Terrain de Jeu:

Je ne sais plus trop comment je me suis retrouvée à gambader dans le centre commercial du quartier est, mais une chose est sûre, c'est que ça en valait le détour ! Hormis un étage inutile rempli de trucs de déco kitsch et trop cher pour que quelqu'un daigne se pencher dessus, tout était intéressant. M'enfin, le truc le mieux, mais genre, le mieux au moooonde, c'est cet espèce de petit magasin dont les effluves sont arrivées jusqu'à moi.

Ouais. Ça sentait le croissant et... La bûche chocolat poire. Partout, on pouvait trouver des glaces, des machines à milkshake qui tournaient sans cesse en affichant un large choix, des cafés en sachet, des vitrines remplies de pâtisseries et un immense bar ou tronaient des milliers de boîtes de bonbons. Mes doigts écartent de mon visage diaphane les quelques mèches qui me barrent le regard, et très vite, je perds mon sang froid.

Ouais. C'est horrible. J'y arrive pas, c'est définitif.

Je commence alors à courir partout, à zigzaguer entre les rayons et à commander un million de trucs que je vais m'empresser de dévorer. Ces dernières semaines ont été riches en émotions, je mérite de profiter de ces petites douceurs qui je l'espère, me feront oublier la confusion qui s'est emparée de moi. Milkshake à la framboise, café exotique, trois tartelettes, dix croissants - il faut que je les goûte tous, et surtout, les trois sachets de bonbons. Bah quoi, je vais pas faire de jaloux, si j'en goûte un, je les goûte tous ! Et je me dirige vers la caisse en grande galère, déjà chargée de quelques sacs...

Je sens alors une main s'accrocher à mon bras. Je m'arrête net pour éviter de la shooter et observe la jeune fille visiblement très joyeuse de m'avoir trouvée. Elle appelle quelqu'un, que je crois voir arriver, puis mes lèvres se fendent en un sourire doux et chaleureux. Mes jambes se plient pour que je puisse poser mes sacs par terre. Je lui dis alors d'une voix très sérieuse :

"Ouais carrément, je viens du pays des licornes tu sais. C'est très loin d'ici ! Ils ont fait en sorte que mes yeux soient de la même couleur que mes cheveux, regarde bien. Et mon travail... Ah... C'est de goûter tous les bonbons de cette planète et de faire un rapport, tous les mois, pour donner mon avis. Dis moi, tu préfères quel genre de gâteau ? Au chocolat je parie !"

Je lui envoie un clin d'oeil discret avant de passer une main dans mes longues mèches violettes. Quelques secondes plus tard, mes yeux scrutent les alentours et tombent sur un jeune homme - qui doit être, à mon humble avis, le garde de cette fille - qui me fait penser un peu à moi dans ses attitudes assez... Enfantines - et je lui souris alors largement alors que mes sacs traînent un peu partout au sol. Me connaissant je vais réussir à marcher sur les tartelettes. Allez, je parie 3 euros avec moi même. Si je les écrase, je me paye un ice tea.

Je réfléchis un instant à ce que je viens de dire à la jeune fille. Elle va sûrement me prendre pour une grosse tarée, et si elle me croit, c'est parti pour qu'on devienne meilleures amies forever, puisque même moi j'aurais été capable d'y croire... Je demande alors au garçon d'une voix enjouée :

"Salut, c'est ta soeur ?"

Ouais c'est sûr que c'est sa soeur. J'veux dire, y'a quand même un air de ressemblance, rien que dans l'attitude. Ça trahit pas, ça. Des années plus tard, si je revoyais mon frère dans la rue, je saurais direct que c'est lui. C'est sûr et certain. Il doit d'ailleurs penser que je suis morte en ce moment. Penser à lui me rend nostalgique. J'aimerais bien lui envoyer un message pour lui dire "CC BITCH COMMENT ÇA VA ?", mais ce serait du suicide alors... Tant pis...

Je hoche la tête en affichant une mine déterminée et pleine de réflexion, même si intérieurement je trouve juste cette fille trop mignonne. J'ai comme envie de lui faire plein de bisous et de l'emmener au pays des licornes - même si vraisemblablement je n'y ai jamais été non plus. Honnêtement, vu son âge, je pensais plutôt qu'elle allait me prendre pour une folle mais il semblerait que ce ne soit pas le cas... Serait elle aussi naïve que moi ?

Les paroles que prononcent son frère me font soudain comme l'effet d'une douche froide. J'ouvre de grands yeux surpris et détourne le regard vers mes sacs que je m'empresse de ramasser. "Tu vas nous faire honte Nemesis. Il serait temps que tu te comporte comme une De la Rose et pas comme une gamine." Tu parle d'une vie, tu parle de bonheur. C'est juste une prison.

"Je trouve ça injuste de brider quelqu'un en essayant de la faire rentrer dans le moule. Les pères en veulent souvent trop de leurs enfants. Tu as le droit d'être qui tu veux. Enfin je crois..."

Je dis ça d'une voix soudainement triste, puis j'essaye d'afficher un faible sourire et demande à la jeune fille :

"Mais bon, je ne connais pas ton histoire après tout ! Et puis j'ai cru t'entendre demander une glace. Ça t'intéresse toujours ?" Puis je me tourne vers son frère "J'imagine que ça te va si je tais le sujet des licornes..."

J'essaye de paraître aussi heureuse que je l'étais quelques secondes auparavant. Mais voilà, son visage me fait trop penser à Viktor maintenant. Et penser à Viktor, c'est penser à tout un passé que je me tue à oublier. Pas cool. Le chocolat sera mon seul réconfort. Je me dirige alors vers la caisse en emportant à nouveau ma tonne de sacs, veillant à ne rien faire tomber, et attrape du bout des doigts une tablette de... Ben de chocolat voyons. Une fois que j'aurais payé ça, j'espère que ces deux là voudront bien se poser sur une terrasse pour profiter d'un rafraîchissement. Après tout, il n'y a rien de mal à se faire des amis. J'imagine que ça ne brisera pas le code d'honneur de la petite fille parfaite qu'elle est censée être - ou devenir.