marco, C’est moi qui régale !

Marco opina du chef.

-J’ai mis le temps mais au final ça l’a fait. Je vous explique même pas la taille. Le ballon on l’aurait cru d’avant-guerre et les jointures on en parle même pas. Honnêtement je suis surpris que ça leur ait pas sauté au visage avant. Non pas que ça aurait empiré l’état des lieux m’enfin…

Le plombier l’avait toujours un peu de travers en y repensant. Il avait passé un temps considérable sur l’intervention elle-même et il avait dû en plus se plier aux exigences de ses clients concernant la facture. A trois sur lui autant dire qu’il n’avait pas été bien combattif mais cela ne rendait pas la pilule plus facile à avaler pour autant.

Sur le conseil de Diarmuid il ne put qu’acquiescer à nouveau même s’il était plutôt d’avis de ne plus remettre les pieds dans le quartier sud pour affaire. Moins compliqué et bien plus sûr.

-Enfin bon. Sur ce, santé !

La bière étai fraîche, vraiment bienvenue. Marco essuya la mousse qui s’était accrochée à sa moustache et posa son verre en souriant.

-J’imagine qu’être chevalier errant ça remplit pas la panse. Vous faîtes quoi dans la vie sinon ?

Marco se gratta la moustache.

-Mince. Si on s’était rencontré avant j’aurais pu vous proposer de passer par chez nous. On avait besoin d’un coup main y’a deux semaines mais on a déjà embauché un petit jeune pour nous soulager.

Une formation rapide, quelques assistanat de ci de là et il aurait pu lui-même former Diarmuid. Mine de rien il était presque déçu de la profession de son sauveur. Certes le bâtiment expliquait sa carrure mais au vu de ses prouesses au combat il le voyait plutôt garde du corps personnel ou au moins agent de sécurité.

En se creusant la caboche Marco essaya de trouver de quoi l’orienter mais rien ne lui vint à l’esprit. Au mieux il connaissait quelqu’un qui avait besoin de temps à autre de gros bras pour des livraisons dans le quartier sud mais il ne savait pas si c’était vraiment mieux que de travailler dans le bâtiment.

Il ouvrit la bouche pour relancer la conversation quand un grognement du côté du bar capta son attention. Visiblement un homme venait d’en repousser un autre – une histoire de mariage raté ou quelque chose du genre - et d’autres s’étaient déjà interposés. La situation semblait s’envenimer plus qu’autre chose au vu des braillements qui s’échappaient du groupe et le barman s’apprêtait déjà à appeler la police. Marco se tortilla sur sa chaise sans trop savoir quoi faire.

Visiblement les dérapages liés à alcool avaient le privilège de l’ubiquité.

Marco alternait nerveusement entre siroter sa bière et observer la situation. Diarmuid avait pris les devants en allant directement à la source du problème pour tasser les choses avant qu’elles ne prennent trop d’ampleur. Que ce fut sa simple interruption, ses paroles ou un soudain éclair de lucidité, la tension sembla redescendre d’un cran et les deux parties baissèrent le ton. Visiblement pas au point de laisser la situation comme elle l’était mais suffisamment pour aller résoudre leur problème ailleurs. Ils réglèrent leur ardoise sans un mot et ne reprirent leur conversation qu’une fois la porte du bar derrière eux. En s’éloignant on entendait progressivement leurs voix s’éteindre avec eux.

Marco bondit de son siège et s’accouda au bar. Le propriétaire avait posé son téléphone et non sans un regard suspicieux envers le groupe qui s’éloignait, s’approcha de lui.

-Merci pour le coup de main, lança-t-il à Diarmuid, La conso est pour moi.

-Il en a dans le pantalon, hein ? renchérit le plombier, Dissuasion avant l’action. Nickel.

Il donna un petit coup de coude à Diarmuid.

-Vous auriez pas besoin de quelqu’un comme lui dès fois ? Je sais que le quartier est plutôt sûr mais un gars comme ça de temps en temps, ça dissuade. Et pis ça fait bonne image un bar qui a son propre garde du corps. Sureté, tout ça. Vous en dites quoi ?

Il badinait mais au fond il espérait sérieusement que le barman considérerait son offre.

Marco opina du chef quand le barman répondit à son offre. C’était toujours mieux que rien. Une porte ouverte pour Diarmuid et un établissement qui trouvait un potentiel nouvel employé. Une pierre deux coups.

-Bah, c’est rien. Fallait bien que je vous rende la pareille pour l’autre soir !

Même s’il s’agissait là d’un coup de chance inouï et qu’il n’avait pas agi par intérêt personnel, il éprouvait une certaine satisfaction à pouvoir ôter une épine du pied de celui qui lui avait évité bien des ennuis.

Quand Diarmuid passa au tutoiement les oreilles de Marco tressautèrent involontairement. Dès l’instant où ils s’étaient serrés la main le plombier s’était demandé s’il devait directement passer à ce genre de familiarité. D’ordinaire il serait passé outre toute sorte de réflexion et l’aurait fait par nature, conscient que cette simple action abolissait une sorte de barrière entre deux personnes. A fortiori avec un compatriote pour qui cette réticence était déjà presque nulle. Il devait se rendre à l’évidence, Diarmuid l’intimidait toujours un peu. Qu’il prenne les devants rassura considérablement Marco. Dans un sens il avait l’impression de se trouver sur un pied d’égalité avec son vis-à-vis. Sentiment qu’il avait eu du mal à ressentir jusque-là.

-Je suis pas sûr de voir de laquelle il parle. Il y a quelques sociétés de sécurité dans le coin mais la plus proche c’est Lynx Security. Jamais eu à m’en servir mais de ce que je sais ils sont assez pro dans leur branche.

Marco vida son premier verre pour que Diarmuid aille le remplir puis repartit.

-M’est d’avis qu’il faut candidater sur place. CV puis entretien téléphonique puis entretien avec le patron. Peut-être des tests physiques ou psychologiques. Mais cas avec la recommandation d’un barman et d’un plombier, c’est dans la poche, ha !

Il s’approcha et lança sur le ton de la confidence.

-En tout cas y en a une derrière que ça a plutôt impressionné, si tu vois où je veux en venir.

Sans en ajouter plus il masqua son sourire derrière sa chope.

Marco éclata de rire quand Diarmuid chercha à dévier le sujet. Il pensa même un instant qu’il se moquait de lui tant l’idée que ladite demoiselle soit intéressée par un plombier moustachu plutôt que par le fringuant jeune homme qui l’accompagnait était absurde. Et puis lui n’avait pas roulé des épaules pour rétablir l’ordre dans l’établissement. Tout juste avait-il sauté sur l’occasion pour fournir un coup de pouce sur l’emploi. Rien qui mérite un regard mielleux ou toute autre considération romantique.

Et puis son regard se voila l’espace d’une demie seconde quand Diarmuid énonça femme et enfant. Il battit des paupières, prit une gorgée et plaqua un sourire de circonstance sur son visage.

-Ah… Oui. Je… Enfin ma femme et moi on ne se voit plus beaucoup ces derniers temps. Mais j’ai toujours ma fille. C’est vrai que je devrais aller la voir.

Une partie de lui se sentait toujours coupable d’avoir laissé de côtés ses préoccupations paternelles le temps d’une soirée tandis qu’une autre voulait justement en profiter pour décompresser un peu. Pour ne pas céder à la pression.

-Enfin bon au final c’est à toi de voir, hein. Moi j’ai toujours quelqu’un à retrouver alors que toi c’est moins sûr. Je t’en voudrais pas si tu préfères saisir ta chance maintenant, ha !

-C’est entendu alors.

Marco frappa son verre sur la table avant de l’avaler d’une traite. Il réprima un rot et serra la main de Diarmuid.

- Si jamais t’as besoin d’un tuyau pour ça aussi, t’as mon numéro, ha ! Au plaisir et à la prochaine.

Il rigola un coup puis se dirigea vers la sortie. La soirée déjà entamée il hésita sur la conduite à tenir. Il était à peu près sûr qu’Anna était couchée à cette heure-ci aussi elle ne se rendrait compte de son retour que le lendemain matin. D’un autre côté prendre un autre verre seul l’exposait à glisser sur une pente qu’il tachait tant bien que mal d’éviter. Il pouvait certes se rendre dans un des bars qu’il connaissait bien pour y voir du monde mais il ne tenait pas à boire plus que de raison ce soir. Juste de quoi décompresser.

Au final il transigea. Un petit tour dans une supérette nocturne, une nouvelle bière, une marche pour évacuer le surplus de l’alcool et il rentrerait dans le milieu de la nuit. Satisfait de ce programme il se mit en quête d’un magasin en sifflotant tranquillement.

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